6. Évaluation des Fonctions Attentionnelles et Exécutives
Le cerveau de l’homme, outre ses mécanismes innés, ses capacités puissantes d’apprentissage, de raisonnement, d’abstraction, etc., est une sorte de jungle où les multiples compétences du bébé, de l’enfant et de l’adulte sont à tout moment susceptibles de se télescoper, d’entrer en compétition (en même temps qu’elles se construisent): d’où les erreurs, les biais et les décalages inattendus.
Il en ressort la nécessité – pour être intelligent – d’un mécanisme de blocage tout aussi puissant: l’inhibition.
« Je pense, donc j’inhibe ! »
(Olivier Houdé, Le développement de l’intelligence chez l’enfant, 25e conférence de l’Université de Tous les Savoirs, 25 janvier 2000)
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES FONCTIONS ATTENTIONNELLES ET EXÉCUTIVES
DÉFINITIONS ET RÔLES
Nous avons jusqu’ici (pour des raisons de clarté) traité indépendamment chacun des grands modules cognitifs ; bien sûr, nous avons pris en compte certaines de leurs inter-relations qui nécessitent des développements transversaux, d’où le recours à la numérotation de certains paragraphes pour permettre les liens indispensables. Mais il s’agit là d’un artefact: en effet, aucun de ces « modules » ne pourrait exister, fonctionner et interagir de façon adéquate avec tous les autres, sans qu’il n’existe un « chef d’orchestre » qui organise, contrôle et harmonise les traitements de chacun d’entre eux et régule les interconnexions constantes de l’ensemble.
Sur le plan strictement neuropsychologique, les fonctions attentionnelles et exécutives sont donc des fonctions de haut niveau, tentaculaires, qui infiltrent, commandent et déterminent toutes les autres fonctions cognitives: schématiquement, les fonctions attentionnelles sélectionnent les informations à traiter (c’est à ce niveau qu’interviennent la motivation du sujet, son histoire, ses goûts, ses projets) et les fonctions exécutives « exécutent » (selon la terminologie anglo-saxonne) les traitements appropriés (en fait, gèrent l’exécution des différents « programmes » pris en charge par tel ou tel module cognitif).

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Fig. 6-1. |
Champ d’action des fonctions attentionnelles et exécutives. |
Beaucoup de travaux, en neuropsychologie, montrent que ces fonctions sont corrélées à l’activité de la partie antérieure des lobes frontaux (dites « pré-frontales »), d’où le nom de syndrome frontal donné, en pathologie neurologique, aux atteintes et dysfonctionnements de ce secteur.
Cependant:
– on peut constater des troubles de la maturation de ces fonctions sans lésion cérébrale patente (troubles dits « développementaux ») (Coquel et Mellier, 2000; Houdé, 2000; Mazeau, 2005)
– de nombreuses autres régions du cerveau interviennent, en lien avec les régions pré-frontales, dans le contrôle et la gestion de l’ensemble des fonctions psycho-intellectuelles (Collette, 2004) ;
–
en outre, les aires préfrontales elles-mêmes ne constituent pas une entité homogène: par exemple, la convexité dorso-latérale serait plutôt dévolue à la mémoire de travail, les zones orbito-médianes seraient en charge de certains aspects comportementaux, tandis que les lésions droites seraient plutôt responsables de signes prédominant dans les domaines de l’attention et du raisonnement visuo-spatial, alors que les atteintes préfrontales gauches se manifesteraient davantage dans les tâches linguistiques.

