Échelles d’évaluation en psychologie positive

2 Échelles d’évaluation en psychologie positive



R. Shankland, M. Bouvard






Intérêt des mesures psychométriques


Les outils de mesure reconnus comme faisant partie des développements de la psychologie positive sont des échelles permettant d’évaluer les processus humains positifs, c’est-à-dire des compétences ou caractéristiques permettant de favoriser le bien-être, les capacités d’adaptation et l’épanouissement de la personne. Les travaux les plus approfondis portent sur les stratégies d’ajustement (ou coping), mais il reste encore un chantier important pour parfaire la compréhension du fonctionnement optimal et de ses processus (Lopez et Snyder, 2003). Pour ce faire, l’utilisation d’échelles de mesure validées est nécessaire pour permettre une meilleure compréhension des phénomènes étudiés sur une population importante ainsi que pour favoriser la comparabilité entre différentes recherches portant sur les mêmes processus.



Du côté des praticiens


L’utilisation des classifications internationales des pathologies comme le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) ou la Classification statistique internationale des maladies (CIM-10) est aujourd’hui répandue parmi les praticiens et les chercheurs. Ces classifications permettent de repérer l’absence ou la présence de troubles chez un individu, de mieux communiquer entre professionnels, de favoriser la comparabilité des recherches, et de connaître les mesures thérapeutiques les plus efficaces pour chaque type de patients. Or, il serait intéressant que soient reconnus et répertoriés, au niveau international, des critères de fonctionnement optimal et positif chez l’humain afin de compléter le diagnostic et offrir un éclairage supplémentaire sur le type de prise en charge adapté et le pronostic du sujet.


En réalisant un diagnostic équilibré entre les troubles et les forces de l’individu, il sera plus aisé de remédier aux risques inhérents de l’étiquetage diagnostique (stigmatisation, identification à la pathologie désignée, démobilisation de l’individu, des proches, voire des soignants, etc.). En effet, mettre en avant les compétences et les ressources de l’individu permet à la personne de se sentir davantage prise en compte dans sa globalité, de renforcer l’alliance thérapeutique, d’être encouragée à surmonter les difficultés en s’appuyant sur ses compétences au lieu de se cantonner à une position passive. Ainsi, l’évaluation des composantes positives du fonctionnement de l’individu participe à une amélioration de l’accompagnement.



Du côté de la recherche


Afin d’aboutir à une meilleure compréhension de l’être humain dans sa globalité, il s’avère aujourd’hui nécessaire de mobiliser les théories et les outils de la psychologie pour clarifier les déterminants de l’épanouissement humain multidimensionnel. De nombreux travaux récents ont démontré que le bien-être et le bonheur subjectif pouvaient être augmentés durablement, et que les personnes optimistes ou habitées par une humeur positive persévéraient et réussissaient davantage ce qu’elles entreprenaient, avaient une meilleure santé physique et étaient plus ouvertes aux besoins des autres. Grâce à ces recherches, étudier ce qui favorise le bonheur chez l’être humain ne devrait plus être considéré comme un but futile pour la psychologie, mais mobiliser les chercheurs.


Bien que les méthodes de recherche de la psychologie positive restent les mêmes que celles qui ont contribué à l’édification de la science psychologique, elles s’inscrivent dans un renouvellement thématique considérable avec l’éclosion des recherches sur le bonheur, la gratitude, le pardon, l’espoir, la créativité, etc. Les domaines abordés peuvent être regroupés autour de trois axes fondamentaux : les expériences subjectives positives comme le bonheur ou le bien-être, les traits de personnalité positifs comme l’optimisme et l’empathie, et les institutions ayant des effets positifs sur le bien-être (entreprises ayant recours à un style de management positif, établissements scolaires s’appuyant sur une pédagogie centrée sur les besoins de l’enfant, etc.), c’est-à-dire celles qui permettent l’épanouissement des potentialités humaines (Lecomte, 2009). Pour chacune de ces thématiques, des outils spécifiques ont été élaborés et validés. Dans ce chapitre, nous présenterons un échantillon d’échelles utilisées le plus souvent dans le cadre des recherches en psychologie positive.



