Déroulement de l’atelier


Déroulement de l’atelier



Les dix phases du déroulement



(1) Pré-accueil et accueil


L’atelier d’écriture ayant lieu dans un service hospitalo-universitaire, nous sommes souvent amenés à recevoir des stagiaires. Au début, il s’agissait essentiellement de stagiaires art-thérapeutes  ; depuis, ce sont plutôt des stagiaires psychologues, psychiatres, ou bien venant de la mouvance littéraire, et aussi des stagiaires étrangers. Nous avons un entretien préliminaire afin d’évaluer leur part d’engagement et de travail et de s’informer de la durée de leur stage ainsi que de leur statut au sein de l’atelier. Ainsi nous préférons, afin d’assurer une continuité tant pour les patients que pour le stagiaire, que ce dernier soit présent tout au long d’une année scolaire, son statut l’engageant à participer aux ateliers au même titre que les patients, c’est-à-dire à écrire et lire pendant l’atelier. De cette façon, les patients n’ont pas la désagréable impression d’être observés et, de plus, une certaine émulation peut se produire entre le stagiaire et les patients. Cette position pour le stagiaire est à la fois délicate et passionnante. Délicate parce qu’il faut savoir et pouvoir, à travers des processus d’écriture parfois révélateurs d’émotions et/ou de pensées, rester dans son rôle de stagiaire ; et passionnante car c’est un apprentissage mais aussi un plaisir littéraire souvent découvert ou retrouvé. Une grille donnée dans le chapitre 15, « Outils du thérapeute », guide nos entretiens préliminaires ; cette même grille contient un volet « Stagiaire » qui sera ensuite validé par ce dernier. À la fin du stage, une évaluation sera faite par le thérapeute.


Combien de stagiaires sont aujourd’hui eux-mêmes animateurs d’atelier au sein de structures hospitalières ou autres, et combien ont repris ou débuté un parcours personnel d’écriture !


Du point de vue strict du déroulement de notre atelier, leur rôle dans la première phase est de préparer la salle réservée à l’écriture en disposant sur les tables, placées en ovale ou en rectangle, des feuilles blanches ainsi qu’un pot contenant stylos et pointes Bic®. Il est amusant de noter que, sauf oubli rare, tous les patients arrivent toujours avec leur Bic® pour écrire. Le stagiaire est donc présent dans la salle dix minutes avant le début de l’atelier. Lorsqu’il commence, nous prenons notre place habituelle en bout de table, et il est préférable que le stagiaire ne soit pas assis à côté de nous mais parmi les patients. À ce propos, il est intéressant de relever que chaque patient a sa place de prédilection, que chacun respecte la place de l’autre, et si pour une raison quelconque la place est déjà prise, la réaction sera différente : pour certains cela ne pose aucun problème, alors que pour d’autres on peut relever des réactions d’exaspération plus ou moins importantes, pouvant même retarder le moment d’écriture. Ces rituels de place et de stylo ressemblent fortement à ceux que nous pouvons observer lors du moment d’écriture, tout comme pour les écrivains d’ailleurs. Le temps d’accueil des patients représente un véritable sas entre le monde extérieur et le moment de l’écriture proprement dite. Il permet aux patients de se retrouver et d’échanger des informations. Ceux qui étaient absents et qui n’avaient pas demandé, comme ils peuvent le faire, la consigne par mail ou par téléphone, vont s’enquérir de la consigne de la dernière séance.



(2) Annonce de la consigne


La consigne lancée par le thérapeute donne ensuite lieu à un temps d’écriture qui peut varier de trente à quarante-cinq minutes. Ce temps laissé à l’écriture est fonction d’abord de la forme d’écrit proposée : ainsi, une nouvelle demande plus de temps d’écriture qu’un quatrain ou un haïku  ; il est également fonction du nombre de patients présents : plus il est élevé (maximum dix participants), moins le temps d’écriture est long, afin de permettre à chacun de bénéficier d’un temps suffisant lors de la lecture de son texte.