MATURATION
La maturation de ces fonctions est particulièrement lente et hétérogène. De nombreux travaux montrent que l’attention (sous toutes ses formes), la résistance aux interférences et stimuli indésirables, l’inhibition et le contrôle de l’impulsivité sont des fonctions qui évoluent beaucoup avec l’âge: dès quelques mois, le bébé est capable de contrôler son impulsivité et de faire un détour (préhension) pour attraper l’objet convoité (Diamond, 1988) ; après 1 an, on peut montrer que l’enfant, progressivement, commence à inhiber certaines persévérations et peut déterminer une stratégie efficace dans les épreuves piagétiennes classiques de permanence de l’objet (Bell and Fox, 1992; Houdé, 1995) ; dès 2ans, les enfants sont capables, sur consigne, d’attendre et d’inhiber la préhension d’un jouet attractif (Lee and coll., 1983; Diamond and Doar, 1989) ; d’autres auteurs enfin ont étudié les aptitudes attentionnelles et exécutives de l’enfant d’âge scolaire (6ans et au-delà) (Tipper and McLaren, 1990; Houdé, 1989) et les liens entre raisonnement, classifications et fonctions exécutives (Pennequin et coll., 2003).
Enfin, tous les tests (cf. plus loin) montrent une évolution des performances certes liée à l’âge mais qui dépend aussi énormément du type de tâche proposée.
CONDITIONS ÉTIOLOGIQUES
Certaines étiologies doivent alerter le clinicien, car la fréquence des troubles de l’attention et des fonctions exécutives y est particulièrement élevée:
– les traumatismes crâniens ;
– certaines épilepsies (troubles des fonctions exécutives, déficits attentionnels, troubles de l’attention, TDAH → 274) ;
« Dans une population d’enfants épileptiques, Stores (1978) avait noté que 40% étaient déclarés inattentifs sur la base de questionnaires remis à l’entourage. La distractibilité et l’impulsivité s’associaient, chez les garçons, à des troubles des conduites. »
« Les troubles évocateurs d’un syndrome TDAH seraient particulièrement importants dans les épilepsies généralisées symptomatiques… »
« Les troubles des fonctions exécutives sont parfois évoqués pour expliquer les faibles QI non verbaux obtenus au WISC par les enfants épileptiques, en particulier aux sous-tests labyrinthes et cubes qui sollicitent la planification et la résolution de problème (→ 286). »
(Extraits de Gillet P. et coll., Les épilepsies. In : Neuropsychologie de l’enfant. 2000 : 180–81)
– toute lésion cérébrale prédominant dans les territoires cérébraux antérieurs (régions frontales ou préfrontales): accidents vasculaires cérébraux, tumeurs, etc.
– la prématurité et le petit poids à la naissance (Willats et coll., 1994) ;
« Les troubles attentionnels sont réputés apparaître avec une plus grande fréquence chez les enfants nés prématurément que chez les enfants à terme », dit D. Mellier (1994), citant l’étude de Szatmari et coll. (1993) qui recense plus de 18% d’enfants avec troubles de l’attention dans une population de 126 enfants prématurés (de moins de 1800g de poids de naissance), contre moins de 6 % dans la population des enfants nés à terme.
CONDITIONS GÉNÉRALES DU BILAN
L’attention n’est pas observable directement, mais au travers d’une tâche particulière à laquelle elle s’applique et qui met en jeu des capacités sensorielles, motrices et cognitives.
Ceci implique:
–
qu’une épreuve destinée à explorer l’attention ou les fonctions exécutives doit comporter deux volets (→ 297): une condition dite « contrôle » où l’on s’assure de la compréhension de la consigne et de l’intégrité des systèmes sensori-moteurs sollicités par la tâche, et une condition « test » où l’attention et les fonctions exécutives sont sollicitées en outre, ou de façon nettement plus intense, ou plus prégnante. On ne parlera de troubles de l’attention et/ou de trouble des fonctions exécutives que si l’enfant réussit la condition « contrôle » et échoue la condition test ;

–
qu’un déficit ou une anomalie dans un secteur déterminé de la cognition ne permet pas de proposer (et encore moins d’interpréter) des épreuves attentionnelles ou exécutives utilisant ce secteur comme support (→ 271). Or, pour des raisons à la fois historiques dans l’évolution de la neuropsychologie et de pratique clinique, beaucoup d’épreuves attentionnelles reposent sur les compétences visuelles (→ 128, 129, 319) et graphiques (→ 157, 241, 250, 251) des enfants.