Optimisme



Définition du concept


Les définitions de l’optimisme que l’on rencontre dans les dictionnaires regroupent deux concepts proches. Il s’agit tout d’abord d’une disposition à considérer que les choses positives finissent toujours par prendre le dessus. La seconde description fait référence à la tendance à croire que notre existence se déroule dans les meilleures conditions possibles. Dans le champ de la recherche, l’optimisme se réfère aux attentes positives que l’individu peut avoir dans une situation donnée (optimisme « état ») ou de manière générale dans la vie (optimisme « trait »).


Les individus optimistes peuvent considérer qu’ils possèdent les compétences suffisantes pour parvenir à leurs fins, ou encore qu’ils peuvent avoir recours au soutien nécessaire ou bénéficier de la chance pour aboutir à un résultat positif. Dans le second cas de figure, on pourrait alors imaginer que les optimistes attendent passivement que les événements positifs surviennent. Pourtant, les observations montrent que les attentes positives sont, au contraire, corrélées à une forte implication du sujet dans l’action : bien qu’il ait des attentes positives par rapport à l’avenir, il semble conscient de l’importance de sa contribution personnelle au déroulement des événements. L’optimisme en tant que trait de personnalité est ainsi corrélé à de nombreux indicateurs de santé physique, mentale et sociale. Les individus optimistes présentent, par exemple, moins de symptômes dépressifs, de symptômes physiques et utilisent des stratégies d’adaptation plus efficaces que les pessimistes et ont moins tendance à dénier la réalité, par exemple suite à une intervention chirurgicale (Scheier et Carver, 1993). Il ne s’agit donc pas d’un optimisme irréaliste : il n’y a pas de relation, par exemple, entre une prise de risque sexuel inconsidérée et l’optimisme (Scheier et Carver, 1985). L’optimiste sait toujours jusqu’où il peut aller trop loin.



Évaluer l’optimisme


L’échelle d’évaluation de l’optimisme la plus utilisée au niveau international est le Test d’orientation de vie révisé ou LOT-R (Life Orientation Test – Revised, Scheier, Carver et Bridges, 1994). Elle permet de mesurer la disposition à l’optimisme au travers d’items de type : « Je m’attends à ce que les choses aillent dans mon sens » et « D’une manière générale, je m’attends à ce qu’il m’arrive plus de bonnes choses que de mauvaises choses. » Scheier et Carver travaillent depuis plus de vingt ans sur l’optimisme et, selon ces auteurs, il s’agirait d’un trait de personnalité relativement stable, ayant un impact important sur la manière dont les individus autorégulent leurs comportements face aux difficultés. Le LOT-R – révision du LOT proposant de retirer deux items mesurant davantage les styles d’adaptation que les attentes positives face à l’avenir – comprend six items générant un score global d’optimisme et quatre items inclus à titre de leurre. Les énoncés portent sur les attentes générales de la personne à l’égard des événements ou conséquences positives (trois items) ou négatives (trois items). Chaque énoncé est noté de 0 (Totalement en désaccord) à 4 (Totalement d’accord). Le score global est calculé en inversant le codage des trois énoncés négatifs (de 4 à 0 au lieu de 0 à 4) et en additionnant les scores des six items. Les scores des items constituant des leurres (ou items de remplissage) ne sont pas comptabilisés. Ainsi, le score global se situe entre 0 et 24.



Qualités psychométriques


Les qualités psychométriques du LOT-R ont été testées auprès de 2 055 étudiants (Scheier et al., 1994). L’analyse en composante principale a permis de mettre en valeur l’existence d’un facteur regroupant les six énoncés expliquant 48,1 % de la variance totale du test. Les analyses factorielles confirmatoires ont confirmé la validité du modèle à un facteur. Pour ce qui est de la cohérence interne de l’instrument, l’alpha de Cronbach est de 0,78 indiquant une bonne cohérence. Dans l’ensemble, les étudiants obtiennent une moyenne de 14,33 à cette échelle. Concernant la fidélité test-retest, on obtient les corrélations suivantes : 0,68 à 4 mois, 0,60 à 12 mois, 0,56 à 24 mois et 0,79 à 28 mois, ce qui représente une relative stabilité de la mesure. Le LOT-R a bien sûr été administré pour chaque groupe d’étudiant à deux reprises seulement : chaque étudiant a donc complété le second questionnaire à 4, 12, 24 ou 28 mois.



