5. Évaluation des Troubles Mnésiques
Le changement culturel est un processus potentiellement lamarkien.
Tout savoir acquis par une génération est susceptible d’être directement transmis à la génération suivante grâce à ce que nous appelons du très noble mot d’éducation (…)
Cette transmission du patrimoine culturel confère à l’histoire de la technologie un caractère cumulatif et directif étranger à l’évolution naturelle.
(Stephen Jay Gould, L’éventail du vivant, 1997)
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES FONCTIONS MNÉSIQUES
Or la mémoire, chez l’enfant, – contrairement à ce qui se passe chez l’adulte –, fait encore l’objet de peu d’explorations: on connaît encore assez mal certains aspects du développement de la mémoire et de ses différents secteurs chez le tout-petit. Simultanément, il est rare que la mémoire de l’enfant soit investiguée car la plupart des cliniciens croient, à tort, qu’il n’existe pas de troubles ou de déficits mnésiques « développementaux », c’est-à-dire en dehors d’une pathologie cérébrale patente bien répertoriée (séquelles de traumatismes crâniens ou certaines formes d’épilepsies).
Pourtant, ces amnésies développementales existent (Issacs et coll., 2003). Les déficits ou les pathologies de la mémoire peuvent avoir des conséquences diffuses, et donc sévères, dans tout ou partie des apprentissages. L’enjeu du diagnostic de troubles dans ces secteurs est d’autant plus important que leur méconnaissance peut faire errer longuement le diagnostic de certains échecs scolaires.
En particulier, nous distinguerons:
– d’une part, les mémoires permanentes qui constituent des fonctions cognitives en soi, supports de la mémoire biographique et du sentiment de continuité de l’individu à travers le temps, supports aussi des savoirs, des connaissances et des apprentissages ;
– d’autre part, des mémoires transitoires – aussi dénommées mémoires à court terme et mémoires de travail –, qui, elles, sont le terreau commun à toutes les autres fonctions cognitives, très liées aux fonctions attentionnelles et exécutives.
PRÉALABLES AU BILAN MNÉSIQUE
Niveau de développement et mémoires
Les performances mnésiques, dans chacun des secteurs de la mémoire, évoluent en fonction de l’âge d’une part, du niveau de conceptualisation et de raisonnement de l’enfant d’autre part (ces deux éléments, qui sont par définition liés chez l’enfant « normal », peuvent bien sûr être disjoints en pathologie).
Cette évolution génétique des capacités mnésiques peut être due:
– à une maturation intrinsèque des réseaux mnésiques (extension des réseaux, richesse des interconnexions, etc.) ;
– et/ou à une plus grande vitesse de traitement des informations (sensorielles, logiques, conceptuelles, etc.) avec l’âge et le degré d’expertise ;
– et/ou à la mise en place de stratégies plus efficaces (sélection des items, regroupements, liens, etc.),
ou encore plus probablement, à une combinaison de tous ces mécanismes.

À l’inverse, un faible niveau mnésique, s’il est concordant avec le niveau de développement de l’enfant (quel que soit son âge réel) n’autorise pas à parler de troubles mnésiques spécifiques. Les faibles capacités, dans tous les domaines, y compris mnésique, doivent plutôt être comprises comme étant, dans une relation circulaire, à la fois la cause et le reflet de la déficience intellectuelle.
Ceci implique donc obligatoirement 3 temps diagnostiques (→Figure 5-1):
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Fig. 5-1 – Principes du bilan mnésique. |
– l’interprétation des épreuves mnésiques ne peut se faire indépendamment de l’évaluation du niveau de facteur G de l’enfant: tout bilan mnésique doit commencer par apprécier les capacités de logique, raisonnement et conceptualisation de l’enfant ;
– l’examen doit se poursuivre par des épreuves mnésiques étalonnées qui permettront de juger de la présence ou non d’un trouble électif dans le domaine de la mémoire ;

Langage et mémoires
Les différentes mémoires infiltrent et nourrissent le secteur linguistique (→ 225, 253), en plein développement chez l’enfant.
Si la diffusion des pathologies linguistiques (dysphasies) dans le secteur de la mémoire auditivo-verbale est habituelle (→ 65), inversement, des troubles intrinsèques de tel ou tel secteur mnésique peuvent avoir des répercussions sur les capacités langagières de l’enfant (Mazeau, 2005).