L’annonce de la consigne est un moment clé tant pour le patient que pour le thérapeute : pour le patient, il s’agit d’un moment ambivalent lié à la fois au plaisir du suspense, un plaisir empreint de curiosité, mais plaisir très vite oublié car la consigne ne plaît jamais lorsqu’elle est énoncée. Nous pouvons plus tard, au moment de la lecture, entendre le patient dire que finalement cela lui a convenu ou que peu importe la consigne car il a pu en faire ce qu’il voulait, mais jamais nous n’avons entendu une manifestation de contentement au moment de l’annonce. Pour le thérapeute, il s’agit aussi d’un moment clé mais d’un tout autre ordre : il perçoit le mécontentement, la déception mais surtout l’angoisse des patients, et doit en très peu de temps désamorcer cette angoisse afin de ne pas la laisser s’installer. Ainsi il suffira juste de répéter la consigne pour certains, alors que pour d’autres il faudra leur demander d’écrire le fait que le sujet ne leur plaît pas ou encore qu’ils n’arrivent pas à écrire aujourd’hui, ou encore de dire qu’un thème peut ne rien à voir avec le contenu, en citant par exemple Boris Vian et son roman Un Automne à Pékin qui n’a à voir ni avec Pékin ni avec l’automne, etc. Très vite, tel un rituel de réassurance, ces paroles favorisent ce moment de léger recul face à la feuille blanche. Une fois leur crainte perçue ou leur plainte entendue, les patients écrivent toujours. Le joker, dont nous parlerons plus loin dans l’encadré « Les dix règles de l’atelier d’écriture thérapeutique », est très rarement utilisé. Ainsi, en onze ans et sur quarante patients, le joker a été utilisé seulement six fois. Et le plus souvent, ce fut lorsqu’un patient dut lire son texte…



(3) Temps d’écriture


Une fois apaisée l’agitation qui suit la consigne, comme après une tempête le calme revient, l’écriture s’impose. Le temps de démarrage de l’écriture est propre à chacun, et ce rythme est en général constant : ceux qui démarrent vite et finissent vite le font constamment, sauf en cas d’inhibition temporaire, ce qui pour le thérapeute est un signe de difficulté ou d’angoisse à surveiller. De même, ceux qui ont besoin d’un certain temps avant de se lancer dans l’écriture garderont ce rythme indéfiniment. Ce temps de démarrage que nous pouvons noter dans les grilles d’observation (cf. chapitre 15, « Outils du thérapeute ») permet au thérapeute de s’interroger sur l’état psychique du sujet en fonction de son rythme habituel. Quant au temps de fin d’écriture, il permet d’envisager non pas l’état psychique du moment mais la capacité qu’a le patient à s’orienter tant dans son écrit que dans le temps réel ; se laisse-t-il déborder par l’émotion, a-t-il des difficultés à finir sa tâche ? En effet, nous avons pu noter souvent en début de parcours que certains patients, par crainte de ne pas finir à temps, finissaient toujours plus vite que les autres et se retrouvaient dans une double position de frustration : la première qui consistait à ne pas avoir écrit tout ce qu’ils avaient à dire, la seconde de se retrouver face à un temps libre potentiellement angoissant. Peu à peu, tant au niveau de l’investissement au sein de l’atelier que dans le renforcement de leur confiance en eux, la gestion du temps s’améliore.


Un autre cas de figure consiste dans le choix que font certains, surtout au début de leur parcours, de finir vite afin de pouvoir se relire et se relire encore et encore et de corriger leurs écrits, ne supportant pas de laisser des fautes ; dans ce cas nous devrons leur apprendre à moins se contrôler, moins vérifier et à prendre plus de plaisir à écrire ; cela doit primer sur l’écrit quasi parfait. Pour certains obsessionnels, c’est tout d’abord de l’ordre de l’impossible mais après un certain temps, propre à chacun, l’assouplissement de la rigidité conjointement au plaisir qui dépasse le perfectionnisme l’emporte, ce qui conduit à un écrit plus satisfaisant devenant un renforçateur de la confiance du sujet en lui-même.


Afin d’illustrer cette tendance à se référer de manière quasi automatique au domaine du scolaire, les patients en début de parcours parlent souvent de l’atelier en termes de « cours » : « Je ne pourrai pas venir en cours la semaine prochaine… » ; chemin faisant, la référence au domaine scolaire va laisser la place à : « Y a-t-il atelier pendant la semaine des vacances scolaires ? » Il est intéressant aussi de noter l’ambivalence face à l’absence du thérapeute . Comme dans tout transfert, les réactions sont différentes ; il y a ceux qui en sont mécontents et qui le manifestent, ils sont rares ; mais nombreux sont ceux qui vont redouter la séparation et l’absence et vont en conséquence demander à ce qu’une ou plusieurs consignes leur soient données afin de s’en servir comme d’un cadre protecteur. Nous les leur accorderons volontiers, mais il s’agira de consignes bien cadrées et quasiment réglementées.


