Entraînement des habiletés métacognitives avec des personnes atteintes de schizophrénie

6. Entraînement des habiletés métacognitives avec des personnes atteintes de schizophrénie

J. Favrod, S. Bardy-Linder, S. Pernier, D. Mouron, C. Schwyn, C. Bonsack and V. Pomini




Les recherches dans le domaine des neurosciences ont permis d’améliorer considérablement la compréhension des mécanismes à la base de l’expérience psychotique. Ces progrès n’auraient jamais pu avoir lieu sans la participation des patients à la recherche fondamentale. Ce chapitre veut montrer comment les résultats de la recherche peuvent être restitués aux patients dans le cadre de l’intervention clinique.


Une autre approche, moins connue, est l’entraînement des habiletés métacognitives (MCT). L’entraînement des habiletés métacognitives est une nouvelle façon d’aborder le traitement psychologique des symptômes psychotiques. Il pourrait venir compléter la palette des thérapies cognitives et comportementales des symptômes psychotiques. Par métacognition, nous entendons la capacité de penser nos propres processus mentaux. Nos habiletés métacognitives nous permettent de ne pas prendre au premier degré les événements psychologiques que nous vivons. Par exemple, nous pouvons réaliser que nous tirons une conclusion hâtive d’un événement ou que nous avons commis une erreur de mémoire. Les personnes qui présentent des symptômes psychotiques sont non seulement plus vulnérables à ce type de biais, mais souvent elles n’en ont pas conscience.



Biais cognitifs dans la schizophrénie

Le résultat de recherche le plus constant sur les distorsions cognitives dans la schizophrénie se rapporte à un biais spécifique de recueil d’informations appelé le « saut aux conclusions ». Les personnes atteintes de schizophrénie avec des idées délirantes ont besoin de nettement moins d’informations que les sujets-contrôles pour parvenir à une conclusion ferme et définitive. Au premier abord, cette notion peut sembler une description de ce qui arrive durant un épisode psychotique (considérer un regard en coin comme un début de filature) ; mais ce biais est observable dans des situations neutres, persiste durant les phases de rémission (Peters et Garety, 2006) et existe également chez les sujets sains présentant des traits schizotypiques (Van Dael et coll., 2006). Il semblerait que ce type d’erreur soit davantage un précurseur qu’une conséquence de la psychose.

Des données récentes indiquent que les patients ne sont pas conscients de leur précipitation dans le raisonnement et qu’ils ont tendance à se percevoir comme hésitants et indécis (Freeman et coll., 2006). De plus, les patients schizophrènes manifestent un besoin important de certitude et une intolérance à l’incertitude (Colbert et Peters, 2002). Ils ont des difficultés à tolérer des épisodes avec une fin ouverte ou contenant des ambiguïtés. Au niveau de la mémoire, plusieurs études ont démontré que les personnes atteintes de schizophrénie ont une confiance augmentée dans leurs erreurs de mémoire et diminuée dans leurs souvenirs corrects par rapport aux sujets sains. Ce biais conduit à une corruption de la connaissance, qui explique relativement bien l’apparition d’idées délirantes (Moritz et Woodward, 2006b). Par exemple, on présente une scène typique de plage (des enfants jouent, des gens bronzent, de l’eau…) tout en omettant, intentionnellement, de faire figurer certains objets que l’on s’attendrait naturellement à voir sur une plage (un ballon, des serviettes de bain…). Or, les sujets se rappellent généralement avoir vu les objets courants mais absents de l’image. Les patients qui délirent sont plus confiants dans ces faux souvenirs. Cette confiance augmentée dans les erreurs s’observe également avec des souvenirs verbaux (Moritz et coll., 2005).

De surcroît, il apparaît que les patients présentent une difficulté à prendre en compte des preuves qui infirment une interprétation initiale, même si celle-ci devient de moins en moins plausible au fur et à mesure de leur présentation (Moritz et Woodward, 2006a). Ce biais semble également corrélé avec la propension à délirer dans des échantillons non-cliniques (Woodward et coll., 2007).

