7. Dépression et cardiopathies
Une dépression est un stress, un facteur de risque primaire à l’égard de la maladie coronaire : une méta-analyse récente comportant l’étude prospective de 11 cohortes indique que la dépression confère un risque relatif de 1,65 à l’égard de l’infarctus du myocarde et de la mort d’origine cardiaque [1]. De plus, la prévalence d’un syndrome dépressif, qui peut dépasser 20 % chez les patients atteints d’infarctus du myocarde ou au cours d’une insuffisance cardiaque, est largement supérieure à celle constatée dans la population générale, de même âge, non cardiaque qui est de l’ordre de 2 à 5 %[2] and [3].
La survenue d’une dépression au cours d’une cardiopathie est toujours un facteur de mauvais pronostic, favorisant la mauvaise observance du traitement, accélérant l’évolution de la cardiopathie, facilitant les complications et causant une surmortalité. Compte tenu de la forte prévalence de cette comorbidité au-delà de 60 ans, le problème est de savoir s’il s’agit d’une relation purement fortuite ou si des interactions délétères s’établissent entre les deux syndromes [4] and [5]. Les liens entre les deux pathologies semblent reposer sur des points communs dans leur pathogénie :
• activation neuro-hormonale délétère;
• hyperactivité sympathique;
• dysrégulation immunologique;
• tendance accrue à la thrombose vasculaire.
Comme une cardiopathie grave, une dépression a un impact négatif sur la psychologie, le mode et la qualité de vie, le comportement social, l’équilibre émotionnel d’un patient, altérant l’observance thérapeutique. L’évaluation du pronostic de ces associations pathologiques a donné lieu à des conclusions différentes en fonction des modalités du diagnostic de la dépression, du type et de la gravité de l’atteinte cardiaque, de la longueur du suivi et des modalités des traitements. Il semble qu’une dépression soit un facteur de gravité doublant le risque de complications après un événement coronarien, une chirurgie de revascularisation myocardique ou une insuffisance cardiaque. Il nous paraît intéressant d’analyser la littérature publiée sur ce thème en ne retenant que des études comportant des délais d’observation prolongés.
Diagnostic et prévalence des syndromes dépressifs chez les cardiaques
En pratique médicale courante et en cardiologie, les syndromes dépressifs comme l’athérosclérose coronaire, en particulier chez les sujets âgés, sont trop souvent méconnus et insuffisamment traités. Une dépression surtout chez un sujet âgé est très souvent atypique, masquée par des signes somatiques très courants chez les insuffisants cardiaques ou les patients coronariens. Selon l’ICD-10 et le DSM-IV, les symptômes fondamentaux de la dépression sont :
• des troubles de l’humeur avec une tristesse permanente, évoluant depuis au moins 2 semaines;
• une perte d’intérêt et une absence de plaisir pour les activités courantes et particulièrement les plus attractives de la vie quotidienne;
• une indifférence à l’égard des gens et des événements;
• une asthénie persistante et une sensation d’épuisement présentes dès le réveil;
• une prostration, le patient ne prend plus de décision : on constate une diminution de sa confiance en lui, une sensation de culpabilité permanente sans raison valable;
• le patient rumine inlassablement des idées négatives et une autodépréciation avec bradypsychie;
• le patient exprime des idées de mort et de suicide;
• l’insomnie et la perte d’appétit sont habituelles dans ce contexte.
Un syndrome dépressif peut être détecté par des examens psychiatriques systématiques ou fortuits, et un interrogatoire à l’aide de techniques spécialisées, telles des échelles psychométriques validées : échelle de Hamilton, Beck depression inventory (BDI). Chez le sujet âgé, on utilise le geriatric depression scale et le mini mental state examination, en cas de troubles cognitifs associés. Le clinicien doit bien connaître les critères diagnostics du DSM-IV (Encadré 7.1Encadré 7.2 and Encadré 7.3) : le composite international diagnostic interview.