Lors des vacances scolaires, nous ne donnons aucune consigne ; nous pouvons suggérer des titres de livres cités au cours de l’année, mais nous maintenons l’idée qu’il est intéressant de laisser au patient le soin d’appréhender ce « vide », cette « séparation », afin d’inscrire un lien hors consigne. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’une absence pour une autre raison que celle des vacances scolaires (personnelle, professionnelle, ou encore en raison d’un jour férié, si l’on doit décaler l’atelier à un autre jour de la semaine qui ne pourra malheureusement convenir à tous), alors une consigne sera donnée. Bien évidemment, libre à nos écrivants de faire ou de ne pas faire l’exercice, tout comme libre à eux de nous le donner ou non à lire. Si l’écrit nous est confié, et s’ils le souhaitent, nous en parlons avec eux hors séance.




(5) Annonce des cinq dernières minutes


Quel que soit le temps d’écriture imparti, nous avons (encore par hasard) pris pour règle interne de toujours faire l’annonce suivante : « Il vous reste cinq minutes. » La première fois, ce fut afin de permettre à un nouveau patient de se situer dans le temps d’écriture. Chacun s’en inquiète, certains dès le début de séance demandent combien de temps est octroyé, d’autres regardent constamment leur montre alors que d’autres encore demandent sans cesse combien de temps il reste. Il nous a semblé qu’un point de repère fixe pouvait désamorcer certaines questions récurrentes telles que celles relatives au temps restant, tout comme il nous a aussi semblé judicieux de préparer nos patients à la fin du moment d’écriture, car c’est souvent aussi angoissant que la lecture des écrits.


Ce qui nous a confortés dans notre choix de faire cette annonce de manière fixe et régulière a été le vécu des patients recueilli lors d’une évaluation sur une durée d’un an. Celle-ci s’est faite à l’aide d’un questionnaire distribué à la fin de chaque séance. Le recueil de données de ce questionnaire a permis d’évaluer le ressenti des patients face à l’annonce des cinq dernières minutes. Ces réactions étaient très intéressantes pour le processus d’écriture à visée thérapeutique. Pour certains, cette annonce des cinq dernières minutes restantes était réellement insupportable et angoissante face à un travail inachevé qui ne pouvait que le rester puisqu’il n’y avait plus que cinq minutes. Notre rôle était alors de rappeler le contexte de l’atelier , que leur production n’était que comme une première matière à retravailler, à modifier s’ils le souhaitaient, et rappeler aussi que rien n’est jamais fini, que tout est en perpétuel mouvement et changement dans un temps autre que celui de l’atelier ; rappeler aussi que la quantité ne compte pas ; bref, rassurer, réconforter, recadrer afin de redonner confiance, mais surtout afin de modifier cette idée que tout doit être fini et que rien ne pourra advenir sur un travail créatif tel que l’écrit. Et dédramatiser surtout. Pour d’autres, cette annonce était vécue comme un levier étonnant d’angoisse libératrice, en ce sens que de savoir qu’il ne reste que peu de temps libère l’expression des émotions et des pensées qui étaient jusqu’alors contenues ou contrôlées ; ainsi nous l’expliquait cette patiente : « C’est tellement angoissant de savoir que c’est bientôt fini, que je n’ai encore rien dit, que ces dernières minutes sont comme une autorisation limitée par le temps et je dis toujours le plus important dans ces dernières minutes. » Ici la contrainte opère comme le haïku pour certains, « tellement limité qu’on est protégé, on peut tout dire ».


À chaque séance il y a donc ce rituel de l’annonce des cinq dernières minutes ; chacun y trouve son compte et apprend aussi à vivre avec des règles qui lui conviennent, ou pas. L’adaptation aux différentes règles de l’atelier est pour nous le reflet d’un processus important de changement.