Il faudra donc savoir recouper les informations venues d’évaluations linguistiques et mnésiques, tenter d’élucider les liens entre les divers troubles que présente l’enfant, essayer de comprendre s’il s’agit de l’association de différentes pathologies partageant une même anomalie fonctionnelle en amont (a), de corrélations fortuites ou au contraire des conséquences de l’une dans l’autre, (b) et (c): les démarches thérapeutiques utiles seraient en effet alors fort différentes.
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Fig. 5-2 – Troubles mnésiques/troubles du langage. a, b et c : interrelations possibles. |
Attention, fonctions exécutives et mémoires (→chap. 6)
S’il est important de repérer et comprendre les liens qui unissent mémoires et langage, en particulier lorsque le développement du langage de l’enfant pose question, ceux qui unissent mémoires et attention sont encore plus incontournables.
Aussi, toute évaluation de la mémoire, ou de certains de ses secteurs qui sembleraient déficitaires ou pathologiques doit obligatoirement conduire à une évaluation concomitante de l’attention et des fonctions exécutives (sélection, inhibition, stratégies) (Figure 5-3).
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Fig. 5-3 – Mémoires et attention. |
En effet, s’il existe des troubles mnésiques sans troubles de l’attention, a contrario, tout trouble de l’attention et des fonctions exécutives s’accompagne obligatoirement d’une symptomatologie mnésique.
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Fig. 5-4. |
– Place de l’évaluation mnésique au sein du bilan neuropsychologique. |
Il est donc très important, lorsqu’on évoque l’hypothèse d’un déficit mnésique, de conduire strictement l’examen selon le schéma suivant. Toute entorse à cette méthodologie peut conduire à des erreurs d’interprétation très dommageables.
PRINCIPES DU BILAN DE MÉMOIRE
Principaux tests mnésiques existants
Nous citerons deux tests composites, multi-tâches, qui visent spécialement à l’évaluation des capacités mnésiques des enfants. Il s’agit de batteries visant l’exploration de la mémoire à long terme (MLT).
–
La BEM 144 (Signoret J.-L., 1991), étalonnée dès l’âge de 6ans (4ans pour certaines épreuves [Jambacqué et coll., 1991 et 1993]), est la référence en la matière1. Il s’agit de la seule batterie réellement construite selon une démarche neuropsychologique, c’est-à-dire exploitant systématiquement les dissociations entre différentes épreuves ne différant que par un seul critère (→p. 11). Les épreuves verbales sont reliées à des épreuves non-verbales qui sollicitent les mêmes processus (ex: apprentissage d’une liste de mots versus l’apprentissage d’une liste de dessins non-dénommables), les épreuves d’évocation versus des épreuves de reconnaissance, etc.

On note en particulier l’originalité de deux épreuves non-verbales: l’une est une épreuve de reconnaissance de dessins non-dénommables à retrouver (après présentation séquentielle) parmi quatre propositions (choix multiple, → 288–292), l’autre est une épreuve d’apprentissage de 12 autres dessins non dénommables (trois présentations et trois essais successifs), que l’enfant doit reproduire immédiatement après chaque présentation.
N.-B. Bien que ces dessins ne représentent rien, on ne peut pas formellement éliminer le fait que certains enfants (et adultes !) verbalisent et les dénomment malgré tout (« là, on dirait une sorte d’araignée ; ici, on dirait un soleil ; là, un ressort, etc. ») : le fait d’utiliser des dessins a priori « non dénommables » ne permet donc pas de préjuger avec certitude des mécanismes de mémorisation mis en œuvre par le sujet.
–
La CMS ou Children Memory Scale (Cohen M.-J., 2001, ECPA) existe en deux versions en fonction de l’âge (5–8ans et 9–16ans). Elle aussi comporte une échelle verbale (composée d’épreuves classiques: rappel d’histoires, en immédiat et en différé, apprentissage sériel d’une liste de mots, de mots couplés…), et une échelle non-verbale. Cette dernière comporte des épreuves originales, en particulier une épreuve de mémorisation de localisation de points (mémoire spatiale) et une épreuve de reconnaissance de visages (après élimination éventuelle d’une agnosie des visages, → 193) en présentation sérielle ; cette épreuve est une des rares épreuves étalonnées qui soit, avec certitude, visuelle et non verbalisable.

