du sein

Chapitre 16 Lipomodelage du sein



Transférer de la graisse d’un point où elle est en excès (abdomen, cuisses) vers la région du sein, pour améliorer sa forme et son volume, n’est pas une idée récente. Cette approche avait d’ailleurs été utilisée dès les débuts de la liposuccion, en particulier à la suite des travaux de Illiouz [124] et de Fournier [125].


Elle n’avait pas connu son plein développement car la technique de transfert graisseux était moins précise qu’actuellement, et pouvait donner des foyers de cytostéatonécrose et, à cette époque, les foyers de cytostéatonécrose étaient plus difficiles à inventorier, l’imagerie mammaire étant moins performante qu’aujourd’hui.


Le coup de grâce à la technique avait été donné lors d’une vive polémique survenue à la suite des travaux de Bircoll [126], qui avait conduit à une recommandation de l’American Society of Plastic and Reconstructive Surgeons, en 1987, contre-indiquant les injections de tissu graisseux dans le sein.


Un regain d’intérêt sur les transferts graisseux s’est fait jour à la suite des travaux de Coleman [127, 128], qui confirmaient que les tissus graisseux pouvaient être transférés dans de bonnes conditions sous réserve que l’on respecte un protocole de préparation et de transfert de graisse rigoureux. Constatant l’efficacité très importante des transferts graisseux au niveau de la face en chirurgie esthétique et lors des traitements de séquelles faciales postthérapeutiques, nous avons développé un thème de recherche depuis 1998, visant à réévaluer l’efficacité et la tolérance des transferts graisseux au niveau de la région thoraco-mammaire.


Ce travail de recherche a permis de développer la technique de transfert graisseux au niveau du sein, que nous nommons lipomodelage du sein [52, 129], d’évaluer son efficacité et sa tolérance, et de montrer l’absence d’effets délétères cliniques ou radiologiques.


Le but de ce chapitre est de présenter l’historique et l’évolution des idées, la technique de lipomodelage du sein que nous utilisons, les indications et contre-indications de cette technique, ainsi que les complications potentielles avec les moyens de les prévenir et de les traiter.



HISTORIQUE ET ÉVOLUTION DES IDÉES



Premières tentatives


L’utilisation des transferts graisseux dans les seins est un concept ancien puisqu’en 1895, Czerny décrivait le transfert d’un volumineux lipome dans le sein pour combler le défect d’une tumorectomie suite à l’exérèse d’un fibroadénome [131, 132]. Certains auteurs ont ensuite réalisé des reconstructions ou des augmentations mammaires par greffes composites fasciocutanées [133], greffon dermoadipeux glutéal [134] ou lambeaux adipeux pédiculés [135]. Des augmentations mammaires par injection de graisse directement dans les seins ont également été proposées [124, 125, 136] ou en remplissant des implants de graisse [137]. Il a même été rapporté le cas de patientes ayant bénéficié d’augmentations mammaires par injections graisseuses homologues fraîches provenant de cadavres [138].


À la suite des travaux d’Illouz sur la liposuccion [124], qui ont permis le développement important de cette technique et sa large diffusion de par le monde, il était devenu tentant d’utiliser la graisse provenant des stéatoméries pour augmenter le volume des seins; Illouz utilisa d’ailleurs ce procédé. De même, Fournier décrivit en 1991 sa technique d’augmentation mammaire par injection de graisse [125], qu’il réservait aux patientes refusant des prothèses et ne souhaitant qu’une augmentation modérée du volume de leurs seins. Les quantités injectées allaient de 100 à 250 cm3 par sein et il précisait qu’il n’injectait que dans l’espace rétroglandulaire et non dans le parenchyme mammaire. Beaucoup de chirurgiens étaient sceptiques par rapport à cette technique car les principes permettant des transferts graisseux peu susceptibles de donner des foyers de cytostéatonécrose n’étaient pas bien codifiés; d’autre part, l’imagerie du sein n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui et toute tuméfaction mammaire était potentiellement une difficulté diagnostique : la crainte était grande que les foyers de cytostéatonécrose perturbent le diagnostic d’un éventuel cancer du sein.