Encadré 7.1
A. Au moins cinq des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée de 2 semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur :
1. humeur dépressive présente toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet ou observée par les autres (pleurs);
2. diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres);
3. perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime (modification du poids > 5 %) ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours;
4. insomnie ou hypersomnie, presque tous les jours;
5. agitation ou ralentissement psychomoteur, presque tous les jours;
6. fatigue ou perte d’énergie, presque tous les jours;
7. sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante), presque tous les jours;
8. diminution de l’aptitude à penser ou à se concentre ou indécision, presque tous les jours;
9. pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
B. Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social ou professionnel.
C. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale.
Encadré 7.2
Mécanismes biologiques potentiels :
▪ altérations du système nerveux autonome, réduction du tonus vagal;
▪ hyperactivité du système sympathique et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénal;
▪ activation, hyperagrégabilité plaquettaire, tendance thrombogène;
▪ augmentation des taux de catécholamines et de sérotonine;
▪ inflammation chronique, dysimmunité;
▪ ischémie induite par les stress mentaux;
▪ réduction des contenus membranaires en acides gras poly-insaturés;
▪ effets cardiotoxiques des antidépresseurs tricycliques.
Mécanismes comportementaux :
▪ absence d’exercice;
▪ écarts alimentaires;
▪ inobservance médicamenteuse;
▪ isolement social;
▪ tabagisme, alcoolisme, addictions diverses.
*D’après M. Whooley. JAMA 2006; 295 : 2874-8.
Encadré 7.3
Patient ayant une cardiopathie :
▪ durant le mois passé, avez-vous ressenti une tendance à perdre le moral, des signes de dépression ou de désespoir ?
▪ durant le mois passé avez-vous ressenti une perte d’intérêt ou de plaisir dans votre vie quotidienne ?
OUI à au moins à une question : se rapporter pour faire le diagnostic de dépression aux critères du DCM-IV (revenir à l’encadré 7.1)
NON à ces deux questions : patient non déprimé.
†D’après M. Whooley. JAMA 2006; 295 : 2874-8
La dépression passe trop souvent inaperçue parce qu’une anxiété importante, une tristesse réactionnelle, après une maladie aussi grave qu’un syndrome coronarien aigu, sont trop souvent considérées comme des réactions normales, justifiées après un événement douloureux et angoissant. Les aspects cliniques les plus courants sont représentés par des formes mineures souvent masquées par des symptômes somatiques (fatigabilité croissante, précordialgies atypiques, malaises, palpitations). Quelquefois, il apparaît une indifférence à l’égard des symptômes ou au contraire une véritable souffrance psychologique à l’égard des moindres manifestations de la pathologie cardiaque sous-jacente et de son traitement. L’anxiété peut être au premier plan, les moindres symptômes faisant craindre une complication cardiaque ou une mort imminente, entraînant des appels et des hospitalisations quelquefois injustifiés. L’apparition de signes dépressifs n’est pas corrélée à la gravité de l’atteinte cardiaque, dépendant de la personnalité du patient et de son degré de vulnérabilité. Quelquefois des patients ont un refus plus ou moins conscient de voir la réalité, n’expriment pas leur angoisse à l’égard de leur état cardiaque mais ont une indifférence, une perte d’intérêt pour leur état qui peut être une forme particulière de dépression. La prévalence des formes mineures ou graves de dépression dans l’insuffisance coronaire varie, selon les modalités de son dépistage, de 5 à 25 %, pouvant atteindre 40 % des cas au cours des dysfonctions ventriculaires après infarctus du myocarde [3] and [5]. Ces syndromes dépressifs impliquent, dès qu’ils sont détectés ou même suspectés, l’intervention d’un psychiatre et une coopération étroite entre celui-ci, le cardiologue et le généraliste pour des décisions thérapeutiques et un suivi appropriés.
