7. Désir d’enfant et infertilité
D. Cornet
Introduction
Si l’état d’infertilité ne présente pas de risque vital, à l’inverse d’une maladie grave, il conduit néanmoins à une profonde détresse contre laquelle l’individu va engager une véritable lutte avec toute son énergie disponible. La crainte ou le refus de cette perte du pouvoir de transmettre et de s’inscrire dans une histoire, entre un passé et un avenir, invitera le patient à consulter. D’autres motivations pourront bien évidemment s’intriquer : la recherche de l’expérience de la maternité, la concrétisation d’une histoire d’amour entre deux êtres, le désir de vivre l’expérience de la parentalité, etc.
Cette souffrance est un des moteurs des progrès en médecine pour tenter de relever les défis nouveaux qui se présentent à elle. L’aide médicale à la procréation en est une belle illustration si l’on regarde son histoire récente. Le premier « bébé FIV » est né en 1982 en France, et aujourd’hui environ un enfant sur 50 est conçu par cette technique.
L’infertilité se caractérise également par des difficultés diagnostiques. L’extrême complexité des mécanismes mis en jeu, que ce soit dans la rencontre du spermatozoïde avec l’ovule, ou dans celle de l’embryon avec sa mère, laisse la part belle à l’inexpliqué, et nécessite une grande prudence au moment des conclusions. La constante évolution des connaissances requiert une mise à jour permanente, rendant parfois obsolètes certaines théories admises auparavant, tels les spasmes tubaires qui ont disparu des manuels modernes d’aide médicale à la procréation. La mise en évidence d’anomalies de la fécondance, définie par l’aptitude du spermatozoïde à féconder, chez des hommes dont le spermogramme paraissait strictement normal, a montré les limites de la valeur des examens, et les possibilités que des progrès scientifiques puissent expliquer un peu mieux « l’inexpliqué ».
De plus, l’état d’infertilité est loin d’être stable ; on rencontre en effet des couples qui ont conçu et qui ne le peuvent plus, alors que d’autres, après une phase d’infertilité, récupèrent une fertilité qui semble s’être normalisée. La médecine s’émeut parfois des exceptions aux règles qu’elle a établies avec l’expérience clinique et les connaissances scientifiques ; telles ces grossesses survenant après un état de ménopause, ou ces hommes aux spermogrammes catastrophiques qui fécondent sans que nous puissions en comprendre les ressorts.
On ne peut que s’étonner de l’abondance de la littérature s’intéressant aux liens entre la fertilité et ses aspects « psycho-émotionnels », témoignant certainement d’un réel intérêt pour cette question, mais sans doute également de son extrême complexité.
Trois types de problématique peuvent être isolées. Tout d’abord, l’infertilité est une source de souffrance au quotidien ; elle se complique d’un sentiment de perte de confiance qui s’accentue cycle après cycle, et plus encore en cas d’échec de l’aide médicale. Celle-ci par ailleurs, en s’immisçant dans l’intimité du couple, viendra, par sa lourdeur, par la prise de risques et les lots de complications possibles, contribuer parfois très négativement au vécu du couple. Enfin, un certain nombre d’auteurs, auxquels s’ajoute l’expérience issue de la pratique de tout un chacun, posent de manière récurrente la question d’un possible lien de causalité entre des éléments d’ordre psychique et l’apparition d’un état d’infertilité.
Cependant, l’importance des difficultés méthodologiques rend aujourd’hui incertaine toute conclusion définitive (Brkovich et Fisher, 1998). Quels mécanismes pourraient intervenir pour expliquer le rôle de facteurs d’origine psychique en tant qu’agents perturbateurs de la fertilité ? Il existe bien des modèles admis, tels que l’anorexie mentale, mais qu’en est-il dans les nombreuses situations où font défaut les explications rassurantes de la physiopathologie ? Y a-t-il un sens à cette réponse du corps qui exprime symboliquement une résistance à la grossesse, voire à l’arsenal sophistiqué de la médecine ?
