3. Fonction Neuromotrice
DÉVELOPPEMENT DE LA MOTRICITÉ
Le développement de la motricité a longtemps été défini comme une séquence peu variable suivant un ordre hiérarchique. Dans ce cadre, les acquisitions motrices sont considérées comme le reflet exclusif de la maturation du SNC, les structures hautes contrôlant les structures basses. Une telle conception néglige la contribution de la perception, de la cognition et de l’expérience. De fait, un modèle exclusivement fondé sur la maturation ne peut expliquer l’ensemble des comportements et des différences individuelles observées. Néanmoins certains repères demeurent essentiels et ont une valeur indéniable dans l’évaluation du fonctionnement de l’enfant.
Généralement, on distingue les habiletés de motricité grossière (ou globale) et les habiletés de motricité fine. La motricité grossière fait référence principalement aux actions liées aux changements de position, à la transmission de force et à la locomotion, c’est-à-dire aux modalités de déplacement entre deux points. Cette motricité se trouve habituellement au centre de l’évaluation précoce du développement. La motricité grossière est peu influencée par l’intelligence, la race ou l’environnement. Sa séquence (ordre d’acquisition) de développement est peu affectée par des déficiences spécifiques telles la cécité, la surdité ou des conditions sociofamiliales défavorables.
Dans le présent contexte, la motricité fine réfère essentiellement à la motricité du membre supérieur et aux habiletés de manipulation. Outre l’influence de la maturation neuronale, la motricité fine dépend de l’intégrité des fonctions sensorielles, des mécanismes posturaux et de la cognition. C’est l’interaction entre ces différentes fonctions qui permet l’accomplissement de tâches manuelles souvent appelées tâches visuomotrices. Chez le très jeune enfant, elle sera appréciée principalement dans l’interaction de celui-ci avec les objets (manipulation, exploration, etc.). Quelques années plus tard, les tâches graphiques (dessins) ou visuomotrices permettront l’évaluation de ces habiletés.
CALENDRIER DES ACQUISTIONS MOTRICES
Quelques acquisitions clés sont ici présentées ; leur absence devrait justifier une évaluation plus détaillée en kinésithérapie et/ou en ergothérapie. Pour un répertoire plus complet des acquisitions, il faut consulter des ouvrages spécialisés [1, 2].
De la naissance à 2 ans
Les acquisitions de la motricité grossière sont représentées à la figure 3.1 et celles de la motricité fine à la figure 3.2.
Fig. 3.1 |
Fig. 3.2 |
Entre 2 et 4 ans
Cette période est marquée par un raffinement des habiletés de motricité grossière, qui se traduit par un meilleur contrôle moteur dans les activités. La marche, parfois encore digitigrade jusqu’à cet âge, passe normalement à un mode plantigrade [3] ; les chutes sont moins fréquentes et la course s’organise. Pour sa part, le développement de la motricité fine à cette période est caractérisé par un maniement croissant des « outils ». Crayons, ciseaux et ustensiles seront de plus en plus utilisés. Les habiletés de manipulation se raffineront ; les petits objets seront manipulés à l’intérieur de la main par des mouvements de rotation, transfert et translation qui permettront de replacer l’objet correctement pour une préhension efficace. Quelques points de repère classiques sont fournis au tableau 3.1. L’observation ne se limite pas au succès ou à l’échec dans la réalisation d’une tâche, mais comporte également une appréciation de la qualité d’exécution.
Motricité globale | Motricité fine | |
---|---|---|
2 ans | Stable en position accroupie Frappe le ballon avec le pied Monte et descend seul les escaliers : sans alterner Peut transporter un gros objet en marchant | Enfile de grosses perles Construction de 6-7 blocs Tourne les pages d’un livre, une à la fois |
3 ans | Course plus harmonieuse Monte et descend les escaliers en alternant les pieds (appui pour descendre) Peut sauter d’une hauteur de 20 cm d’abord un pied avant l’autre, puis les pieds joints Équilibre sur un pied Attrape la balle Peut suivre une ligne droite en marchant | Enfile de petites billes Tour de 9-10 blocs Tient les ciseaux d’une main et fait des franges Après démonstration, plie le papier en deux et marque le pli |
4 ans | Lance et attrape une balle Tient en équilibre sur un pied quelques secondes Saute en hauteur Marche sur une poutre d’équilibre de 10 cm de largeur Saute une hauteur de 70 cm à pieds joints | Tient le crayon de façon adulte Découpe en suivant une ligne droite Peut commencer à faire un nœud |
Entre 4 et 6 ans
Il est important de rappeler qu’à cet âge, jusqu’à 60 % des activités sollicitent les habiletés de motricité fine [4]. L’observation d’activités préacadémiques incluant découpage, coloriage et dessin permettra de confirmer l’intégrité des fonctions visuomotrices:
– la préhension mature du crayon, habituellement présente à l’âge de 4 ans;
– le découpage sur la ligne droite (4 ans), sur le contour d’une forme simple (5 ans) et sur celui d’une forme avec angles (6 ans) ;
– la reproduction de formes ;
– le coloriage avec freinage, c’est-à-dire sans dépasser le contour (5 ans).