N.-B. En fait, les épreuves verbales et non-verbales de la CMS, contrairement à celles de la BEM, ne sont pas pensées pour être systématiquement mises en relations deux à deux (→ …). Mais ces épreuves sont très précieuses car elles constituent un éventail de tâches mnésiques étalonnées chez l’enfant.
–
Les épreuves « mémoire et apprentissage » de la NEPSY (→ 303): parmi les cinq sub-tests proposés, on note en particulier la présence d’une épreuve de mémoire visuelle (visages), une épreuve d’apprentissage (liste de 15 mots, 5 essais successifs) qui prévoit l’étude de l’influence des interférences, une épreuve de mémoire de récit et une de répétition de phrases.



Principes généraux de l’évaluation des fonctions mnésiques
–
prendre en compte la modalité sous laquelle l’information est présentée: visuelle, auditive ou verbale d’une part, simultanée ou séquentielle d’autre part. Des dissociations dans les performances en fonction du canal afférent choisi sont très importantes à mettre en évidence pour orienter les choix pédagogiques et rééducatifs et favoriser les apprentissages ;

– spécifier les conditions de la réponse: en évocation ou en reconnaissance, immédiate ou différée, en rappel libre ou indicé.
La comparaison des performances de l’enfant sous ces différentes conditions permet de mieux appréhender quels sont les processus mnésiques déficitaires et lesquels sont préservés, ce qui est indispensable à la fois pour préciser le diagnostic et pour orienter les démarches d’aide thérapeutique.

Enfin, la mémoire est un domaine où il faut d’emblée distinguer deux compartiments très différents qui doivent faire l’objet d’évaluations indépendantes (→Tableau 5-I):
MLT (à long terme) | M de T (de travail) |
---|---|
Entrées visuo-spatiales – matériel séquentiel / simultané – réponse: évocation / reconnaissance | Entrées visuo-spatiales – matériel séquentiel / (simultané) – réponse: évocation / reconnaissance |
Entrées auditivo-verbales – matériel séquentiel / simultané – réponse: évocation / reconnaissance | Entrées auditivo-verbales – matériel séquentiel / (simultané) – réponse: évocation / reconnaissance |
– d’un côté, les mémoires dites « à long terme » ou MLT (de quelques minutes à toute une vie) qui permettent de stocker, emmagasiner et récupérer informations, expériences, savoirs et ressentis ; ce sont des mémoires permanentes ; ce secteur mnésique correspond à l’acception habituelle, dans le public non spécialisé, du terme « mémoire » ;
– de l’autre coté, les mémoires transitoires (→ 238 et suivants), dont la fonction n’est pas de « stocker » mais de garder momentanément actif un petit nombre d’informations, le temps qu’un « travail » (un traitement) soit effectué sur ces bases, d’où le terme habituel de « mémoire de travail » (MT ou M de T). Ce « travail » peut concerner tous les secteurs cognitifs (langage, calcul, raisonnement, etc.). Le terme de « mémoire » peut ici être trompeur: il s’agit plutôt d’une capacité à sélectionner et maintenir ponctuellement actifs les éléments nécessaires à tel ou tel processus cognitif en cours (« mémoire vive »).
Au total, la structure générale d’un bilan mnésique pourrait donc se décliner ainsi:
Épreuves | Observations | |
---|---|---|
Matériel visuo-spatial, simultané | – Figure de Rey-Mémoire – Localisation de points (CMS) et d’images – Mémoire spatiale (K-ABC) | – D’une façon générale, ce qui est pertinent, sur le plan mnésique, c’est le différentiel entre les scores obtenus à la copie et à la mémoire. – L’interprétation des résultats en termes de performance mnésique dépend bien évidemment des capacités de l’enfant dans les épreuves visuo-spatiales non-mnésiques. |
Matériel visuel, séquentiel | – Dessins non dénommables de la BEM (reconnaissance et évocation) – Mémoire des visages de la CMS (reconnaissance), de la NEPSY | – Bien que choisis pour être « non-dénommables », il est difficile d’affirmer que les processus employés par l’enfant ne sont pas verbaux, ou sont strictement visuels. – Seule la tâche de reconnaissance de visages est, à coup sûr purement visuelle et non verbalisable. |
Matériel auditivo-verbal | – Récit entendu (extrait du MSCA, de la BEM 144, de la NEPSY etc.) | – Cette épreuve requiert également une bonne mémoire de travail auditivo-verbale, un minimum de connaissances lexicales et expérientielles pour la compréhension de l’histoire. |
Matériel verbal, séquentiel | – 15 mots de Rey (évocation / reconnaissance) – liste de mots de la CMS, de la NEPSY, etc. | – Il s’agit d’épreuves proposées en apprentissage. Ce sont des épreuves très sensibles aux troubles attentionnels, aux redites non inhibées et associations d’idées mal contrôlées: ce sont donc des épreuves utiles, sur le plan qualitatif, pour distinguer troubles mnésiques et troubles des fonctions exécutives. |
MÉMOIRES PERMANENTES
MÉMOIRES PROCÉDURALE, SÉMANTIQUE, ÉPISODIQUE, DÉCLARATIVE
Pourtant, il ne s’agit pas d’une notion homogène ni d’un secteur unifié. La mémoire est un puzzle constitué de multiples facettes et le déficit ou le dysfonctionnement de certains de ses éléments donne lieu à des troubles fonctionnellement très gênants, qui compromettent souvent gravement la scolarité et l’avenir des enfants qui en sont atteints (→ 224, 236, 336). Le diagnostic précis des troubles et la compréhension des mécanismes défaillants peuvent seuls permettre de proposer des démarches thérapeutiques adaptées.