C’est aussi la raison pour laquelle, bien que l’attention et les fonctions exécutives (tout comme la mémoire de travail) irriguent toutes les fonctions cognitives, il est souvent préférable d’évaluer d’abord les différentes fonctions sensori-motrices et les divers modules cognitifs (→ 271), et de ne procéder aux évaluations attentionnelles ou exécutives qu’ultérieurement (c’est-à-dire, dans un troisième temps, Figure 6-2), même dans le cas où la plainte initiale concerne l’attention ou l’hyperactivité. C’est d’ailleurs habituellement au décours de ces premiers bilans qu’apparaîtront les anomalies qui inciteront à explorer les fonctions attentionnelles et exécutives.
Ce n’est que lorsque l’enfant présente d’emblée et de façon persistante, dans toutes les activités proposées, des signes pathognomoniques d’atteinte des fonctions attentionnelles et exécutives (→ 288–292) que l’on pourra alléger ce dispositif. Sinon, le risque est grand de faire beaucoup d’erreurs diagnostiques par excès.

L’ATTENTION
L’ATTENTION N’EST PAS UNE FONCTION UNITAIRE
Bien que tout le monde sache, de fait, ce que signifie « faire attention », il s’agit une fonction difficile à cerner.
« L’attention regroupe un ensemble de phénomènes régulateurs permettant d’optimiser l’efficience (la rapidité et/ou la précision) cognitive » (Godefroy et coll., 2001).
Il s’agit d’un état de vigilance, soit global et non spécifique (état d’éveil), soit orienté vers un stimulus ou un événement précis qui va (ou peut) se produire (état d’alerte, effet d’attente), ou encore vers un stimulus précédemment sélectionné (attention sélective, brève ou maintenue).
Deux qualités d’attention
En fonction de l’origine de la « source » attentionnelle, on distingue:
– l’attention exogène, déclenchée par un signal (visuel, auditif, etc.) saillant dans l’environnement (donc indépendant du sujet), signal qui happe l’attention du sujet. Elle est brève et automatique ;
– l’attention endogène, dont l’origine est intentionnelle, issue du sujet, liée à son projet (son désir, son intérêt, etc.). Cette attention (qui peut aussi prendre le relai d’une attention exogène), est donc volontaire et contrôlée par le sujet, tant dans son orientation que dans sa durée.
L’attention exogène est très précoce: elle correspond aux réactions d’orientation et à l’intérêt « spontané » du jeune enfant pour tout mouvement, tout bruit, toute nouveauté (qui attire automatiquement le regard, l’audition, ou la préhension de l’enfant) ; elle constitue initialement un puissant mécanisme qui permet de renseigner les différents modules cognitifs encore immatures et « d’alimenter » les différents réseaux (en afférences, en stimuli, en expériences, etc.).
Progressivement, l’attention endogène apparaît et se développe graduellement ; elle contribue à l’essor, l’évolution et la complexification progressive des projets du sujet et permet, lorsque c’est nécessaire, de négliger des stimuli saillants de l’environnement.
Plusieurs types d’attention, selon leur objet et leur durée
Attention soutenue (→ 275)
Elle vise à maintenir l’attention, de façon continue, durant un intervalle de temps donné.
Attention auditive ou visuelle (→ 278, 280)
Les attentions visuelle et auditive sont des « modules » cognitifs isolables, qui peuvent être affectées sélectivement en pathologie (Pritchard and Hendrickson, 1985): en effet, l’attention visuo-spatiale (qui repose surtout sur des réseaux fronto-pariéto-occipitaux) est indépendante de l’attention auditivo-verbale (dépendante de réseaux fronto-temporaux).
Ces diverses attentions constituent donc différents sous-secteurs attentionnels qui, en pathologie, peuvent être atteints dans leur ensemble ou réaliser des associations propres à chaque enfant, d’où l’intérêt de tenter, en clinique, des évaluations différenciées de chacun de ces secteurs attentionnels (→ 264).
IMPRESSION CLINIQUE, « COMPORTEMENTALE »
Troubles « intrinsèques » de l’attention
Lorsque les parents, l’enseignant, ou le psychologue au décours d’un bilan, évoquent des « troubles de l’attention », il faut se garder de les confondre avec:
– le désintérêt pour la tâche proposée (banal, voire légitime, mais certainement pas pathologique !), la réticence ou l’opposition de l’enfant ;
– la fatigue ;
–
une pathologie cognitive dans un secteur spécifique (→ 268, 272): lorsque, dans un domaine donné, (neuro-moteur ou neuro-sensoriel) l’enfant présente un trouble, un déficit ou un dysfonctionnement, toutes les performances sollicitant ce secteur sont à la fois faibles (en terme de niveau de performance) et épuisantes pour l’enfant ; paradoxalement, il s’épuise pour un résultat très médiocre, au contraire de « l’expert » qui va réussir avec un faible coût cognitif et donc peu de fatigue (→ 241).