(6) Temps de lecture


Le temps de lecture semble lui aussi un rituel récurrent : chacun semble surpris en entendant appeler son prénom afin de lire sa production. Surprise renforcée par le fait que nous ne faisons jamais un tour de table classique mais que nous passons de façon aléatoire de l’un à l’autre. Il faut veiller à ne pas demander toujours à la même personne de lire en dernier, ce qui nous a été reproché lors d’un entretien individuel par une patiente qui pensait que nous le faisions parce que nous considérions ses écrits ennuyeux ; c’était un peu vrai, tout comme inconsciemment il nous est arrivé de garder les meilleurs textes pour la fin ; depuis, nous faisons très attention à ce que notre choix soit aléatoire. L’autre rituel concerne certains qui expriment systématiquement leur difficulté à lire après tel ou tel patient dont l’écrit est bien meilleur que le leur. Le temps de lecture des textes reste néanmoins un moment fort pour les patients puisqu’il permet de partager, à travers des écrits, des émotions, des pensées et des événements de vie. C’est un moment important du groupe , où nous sentons une réelle cohésion : il y a des encouragements des uns envers les autres, mais aussi des débats en fonction de la thématique et/ou de la forme proposée. Lors de la lecture, le rôle du thérapeute est fondamental afin d’aider le patient à pouvoir non seulement lire lorsque l’émotion le submerge, mais aussi favoriser l’expression, si l’on considère que c’est essentiel pour lui. S’il n’interprète pas les contenus des écrits en fonction de l’histoire de chacun, il peut parfois les rapporter à celle du groupe. Par exemple, lors d’un passage ou même d’une phrase considérée comme fondamentale, on peut s’y arrêter, poser des questions à son auteur, demander aux autres membres du groupe s’ils ont déjà eu un tel éprouvé ou une telle expérience, et comment ils y ont réagi. Le principe est de ne pas laisser le patient avec une seule interprétation. Comment faire ? En revenant toujours sur la médiation elle-même, donc sur l’écriture , il faut rappeler que l’écrit est un récit, que ce récit est la forme que nous avons déployée dans le temps, avec un début, un milieu et une fin. Nous nous efforçons surtout de donner du sens, mais un sens que nous aimerions écrire avec un S majuscule. Donner un Sens, donner du Sens, parce que nous l’entendons, au propre comme au figuré, tant comme une direction que comme une compréhension. Sens, du latin sensus, désigne l’action de sentir, les organes des sens, les sensations, la manière de penser ; c’est à partir du XIIe siècle que ce mot désignera aussi « le chemin, la direction ».


Afin d’illustrer ce propos, prenons pour exemple une consigne classique : la consigne est « Acrostiche » (cf. encadré « Acrostiche » dans le chapitre 11, « Exemples de consignes selon les formes »). Nous divisons la séance en deux temps ; libre aux patients de choisir quelle partie – qui est par conséquent fonction du choix du sujet – sera la plus longue. On leur demande donc, d’une part, un acrostiche de leur prénom et, d’autre part, un acrostiche du prénom qu’ils auraient aimé porté. Généralement, l’acrostiche de leur prénom est abordé avec moins de plaisir que l’acrostiche du prénom souhaité. Bien que cette consigne déclenche toujours des émotions liées à des souvenirs personnels et transgénérationnels importants, nous recadrons la séance en revenant sur l’écriture elle-même, sur le fait que dans cet exemple précis le prénom est le marquage initial à l’éclosion des récits , que le prénom est une fiction et qu’il aurait pu être autre. Voilà donc comment partir d’une interprétation pour arriver à une multiplicité de confrontation d’idées. Ce qui encore une fois étaye nos discussions, ce sont les références littéraires.


L’interprétation faite par le thérapeute peut aider au choix et à l’orientation des consignes à venir. Par exemple, si une interprétation est faite à propos d’un écrit de patient qui persévère dans la censure soit sous la forme de rimes (contrainte ajoutée par le patient), soit sous la forme d’humour défensif, et si le thérapeute trouve qu’il est temps que la censure soit levée, alors il se trouvera face à un défi qui lui sera propre : trouver la ou les consignes afin de lever les défenses de ce patient sans pour autant désavantager les autres.



Cas clinique


Julien G., quarante-cinq ans, est un patient qui tant dans sa vie professionnelle qu’affective ne pouvait aller au bout de ses projets, de la même façon qu’il ne terminait pas ses textes. Pendant six mois consécutifs, il n’est pas parvenu à achever ses poèmes et encore moins ses nouvelles. Lorsqu’il lisait ses écrits en atelier, l’impression d’inachevé n’était guère prégnante mais il s’en dégageait une impression de suspens possiblement perturbante pour certains. Mais, alors que les écrits de Julien G. avaient du succès auprès du groupe, lui-même en souffrait, expliquant que « ce n’était pas fait exprès, qu’il n’arrivait pas à faire autrement ». Pour Julien G., il ne s’agissait pas d’un genre littéraire, mais d’une impossibilité à aller au-delà d’un certain point de l’histoire, même dans la fiction. Sans vouloir se lancer dans des interprétations pouvant faire évoquer l’angoisse de mort, la névrose d’échec, etc., nous avons voulu voir comment aller – en écriture – au-delà de cette impossibilité à finir propre à ce patient. Nous avons alors envisagé trois étapes :


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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Déroulement de l’atelier

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