Il est vraisemblable que ces différents liens se mêlent les uns aux autres pour constituer de véritables cercles vicieux, auto-entretenant l’infertilité jusqu’à ce qu’un événement particulier survienne, et débloque la situation. Une grossesse devient alors possible. S’agit-il d’une coïncidence fortuite, ou réellement d’un changement qui s’est traduit au niveau biologique ? C’est une question passionnante qui divise les spécialistes.
La souffrance psychique induite par l’infertilité
La conscience de son infertilité est, pour le couple, un véritable traumatisme psychologique, source d’une souffrance réelle et conduisant, en l’absence de naissance, à un véritable travail de deuil. Collins et al. (1992) ont montré combien le désir d’avoir un enfant était un élément essentiel dans la vie, et que l’intensité de ce désir était corrélée avec le vécu et le degré de stress mesuré par des techniques psychométriques.
L’aide médicale à la procréation et ses conséquences sur le plan psychique
De nombreux auteurs se sont intéressés aux conséquences psychosomatiques éventuelles des traitements de l’infertilité, et en particulier de l’assistance médicale à la procréation.
Merari et al. (1992) ont étudié l’impact des différentes étapes de la fécondation in vitro (FIV) sur le stress « médico-induit ». En effet, comparant l’évolution de tests psychologiques tels que la mesure de l’anxiété-état à l’aide du questionnaire de Spielberger avec celle de données biologiques comme la prolactine et le cortisol, ces auteurs montrent une élévation parallèle de ces marqueurs du stress à proximité du recueil ovocytaire, et à l’approche du jour du test de grossesse. De plus, en individualisant un sous-groupe de femmes enceintes, ils notent une différence d’évolution des marqueurs du stress, et en particulier une moindre augmentation du niveau d’anxiété-état, suggérant une meilleure qualité de la gestion du stress chez ces patientes.
En prolongement de ce travail, Harlow et al. (1996) comparent une population de patientes traitées par FIV à un groupe témoin de femmes subissant une intervention chirurgicale comparable hors stérilité. Ces auteurs montrent un niveau de stress inférieur dans ce dernier groupe, suggérant un impact important du traitement de l’infertilité proprement dit sur le vécu de la patiente. Ils retrouvent une évolution parallèle des taux de prolactine, de cortisol et des scores d’anxiété, qui s’élèvent dans le groupe FIV, et restent stables dans le groupe témoin. Il faut préciser que la mesure de l’anxiététrait, reflétant directement la nature anxieuse de l’individu plutôt que sa réaction à un moment donné (anxiété-état), était d’un niveau comparable dans le groupe des patientes infertiles et dans le groupe témoin, bien que discrètement plus élevée dans le premier groupe. La différence n’est pas significative, mais il paraît difficile de conclure, compte tenu de la taille des échantillons (26 versus 24), à un niveau d’anxiété-état identique dans les deux populations. L’absence de différence importante observée par ces auteurs pour l’anxiété-état, entre les groupes grossesse et non-grossesse, plaiderait pour une incidence plutôt faible du niveau de stress sur les résultats des traitements de l’infertilité.
Les travaux de Kerdelhue et al. (1997) rassurent quant à l’induction d’un stress « stimulodépendant » du fait du traitement hormonal. Ces auteurs ne retrouvent pas, en effet, de modifications des marqueurs de l’axe corticotrope (ACTH, β-endorphines). Bien qu’ils n’aient pas pratiqué d’évaluations psychométriques, ils concluent que l’hyperestradiolémie régularise l’état d’activation de l’axe corticotrope, pouvant éventuellement masquer d’éventuelles modifications psycho-induites.
Enfin, Collins et al. (1992) ont montré que les traitements d’infertilité sont plus appréhendés par les femmes que par leur partenaire, du fait des « agressions physiques » dont leur corps font l’objet. Ils plaident pour une prise en charge active de ce stress, et posent la question de ses conséquences potentiellement négatives sur les résultats des traitements mis en œuvre.