Dépression, facteur de risque de la maladie coronaire
Plusieurs travaux ont analysé l’impact d’un syndrome dépressif sur l’incidence d’une insuffisance coronaire après avoir fait intervenir des facteurs de correction tenant compte de la présence des facteurs de risque classiques : hypertension artérielle, tabagisme, dyslipidémie, diabète, obésité. Des études d’observation montrent que les dépressions sont des facteurs de risque primaire coronaire dans la population générale [4] and [6].
L’étude la plus convaincante dans la relation entre dépression et apparition d’une insuffisance coronaire est un travail fondé sur l’analyse de plusieurs travaux prospectifs de très grande échelle, longitudinaux, sur des cohortes importantes, menés entre 1986 et 2001. Elle fait état des résultats du cumul de sept publications portant sur des cohortes de 780 à 8000 patients suivis en moyenne pendant 11,3 ans (de 4 à 37 ans). Le diagnostic de dépression repose soit sur des examens psychiatriques systématiques, soit sur des questionnaires spécifiques validés par des psychiatres. Les objectifs étaient :
• la mortalité globale;
• la mortalité cardiovasculaire;
• les infarctus du myocarde mortels ou non;
• les diverses formes d’insuffisance coronaire.
Malgré l’hétérogénéité de ces études, leurs conclusions sont claires : une tendance dépressive et une dépression caractérisée sont des facteurs de risque indépendants de cardiopathie ischémique. L’interaction entre une dépression et une maladie coronaire persiste après des corrections faisant intervenir des facteurs démographiques et des facteurs de risque reconnus [6]. Le risque relatif (RR) d’infarctus du myocarde chez des patients atteints de syndromes dépressifs varie de 1,6 (IC 95 %, RR 1,03–2,3) à 4,5 (IC 95 %, RR 1,7–12,4). Ce danger accru d’infarctus est constaté dans toutes les formes de dépression même dans les formes mineures. Dans une cohorte de 2832 sujets sans antécédent coronarien ou atteints d’une pathologique grave connue, qui ont participé à la National Health examination follow up study, 11 % avaient une tendance dépressive, 2 % une dépression sévère, 10,8 % une dépression modérée. Ces troubles sont plus fréquents dans le sexe féminin, les sujets de faible niveau social, les fumeurs et les célibataires et sédentaires. Après correction statistique, le risque de décès par atteinte coronaire était pour chacun de ces sous groupes respectivement, de 1,6, de 2,1 et d’1, 9 (IC 95 %, RR1,2–3,9). Des études prospectives récentes confirment ces données.
Aux États-Unis, la John Hopkins Precursors study a permis la surveillance au plan cardiaque de 1190 étudiants en médecine de sexe masculin suivis, avec un questionnaire spécifique annuel, pendant près de 40 ans. L’incidence cumulée des syndromes dépressifs atteint 12 %, multipliant par deux chez les hommes le risque d’événement coronarien [8]. La Cardiovascular Health study étudiant le devenir de 5201 patients au cours d’un suivi de 6 ans, a abouti à des conclusions identiques [9]. Une étude cas témoin très récente, incluse dans la Prospective Epidemiological study of Myocardial Infarction, réalisée chez des hommes en bonne santé recrutés à Belfast et en France, confirme que la présence d’un état dépressif est corrélée statistiquement au développement d’une maladie coronaire [10]. La récente étude INTERHEART, déjà citée, incluant 25 000 patients issus de 52 pays a identifié les facteurs de risque essentiels et modifiables à l’égard de l’infarctus du myocarde. Comme on le prévoyait, les dyslipidémies, le diabète, l’hypertension, le tabagisme et l’obésité sont les facteurs prédictifs majeurs mais, en étude multivariée, les facteurs psychosociaux et la tendance dépressive sont des facteurs de risque de première importance (cf.encadré 7.2).
