9 Évaluation d’une prise en charge stress professionnel au sein d’un hôpital de jour
Introduction
Si le travail est en principe une source de réalisation et de développement personnel, force est de constater qu’il peut être à l’origine de grandes souffrances. La violence au travail revêt des formes diverses : surcharge, pression, comportements hostiles allant de la discrimination au harcèlement en passant par l’agression verbale voire physique ; elle se manifeste également du fait de missions mal définies ou qui mènent les personnes à accomplir des tâches qui vont à l’encontre de leurs valeurs ; d’organisations incohérentes, quand il ne s’agit pas de réorganisations incessantes avec leur lot de licenciements et d’exclusion sociale.
Depuis environ une quinzaine d’années, de nombreux médecins, psychiatres, psychologues et sociologues nous alertent sur le phénomène (Dejours, 1998 ; Hirigoyen, 2001 ; Debout et Larose, 2003 ; Légeron, 2003 ; Pezé, 2008 ; Leiter et Maslach, 2011). Les conséquences des violences liées au travail sur la santé de nos concitoyens ne sont plus contestées : stress, anxiété, dépression, troubles du comportement pouvant aller jusqu’aux conduites suicidaires, troubles psychosomatiques, maladies cardiovasculaires… Et les études et travaux ne manquent pas pour décrire ce que l’on nomme désormais les risques psychosociaux (Dares, 2003 ; Invs, 2009 ; Légeron et Nasse, 2008 ; Anact/Cas, 2009 ; Halde1 Rapport annuel 2009). Malgré une évolution de la législation ces dix dernières années notamment (art. de loi L. 1152-1 et suivants et L. 1153-1 et suivants sur le harcèlement moral et sexuel au travail ; art. L. 122-45 sur la discrimination ; art. L. 4121-1 et suivants sur la protection par l’employeur de ses salariés) et des mesures plus récentes prises par les pouvoirs publics en concertation avec les organisations syndicales interprofessionnelles ( Accord national interprofessionnel sur le stress au travail du 02/07/2008 ; Accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail du 26/03/2010, Plan Santé au travail 2010-2014…), la Commission des affaires sociales du Sénat, par sa Mission d’information sur le mal-être au travail du 30 juin 2010, établissait un diagnostic préoccupant en constatant une progression du mal-être au travail dont le coût économique serait estimé autour de 2 à 3 milliards d’euros.
Afin d’accompagner les personnes en détresse du fait de leur travail (ou non-travail), des associations, structures pluridisciplinaires proposant un soutien médicopsychologique, juridique et social se sont mises en place telles le réseau Souffrance et Travail. L’hôpital de jour de la clinique Villa des Roses à Lyon s’inscrit dans ce réseau et propose depuis 2007 une prise en charge du stress professionnel en groupe ou en individuel. Elle est assurée par une psychologue du travail formée aux thérapies comportementales et cognitives (TCC) alliant ainsi expérience de l’entreprise, connaissance des problèmes psychosociaux et compétences thérapeutiques pour la prise en charge de patients souffrant de troubles anxiodépressifs tels que définis par l’American Psychiatric Association dan le Mini DSM-IV Critères diagnostiques, 2004. Cette prise en charge, selon le modèle des TCC, se déroule soit dans le cadre d’un atelier hebdomadaire stress professionnel de quatre mois soit sous la forme d’entretiens individuels de six à douze mois. Elle revêt d’abord une première phase d’écoute où se construit l’alliance thérapeutique (Cungi, 2006), visant à re-contextualiser les situations de souffrance au travail, orienter et conseiller la personne pour l’aider à s’extraire d’une impasse. Puis vient l’accompagnement à de nouvelles modalités de fonctionnement visant une revalorisation de soi et de son potentiel d’action par rapport à son activité professionnelle. Sont ainsi mises en pratique les techniques de gestion émotionnelle (Cottraux et al., 2007 ; Kabat-Zinn, 2009). Sont également utilisées la restructuration cognitive et la mise en évidence des schémas (Cottraux, 2011 ; Young, 2005). Au niveau comportemental, les techniques d’affirmation de soi (Fanget et Rouchouse, 2007), de résolution de problèmes et de gestion de temps sont également abordées. Finalement, les personnes sont amenées à développer un autre rapport à leur travail, à identifier les valeurs qui comptent pour elles et à retrouver un équilibre et un sens à leur vie (André, 2009). Dans cette perspective, la prise en charge stress professionnel s’inscrit dans le mouvement de la psychologie positive dont il est suggéré qu’elle contribue à l’efficacité des psychothérapies, en mettant l’accent sur les valeurs et en fondant leur approche sur les forces du caractère (Cottraux, 2007).
