Reprise d’une prothèse fémorale descellée Le concept press-fit : ce qu’il faut savoir, éviter et faire…
Femoral press-fit concept in THA revision
P. Le bÉguec1, O. Roche2, F. Canovas3, M. Goldschild4 and J. Girard5
111 Galeries du théâtre, 35000 Rennes
2Centre orthopédie traumatologie, 54000 Nancy
3Hôpital Lapeyronie, CHU Montpellier, 371, avenue du Doyen Gaston Giraud, 34295 Montpellier cedex
4Polyclinique Sévigné, 35512 Cesson-Sévigné
5Service d’orthopédie C, hôpital Roger Salengro, CHRU Lille, 2, avenue Oscar-Lambret, 59037 cedex
Résumé
Un acte opératoire doit être cohérent et considéré dans sa globalité ce qui signifie que, lorsqu’on implante une prothèse articulaire, il faut bien connaître le concept de la prothèse choisie et effectuer une préparation soigneuse de son intervention avant de s’engager dans une opération qui risque d’être hasardeuse si l’on n’a pas une idée claire des objectifs à atteindre. C’est particulièrement vrai quand le press-fit a été choisi pour assurer la stabilité primaire d’un implant sans ciment. En pratique chirurgicale, ce concept est très souvent mal appliqué et la raison est toujours une méconnaissance de ses principes.
C’est Morscher [13, 14] qui a défini les conditions nécessaires pour obtenir un effet press-fit efficace : assurer un contact os-implant sous forme d’une surface en faisant le choix d’une tige droite et assurer un parfait calage en faisant le choix d’une tige conique. Sur le plan pratique, le concept press-fit ne peut être appliqué qu’au niveau du fémur proximal ou zone isthmique et la technique opératoire varie selon la région choisie. Une application rationnelle du concept press-fit n’est possible que si l’on a réalisé au préalable une analyse radiologique rigoureuse du fémur pour visualiser les obstacles qui peuvent se présenter à l’opérateur (courbure fémorale) ou plus simplement pour dépister ce qui peut être une limite ou une contre-indication de la méthode.
Mots clés :
Summary
Before implanting a joint prosthesis, the concept of the prosthesis selected must be thoroughly understood and the surgery thoroughly planned, with a clear idea of the objectives to be attained. This is particularly important when a press-fit prosthesis has been chosen to ensure primary stability of a cementless implant. In operative practice, the press-fit concept is often poorly applied and the reason for this is always a poor understanding of its principles.
Morscher [13, 14] defined the conditions required to obtain an efficient press-fit effect: ensure the bone-implant couple by selecting a straight stem and ensure perfect anchorage by selecting a conical configuration of the stem. In practical terms, the press-fit concept can be applied only at the level of the proximal femur or the isthmic zone, and the surgical technique varies according to the region. Rational application of the press-fit concept is possible only after a thorough radiological evaluation of the femur, in order to visualise potential obstacles such as femoral curvature or more simply to screen for limiting factors or contraindications to this method.
Introduction
Au moment de choisir un implant, les chausse-trapes sont nombreuses et prôner les avantages d’une prothèse en faisant le procès des autres implants de la même famille est une démarche périlleuse. Pour éviter les polémiques qui ne sont jamais de nature à éclairer un lecteur qui doit faire un choix, il est prudent de se placer exclusivement sur le terrain des idées avec pour objectif le choix d’un concept fiable qui s’adresse au plus grand nombre de cas afin de ne pas changer trop souvent de méthode. Nous estimons que le concept press-fit peut entrer dans un tel cadre.
Le press-fit est un concept largement utilisé dans l’industrie prothétique pour assembler deux éléments séparés. Dans le domaine chirurgical, Zweymüller (20) a été un des premiers à utiliser le press-fit pour assurer la stabilité primaire d’un implant sans ciment de première intention et c’est en 1987 que Wagner (17) applique ce concept aux tiges de reprise. Depuis, plusieurs auteurs ont suivi la même voie (1, 11, 18).
Cependant, malgré un usage très répandu, force est de constater que la plupart des opérateurs méconnaissent les principes de ce concept et cette méconnaissance explique, pour une grande part, sa mauvaise application en pratique chirurgicale. Pour tenter de pallier cette lacune, il est nécessaire de rappeler les principes de ce concept, ce qui nous permettra de comprendre les conditions à remplir pour obtenir un véritable effet press-fit. Par ailleurs, comme toute méthode, le concept press-fit a aussi ses inconvénients et limites qu’il convient de bien connaître. Enfin, il faut souligner que le press-fit est un concept exigeant qui nécessite une préparation soigneuse de son intervention.