Parmi les mémoires permanentes, il faut distinguer plusieurs secteurs différenciés (cf.Figure 5-5).
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Fig. 5-5 – Les différents secteurs de la mémoire (Mazeau, 2005). |
Mémoire dite procédurale
Les pathologies secondaires à des lésions ou dysfonctionnements focalisés affectant la mémoire procédurale ne sont pas habituellement répertoriées en neuropsychologie comme des « troubles mnésiques »: on parle d’a – ou dyspraxie, agnosie, a – ou dysphasie, etc.
Mémoire dite déclarative
C’est la partie consciente et explicite de la mémoire, récupérable intentionnellement, qui peut s’exprimer verbalement. C’est souvent cette mémoire-là qui se trouve atteinte lors de traumatismes crâniens et lors de certaines lésions cérébrales qui atteignent le lobe limbique.
Au sein de la mémoire déclarative, on isole la mémoire sémantique d’une part, la mémoire épisodique d’autre part.
Mémoire « sémantique »
Constituée en réseaux distribués qui engramment la signification des divers signifiants, quelle que soit leur forme de surface2, elle correspond à l’ensemble des connaissances générales que le sujet possède sur le monde. Elle concerne le corpus des connaissances d’un individu, indépendamment de toute référence spatio-temporelle. C’est une mémoire permanente décontextualisée. C’est aussi la mémoire indispensable pour l’apprentissage et l’utilisation du langage (liée au lexique mental3, → 190, 225).
Exemples (de savoirs généraux) : le soleil se lève à l’est, la Seine passe à Paris, les marteaux sont des outils qui servent à enfoncer des clous, etc.
Mémoire « épisodique »
C’est un réseau de concepts, connaissances, événements, sensations, etc. richement interconnectés: il s’agit de l’ensemble des apprentissages et souvenirs propres à chaque individu, de la mémoire sur laquelle reposent nos savoirs, nos connaissances et l’ensemble unique des événements – assortis de leur connotation subjective – qui constituent l’histoire, les connaissances et la biographie propres à chacun. Cette mémoire épisodique est essentiellement contextuelle: on peut dire où, quand et comment ce souvenir a été acquis. C’est généralement à cette mémoire-là qu’on se réfère si l’on parle de « la » mémoire, sans précision supplémentaire.
Exemples (des souvenirs uniques, personnels) : ce que l’on a mangé la veille, le mariage de la cousine Alice, la recette des bugnes de grand mère, telle réflexion d’un ami, etc.
Certains deviendront des savoirs sémantiques, sortes d’universaux (la terre tourne autour du soleil, les vaches ont des cornes, six fois trois dix-huit, etc.), partagés par toute une communauté et décontextualisés, c’est-à-dire qu’il n’est plus possible de dire où, quand ou comment ces notions ont été acquises.
D’autres resteront plus ou moins contextualisés et associés à des souvenirs incidents, propres au sujet, mémorisés en même temps que la notion apprise. Il s’agit d’indices accessoires, mémorisés automatiquement en même temps que l’information principale (la cible), tels la tonalité affective et émotionnelle, l’odeur, etc.