On comprend alors la grande fréquence apparente des troubles « attentionnels » associés aux pathologies neuro-visuelles (→ 128, 129, 176, 281, 318, 319), d’autant que la grande majorité des tests et épreuves utilisés pour évaluer l’attention sollicitent les fonctions visuelles et visuo-spatiales.

Hyperactivité
Ce terme caractérise un enfant qui ne peut pas cesser de remuer, manipuler, tripoter, se lever, grimper, s’agiter, etc. et ce, continûment, malgré les remarques des adultes et les efforts souvent visibles qu’il déploie ponctuellement pour tenter de se maîtriser. Cette agitation motrice permanente s’accompagne d’impulsivité: l’enfant fait et dit tout ce qui lui passe par la tête, ne peut écouter une consigne, construire un raisonnement, suivre son idée ni celle de son interlocuteur. Son activité, intense, est peu productive, dispersée, anarchique et brouillonne. Il épuise et excède son entourage, sa présence dans une classe désorganise la vie du groupe, il est lui-même épuisé et découragé par cette activité désordonnée qu’il ne contrôle pas (ou mal) et ne lui laisse aucun répit, qu’il s’agisse d’activités scolaires ou de loisirs.

Certains auteurs considèrent que des troubles structurels du développement des fonctions attentionnelles et exécutives jouent un rôle important dans le TDAH (Pennington and Ozoneff, 1996).
Le TDAH est évalué par des questionnaires (aux parents, à l’enfant, à l’enseignant [Goyette and coll., 1978]) et l’échec aux épreuves attentionnelles.
L’épreuve de « la statue », au sein de la NEPSY (→ 304), permet, dès 3ans, d’évaluer la capacité de l’enfant à ne pas bouger sur consigne et sa résistance aux distracteurs. C’est là un des seuls tests permettant de rapporter les capacités d’inhibition motrice de l’enfant à une norme en fonction de son âge.
Généralement, le trouble de l’enfant (hyperactivité +/− troubles attentionnels) a été noté par la famille très précocément, dès la petite enfance (bébé agité, dormant peu, sans cesse « sur la brèche »), mais c’est à la période scolaire que cette pathologie se révèle avec le plus d’acuité, compromettant les apprentissages scolaires et la tolérance de l’enfant dans un groupe (classe, équipe sportive, colonie de vacances, etc.).
Après diagnostic, prescription et suivi en milieu spécialisé (dans un service hospitalier de psychopathologie de l’enfant), un traitement médical (méthylphénidate ou Ritaline1) peut quelquefois améliorer notablement le comportement, les apprentissages et plus généralement la vie (scolaire, familiale, sociale) de ces enfants et de leurs familles (ANAE, 1996). Ce traitement est toujours considéré, en France, comme un traitement adjuvant, qui complète et facilite la prise en charge psychologique et rééducative (Albaret, 2006) du trouble.
ÉPREUVES ÉVALUANT L’ATTENTION
Évaluer l’attention soutenue
Il s’agit d’épreuves mesurant l’aptitude à maintenir un niveau d’efficience dans la durée, au cours d’une tâche donnée. Le plus souvent c’est une tâche de détection de cibles parmi des distracteurs et on étudie donc l’évolution de la performance de l’enfant au cours du temps. Il y a encore peu d’épreuves étalonnées chez l’enfant.
Ce sont essentiellement des épreuves de barrages qui sont utilisées et étalonnées chez l’enfant, en particulier dans la NEPSY2 (→ 299). On utilise aussi le double barrage de Zazzo (1977) qui est long et permet de comparer les performances de l’enfant en début et en fin de travail. On comptabilise les fausses alarmes, les oublis, les erreurs (barrage d’un distracteur).
On parle de trouble de l’attention soutenue si l’on constate une évolution négative des performances de l’enfant au fil du temps.
Évaluer l’attention sélective
Sur le plan clinique, un trouble de l’attention sélective se manifeste par l’impulsivité, la distractibilité, l’impossibilité de se centrer sur la consigne. Les épreuves pertinentes requièrent une focalisation du sujet sur un item ou une consigne, la cible étant noyée au milieu de distracteurs:
– Notons en premier lieu le seul test d’attention auditive qui fait l’objet d’un étalonnage fiable et fournit donc une norme pour un âge donné, qui est celui de la NEPSY (5–12ans): l’enfant doit d’abord satisfaire à une condition contrôle (donner un jeton de la couleur correspondant à celle qui a été énoncée) qui consiste essentiellement à inhiber les distracteurs, puis il doit répondre à une épreuve dite « à conflit » (lutte contre les automatismes, → 266, 297).
Cette épreuve est particulièrement intéressante car elle peut être comparée, en note standard, à la performance obtenue par l’enfant aux épreuves d’attention visuelle (barrages), permettant ainsi de repérer d’éventuelles dissociations entre l’attention auditive et l’attention visuelle. Lorsqu’elles existent (en dehors de tout trouble instrumental, sensori-moteur, dans les domaines sollicités, → 267, 271), ces dissociations signent l’origine neuro-développementale du trouble (on voit mal comment une difficulté éducative ou psycho-dynamique ne toucherait que tel ou tel secteur des fonctions attentionnelles). Par ailleurs, elles peuvent facilement être exploitées pour favoriser les apprentissages scolaires.
– les tests de barrage (→ 139) évaluent l’attention sélective, si l’enfant ne peut se focaliser sur l’item cible (erreurs par barrage d’un distracteur). Les épreuves sont souvent assez brèves (contrairement aux barrages proposés en attention soutenue). Les barrages de la NEPSY sont utilisables dès 3ans (lapins) et jusqu’à 12ans (chats et visages). Pour chaque épreuve (fonction de l’âge de l’enfant), sont pris en compte: le temps, les oublis et les fausses alarmes, l’ensemble étant rapporté à la norme. Ces épreuves sont certainement les mieux étalonnées et les plus fiables actuellement à disposition des cliniciens.
On peut citer aussi le barrage des 3 (utilisé dans la BREV3 [Billard et coll., 2003]), des cloches (étalonnage chez les enfants [Zorman4]), de figures orientées (Zazzo), etc. ;
La consigne est de dire le nom de la couleur de l’encre dans laquelle est écrit un mot désignant une couleur (par exemple, le mot « jaune » écrit en encre bleue ; le fait de lire « jaune » est automatique ; dire « bleu » pour répondre à la consigne demande d’inhiber la lecture de « jaune » ).
Les conditions contrôle prévoient de faire lire les noms de couleurs (en noir et blanc) et de faire dénommer les couleurs (rectangles colorés, sans mots écrits). Dans la condition test, dite « à conflit » (ou « interférente ») l’enfant, normalement, doit observer des latences de réponse plus importantes que dans les deux conditions « contrôles », latences qui reflètent la mise en œuvre de procédures d’inhibition.
Les préalables pour que ce test soit valide sont:
– que l’enfant soit assez compétent en lecture (l’étalonnage débute à 7ans) – du moins suffisamment pour lire les noms des couleurs de façon fluide –, sinon, il n’y a pas d’automatisme à inhiber et la tâche de dénomination de couleurs est alors facilitée, puisqu’elle ne correspond qu’à une tâche simple de dénomination de couleurs telle qu’on peut en proposer aux enfants de maternelle ;
Évaluer l’attention divisée
Le principe de l’évaluation de l’attention divisée est de proposer à l’enfant d’effectuer simultanément deux tâches simples après (condition « contrôle ») s’être assuré de ses performances séparément dans chacune des deux tâches: on mesure alors le déficit de performance imputable au fait que les deux tâches doivent être conduites en même temps.
Les épreuves évaluant l’attention divisée chez l’enfant sont rares. On peut essentiellement citer le double barrage de Zazzo (EAP), et le reading span (Desmette et coll., 1995) (→ 249). C’est une épreuve de « double tâche » dans la mesure où il nécessite de coordonner traitement de l’information entrante (dire « vrai ou faux » à l’écoute ou la lecture de phrases) et stockage en MT (retenir le dernier mot de chaque phrase). Mais il n’y a pas actuellement d’étalonnage pour les enfants.
Évaluer l’attention auditivo-verbale
Il s’agit en général de répétition à l’endroit de suites séquentielles de lettres, de syllabes, de mots (courts, longs, familiers, non familiers, etc.), de non-mots courts ou longs, simples ou complexes (→ 246, 247), de rythmes (Mira Stamback) ou de chiffres.