C’est ce que nous proposons de montrer à travers l’évaluation réalisée auprès de trente patients ayant bénéficié entre décembre 2007 et décembre 2009 de la prise en charge stress professionnel mise en place au sein de l’hôpital de jour de la clinique Villa des Roses à Lyon.
Modalités d’enquête
Éléments relatifs à la population de référence
Sur les trente patients ayant bénéficié de la prise en charge stress professionnel de décembre 2007 à décembre 2009, nous avons compté vingt femmes et dix hommes. L’âge moyen des patients était de quarante-trois ans. Au niveau de leur situation familiale : seize étaient mariés ou vivaient maritalement, sept se sont déclarés célibataires et sept divorcés, dix-huit avaient des enfants. Au niveau professionnel (figure 9.1), les situations étaient assez hétérogènes, même si les employés de tous secteurs confondus étaient les plus nombreux (41 %). On notera la proportion non négligeable des professionnels de l’Éducation nationale (15 %).
La durée moyenne de séjour de ces patients a été de neuf mois, soit deux fois plus que celle de l’ensemble des patients de l’hôpital de jour. Ce constat tend à indiquer que la plupart des patients suivis dans le cadre de l’atelier stress professionnel se sont montrés réellement impliqués dans les soins de l’hôpital de jour. Vingt-et-un étaient en arrêt maladie et neuf en temps partiel thérapeutique. Les deux tiers n’avaient pas d’antécédents psychiatriques connus.
Comme le montre la figure 9.2, le motif principal de la prise en charge était le stress, l’épuisement professionnel lié à une surcharge émotionnelle et cognitive causée par les conditions de travail (pour quatorze personnes). Un quart des patients a été victime de harcèlement par la hiérarchie, d’autres collègues ou des tiers (usagers – notamment pour deux gardiennes d’immeuble). Trois patients avaient été victimes d’agression. Enfin, les raisons de consultation de cinq autres n’étaient pas véritablement liées à leur travail (trouble de personnalité, souhait de reprise d’emploi après un arrêt longue durée…).
L’état de santé psychique au moment de la prise en charge stress professionnel pouvait être très hétérogène : alors que certains étaient encore en état de stress aigu ou manifestaient des troubles anxieux et des conduites phobiques par rapport au travail, d’autres étaient plutôt en dépression avérée (mais non sévère) avec une forte dépréciation de soi.
Résultats de l’enquête
Situation des répondants
La plupart des patients ayant répondu au questionnaire ont bénéficié de la prise en charge stress professionnel sur l’année 2009 et huit d’entre eux étaient encore hospitalisés durant l’enquête (ce qui a certainement favorisé leur réponse). La durée moyenne de séjour à l’hôpital de jour des patients ayant répondu à l’enquête était de onze mois. On peut ainsi souligner le besoin de soutien psychologique au-delà de la seule prise en charge stress professionnel, la plupart étant d’ailleurs inscrits à d’autres ateliers. Au niveau professionnel, sept personnes étaient en arrêt maladie et cinq en temps partiel thérapeutique avec des origines socioprofessionnelles diverses comme l’indique la figure 9.3.
Motifs de prise en charge
Les motifs invoqués par les patients justifiant leur prise en charge stress professionnel sont en premier lieu l’épuisement professionnel, suivi au même niveau de la pression puis de difficultés liées à mon tempérament. Viennent ensuite les troubles psychiques, le harcèlement et l’agression (figure 9.4).