Ces souvenirs incidents, attachés à l’apprentissage-cible lui-même, sont très robustes et donc très importants pour le rappel des informations, car l’évocation du contexte incident (indice) peut permettre le rappel de l’information ou même de tout un ensemble d’éléments qui lui sont liés.
Enfin, il faut bien distinguer:
– les mémorisations spontanées, qui se font sans intervention consciente du sujet: c’est le cas des souvenirs incidents et tout ce qui a trait à la biographie personnelle de chacun ; la mémorisation ou l’oubli de ces souvenirs sont sous la dépendance des états émotionnels et affectifs. Les souvenirs biographiques (dont les premiers, conscients et accessibles, datent habituellement de l’âge de 2,5–3ans) sont particulièrement robustes en regard des pathologies organiques, neurologiques ou neuro-développementales (alors qu’ils sont très sensibles aux variations psycho-affectives ou aux pathologies psycho-dynamiques) ;
– et les mémorisations volontaires, ou apprentissages: ces derniers dépendent d’une décision intentionnelle du sujet et nécessitent un effort mental particulier, conscient, généralement répété, itératif (révisions), que ce soit pour l’acquisition des informations ou pour éviter leur oubli. C’est le cas pratiquement de l’ensemble des apprentissages scolaires. Ces mémorisations volontaires sont, au contraire des précédentes, particulièrement vulnérables en cas de pathologie organique.

– sont particulièrement dépendants des capacités de mémoire épisodique et déclarative de l’enfant ce qui n’est pas le cas des savoir-faire qui, eux, dépendent des mémoires procédurales ;
– sont subordonnés à des stratégies de mémorisation volontaire qui sont fragiles, ce qui n’est pas le cas des souvenirs biographiques.
Ces dissociations entre les différents secteurs au sein même des mémoires permanentes et en particulier l’épargne des souvenirs biographiques et tout ce qui concerne l’histoire personnelle du sujet, sont assez caractéristiques d’une pathologie, d’un déficit ou d’un dysfonctionnement mnésique intrinsèque, organique (non psychogène).
SIGNES D’APPEL
En fonction de l’étiologie
– d’antécédent de traumatisme crânien notable (avec perte de connaissance ou coma) ;
– d’encéphalite, surtout s’il s’agit d’une encéphalite herpétique: les troubles mnésiques sont souvent sévères, avec oubli à mesure (difficultés ou impossibilité de fixer les données nouvelles) ;
– de maladie épileptique (et de certains traitements anti-épileptiques [Billard et coll., 1996; Lespinet-Najib et coll., 2004] ;
– d’anomalies (Gadian et coll., 2000) ou lésions cérébrales précoces (IMC, hémiplégies congénitales, etc.): ces enfants peuvent quelquefois présenter des troubles mnésiques, d’autant plus qu’ils présentent des signes de la série cérébelleuse (ataxie, troubles de l’équilibre, tremblements, etc.), en lien avec des malformations du cervelet4 ou anomalies sur les voies cérébelleuses.

Enfin, certains enfants, sans aucun antécédent neurologique, présentent des troubles mnésiques « développementaux » (Baddeley et coll., 2001), c’est-à-dire des déficits électifs de certains secteurs mnésiques, avec des performances inférieures d’au moins deux écarts-types par rapport à la norme attendue en fonction du niveau de développement de l’enfant.
En fonction des symptômes (→Tableau 5-III)
On pourra quelquefois s’interroger sur la présence d’une pathologie de la mémoire devant un score étonnamment faible auWISC-verbal (→ 12, 209), surtout si les contre-performances (relatives ou absolues) de l’enfant concernent les sub-tests « information » (→ 22) et « vocabulaire » (→ 24, 259).
