et prise en charge de la douleur dans les reprises de prothèse totale de hanche

Anesthésie et prise en charge de la douleur dans les reprises de prothèse totale de hanche

Anaesthesia in hip arthroplasty revision

C. Chassery1, E. Bonnet2, A. Colombani3, B. Eychenne3 and V. Minville3


1Service d’anesthésie, hôpital Joseph Ducuing, 15, rue de Varsovie, 31076 Toulouse cedex 3;

2Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Purpan, place du Docteur-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9;

3Pôle d’anesthésie-réanimation, Institut locomoteur, service de chirurgie orthopédique et traumatologique, CHU Rangueil-Toulouse, 1, avenue Jean-Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9

Résumé
La fréquence des reprises de prothèse totale de hanche ne doit pas faire oublier que cette chirurgie s’adresse à une population particulière, le plus souvent plus âgée que lors de la mise en place de la première prothèse (en moyenne une dizaine d’années de plus), avec des comorbidités importantes. Le mauvais état fonctionnel de l’articulation conduit le chirurgien à porter cette indication tout à fait logiquement, mais il revient à l’anesthésiste de faire une analyse précise de l’état médical du patient qui va subir une intervention lourde, hémorragique. Parfois, les suites opératoires vont être entachées de complications qui peuvent être liées, bien sûr, à la chirurgie, mais qui ont souvent pour origine la décompensation d’une comorbidité dont il aura fallu connaître et évaluer le risque en préopératoire. Ce chapitre a pour but de présenter les diverses démarches et les situations les plus fréquentes auxquelles sont confrontés aujourd’hui, quotidiennement, les anesthésistes.




Summary

Revision surgery in hip arthroplasty is becoming increasingly frequent. However, the specific health status of most patients should be borne in mind, as they are usually elderly with major comorbidities. The poor functional state of their hip makes it logical to decide on this heavy and hemorrhagic surgery, but the anaesthesiologist must first thoroughly evaluate the medical status. In fact, recovery may be hindered by not only surgical complications, but also by poor evolution of a coexisting medical disorder. For this reason, it is important to recognize comorbidities and to evaluate the level of risk before surgery. This chapter discusses the different steps to be undertaken before surgery and frequent situations that regularly confront the anaesthesiologist.


Du fait du vieillissement de la population, la reprise de prothèse totale de hanche (RPTH) est une intervention de plus en plus fréquente qui concerne environ 15 % des prothèses totales de hanche (PTH) de première intention en France, soit environ 15 000 malades par an. La chirurgie est souvent inéluctable, à cause des limitations fonctionnelles et de la douleur, et ce quels que soient l’âge et les antécédents du patient. En comparaison de la PTH de première intention, la RPTH est une chirurgie plus longue, plus difficile, plus hémorragique, avec un risque infectieux (latent ou patent) plus important. Deux grands types de tableaux, cliniques peuvent se présenter : la RPTH pour une complication septique et, le plus fréquemment, la RPTH pour une faillite mécanique pure.

La prise en charge globale périopératoire est organisée lors de la consultation de préanesthésie qui doit avoir lieu idéalement au moins 4 semaines avant la chirurgie. Elle permet d’évaluer les risques liés au patient et à la chirurgie, et donc de choisir une stratégie de prise en charge périopératoire. Celle-ci va du choix des techniques d’anesthésie et d’analgésie (qui s’intégreront dans un programme de réhabilitation postopératoire), à la définition de stratégies d’épargne transfusionnelle, anti-infectieuse et antithrombotique.


Évaluation anesthésique préopératoire


Comme pour toute consultation d’anesthésie, le but premier est de mesurer le risque lié au patient, et en particulier, d’évaluer la fonction respiratoire, cardiaque et digestive, mais aussi l’état général du malade.



Sur le plan cardiaque


On recherche à l’interrogatoire des facteurs de risques cardio-vasculaires : âge supérieur à 40ans chez l’homme, à 50ans chez la femme, associé à un tabagisme actif, une HTA, un diabète, une dyslipidémie, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, des antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire. Par l’examen clinique et l’ECG, on précise un type de cardiopathie (ischémique, hypertrophique, valvulaire, rythmique), ainsi que des troubles conductifs. Devant une cardiopathie non connue, ou sévère, ou encore décompensée, un avis spécialisé cardiologique préopératoire sera demandé. Le cardiologue jugera de l’opportunité de réaliser des examens complémentaires (échographie cardiaque, épreuve d’effort, holter ECG, coronarographie, etc.) et adaptera éventuellement le traitement cardiotrope du patient.