En les associant à ces biais cognitifs bien démontrés, on peut imaginer que les styles d’attribution ou la théorie de l’esprit jouent un rôle important dans la construction ou le maintien des idées délirantes, même si les résultats dans ces deux derniers domaines sont plus mitigés par rapport à la psychose. Par « style d’attribution », on entend les inférences sur les événements. Par exemple, les personnes déprimées ont tendance à attribuer la responsabilité des événements positifs à autrui et des événements négatifs à elles-mêmes. Des données indiquent que les personnes ayant des idées de persécution font preuve de la tendance inverse : attribuer les événements négatifs à autrui et les positifs à elles-mêmes (Bentall et coll., 2001, Kinderman et Bentall, 1997). Les conclusions de ces études sont sujettes à débat en raison des résultats contradictoires qu’elles produisent et des méthodes de mesure différentes qu’elles emploient (Martin et Penn, 2002 ; Mckay et coll., 2005 ; Randall et coll., 2003). Toutefois, il apparaît que le biais d’attribution s’accentue dans les situations ambiguës et que les questionnaires utilisés ont d’abord été construits pour étudier les biais d’attribution dans la dépression. De nouvelles études sont nécessaires pour bien comprendre les biais d’attribution dans les délires de persécution. Ces études devraient également contrôler des variables comme les idées de grandeur et la dépression.

Les patients souffrant de schizophrénie manifestent des difficultés à reconnaître l’intention d’autrui, ce qui pourrait contribuer à une idéation délirante. Ce déficit de la théorie de l’esprit est particulièrement intéressant pour expliquer les idées de référence ou de persécution. Les patients schizophrènes montrent des difficultés face aux situations qui demandent une prise de distance ou un changement de perspective et de l’empathie pour les autres (Frith, 2004). Une perception déformée de l’intention et des actions des autres peut favoriser des problèmes interpersonnels. Les déficits en théorie de l’esprit sont cependant observés dans d’autres désordres psychiatriques, mais leur implication pathogénique dans la formation des délires est sujette à controverse (Garety et Freeman, 1999). Le plus souvent, les déficits de la théorie de l’esprit sont davantage associés aux symptômes négatifs et aux troubles de la pensée formelle qu’aux symptômes positifs (Kelemen et coll., 2005 ; Mazza et coll., 2001). Greig et coll. (2004) est l’équipe qui a probablement le mieux traité la question de la théorie de l’esprit concomitante aux symptômes psychotiques. Dans leur étude, les performances de la théorie de l’esprit étaient davantage corrélées aux troubles formels de la pensée qu’aux idées délirantes. Si les idées paranoïdes reflètent un jugement incorrect de l’intention d’autrui (il me veut du mal, il m’observe, etc.), il semble dès lors inévitable que des difficultés à identifier l’intention d’autrui conduisent à l’idée que les gens dissimulent leur intention ou fomentent une conspiration. Néanmoins, nombre de gens affectés par des idées paranoïdes ne pensent pas que leurs persécuteurs déguisent leurs intentions et pensent au contraire que l’intention de ces derniers est claire. De plus, si le dessein d’autrui est perçu comme obscur, les idées de persécution ne devraient pas être limitées à une personne ou à un groupe, ce qui est toutefois fréquemment décrit par ces patients.

Les déficits de la théorie de l’esprit dans le contexte des idées délirantes méritent cependant d’être étudiés sous de nouveaux angles. Il est par exemple possible que des situations ambiguës ou équivoques viennent compliquer le traitement de l’information et affectent la lecture de situations sociales (Phillips et coll., 2000). On ne sait pas non plus dans quelle mesure les troubles de la pensée formelle influencent le raisonnement de personnes délirantes. Il est probable que la recherche future mette davantage en évidence un biais de la théorie de l’esprit qu’un déficit de celle-ci, en ce qui concerne la construction des idées délirantes. Dans le contexte actuel des connaissances, il apparaît qu’un entraînement global pour améliorer la théorie de l’esprit reste l’un des ingrédients essentiels d’un programme visant à réduire les idées délirantes.