Dépression et infarctus du myocarde
Madame D., âgée de 42 ans, est hospitalisée dans le service de soins intensifs de cardiologie pour un syndrome douloureux thoracique intense survenu le matin, peu après son lever. La patiente a considéré cette douleur comme un épisode digestif, a appelé son médecin traitant qui n’est intervenu que deux heures après le début des douleurs. Mme D. cumule plusieurs facteurs de risque avec une importante consommation tabagique, plus d’un paquet de cigarettes par jour, une dyslipidémie avec un LDC à 2,40 g/L et une hypertension modérée négligée. À son entrée aux soins intensifs coronariens, on constate une tachycardie sinusale à 110 b/min, une TA à 100–70 mmHg. Le tracé électrique montre un sus-décalage majeur de ST/T et de petites ondes Q de V2 à V6 dans le territoire de l’artère interventriculaire antérieure (IVA). La patiente est dirigée vers la salle de coronarographie, l’examen montrant une thrombose occlusive de l’artère interventriculaire antérieure. Mme D. est traitée par angioplastie et pose d’une endoprothèse active sur l’IVA. L’intervention est réussie mais la patiente conserve une dyskinésie antérieure avec une altération de la fraction d’éjection à 42 %. Traitée par héparine, aspirine, clopidogrel, statine et inhibiteurs de l’enzyme de conversion, son état s’améliore au plan clinique, électrique et on constate à l’échocardiographie une amélioration de la fonction ventriculaire. Toutefois Mme D. demeure bouleversée, très anxieuse, inquiète sur son état, sur les risques éventuels d’une thrombose de l’endoprothèse et la menace de récidive.
Elle quitte le service de cardiologie et est hospitalisée dans un service de réadaptation cardiaque. Là, soumise au traitement classique (bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, clopidogrel–aspirine), on lui propose une épreuve d’effort et un programme de réadaptation. Mme D. est de plus en plus anxieuse, refuse tout effort, pense qu’une récidive est inévitable. Cette patiente, célibataire, avec un faible environnement familial, avec des soucis professionnels, a une tendance dépressive depuis plusieurs années. Progressivement, elle fait part de son désir de ne plus lutter, exprime auprès de l’entourage médical et infirmier ses angoisses, son désir de disparaître. L’état cardiologique est excellent, mais de jour en jour, s’installe et s’accroît, malgré les injonctions de l’équipe soignante, une indifférence à l’égard du traitement qu’elle ne suit que partiellement. Mme D. n’a pas d’intérêt pour les activités qu’on lui propose, refuse en quelques jours tout contact avec l’entourage des autres patients en rééducation, ne parle plus au personnel soignant. Elle ne dort plus, n’a aucun appétit et parle seulement de sa fin prochaine. La patiente exprime auprès de sa sœur, sa seule visite, son dégoût de l’existence et une tendance suicidaire. Elle réclame l’arrêt des soins médicaux, demeure prostrée dans sa chambre, refuse tout contact avec divers membres de sa famille ou de son entourage.
Mme D. est traitée par benzodiazépines, confiée à un psychiatre qui la voit matin et soir tous les jours, entreprend une psychothérapie, prescrit un traitement par fluoxétine, deux comprimés par jour. Malgré une psychothérapie de soutien importante, les encouragements, l’attention de toute l’équipe médicale, le traitement antidépresseur a peu d’effets positifs. La patiente demeure abattue, indifférente, coopère mal, fait part de ses idées suicidaires qui impliquent son hospitalisation dans une clinique psychiatrique.
Plusieurs antidépresseurs seront utilisés, la patiente ne sera bien améliorée qu’après plusieurs semaines de traitement combiné associant thérapie cognitive, anxiolytiques et antidépresseurs. La convalescence de cet infarctus, après une revascularisation efficace a été très prolongée, l’évolution étant compliquée par ce syndrome dépressif. La malade demeure très anxieuse et son état demande une surveillance médicale, cardiologique et psychiatrique très régulière et prolongée.