En cas d’antécédent de maladie thrombo-embolique ou d’impotence fonctionnelle sévère avec perte de l’appui, une échographie Doppler des membres inférieurs doit être réalisée, au maximum la veille avant la chirurgie, afin d’éliminer une thrombose veineuse profonde, même si une thromboprophylaxie est en cours.

Au vu de l’ensemble de ces résultats, l’anesthésiste décide du mode de monitorage peropératoire (monitorage du segment ST, cathéter artériel, voie veineuse centrale, Doppler œsophagien, etc.) et du mode de surveillance postopératoire (scope en soins intensifs, transfert en service de réanimation, dosages répétés de la troponine cardiaque, etc.).


Antécédents digestifs


Lors de la consultation d’anesthésie, on précise aussi les antécédents digestifs (gastralgie, reflux gastro-œsophagien, etc.) et l’on recherche la notion de saignement occulte avant l’instauration de la thromboprophylaxie, et la prescription éventuelle d’anti-inflammatoire non stéroïdiens (AINS) dans le cadre de l’analgésie postopératoire.

Dans les semaines qui précèdent la chirurgie, la recherche d’un foyer infectieux urinaire, dentaire, nasal, sera hautement souhaitable – surtout en cas de reprise non infectieuse – à l’aide d’examens paracliniques adaptés : examen cytobactériologique des urines, consultation du chirurgien dentiste avec panoramique dentaire, prélèvement nasal. Toute infection objectivée devra être traitée efficacement avant la chirurgie par une antibiothérapie adaptée aux prélèvements bactériologiques.


Bilan biologique préopératoire


Il comprend au minimum : une numération et formule sanguine, un bilan d’hémostase (TP, TCA, fibrinogène), un ionogramme sanguin, une CRP, ainsi qu’un bilan prétransfusionnel (groupages et recherche d’agglutinines irrégulières).

Les antécédents du malade et les points d’appels cliniques, peuvent orienter vers des examens biologiques plus ciblés : bilan hépatique, pancréatique, dosage des facteurs de la coagulation… Une radio thoracique préopératoire de référence est utile en cas de complications ultérieures.


Stratégie d’épargne sanguine


Pour définir une stratégie d’épargne sanguine, une des approches consiste à réaliser un travail rétrospectif sur une quinzaine de dossiers d’hospitalisation, afin de connaître la perte sanguine totale moyenne sur 5 jours lors d’une RPTH, au sein de chaque établissement.

On calcule ensuite, grâce à l’équation de Mercuriali (Annexe 1) [2], les pertes sanguines autorisées qui dépendent de la masse érythrocytaire du patient, et du seuil transfusionnel défini par les recommandations de l’AFSSAPS [3] : hématocrite supérieur à 30 % en cas d’insuffisance coronarienne aiguë, d’insuffisance cardiaque avérée ou d’intolérance clinique de l’anémie, supérieur à 24 % chez les patients ayant des antécédents cardiovasculaires (fibrillation auriculaire, rétrécissement aortique, angor, etc.), et hématocrite supérieur à 21 % chez les patients sans antécédent particulier.


Il s’agit bien sûr d’une approche globale mathématique, qui peut être prise en défaut lors de situations inhabituelles, du fait d’antécédents particuliers (sepsis, radiothérapie, anomalie osseuse, etc.), ou en cas d’aléa chirurgical.

En simplifiant l’approche, et sachant que la perte sanguine périopératoire est estimée à 3 000mL en moyenne [4], toutes les techniques d’épargne sanguine pourront être discutées chez ces patients, si l’espérance de vie dépasse 10ans : la transfusion autologue programmée (TAP), la prescription préopératoire d’érythropoïétine (EPO), les dispositifs de récupération peropératoire (RPO), et les antifibrinolytiques.