Symptômes | Observations | |
---|---|---|
Mémoire déclarative | Déficit en connaissances académiques (→ 221) | – Si traumatisme crânien: une amnésie post-traumatique peut être associée (biographie: période précédant et incluant l’accident). |
Non compréhension des histoires et textes (→ 226, 227) | Ce trouble de la compréhension (scripts et schémas narratifs) contraste (dissociation) avec: – les capacités normales en lecture de phrases ; – les capacités normales de raisonnement et conceptualisation (facteur G). | |
– Non acquisition des faits numériques (→ 229) | La méconnaissance du résultat des petites opérations mentales courantes contraste (dissociation) avec: – le respect des compétences en géométrie ; – la compréhension de la signification des opérations ; – de bonnes capacités en logique. | |
Réseaux sémantiques | Déficit lexical (→ 225) | Il est isolé, c’est-à-dire sans dysphasie associée, ni « retard de parole/langage », ni déficit syntaxique (→chap. 2). En outre, le niveau de connaissance (vocabulaire « passif ») est égal au niveau d’expression (vocabulaire « actif »): pas de dissociation intra-lexicale au profit de la compréhension. |
? – Manque du mot ? – Dysphasie mnésique (→ 90) | Ces troubles sont plutôt, a priori, des troubles linguistiques (→chap. 2). On considère qu’ils sont associés à un trouble mnésique si ce dernier ne concerne pas uniquement les afférences auditivo-verbales, c’est-à-dire si les épreuves mnésiques visuo-spatiales sont également déficitaires (→ 261). | |
Lexique orthographique | Dysorthographie lexicale (→ 228) | Cette dysorthographie, souvent sévère, contraste (dissociation) avec: – l’absence d’antécédent de dyslexie et de toute difficulté en lecture de phrases (ou textes courts) ; – le respect parfait de la phonologie et de la segmentation des mots – une bonne (ou une meilleure) orthographe grammaticale. |
Déficit structuration temporelle (→ 231) | Ce trouble est d’autant plus évocateur d’un trouble mnésique qu’il est isolé, c’est-à-dire qu’il ne s’accompagne pas d’un trouble de la structuration spatiale, ni de dysphasie. |
Le sub-test « information » des échelles de Wechsler évalue les connaissances générales, les savoirs sémantiques du sujet (→ 225).
N.-B. Cette épreuve (comme le sub-test « vocabulaire », → 253) est aussi très dépendante des capacités de mémoire de travail et/ou du niveau socio-culturel ou scolaire de l’enfant.
Ceci est d’autant plus significatif que la passation du WISC était motivée initialement par l’exploration d’un échec scolaire (→ 336) et que le faible niveau verbal ne s’explique pas de façon évidente:
– l’enfant ne présente pas a priori de trouble du langage ;
– le niveau de conceptualisation (« similitudes ») est satisfaisant ;
– il n’existe pas de trouble patent du comportement ni de la personnalité ;
– le milieu socio-culturel dans lequel grandit l’enfant ne peut pas fournir, à lui seul, d’explication satisfaisante.
Mais, le plus souvent, ce sont des symptômes liés à la scolarité (aux apprentissages) qui vont alerter et constituer le motif de consultation. Les plaintes vont alors être le reflet de l’implication des mémoires permanentes dans les apprentissages.
« Retard » global et inexpliqué des acquisitions scolaires
Celui-ci est d’autant plus évocateur qu’il est signalé en CE5 ou CM, alors qu’aucune difficulté particulière n’avait été signalée antérieurement, ni à l’école maternelle ni durant le CP, c’est-à-dire lors de l’apprentissage initial de la lecture: en effet, l’accès au langage écrit (lecture) nécessite des compétences en mémoire de travail (→ 256, 257) et débouche sur l’acquisition d’un savoir-faire, en mémoire procédurale.
5.CP: cours préparatoire, soit la 1re année d’école primaire ;CE1 et CE2: cours élémentaires, soit les 2e et 3e années d’école primaire ;CM1 et CM2: cours moyens, soit les 4e et 5e années d’école primaire.
Les apprentissages académiques, didactiques (→ 221) débutent essentiellement à partir du CE1 et s’accumulent progressivement tout au long de la scolarité. Le déficit est alors patent dans les connaissances générales, dans des matières telles que l’éveil, l’histoire, la géographie, les sciences de la vie et de la terre, les connaissances culturelles, etc., mais aussi en mathématiques (faits numériques, tables de multiplications, → 229), réalisant souvent un tableau particulier, d’échec scolaire global épargnant l’apprentissage de la lecture.
→ Évaluation: tests concernant les connaissances académiques correspondant au niveau scolaire de l’enfant ; questions sur les matières d’éveil, poésies, tables de multiplications, etc.
Langage et MLT
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Fig. 5-6. |
– Langage et MLT. |
Réseaux sémantiques
La notion de réseaux sémantiques date des années 1960-70: il s’agit de réseaux de concepts (« les nœuds », chaque nœud représentant un objet, un mot ou une idée) reliés entre eux par de très nombreux liens (« les arcs »), qui permettent d’associer à chaque nœud de nombreuses informations.