– soit l’enfant échoue la répétition de chiffres à l’endroit et à l’envers, de façon grossièrement concordante: il est alors difficile de différencier troubles de l’attention et déficit en mémoire de travail, les deux étant d’ailleurs, nous l’avons vu, étroitement imbriqués (→ 252);
– soit l’enfant réussit bien l’épreuve à l’endroit et échoue la répétition à l’envers: cette dissociation est en faveur de la préservation des capacités attentionnelles et d’un déficit électif sur la mémoire de travail ;
– soit l’enfant échoue la répétition à l’endroit et réussit normalement ou nettement mieux à l’envers: cette configuration, qui est rare mais peut quelquefois se rencontrer cliniquement, doit être vérifiée (reproduction de cette même dissociation à plusieurs reprises et différents moments) et ne peut, actuellement, engager qu’à des hypothèses. Il se pourrait que ces enfants présentent des troubles attentionnels en situation habituelle, lors de tâches routinières (→ 286) ne réclamant pas l’intervention des fonctions exécutives ou de l’administrateur central (d’où l’échec à la répétition de chiffres à l’endroit), mais soient capables de mobiliser certaines ressources attentionnelles lorsque la tâche engage le contrôle de l’administrateur central.
Évaluer l’attention visuelle
Nous avons déjà évoqué des tests qui sollicitent les afférences visuelles: tests de barrage (NEPSY, WISC-IV) ou tests d’appariement d’images (AI, ECPA), qui supposent bien sûr que les fonctions visuelles (gnosiques et oculomotrices) aient été explorées au préalable (→ 139), et soient intactes.
Par ailleurs, toutes les épreuves de mémoire de travail visuo-spatiale (→ 248) sont également des épreuves d’attention visuo-spatiale: cubes de Corsi ou carrés de la BEM, suite de mouvements de mains du K-ABC, etc.
Nous voulons surtout insister sur les recouvrements partiels qui existent entre troubles gnosiques visuels (→ 168, 169) et attention visuo-spatiale:
–
d’une part, si certains troubles gnosiques visuels sont compris comme des troubles de la reconnaissance, du décodage de la signification de l’image rétinienne (cf. chap. 4), d’autres peuvent être interprétés comme un trouble sélectif de l’attention visuelle ou de l’attention spatiale ;

Ainsi, la « négligence » de l’hémi-espace gauche qui se rencontre au décours de certaines atteintes de l’hémisphère droit (le sujet ignore complètement tous les stimuli visuels présents dans la partie gauche de son champ visuel), ou encore certaines agnosies visuelles (en particulier la simultagnosie : impossibilité de « voir » et décoder simultanément différents éléments d’une scène visuelle, chaque élément de la scène pouvant être vu et décodé s’il est isolé6) sont souvent comprises comme des troubles de l’attention spatiale, relevant d’une lésion ou d’un dysfonctionnement de l’hémisphère droit, particulièrement impliqué dans les tâches d’attention spatiale.
Enfin, il faut bien comprendre que toutes les épreuves, tous les apprentissages, toutes les activités mentales nécessitent de l’attention sous une forme et/ou une autre. Les troubles attentionnels, au-delà des épreuves particulières que nous venons de signaler, se traduiront donc par des échecs ou des contre-performances dans de nombreuses autres épreuves, en particulier lors des tests psychométriques.