En préopératoire : utilisation de la TAP et de l’EPO


Après une période d’engouement dans les années 1980 à la suite du scandale du sang contaminé, la place de la TAP a fortement diminué en France avec une suppression de 27 % entre 2002 et 2007 du nombre de centres de transfusion sanguine (CTS) pratiquant la TAP, et une chute de 58 % du nombre de CGR autologues transfusés issus de la TAP. Il faut souligner que cette diminution du nombre de CGR issus de la TAP a eu lieu, sans augmentation concomitante de la consommation de CGR homologues, et ce, malgré une augmentation globale de l’activité chirurgicale concernée [5]. La TAP permet de diviser par 5 un risque aujourd’hui extrêmement faible de contamination virale [6] et parasitaire, et elle supprime le risque d’allo-immunisation. En revanche, par l’anémie qu’engendrent les prélèvements, elle multiplie par 3 l’exposition à la transfusion sanguine globale (homologue + autologue), et donc multiplie par 3 les risques plus fréquents d’erreurs transfusionnelles par incompatibilité ABO [7]. On estime que le risque global transfusionnel est au total multiplié par 2,8 pour la TAP.

Enfin, même si l’incidence des effets secondaires lors de la transfusion est 3 fois moindre pour la TAP, son coût reste de 40 % supérieur par unité de sang (le surcoût étant essentiellement lié à la destruction de 30 à 50 % des poches prélevées). Toutefois, la présence d’un groupe sanguin rare, ou d’agglutinines irrégulières sont des arguments en faveur du maintien de la TAP.

Il existe deux techniques de TAP : la TAP par prélèvements échelonnés (prélèvement de sang total une fois par semaine sur plusieurs semaines), et la TAP par érythraphérèse (prélèvement en 1 fois de 2 à 4 unités globulaires avec restitution du plasma et des plaquettes, et, ce, 3 à 4 semaines avant la chirurgie). La technique par érythraphérèse, quand l’hémoglobine (Hb) est supérieure à 13g/dL, tend à remplacer la TAP classique car elle diminue le nombre de déplacements du patient pour un même nombre de CGA prélevés, elle stimule l’érythropoïèse, et entraîne moins d’anémie en préopératoire. La méthode de conservation du sang recueilli par TAP est efficace jusqu’à 42 jours. On y associera systématiquement un apport en fer de 200mg/j par voie orale, pour aider à la régénération globulaire.

Les contre-indications à la TAP par érythraphérèse sont nombreuses et limitent son usage : un abord veineux difficile, une Hb inférieure à 13g/dL, la présence d’une cardiopathie (infarctus du myocarde (IDM) de moins de 6 mois, rétrécissement aortique serré, crise angineuse de moins de 8 jours, HTA sévère non contrôlée, cardiopathie cyanogène), des antécédents de comitialité, une artériopathie cérébrale occlusive sévère, une infection aigue, une situation avec risque de bactériémie, un dépistage viral positif (a HBs, Ac anti-VHC, Ac anti-VIH1 et 2, Ac anti-HTLV I et II, Ac anti-HBc), un pronostic de survie à moins de 10 ans, et un saignement prévisible de moins de 30 % de la volémie.

L’EPO permet d’augmenter la masse érythrocytaire du patient (augmentation de 2 % par semaine de l’hématocrite) et ainsi de reculer le seuil transfusionnel. En effet, le risque de transfusion homologue par don de sang est multiplié par 2 en chirurgie orthopédique si l’Hb est inférieure à 13g/dL en préopératoire [8]. C’est le taux d’Hb où l’intérêt de l’EPO a été démontré en chirurgie orthopédique [9]. Son efficacité dépend aussi du temps disponible avant l’opération, car l’effet sur l’érythropoïèse ne survient que 6 à 10 jours après l’augmentation de la concentration sanguine d’EPO, c’est-à-dire 6 à 10 jours après le début du traitement. La surconsommation de fer liée à la stimulation de l’érythropoïèse rend l’apport de 200 à 300mg/j de fer oral indispensable. Parmi les EPO, l’époïétine alpha (Eprex©) possède l’AMM en chirurgie orthopédique à fort risque hémorragique, en association ou non à une TAP (AMM en 1995 et 1998). Hors TAP, elle est indiquée lorsque l’Hb est comprise entre 10 et 13g/dL et en l’absence de carence martiale. La dose administrée est de 600UI/kg/semaine, par voie sous-cutanée à j-21, j-14, j-7, et j0 de la chirurgie. Un dosage de l’Hb est réalisé avant la troisième injection, et le protocole est interrompu si l’Hb est supérieure à15g/dL. Compte tenu du coût de chaque injection (427 € par dose à ce jour), le nombre d’injections d’EPO doit idéalement être adapté au taux d’Hb lors de la consultation d’anesthésie [10] avec une injection si l’Hb est inférieure à 13g/dL, 2 injections si l’Hb est à moins de 12 g/dL, 3 injections si elle est à moins de 11g/dL et 4 injections si l’Hb est inférieure à 10g/dL). Seule l’injection à j0 est à la charge de l’établissement de soin, le reste étant à la charge du malade (assurance maladie et mutuelle).