L’annonce d’une infertilité et ses conséquences
Quoi que nous disions, l’autre n’entend pas la vérité que nous voulons transmettre. Ce qui sort de nos lèvres et ce qui passe dans l’âme de l’autre, ce sont toujours deux choses différentes. (Arthur Schnitzler, 1912)
Le contexte est particulier. L’infertilité concerne un couple, et bien que, dans leurs débuts, les traitements de l’infertilité s’intéressaient essentiellement aux aspects féminins, et qu’aujourd’hui encore, le conjoint soit spontanément assez souvent absent des consultations, la prise en charge doit d’emblée prendre en compte, au travers du couple, l’existence de deux individus différents. Ceux-ci présentent de nombreuses asymétries par rapport aux enjeux et aux possibilités thérapeutiques, et d’autant plus que les facteurs impliqués dans l’infertilité peuvent s’intriquer de manière complexe. Il s’agit de plus d’une consultation « à trois », où chacun des protagonistes doit trouver sa juste place. Il peut alors se poser différents problèmes, tels que la rupture du secret médical avec l’annonce de certaines anomalies génétiques ou infectieuses découvertes dans les bilans réalisés, ou encore l’apparition de tension résultant du décalage entre le désir d’enfant de l’un par rapport à celui de l’autre et des motivations pour envisager les modalités de prise en charge. Parfois, surgissent des conflits de responsabilité quant à l’origine de l’infertilité conduisant l’un vers une exacerbation de sa frustration, et l’autre vers une culpabilisation de plus en plus lourde.
L’ANNONCE PROPREMENT DITE
Y a-t-il un moment idéal pour faire l’annonce ? La préparation à l’annonce commence par la mise en place d’une relation de confiance qui permettra de dire et d’être entendu. C’est aussi un travail qui se fait lors des consultations en essayant d’anticiper les issues possibles selon les résultats des examens prescrits. Tout cela nécessite du temps, le temps d’expliquer, le temps pour que viennent les questions, puis le temps d’y répondre. Si l’on est hésitant face à une annonce trop difficile, comme peut l’être celle d’une ménopause précoce, pourquoi ne pas alors confier cette tâche à un collègue référent ?
LE LIEU DE L’ANNONCE
Les moyens modernes de communication, la recherche de toujours plus d’efficacité, la crainte du face à face ne peuvent excuser les annonces faites à la sauvette, par la voie téléphonique, par courrier ou par Internet. Une véritable consultation dans un lieu réservé à cet effet s’impose, et pourra être prolongée par des propositions d’aides diverses telles qu’un soutien psychologique, ou la remise de coordonnées d’associations. Groff et al. (2005) ont rapporté que, dans 40 % des cas, l’annonce d’une ménopause précoce avait été faite par téléphone, alors que la patiente était à son travail dans la moitié des cas ! De même, le temps consacré à l’annonce n’a pas dépassé 15 minutes dans les trois quarts des cas.
LA MANIÈRE D’ANNONCER
Tout d’abord, l’énonciation des termes de l’annonce nécessite clarté et précision pour mettre des mots et aider le patient à savoir où il en est exactement. Rendre compréhensible n’implique pas une réduction du contenu. Les propos doivent refléter une vérité, tout au moins la vérité du moment, montrer les limites du savoir, la part de ce qui n’a pas d’explication ou de ce qui est incertain. Expliquer les doutes, souligner les espoirs, faire preuve d’empathie sans accepter de séduire.
En pratique, énoncer les faits observés, les expliquer et éventuellement les relier en montrant où ils conduisent permet de tirer des conclusions, qui s’imposent alors naturellement. Par exemple, à partir d’un bilan hormonal, il s’agit d’expliquer les fonctions des hormones, le sens de leurs anomalies pour que la conclusion vienne spontanément chez le patient. Il est aussi important d’anticiper l’annonce proprement dite par une « préannonce » telle que : « J’ai des choses importantes à vous dire », ou « Il y a une mauvaise nouvelle ». Par ailleurs, il convient de se méfier du contenu de l’annonce. Certains mots ou expressions peuvent en effet blesser parfois profondément. Quelques exemples : « Vous avez un utérus infantile » ; ou à une femme en âge de procréer : « Vous êtes ménopausée ».
L’acte de dire comme celui d’entendre impliquent une véritable traduction de la pensée, source de décalage ou de malentendu entre celui qui formule et celui qui entend.