La polémique


La grande polémique sur les transferts graisseux dans les seins a été déclenchée par Bircoll en 1984 puis en 1985 dans le cas d’une augmentation mammaire par transfert d’adipocytes obtenus par liposuccion. Il s’agissait d’une patiente de vingt ans qui, ayant bénéficié d’une injection de graisse pour correction de séquelles de morsure de chien, demanda une augmentation mammaire modérée selon la même technique. D’après lui, cette technique était à réserver aux patientes désireuses d’une augmentation mammaire modérée, en raison du risque supposé de nécrose graisseuse en cas d’injection de grand volume. Il mettait en avant les avantages de cette technique dans une publication en février 1987 dans le Journal of Plastic and Reconstructive Surgery [126] : simplicité, absence de rançon cicatricielle, reprise précoce des activités, évictions des prothèses et de leurs complications, sans compter le bénéfice secondaire au niveau des zones de prélèvement graisseux. En avril 1987, il publia le cas d’une patiente ayant bénéficié de transferts graisseux bilatéraux après reconstruction unilatérale par TRAM [139]. Ces deux articles déclenchèrent immédiatement de nombreuses réactions d’opposition très virulentes [140–143]. Ses détracteurs soulignaient le fait que les injections de graisse dans un sein natif pouvaient engendrer microcalcifications et kystes, rendant difficile la détection d’un cancer. Bien que Bircoll soulignait dans sa réponse [144, 145] que les calcifications après transferts graisseux sont différentes de celles d’une néoplasie, de par leur localisation et leur apparence radiologique, et que la chirurgie de réduction mammaire est également pourvoyeuse de microcalcifications, le débat était lancé défavorablement. En 1987, la Société américaine de Chirurgie plastique (American Society of Plastic and Reconstructive Surgeons, ASPRS) statuait et déclarait : « The committee is unanimous in deploring the use of autologous fat injection in breast augmentation, much of the injected fat will not survive, and the known physiological response to necrosis of this tissue is scarring and calcification. As a result, detection of early breast carcinoma through xerography and mammography will become difficult and the presence of desease may go undiscovered. » Ces affirmations ont été faites sans références ni travaux scientifiques et sur la base d’une opinion des membres du comité de l’ASPRS. Depuis, malgré l’absence de plus amples références et bien qu’il fût pourtant reconnu à l’époque que toute chirurgie mammaire était potentiellement pourvoyeuse de kyste huileux et/ou de modifications mammographiques, l’injection de graisse dans les seins était devenue source d’une puissante polémique que personne ne tentait officiellement de faire céder. Cette interdiction de l’ASPRS conduisait alors à un arrêt des recherches et expérimentations sur ce sujet.


De façon ironique, en 1987, une étude rétrospective sur les modifications mammographiques après réduction mammaire [146], publiée dans la même revue, rapportait que des calcifications étaient retrouvées dans 50 % des cas à deux ans; l’auteur insistait sur le fait qu’il était possible, dans la majorité des cas, de les distinguer de celles trouvées dans un cancer. Malgré cette incidence très élevée d’images radiologiques et le risque d’interférer, là encore, avec la détection d’un cancer du sein, aucune discussion sur l’abandon des réductions mammaires n’eut lieu.