Validation française


Une première traduction française du LOT-R a été effectuée par Sultan et Bureau en 1999. Puis, en 2008, une seconde version française a été validée par une équipe canadienne, après réalisation d’une nouvelle traduction du LOT-R (Trottier et al., 2008), en suivant les différentes étapes du processus de validation transculturelle établie par Vallerand (1989). Les qualités psychométriques de cette nouvelle version française du LOT-R sont satisfaisantes. La version canadienne-française a été administrée à 204 étudiants francophones. La cohérence interne est satisfaisante et proche de la version anglaise : alpha de Cronbach de 0,76 (la cohérence interne de la version de Sultan et Bureau, 1999, administrée à 345 étudiants était de 0,70). La fidélité test-retest à cinq semaines est bonne (0,74) et les analyses factorielles confirmatoires indiquent que la version québécoise possède une structure similaire à la version originale de l’instrument.


En résumé, on peut considérer que cet outil présente une stabilité temporelle satisfaisante et une structure unidimensionnelle, bien que certains auteurs aient souligné la possible bi-dimensionnalité de cet instrument (Sultan et Bureau, 1999) en raison des différences dans la formulation des items (formulation positive ou négative). En effet, on pourrait considérer que l’optimisme et le pessimisme sont deux traits distincts, seulement partiellement corrélés, l’optimisme se distinguant du « non-pessimisme ».



Satisfaction par rapport à la vie



Définition du concept


L’expérience de bonheur et de bien-être est un élément fondamental de la vie de chaque être humain (Andrews et Withey, 1976). Le bien-être subjectif est composé de trois dimensions : les émotions positives, les émotions négatives et la composante « cognitive-évaluative » (Diener et al., 1985). Cette dernière composante correspond à ce qui a été appelé « satisfaction de vie » ou satisfaction par rapport à la vie. Il s’agit d’une évaluation globale de la qualité de vie d’une personne selon ses propres critères (Shin et Johnson, 1978). L’évaluation de la satisfaction de vie dépend de la comparaison entre la situation actuelle d’une personne et ce qu’elle considère comme étant une situation souhaitable (Diener et al., 1985). Au vu de la diversité des manières d’évaluer et de hiérarchiser les différents domaines de la vie (santé, travail, relations, etc.), les auteurs considèrent qu’il est préférable de proposer des mesures générales de satisfaction de vie plutôt que des mesures comportant des items spécifiques à chacun des domaines de la vie.



Évaluer la satisfaction de vivre


Les premières mesures de la satisfaction de la vie comportaient un item unique de satisfaction générale. Les limites de ce type d’outil sont bien connues et permettent d’expliquer le développement d’autres échelles par la suite dans le domaine de l’évaluation du bien-être (Diener, 1984). Cependant, certaines de ces échelles concernaient plus particulièrement les personnes âgées ou ne mesuraient pas uniquement les dimensions de satisfaction de vie. Ainsi, Diener et al. (1985) ont conçu une échelle à destination de toute population et mesurant uniquement la satisfaction par rapport à la vie actuelle au travers d’items de type : « En général, ma vie correspond de près à mes idéaux » et « Si je pouvais recommencer ma vie, je n’y changerais presque rien ». L’Échelle de satisfaction de vie (ESV) ou Satisfaction With Life Scale (SWLS) élaborée et validée par Diener, Emmons, Larsen et Griffin (1985) est donc aujourd’hui la plus utilisée au niveau international et revêt des qualités psychométriques avérées.


Cet instrument comporte cinq items auxquels le sujet répond au moyen d’une échelle de type Likert allant de 1 (Fortement en désaccord) à 7 (Fortement en accord). Il s’agit donc d’un instrument facile et rapide à administrer. On obtient un score global de satisfaction de vie en additionnant les points obtenus à chaque item. Ce score total peut aller de 5 (Faible satisfaction) à 35 (Satisfaction élevée). Cependant, il est important de noter que l’échelle porte uniquement sur la composante cognitive du bien-être subjectif et qu’une évaluation adéquate du bien-être tel que défini par Diener (1984) doit inclure également les composantes affectives. Celles-ci peuvent être évaluées grâce à des échelles de mesures des émotions positives et négatives comme la PANAS (Positive And Negative Affect Scales, Watson, Clark et Tellegen, 1988).