Le press-fit est un moyen pour assurer la stabilité primaire d’un implant sans ciment (de première intention ou de reprise) qui consiste à provoquer au niveau de l’interface os-implant une pression supérieure (ou précontrainte) aux forces déstabilisantes que sont, pour une tige fémorale, les contraintes à l’enfoncement et en rotation.
Le press-fit : principes
Selon Morscher (13, 14), pour assurer un effet press-fit chirurgical il faut répondre à deux exigences : obtenir un contact os-implant sous forme d’une surface et assurer un parfait calage de l’implant.
Si ces deux conditions, indispensables pour assurer un véritable effet press-fit, sont ignorées de l’opérateur, il y a peu de chance pour qu’elles soient correctement appliquées en cours d’intervention.
Surface de contact os-implant (figure 1)
Le meilleur moyen pour assurer un contact os-implant sous forme d’une surface est le choix d’une tige droite. Mais, avec ces implants, il faut éviter un appui trois points, ce qui implique une ostéotomie fémorale quand le fémur est courbe et quand il est droit il faut éviter une implantation en varus.
Figure 1. |
Le choix d’une tige courbe ne permet pas d’échapper à ces contraintes car ces implants sont droits de face et de profil leur courbure ne correspond que très rarement à celle du fémur. En définitive, il n’est pas plus difficile de rendre un fémur rectiligne que d’adapter la courbure fémorale à celle d’un l’implant.
Calage de l’implant (figure 2)
Un bon effet press-fit dépend de la qualité du calage. Pour assurer un parfait calage, un implant d’une configuration conique offre deux avantages : création d’une force horizontale stabilisante et un recalage est toujours possible ce qui procure une deuxième ligne de défense. Mais il faut aussi savoir qu’une tige longue n’est jamais conique sur toute sa longueur et plus la pente conique est accentuée plus la hauteur de la zone conique utilisable est réduite (cf. infra «Enfoncement secondaire»).
Figure 2. |
Le press-fit : application pratique
Le concept press-fit est applicable en région proximale du fémur, en zone métaphyso-diaphysaire, et au niveau du fémur diaphysaire dans sa zone isthmique. En revanche, il n’est pas applicable au niveau du tiers distal du fémur quand la cavité médullaire s’élargit pour prendre la forme d’un tromblon.
Deux cas sont particuliers : fixation en zone métaphysaire ou en région proximale après réalisation d’un volet trochantéro-diaphysaire. Ces deux modes de stabilité primaire ne correspondent pas à un véritable press-fit tel que nous l’avons défini, mais, dans certaines situations, ils peuvent être utiles.
Pour être efficace, il est préférable d’appliquer le concept press-fit sur une courte distance (entre 20 et 40mm) et, contrairement à Wagner (17), nous estimons qu’un contact os-implant plus étendu n’est pas nécessaire, ni même souhaitable.
Press-fit métaphyso-diaphysaire
Ce mode de fixation correspond souvent à des situations où l’on utilise, pour une reprise, une tige sans ciment. Pour assurer un effet press-fit en région métaphyso-diaphysaire, plusieurs conditions doivent être remplies.
D’une façon idéale, le fémur est droit de face et peu courbe de profil. Les défects sont absents ou peu importants et ne dépassent pas les zone(s) 2 et/ou 6 de Gruen. Ces conditions peuvent cependant être nuancées car il est toujours possible de combler des défects osseux et la présence d’une courbure fémorale peut être compatible avec une fixation proximale si elle est peu accentuée et strictement métaphysaire (cf. tableau 6).
Une voie endo-fémorale avec large ouverture latérale et postérieure du grand trochanter est la règle. Une trochantérotomie est cependant possible, en particulier pour faciliter une fixation proximale quand celle-ci est fortement souhaitable (ostéoporose).
Un contact os-implant est recherché sur une distance de 20 à 30mm (figure 3). Cette zone se situe à un niveau qu’il est souvent difficile de prévoir à l’avance avec précision et pour pallier cet écueil nous préconisons une préparation en deux temps avec une râpe-prothèse d’essai modulable (figure 4).
Figure 3. |
Figure 4. |
NB : Il est possible de réaliser cette préparation avec un alésoir ad hoc et, dans ce cas, la râpe modulable fait uniquement office de prothèse d’essai.
Le calage de l’implant définitif se fait habituellement sans difficultés à la bonne hauteur si l’on a pris soin de choisir l’implant à l’aide d’une prothèse d’essai.
Press-fit diaphysaire
Lors d’une reprise, la zone press-fit se situe souvent en région diaphysaire, au niveau de l’isthme fémoral.