Levée progressive de la polémique


L’efficacité des transferts de graisse au niveau de la face [127, 128], utilisés selon les principes modernes de préparation et de transfert atraumatique, que nous utilisions en chirurgie esthétique et en réparation faciale, nous a donné l’idée d’utiliser le transfert de graisse au niveau de la région mammaire dans les seins reconstruits. Ainsi, les transferts graisseux au niveau de la région thoraco-mammaire sont devenus depuis 1998 un de nos thèmes principaux de recherche et d’évaluation. Nous avons d’abord appliqué les transferts graisseux aux reconstructions mammaires par lambeau de grand dorsal sans prothèse. En effet, au sein de l’unité de chirurgie plastique et reconstructrice avait été développée cette technique de reconstruction mammaire autologue par lambeau de grand dorsal sans prothèse [32–34]. Cette technique permettait de reconstruire un volume mammaire satisfaisant dans 70 % des cas; mais, dans 30 % des cas, le volume était insuffisant et il fallait alors réduire le sein controlatéral ou ajouter une prothèse d’appoint, ce qui enlevait le caractère purement autologue de la reconstruction et apportait les inconvénients des prothèses (forme et consistance moins naturelles, nécessité du changement de la prothèse). Nous avons alors commencé l’application des transferts graisseux au niveau des seins reconstruits par lambeau de grand dorsal, dans lesquels le risque de récidive locale était considéré comme très faible. Nous avons appelé cette technique lipomodelage (du grec lipo « graisse », et de l’italien modello, qui signifie « donner une forme ou un relief à »; ce qui est exactement la définition du geste chirurgical que nous faisons dans cette opération). Le protocole était initialement proposé à des patientes volontaires qui acceptaient de se soumettre à une surveillance stricte. Puis, constatant l’efficacité très importante de cette technique et l’absence d’effets secondaires négatifs, nous avons élargi les indications à la majorité des patientes ayant une reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal autologue souhaitant un résultat optimal en forme, en consistance et avec un décolleté le plus naturel possible. En parallèle, une étude mammographique, échographique et par IRM était menée [147], qui montrait que le retentissement sur l’imagerie mammaire n’était pas rédhibitoire, bien au contraire. Nous avons alors progressivement élargi les indications du lipomodelage aux différentes situations de reconstruction mammaire puis aux malformations du sein, aux séquelles de traitement conservateur et, plus récemment, à la chirurgie esthétique du sein.


Les premières présentations à la Société Française de Chirurgie Plastique et Reconstructrice [148] et au niveau de la Société mondiale [149] suscitèrent des commentaires très critiques, reprenant les éléments hostiles de la polémique de 1987. Il était répondu point par point puis, au fur et à mesure des présentations, de congrès en congrès, l’hostilité de la communauté diminua : les transferts graisseux sont désormais admis comme faisant partie de l’arsenal thérapeutique des reconstructions mammaires [43, 52].



image TECHNIQUE CHIRURGICALE [43, 52, 129]



Préparation


Les patientes sont informées de la technique opératoire ainsi que de ses risques et complications potentiels. Une fiche d’information est remise à la patiente. Nous disposons de quatre fiches d’information différentes : lipomodelage en reconstruction mammaire, lipomodelage pour la correction des séquelles de traitement conservateur du cancer du sein, lipomodelage pour la correction des malformations du sein, lipomodelage esthétique du sein. Cette intervention de chirurgie plastique doit être réalisée par un chirurgien plasticien ayant été formé à cette technique et ayant fait sa courbe d’apprentissage.


Il est important que la patiente soit à son poids d’équilibre au moment de l’intervention, car la graisse transférée garde la mémoire de son lieu d’origine : si la patiente perd du poids après l’intervention, elle perdra une partie du bénéfice de l’intervention.


Il faut évaluer les zones qui sont à traiter sur le sein. Elles sont repérées et marquées sur la patiente (figure 16.1). Une étude morphologique tridimensionnelle par interférométrie, en plus des photographies habituelles, est actuellement réalisée dans le département et peut constituer dans certains cas un appoint pour évaluer la quantité de tissu graisseux à transférer et également pour préciser le volume de résorption graisseuse.



L’étude des différentes zones graisseuses de l’organisme est réalisée de façon à repérer les stéatoméries naturelles. Le premier choix de prélèvement est constitué par la stéatomérie abdominale, car ce prélèvement est apprécié des patientes et il ne nécessite pas de changement de position opératoire; le deuxième site est la région trochantérienne (culottes de cheval) et la face interne des cuisses et des genoux. Les contours de zones de prélèvement sont tracés au crayon dermographique (figure 16.2).






May 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on du sein

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