C’est le cas de:
– 5 sub-tests du K-ABC (Kaufman et Kaufman, 1993): mouvements de mains, mémoire immédiate de chiffres, suites de mots, mémoire spatiale, séries de photos ; ceci est une raison supplémentaire pour considérer que le K-ABC ne paraît pas, a priori, un test de première intention (→ 8).
En pratique clinique habituelle, il peut être difficile:
– de distinguer clairement troubles de l’attention et troubles des fonctions exécutives (cf. plus loin) ;
– d’isoler des troubles ou déficits touchant spécifiquement ces diverses attentions, en particulier en ce qui concerne les distinctions touchant attention soutenue et attention sélective.
En effet, les épreuves indiquées ici comme reflétant plus particulièrement tel ou tel mode attentionnel se révèlent en fait comporter entre elles de nombreux recouvrements: aucune de ces épreuves n’est « pure », chacune implique de façon souvent indissolublement liée attention(s), mémoire de travail et fonctions exécutives. C’est pourquoi les tests « attentionnels » sont quelquefois d’interprétation délicate (s’agit-il de troubles « intrinsèques » de l’attention, de persévérations, de troubles de la stratégie, de difficultés d’inhibition ?).
Malgré ces réserves, il faut toujours rechercher la distinction entre attention auditivo-verbale et attention visuelle (→ 278, 280) car elle comporte des implications importantes dans la prise en charge de ces enfants, oriente les conseils qui pourront être donnés aux parents et aux enseignants, ainsi que la mise en place d’aides adéquates pour les apprentissages.
FONCTIONS EXÉCUTIVES
DÉFINITION ET RÔLES
C’est pourquoi il s’agit de fonctions véritablement intégratives, celles qui permettent d’établir des liens entre les connaissances, les savoirs, les savoir-faire, celles qui permettent de suivre la pensée de l’autre et de construire la sienne.

– analyse des données initiales: rôle du choix des données et de l’attention sélective ;
– élaboration d’un programme organisant et coordonnant les différentes activités nécessaires à la réalisation de la tâche: stratégie, planification de l’action, inhibition des routines non adéquates ;
– exécution et coordination des programmes correspondants: déclenchement des procédures adéquates ;
– confrontation du résultat avec les données initiales, ou avec le but attendu: fonction d’arrêt ou mise en route d’ajustements.
Toutes ces étapes sont bien sûr interdépendantes, et, en pathologie, les symptômes observés sont le plus souvent la résultante de dysfonctionnements multiples et imbriqués à différents niveaux de ces quatre phases.
Cependant, au sein de ces fonctions complexes, il est pratique, cliniquement, de distinguer deux grands types de manifestations des fonctions exécutives, les fonctions d’inhibition et les fonctions de planification (stratégie).
Fonctions d’inhibition
Rôle de « filtre »
Il s’agit d’extraire et de sélectionner les stimuli pertinents parmi le « bruit de fond » constitué par l’ensemble des stimuli auxquels le sujet est soumis. Les diverses stimulations (exogènes ou endogènes) qui nous assaillent ne doivent pas et ne peuvent pas être traitées ; il faut impérativement qu’elles soient filtrées: on reconnaît là l’attention sélective (→ 276). Mais ce filtrage n’est ni aléatoire ni pré-établi: il est modulé à chaque instant en fonction du projet du sujet, ce qui rend compte de la pertinence des stimuli pris en compte (et de ceux qui seront négligés). Cette fonction « filtre », indissociable des fonctions attentionnelles, est celle qui oriente et régule l’attention en fonction de choix, de projets ou d’attentes propres au sujet.
– une grande distractibilité (impossibilité d’écarter ou de négliger certains stimuli: difficultés à répondre à une consigne précise, à inhiber les distracteurs, à répondre par une technique de choix multiple) ;
– et/ou une aimantation incontrôlable vers n’importe quel (ou tous les) stimuli présents, éventuellement avec écholalie ou échopraxie (adhérence, imitation non pertinente, non inhibition des stimuli entrants déclenchés par le vis-à-vis).
Fonction d’arrêt
Après évaluation des critères de fin de tâche (comparaison du résultat avec la représentation d’un but à atteindre), il faut stopper la tâche en cours, ce qui est aussi une condition pour mettre en route une autre tâche.