ORGANISATION DE CERTAINES FONCTIONS MOTRICES
Consolidation de la latéralité
Latéralité et latéralisation doivent être distinguées. La latéralité fait référence à une asymétrie fonctionnelle au niveau des éléments corporels (main, œ et pied) alors que la latéralisation correspond à l’inégalité ou à la spécialisation fonctionnelle des hémisphères cérébraux [5]. Évidemment, dans le cadre du présent chapitre, c’est de la latéralité dont il est question.
De nombreuses méthodes ont été élaborées pour évaluer la latéralité. Pour le dépistage, le pédiatre pourra rechercher l’utilisation préférentielle ou prédominante au moyen d’objets usuels et familiers pour l’enfant:
– l’oelig; dominant, en utilisant un rouleau de papier à titre de longue-vue ;
– la main dominante, avec un crayon ;
– le pied dominant, avec un ballon.
Lorsque œ-main-pied coïncident, il est simple de définir l’enfant droitier ou gaucher. Lorsque la latéralité n’est pas clairement établie à l’âge de 5 ans, il faut chercher une cause ; c’est parfois une « gaucherie obligatoire » de la main seulement, en cas de lésion mineure de l’hémisphère gauche qui rend l’usage de la main droite difficile dans la motricité fine.
Disparition des syncinésies
Souvent appelées mouvements associés, les syncinésies réfèrent aux contractions involontaires apparaissant, de façon inconsciente et non nécessaire, dans un groupe de muscles à l’occasion de mouvements volontaires du même groupe de muscles du côté opposé. Les syncinésies sont en fait des mouvements diffusants dus à un manque d’inhibition. Leur nombre et leur intensité diminuent normalement au cours de la première décennie de la vie. Chez l’enfant, les syncinésies d’imitation résultent d’une diffusion des mouvements à la main controlatérale lors d’un mouvement de marionnette de l’autre côté, par exemple. D’abord physiologiques en bas âge, les syncinésies deviendront pathologiques si elles persistent. Les syncinésies toniques sont observées principalement sur l’axe vertical, en particulier au niveau buccofacial (impliquant souvent ouverture de la bouche et protrusion de la langue), lors du geste accompli par le membre supérieur. Elles ont habituellement une explication organique.
Développement de la fonction praxique
La praxie définit un phénomène cognitif, permettant par simple évocation du projet du geste une réalisation harmonieuse et efficace d’une séquence de mouvements menant à l’atteinte d’un but. Elle requiert l’intégration de multiples informations sensorielles (kinesthésiques, proprioceptives, visuelles, tactiles et vestibulaires) [4]. La fonction praxique s’observe principalement dans les tâches de la vie quotidienne telles que s’habiller, se chausser ou encore se boutonner. La fonction praxique peut être analysée, entre autres, par le test d’imitation de gestes proposé initialement en 1963 par Berges et Lézine [6]. Ce test, réétalonné en 1997 par Vaivre-Douret [7], propose des épreuves allant de l’imitation de gestes simples des bras à celles de gestes complexes au niveau des doigts. Quelques-unes des épreuves peuvent être faites à titre de dépistage par le pédiatre, comme les 2 anneaux sécants formés par le pouce et l’index de chaque main, réalisés facilement par 87 % des enfants âgés de 5 ans (voir fig. 3.2). La qualité d’exécution de chacune des tâches est aussi intéressante que l’âge auquel elles sont réussies. Normalement, l’imitation est exécutée de façon immédiate. Lorsqu’elle demande une décomposition du geste pour parvenir au but, elle reflète la difficulté fonctionnelle permanente, souvent associée à une lenteur d’exécution des tâches de la vie quotidienne.
SPECTRUM DES TROUBLES NEUROMOTEURS
L’examen neurologique a été développé au chapitre 2. Le spectrum des anomalies dans le domaine neuromoteur peut être découpé, allant des formes sévères qui s’expriment par une IMOC incapacitante vers des formes modérées ou mineures [8].
CATÉGORISATION À 2 ANS
Le diagnostic de l’IMOC repose sur une définition consensuelle permettant d’établir des registres nationaux et donc des comparaisons entre pays. Le syndrome associe trouble de la posture et trouble du mouvement, résultat d’une lésion cérébrale non progressive et définitive survenue sur un cerveau en voie de développement [9]. Dans la pratique, la catégorisation dépendra, d’une part, de la topographie du trouble neuromoteur (diplégie, quadriplégie et hémiplégie) et, d’autre part, de la physiopathologie du trouble de la posture et du mouvement (spasticité, dyskinésie et ataxie). Ces deux aspects, topographique et symptomatique, sont résumés au tableau 3.2.
Variétés | Caractéristiques |
---|---|
Topographiques | |
Diplégie Quadriplégie Hémiplégie | Les 4 membres sont atteints, mais surtout les membres inférieurs Les 4 membres sont atteints de façon comparable ou avec prédominance des membres supérieurs Les membres supérieur et inférieur sont atteints du même côté |
Symptomatiques | |
Spastique Dyskinétique Ataxique | Hypertonie, réflexes ostéotendineux vifs, spasticité (lésion du motoneurone supérieur, c’est-à-dire atteinte pyramidale) Rigidité, mouvements anormaux (lésion des noyaux gris centraux, c’est-à-dire atteinte extrapyramidale) Hypotonie, titubation, chutes, dysmétrie (lésion cérébelleuse, souvent malformative) |