La réalisation d’un volet trochantéro-diaphysaire procure, dans ce cas, plusieurs avantages : réduction d’une courbure (quand elle existe), excision complète du ciment, respect du capital osseux tout en étant à proximité de la zone d’ancrage ce qui facilite sa préparation.
La préparation du fémur est faite avec les alésoirs :
• Les alésoirs ont pour première fonction un alignement du fémur proximal par rapport au fémur diaphysaire. Le fémur n’est pas d’une forme régulièrement cylindrique et la corticale antérieure du fémur (du fait d’une courbure sagittale) constitue souvent un obstacle à une préparation dans l’axe du fémur diaphysaire quand le volet latéral est un peu trop étroit et qu’une ostéotomie de la corticale médiale n’a pas été réalisée.
• Le deuxième rôle des alésoirs consiste à remodeler la cavité médullaire pour lui donner une configuration également conique. Pour être efficace, il convient d’aléser un segment de fémur rectiligne sur une hauteur réduite (figure 5), sachant que les alésoirs n’ont pas la capacité de rendre un fémur droit quand il est courbe et qu’il est difficile de coniser une cavité médullaire sur une distance au-delà de 30 à 40mm, en particulier quand le canal médullaire est étroit et les corticales denses et épaisses.
Figure 5. |
Choix de l’implant avec une prothèse d’essai
Pour obtenir un véritable effet press-fit, il faut utiliser la zone conique de l’implant et disposer d’une réserve conique lors du calage de l’implant définitif, ce qui signifie assurer la stabilité avec la partie distale ou intermédiaire de la zone conique (figure 6). Cette nécessité implique de choisir l’implant avec une prothèse d’essai et non pas avec un alésoir.
Figure 6. |
Calage de la tige définitive
Plus la hauteur de la surface de contact os-implant est réduite, plus le calage est sûr surtout si l’on a pris soin d’utiliser, pour cette manœuvre, la zone conique distale de l’implant. En revanche, c’est un temps opératoire délicat à réaliser si l’on recherche un press-fit diaphysaire avec une tige longue par voie endo-fémorale.
L’implantation en deux temps d’une tige modulable facilite un parfait calage tout en palliant l’inconvénient d’une tige définitive qui ne se stabilise pas au même niveau que la prothèse d’essai (figure 7).
Figure 7. |
Cas particuliers
Fixation en zone métaphysaire
Ce mode de stabilité primaire très proximal, en zone inter-trochantérienne, nécessite un implant adapté à cette situation et il est surtout indiqué quand il faut impérativement éviter une fixation diaphysaire (ostéoporose évoluée).
Fixation proximale sur volet (figure 8)
Trois conditions sont nécessaires : les corticales d’une bonne qualité, bien au contact de l’implant et il faut réaliser un solide cerclage.
Figure 8. |
Cette option est intéressante pour compléter un press-fit diaphysaire un peu précaire et elle favorise une transmission proximale des contraintes.
Dans les deux cas, on ne peut cependant pas parler d’un véritable effet press-fit et il est recommandé d’être prudent dans les suites opératoires pendant une période de 3 à 5 semaines.
Caractéristiques d’une tige press-fit
Une tige press-fit doit présenter des caractéristiques géométriques bien définies et le choix d’une tige courte est toujours préférable. Par ailleurs, il faut aussi souligner que la modularité n’est pas, en soi, un concept pour assurer la stabilité primaire d’un implant sans ciment mais un excellent moyen pour obtenir un véritable effet press-fit.
Dessin d’une tige press-fit
Pour assurer un effet press-fit, une tige d’une configuration droite et conique constitue un bon compromis. L’état de surface n’a qu’une importance relative et, pour nous, il ne constitue pas un facteur déterminant pour assurer la stabilité primaire d’un implant sans ciment.
Un implant press-fit doit aussi préserver le caractère efficient des forces de flexion au niveau des corticales qui doivent être soumises à des contraintes (traction et compression) pour garder leur trophicité ou se régénérer (2). Pour atteindre un tel objectif, il convient d’éviter, en région diaphysaire, un remplissage trop complet de la cavité médullaire sans pour autant compromettre la stabilité primaire. Les implants quadrangulaires (figure 9a) ou avec ailettes longitudinales (figure 9b) peuvent atteindre cet objectif; de plus, ces deux configurations assurent un bon contrôle des contraintes en rotation pas toujours faciles à neutraliser.
Figure 9. |
Press-fit et tige courte
Il est toujours plus facile d’obtenir un véritable effet press-fit sur une courte distance, ce qui veut dire que ce concept est aussi le meilleur moyen pour implanter une tige courte également propice au maintien ou à la restauration du capital osseux.