La survenue d’accident thromboembolique ne semble pas favorisée par l’Eprex® si l’Hb reste inférieure à 15g/dL [11]. Les contre-indications à l’utilisation de l’EPO sont les pathologies artérielles sévères non équilibrées : HTA non contrôlée, un AVC ou un IDM récent, l’artérite sévère, une sténose carotidienne sévère, ou les antécédents de maladie thromboembolique.

L’EPO seule, ou associée à une TAP, permet de diminuer le risque de transfusion homologue respectivement par 2 et 3 [12]. Cependant, du fait de la diminution du risque lié à la transfusion homologue, le rapport coût/bénéfice doit être discuté pour chaque patient (1 CGR = 180,15 € vs 427 € fois 3 ou 4).


En peropératoire : récupération du sang épanché avec lavage et utilisation des antifibrinolytiques


Dans la mesure où les deux tiers du saignement ont lieu en peropératoire, la récupération du sang avec des appareils de type «cell saver» doit être la règle, car le saignement moyen est nettement supérieur à 15 % de la volémie. Le rendement de la récupération est de 50 % environ, avec un hématocrite du sang récupéré entre 50 et 60 % en moyenne. Cette technique permet de diminuer par 3 l’utilisation de sang homologue [13]. Les contre-indications habituelles sont : le sepsis avéré ou soupçonné, la chirurgie carcinologique, l’utilisation d’antiseptiques iodés, d’eau oxygénée, d’eau stérile, de colle biologique, la métallose, la drépanocytose, la thalassémie homozygote, le phéochromocytome. La retransfusion du sang traité doit se dérouler dans les 6 heures à partir du début du prélèvement. La coagulation ainsi que le taux de plaquettes doivent être contrôlés au bout d’une volémie traitée, et éventuellement corrigés par l’apport de plasma frais et de plaquettes [14].

La technique de récupération postopératoire par les drains semble peu indiquée car le saignement postopératoire des 5 premières heures dépasse rarement 400mL, et présente un hématocrite bas compris entre 20 et 30 %.

L’utilisation d’antifibrinolytiques semble très utile lors d’une reprise de PTH.

L’aprotinine, surtout utilisée en chirurgie cardiaque, a prouvé son efficacité dans la réduction de la transfusion pour la chirurgie orthopédique très hémorragique. Cependant, ses risques immunoallergiques, cardiovasculaires, et son utilisation hors AMM font que son usage n’est plus autorisé en chirurgie orthopédique depuis novembre 2007 [15].

L’acide tranexamique (Exacyl©) permet une épargne transfusionnelle homologue de 35 %, avec un effet dose-dépendant (30mg/kg), qu’il soit ou non associé aux techniques de récupération de sang peropératoire [16].Il peut être administré, soit en bolus de 1g à h0, à h+3, et h+7 de la chirurgie, soit avec un bolus de 10mg/kg à l’induction suivi d’une perfusion continue de 1mg/kg/h, jusqu’à la fermeture cutanée. Les contre-indications sont les mêmes que celles de l’EPO (pathologies artérielles sévères non contrôlées et antécédents thromboemboliques). Son utilisation ne semble pas associée à une majoration du risque thromboembolique en chirurgie orthopédique (OR = 1,08) [16] ou plus précisément lors des RPTH [17].


Stratégie globale transfusionnelle


Au vu de ces résultats, on peut proposer le schéma suivant.


Si l’hémoglobine à j-30 est supérieure à 13g/dL



En préopératoire


On pratiquera, en l’absence de contre-indication, une TAP par érythrocytaphérèse avec un prélèvement de 3 unités de globules rouges à j-30, et de 2 unités à j-15 avec une supplémentation systématique en fer PO dès j-30.

Apr 2, 2020 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on et prise en charge de la douleur dans les reprises de prothèse totale de hanche

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