Qualités psychométriques


L’ESV a été validée par Diener et al. (1985) auprès de plusieurs échantillons d’étudiants, puis auprès d’une population de personnes âgées. Les analyses factorielles confirment la possibilité de regrouper les items autour d’un facteur unique de satisfaction de vie, ce facteur expliquant 66 % de la variance. Les niveaux de cohérence interne sont élevés (alpha de Cronbach de 0,87), ainsi que la fidélité test-retest à deux mois (r = 0,82). Concernant la validité de construit, l’ESV est corrélée positivement de manière modérée ou élevée à d’autres instruments mesurant le bien-être subjectif, les émotions positives et certaines caractéristiques de la personnalité telles que l’estime de soi. De plus, la faible corrélation entre l’ESV et l’échelle Marlowe-Crowne (Crowne et Marlowe, 1964) de désirabilité sociale (0,02) indique que les sujets ne répondent pas en fonction de la désirabilité sociale des items. Par ailleurs, l’ESV est inversement corrélée aux échelles mesurant des traits de personnalité tels que le névrosisme (ou neuroticisme), indiquant que les personnes étant satisfaites de leur vie sont généralement bien adaptées socialement et ne présentent pas de symptomatologie particulière.


La validité concomitante est indiquée par les corrélations positives, bien que modérées, entre l’ESV et d’autres échelles évaluant la satisfaction de vie. Quant à la validité divergente, elle a été mise en avant par la faible corrélation avec l’intensité des émotions vécues, un construit théorique peu relié à l’évaluation cognitive du bien-être subjectif. La plupart des individus interrogés (Diener et al., 1985) obtiennent une note entre 21 et 25. Une note supérieure à 25 est donc le reflet d’une plus grande satisfaction vis-à-vis de sa vie par rapport à la plupart des gens alors qu’une note nettement inférieure à 21 traduit l’inverse.



Validation française


L’Échelle de satisfaction de vie a été traduite en français et validée par Blais, Vallerand, Pelletier et Brière (1989). La traduction a été effectuée en suivant les étapes préconisées par Vallerand (1989). La validation a été effectuée dans un premier temps auprès de trois groupes d’étudiants, puis de deux groupes de personnes âgées. Les moyennes des scores globaux sont proches de celle de la validation de l’échelle d’origine (entre 23 et 27). La cohérence interne est élevée, allant de 0,80 à 0,84 (alpha de Cronbach), et les analyses factorielles retrouvent un facteur global, celui-ci expliquant 56 % de la variance chez les étudiants et 60 % chez les personnes âgées. Le coefficient de fidélité test-retest à deux mois est de 0,64 ce qui démontre une stabilité temporelle acceptable.



Orientation reconnaissante ou « gratitude dispositionnelle »



Définition du concept


L’orientation reconnaissante, ou « gratitude dispositionnelle » selon la littérature anglophone (Shankland, 2009), est considérée comme une disposition à reconnaître et à répondre par des émotions positives (appréciation, reconnaissance) au rôle bienfaisant d’un agent. Celle-ci comprend quatre dimensions principales : l’intensité du sentiment de reconnaissance, la fréquence d’apparition d’une émotion de gratitude indépendamment de la quantité d’événements pouvant objectivement produire une telle émotion, la diversité d’événements de vie pour lesquels l’individu est reconnaissant (étendue) et le nombre de personnes envers lesquelles celui-ci se sent reconnaissant (densité).


L’orientation reconnaissante est l’un des traits de personnalité le plus fortement corrélé au bien-être psychologique. Les études corrélationnelles et les recherches expérimentales montrent que les individus ayant un niveau élevé d’orientation reconnaissante sont plus heureux, énergiques, optimistes, empathiques, ont davantage tendance à émettre des comportements pro-sociaux (Shankland, 2009), sont plus enclins à penser que le monde est juste envers eux (Bègue, 2009), éprouvent davantage d’émotions positives (joie, émerveillement…), rapportent moins de troubles physiques (migraines, maux de ventre, acné, toux), de symptômes anxieux, dépressifs et de sentiments de solitude, d’envie ou de frustration (Lyubomirsky, 2008).

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Échelles d’évaluation en psychologie positive

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