Ces fonctions d’inhibition sont au centre de toutes les activités cognitives. Elles en constituent le noyau, « la substantifique moelle ». L’essentiel de la maturation cognitive des enfants consiste probablement, entre 18 mois et 7–9ans, en la maturation progressive de ces fonctions d’inhibition.
Fonctions de planification, de stratégie

Les tâches non automatisées (et/ou complexes et/ou inhabituelles), les situations-problèmes, les prises de décision (choix), les doubles-tâches, nécessitent impérativement l’intervention des fonctions de planification et de stratégie (→ 249, 250).
Ces fonctions concernent en effet la gestion, l’intégration et l’organisation de données diverses (sensorielles, symboliques, connaissances antérieures stockées, données nouvelles à traiter), mais aussi la planification de tâches complexes (résolution de problèmes, au sens large du terme) qui comportent plusieurs étapes successives ou plus ou moins emboîtées.
L’atteinte de ces fonctions est particulièrement sensible dans les tâches nécessitant la gestion de nombreuses données (résolution de problèmes, réponses en choix multiple, etc.) ou nécessitant l’organisation (→ 104, 333) de plusieurs étapes (récits, suites logiques, algorithmes, etc.) ou encore impliquant une orientation particulière de l’activité cognitive au sein d’un vaste domaine cognitif, sélection que le sujet doit maintenir et contrôler (réponses à des questions fermées, fluence sémantique, etc.).
D’une façon générale, les troubles de cette série sont habituellement beaucoup plus marqués en situation dirigée, lorsqu’il faut répondre à une exigence précise, à des questions fermées, et moins intenses en situation « spontanée ».
SYMPTÔMES
Deux éléments caractérisent cliniquement les atteintes des fonctions exécutives (et attentionnelles):
–
ces troubles diffusent dans plusieurs secteurs cognitifs, mais pas forcément tous, car ils peuvent prédominer nettement dans le domaine visuo-spatial ou au contraire dans le domaine linguistique.

Caractéristiques du fonctionnement cognitif lors d’un syndrome dys-exécutif
Certains symptômes sont très spécifiques de l’atteinte de ces fonctions, du moins lorsqu’ils surviennent au-delà de 6ans (grande section de maternelle) et qu’ils infiltrent la quasi-totalité des épreuves (→ 263, 308).
Persévérations
Qu’elles soient idéïques, verbales, gestuelles ou graphiques, les persévérations sont des signes quasi-pathognomoniques d’une atteinte des fonctions exécutives.
Les écholalies (répétition non pertinente par l’enfant de la dernière phrase ou du dernier mot ou de la dernière syllabe prononcée devant lui, « en écho », c’est-à-dire sans aucune modification, ni prosodique, ni lexicale, ni aucun ajustement syntaxique) et les échopraxies (imitation irrépressible des gestes de son vis-à-vis, « en écho », sans aucune adaptation ni introduction de sens ou d’intention) ont la même signification.
Les persévérations sont des réitérations non maîtrisées d’un geste ou d’un mot, initialement motivé, mais qui ensuite parasite les réponses ou les productions ultérieures de l’enfant: on peut les interpréter comme un trouble de la fonction d’arrêt, la poursuite d’une action en cours par non-inhibition d’un automatisme.

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