– La constitution initiale des réseaux sémantiques, de même que l’acquisition progressive du vocabulaire « de base », semblent plutôt dépendre des capacités sensori-gnosiques (→ 190) et des capacités de mémoire de travail.
– La richesse lexicale, la capacité à mémoriser un vocabulaire varié (synonymes, mots pluri-sémantiques, etc.) et précis (termes spécifiques), semble bien liée aux capacités en MLT (voir aussi M de T, → 253). Ainsi, lorsque la mémoire à long terme auditivo-verbale est déficitaire, on note, dans les épreuves langagières, une dissociation inverse de celle qui signe les dysphasies (→Tableau 2-VIII), à savoir que les performances lexicales (en désignation comme en production) sont significativement plus faibles que les performances syntaxiques, normales ou sub-normales.
→ Évaluation: tests de vocabulaire (connaissances lexicales): VOCIM, partie « passive » du TVAP, etc. (→ 93).
– Le manque du mot (→ 90) d’une part, – c’est-à-dire une impossibilité de trouver le signifiant exact, ou sa forme phonologique, alors qu’on possède les indications conceptuelles correspondantes au signifié –, ou, d’autre part, la dysphasie mnésique (le mot « manque » non seulement en expression, mais aussi en compréhension: impossibilité ponctuelle de retrouver la signification du mot entendu, de lui apparier un référent sémantique) peuvent être compris comme une difficulté d’accès à certains nœuds des réseaux sémantiques (→ 261). Leur relation avec les MLT auditivo-verbale et les réseaux sémantiques est encore floue. Plus que d’un déficit de stockage lexical, il s’agirait plutôt d’une organisation défectueuse des liens et connexions en certains points des réseaux sémantiques, rendus de ce fait plus difficilement accessibles.
→ Évaluation: tests d’évocation lexicale: dénominations d’images (ou d’objets), devinettes (K-ABC, raisonnement verbal du WISC-IV…) et épreuves de fluence thématiques, tests de dénomination rapide (NEPSY).
Schémas narratifs
Les schémas narratifs (Cordier, 1993), la compréhension de récits (oraux) et de textes (écrits), sont des structures qui s’acquièrent progressivement (principalement entre 6 et 12ans environ) et sont stockées en MLT. On appelle ainsi la mémorisation de la trame générale de tout récit (oral ou écrit), de « squelettes » d’histoires qui permettent, lorsque les énoncés sont nombreux, longs et interdépendants (récits, histoires, textes, livres, scénarios de films, etc.) de classer et organiser les informations nouvelles qui arrivent linéairement, successivement, sur un long laps de temps, de les inscrire dans un canevas pré-existant (le schéma narratif).
Exemple
Pour des contes, le schéma narratif mémorisé serait une trame de ce type :
1. présentation du héros positif (ou héros principal + héros secondaire) ; 2. présentation de l’anti-héros, ou héros négatif (+/− personnages gravitant autour du « méchant ») ; 3. exposition du conflit ; 4. confrontation des héros positif et négatif, et résolution du conflit ; 5. morale, ou conclusion.
Le titre, de même que les marqueurs spécifiques (« il était une fois », « en ce temps-là », etc.) et les connecteurs de récit (« pendant ce temps-là », « alors », etc.) sont des marqueurs efficaces, spécifiant de quel type de récit il s’agit et dans quel « tiroir » du schéma activé il faut placer l’information ou le paquet d’informations qui suit.
Bien sûr, ces trames se complexifient avec le temps et sont progressivement diversifiées pour s’adapter à de nombreux types et thèmes (tragédie grecque, film policier, récit de voyage, biographie ou discours politique, etc.).
Les schémas narratifs permettent un « gain » mnésique important lors de l’écoute ou la lecture de l’histoire et surtout autorisent une compréhension globale du récit ou du texte en assurant une cohésion d’ensemble, une organisation globale de la suite des informations partielles qui se succèdent linéairement pour l’auditeur ou le lecteur.
Lorsque ces schémas ne sont pas inscrits en MLT (ou seulement partiellement), qu’il s’agisse d’un enfant encore trop jeune ou d’un enfant atteint d’un trouble mnésique, seuls des récits, textes ou films très courts sont accessibles: au-delà d’une certaine longueur, l’effort mnésique est trop important, dépassant les possibilités de l’enfant qui ne peut plus coordonner, relier, organiser la suite des informations délivrées.