De nombreux patients souffrant de schizophrénie font preuve d’une faible estime de soi (Freeman et coll., 1998). Richard Bentall, un pionnier dans ce domaine, pense que les idées de persécution sont une défense contre des processus affectifs négatifs (Bentall et coll., 1994). En revanche, Freeman et coll. (2002) estiment que les idées de persécution sont le reflet de soucis émotionnels. Peu d’études se sont penchées sur l’estime de soi et les idées délirantes. Une grande étude avec des patients ayant vécu un premier épisode psychotique a montré une association des idées de persécution à la dépression et à une pauvre estime de soi (Drake et coll., 2004).


Entraînement des habiletés métacognitives

Moritz et coll. (2007) ont développé un programme d’entraînement aux habiletés métacognitives, disponible sur internet en anglais, allemand, hollandais, espagnol et français à l’adresse suivante : www.uke.de/mkt. Ce programme a pour objectif de réduire le fossé actuel entre la compréhension avancée des processus cognitifs et métacognitifs dans la schizophrénie et l’utilisation pratique de ce savoir dans le traitement clinique. Il vulgarise les connaissances acquises sur les biais cognitifs en termes compréhensibles, et il démontre certaines conséquences négatives de ces biais cognitifs. Le programme cherche à rendre les patients conscients de leurs distorsions, à les entraîner à les voir de façon critique et à les aider à compléter ou changer leur répertoire en matière de résolution de problèmes. Des exercices qui pointent chaque biais séparément permettent de démontrer la faillibilité de l’esprit humain (tableau 6.1). Les participants sont invités à partager leurs expériences, et des discussions sur les moyens de contrer ces erreurs de raisonnement permettent de fournir des possibilités correctrices. L’ambiance des groupes est ludique et stimulante. Les participants apprennent à reconnaître les biais cognitifs importants dans la schizophrénie et développent des stratégies pour parvenir à des déductions plus appropriées. Chaque séance dure entre 45 et 60 minutes. Idéalement, les participants suivent deux cycles de huit séances, impliquant des exercices similaires mais distincts au niveau des contenus des exercices et des exemples.































Tableau 6.1 Présentation des exercices centraux des différents modules
Module Exercices centraux
Style d’attribution : blâmer et prendre crédit Les différentes causes d’événements positifs et négatifs sont étudiées.
Sauter aux conclusions, partie I (jugement hâtif) Des fragments d’images apparaissent progressivement en montrant des objets. Les décisions prématurées conduisent à des erreurs.
Changer les croyances, biais contre les preuves infirmantes Des séquences de bandes dessinées sont présentées à l’envers en clarifiant des scénarios complexes. Après chaque image, les participants doivent évaluer la plausibilité de quatre interprétations différentes.
Être empathique, partie I (théorie de l’esprit) Des images d’expressions faciales sont présentées, et le groupe doit deviner comment le personnage se sent. La solution correcte trahit souvent la première intuition.
Mémoire : confiance augmentée dans les erreurs de mémoire Des situations complexes sont présentées (plage) avec des éléments typiques manquants (serviette de bain, ballon). Les participants se souviennent fréquemment avoir vu les éléments manquants. La nature constructive plutôt que passive est ainsi mise en évidence. Les patients apprennent à distinguer entre les souvenirs corrects et erronés.
Être empathique, partie II (théorie de l’esprit) Des bandes dessinées qui présentent la perspective d’un des personnages sont discutées. Ce personnage n’a pas toutes les informations que possèdent les observateurs.
Sauter aux conclusions, partie II Des tableaux de maître sont présentés, et les participants doivent déduire son titre parmi quatre options. Une inspection superficielle de l’œuvre conduit à des réponses fausses.
Humeur et estime de soi Des cognitions dépressives en réponse à des événements communs sont présentées, et le groupe doit développer des cognitions plus constructives et positives.

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Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Entraînement des habiletés métacognitives avec des personnes atteintes de schizophrénie

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