14. Endométriose
M. Lachowsky
Un peu d’histoire
L’endométriose est une maladie du mal-être et du malaise, celui des patientes mais aussi des médecins. Souffrance du passé, douleur du présent, elle affecte les femmes dans leur vie quotidienne comme dans leurs projets. Cette maladie nouvelle serait pour certains liée au monde moderne, alors qu’on en retrouve trace dans des écrits médicaux dès 1690 – trace certes un peu perdue puisque les historiens de la médecine l’ont longtemps oubliée. En font foi l’Encyclopédie d’histoire de la médecine publiée à New York en 1985, ou le travail de Cambridge, qui se veut très complet, sur l’histoire de la santé humaine, datant de 1997, qui ne la mentionnent même pas.
Or, avant le travail de Rokitanski en 1860, un autre médecin allemand, Daniel Shroen, en fait la description princeps dans son livre Disputatio inauguris Medica de Ulceribus Ulceri en 1690. Il ne néglige ni l’aspect inflammatoire ni la tendance aux adhérences qui « lient les organes ensemble », ni le risque hémorragique. Il ajoute, comme s’il parlait d’une maladie relativement courante à cette époque, qu’il s’agit là d’une maladie féminine caractéristique de la période de maturation sexuelle, selon ses termes. Malgré le, ou à cause du, manque de possibilités scientifiques et sans même notre langage pour les rapporter, cet auteur et ceux qui l’ont suivi tout au long du XVIIIe siècle ont su reconnaître la plupart des dommages et des symptômes de « notre » endométriose, de la douleur à la stérilité. En 1769, Arthur Duff, médecin écossais, va jusqu’à insister pour que cette douleur soit bien distinguée d’une dysménorrhée banale, et prise sérieusement en considération, qu’elle soit à type d’aiguilles ou de brûlure. D’autres Écossais publiant à Édimbourg en 1776 se disent en présence « d’une affliction qui imprègne tout le système de la femme, produisant des symptômes morbides qui manifestement changent la disposition de tout le corps ». Et l’un d’eux (Brotherson, 1776) de compatir :
Aux pires stades, cette maladie affecte totalement le bien-être de la malade, son esprit en est complètement brisé et de plus elle vit toujours dans la crainte d’une aggravation, notamment celle des douleurs ou de convulsions.
Outre leurs étonnantes descriptions macroscopiques, nos détectives du XVIIIe siècle, comme les nomme l’historien américain qui a fait cette recherche, Vincent J. Knapp (1999), ont été frappés par le caractère intense de la douleur, comparé aux douleurs de l’enfantement, décrite comme insupportable, oppressante, convulsive, atroce et tortueuse, associée à des céphalées, nausées, insomnie et tachycardie – qui ne s’appelait encore que pouls rapide. Si l’un d’eux dit que cette douleur récurrente ou permanente ne pouvait qu’aboutir à l’hystérie, un autre compatit :
Qui ne serait nerveux et hystérique dans le triste état d’angoisse qu’amène cette maladie ? Les femmes sont torturées de douleurs, et doivent en plus faire face à la myriade des autres symptômes.
Triomphe du regard et de l’écoute clinique de ces chercheurs d’un autre temps, qui, n’ayant pas nos ressources scientifiques, ne pouvaient découper en tranches que la maladie et non la malade.
La situation actuelle
Faisons-nous tellement mieux aujourd’hui ? Oui et non. Le voile est loin d’être levé sur l’étiologie anatomophysiologique. Bien entendu, nous savons qu’il s’agit de la présence de cellules endomé-triales implantées ailleurs que dans l’utérus, dans et hors la cavité péritonéale, qui se développent de manière aussi ectopique qu’anarchique, d’où la variété de symptômes et de situations anatomocliniques. Mais pourquoi ces déplacements, ces errements, tantôt superficiels tantôt profonds, pourquoi et comment cet endomètre s’est-il ainsi fourvoyé ? Métaplasie, troubles immunitaires, implantation par régurgitation, toutes les hypothèses s’affrontent ou plutôt se complètent, preuves de nos incertitudes. Cependant, les avancées dans le traitement de la douleur, nos connaissances dans ce domaine sont à prendre en considération. Elles nous permettent sinon de guérir, au moins de mieux soigner, donc de soulager nos douloureuses et nos infertiles, et surtout ces douloureuses infertiles que sont les patientes porteuses de cette toujours mystérieuse maladie.
Douleurs et infertilité
De nombreuses études ont été publiées, essentiellement anglosaxonnes, sur le profil psychologique et les événements de vie des femmes souffrant de douleurs pelviennes chroniques, avec et sans endométriose prouvée. Ce qui est assez étonnant, c’est qu’il y a peu de différence entre l’anxiété et la fragilité de ces deux groupes de patientes et encore moins de corrélation entre taille des lésions et intensité de la douleur. De plus, il est bien connu que chercher une endométriose équivaut presque à la trouver !
J. Belaïsch et J.-P. Allard (2003) ont retrouvé au cours de leurs travaux quelques aspects communs chez des femmes porteuses d’endométriose : un niveau socioéconomique sensiblement plus élevé, des familles moins nombreuses, avec des premières grossesses tardives ; mais l’endométriose a bien sûr aussi des explications logiques (plus de cycles et de menstruations, infertilité, et peut-être alors une plus grande difficulté d’ajustement à cette parentalité tardive). Cette constatation nous avait aussi frappées, moins cependant que la fréquence non négligeable d’événements de vie particulièrement traumatisants vécus par un grand nombre de ces patientes. En effet, et nous y reviendrons, elles nous révèlent souvent un passé moralement douloureux, qui a précédé ou accompagné les douleurs physiques.