C’est l’expérience qui permet de construire ces scripts, de les inscrire progressivement en mémoire ; ils sont donc particulièrement dépendants du vécu et de l’environnement social et culturel. Ensuite, l’évocation d’un seul élément spécifique de la situation permet d’accéder à tout un groupe d’informations contextuelles, liées, cohérentes, qui donnent du sens à l’ensemble de la situation évoquée.
Par exemple, la phrase : « Je voulais prendre rendez-vous chez le dentiste, mais il était en vacances » active normalement chez l’auditeur (ou le lecteur) la référence à toute une série d’actions qui ont été stockées en mémoire en même temps que la notion de « prendre rendez-vous » : téléphoner, parler avec une secrétaire, se mettre d’accord sur une date future, puis raccrocher ; mais cette phrase doit aussi activer deux autres scripts « aller chez le dentiste » et « partir en vacances », à savoir, arrêter ponctuellement de travailler, être absent de son lieu de travail durant un temps donné, etc. Faute de quoi, la phrase pré-citée n’aurait aucun sens !
Ces scripts sont donc très importants pour comprendre un texte, en particulier pour accéder à l’ensemble des informations qui ne sont pas détaillées in extenso, informations souvent dites implicites.
Acquisition de l’orthographe lexicale
Il s’agit là d’une mémoire liée au langage écrit, qui permet la constitution en MLT d’un lexique orthographique, c’est-à-dire la mémorisation de l’orthographe dite « d’usage » en grande partie arbitraire (alors que l’orthographe grammaticale, elle, répond à des règles6).
La constitution de ce lexique est sous la dépendance des stratégies de lecture de l’enfant (→ 128, 317–319): c’est essentiellement la lecture par adressage, qui prend en compte l’ensemble de l’enveloppe visuelle du mot (ce qui suppose également, sur le plan instrumental, que les saccades oculaires soient parfaitement calibrées, → 318), qui permet la constitution progressive d’un lexique orthographique, fonction de la fréquence des mots dans la langue écrite. L’entraînement systématique (apprentissage de listes de mots, dictées, etc.) contribue également à l’accroissement du lexique orthographique, tout au long de la scolarité. L’inscription en MLT des formes orthographiques correspondant aux différents mots et concepts est indispensable pour produire, de façon automatique, des écrits « sans faute ».
Si les systèmes de mémoires permanentes sont déficitaires et que le lexique orthographique ne peut pas s’inscrire (ou très incomplètement), l’enfant n’aura aucun moyen de retrouver l’orthographe correcte d’un mot (ou seulement pour les mots très fréquents). Il ne pourra alors se fier qu’à ses connaissances générales de la langue, ce qu’il croit être des règles de fréquence ou ce qu’il pense être des règles motivées (par exemple: on met un /e/ muet pour les noms féminins, des mots de la même famille sémantique s’écrivent de la même façon, etc.).
Exemple : /copain / est écrit « copin » parce que « on dit copine », /cahier/ et /crayon/ sont écrits « caillé » et « craillon », parce que « ça va ensemble ».
Mais dans tous les cas:
– on note l’absence (ou l’insuffisance) de progrès d’une année sur l’autre, alors que les exigences croissent d’une classe à l’autre, donnant l’impression, en terme de score de performance, d’une aggravation progressive au fil des ans ;
– cette dysorthographie est isolée, « pure », c’est-à-dire qu’elle ne succède pas à une dyslexie. L’enfant ne présente aucune difficulté de lecture (du moins pour les phrases et les textes courts).
→ Évaluation: tous les tests étalonnés évaluant les compétences en orthographe, en fonction du niveau scolaire de l’enfant. Certains tests visent spécifiquement l’orthographe (par exemple: test de niveau d’orthographe7), d’autres constituent des sub-tests au sein d’épreuves qui évaluent l’ensemble des apprentissages scolaires (TAS, ECS III8, etc.).
L’apprentissage de l’orthographe commence en CE1 et se poursuit jusqu’en 3e (ou au-delà !): il est donc important de disposer de tests orthographiques étalonnés (dictées étalonnées, échelles de Dubois-Buyse [Pothier, 2003]) pour juger de l’orthographe d’un enfant et en interpréter les résultats en fonction du niveau scolaire de l’enfant (et non de son âge réel).

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