Monsieur S., âgé de 65 ans, est traité pour une insuffisance coronaire depuis 1995. Il s’agit d’un patient tabagique, hypertendu, avec une hypercholestérolémie rebelle malgré un traitement par statines. Il présente un angor d’effort depuis cette date. L’examen clinique est normal, il n’y a pas de lésion valvulaire ou d’insuffisance cardiaque. Le tracé électrique de repos est normal, mais l’épreuve d’effort est positive pour une fréquence cardiaque de 122 battements/minute et une TA de 170–95 mmHg. Il lui est conseillé une hospitalisation en cardiologie pour un bilan plus approfondi. Une scintigraphie montre une ischémie sous-endocardique antérieure confirmée par la coronarographie qui met en évidence une sténose > 80 % du segment proximal de l’interventriculaire antérieure. M. S. est traité par angioplastie et mise en place d’un stent qui rétablit un calibre normal de l’artère interventriculaire avec un flux coronarien antérograde normal. Le patient poursuit le traitement médical classique : aspirine, clopidogrel, statines, bêtabloquants et antagonistes des récepteurs de l’angiotensine. Il perd du poids, est normotendu, asymptomatique et pratique régulièrement l’exercice. Il se traite le mieux possible et se plie à une surveillance médicale régulière. Brutalement un matin, il ressent une douleur thoracique intense, des lipothymies, des sueurs associées à des troubles respiratoires. Transporté en soins intensifs coronariens, on constate un infarctus postérolatéral récent. Le patient est en insuffisance cardiaque avec une insuffisance mitrale par dysfonctionnement d’un pilier.
Traité par héparine et dérivés nitrés, il subit une nouvelle angioplastie avec pose d’une endoprothèse pour une thrombose de la coronaire droite. On constate une altération majeure de la fonction ventriculaire. Les suites sont difficiles, mais le patient s’améliore lentement sur le plan cardiaque. Par contre, complètement découragé par ce nouvel accident coronarien qu’il juge immérité, il sombre dans une dépression sévère. On constate une prostration, une tristesse invincible, le patient s’isole, demeure indifférent aux encouragements, au soutien des médecins et de sa famille. Il est persuadé de l’inutilité de tout traitement, exprime le désir d’en finir et souhaite sa mort prochaine. Mr S., prostré ne communique plus avec le personnel, désire l’arrêt des soins, demeure dans son lit. Il refuse toute cure de réadaptation, ne veut pas poursuivre son traitement médical. Le patient fait connaître à sa famille, bouleversée, des idées suicidaires. Il est traité par des benzodiazépines, des anxiolytiques, subit une psychothérapie par l’intermédiaire d’un psychologue attaché au service de cardiologie. Mais son état dépressif persistant et devenant inquiétant Mr S., est confié à un psychiatre qui l’hospitalise pour initier un traitement par antidépresseurs. Le patient est traité par inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (paroxétine) sans bénéfice apparent pendant plusieurs semaines. Ce n’est qu’au terme d’une hospitalisation et des soins psychiatriques prolongés que son état psychologique s’améliorera.
Comportement à l’égard de l’accident coronarien
Bien que de remarquables progrès thérapeutiques soient survenus depuis 20 ans dans le traitement de l’infarctus avec la revascularisation coronaire immédiate, cet accident coronarien constitue chez tout individu un signe d’alarme majeur, lui faisant prendre conscience du danger de mort subite, de la nécessité de transformer sinon de bouleverser son mode de vie.
Malgré la vulgarisation croissante du risque coronarien chez l’adulte, dès la cinquantaine, tout individu pense qu’un événement cardiaque, même mineur ne peut arriver qu’aux autres. La survenue soudaine, imprévisible d’un accident coronarien, surtout s’il est inaugural, en l’absence d’angor prémonitoire, est un traumatisme majeur qui a un important retentissement émotionnel et est un facteur favorisant de dépression. Le sujet est confronté à la réalité d’une menace permanente à l’égard de son espérance de vie. Le séjour en soins intensifs, les examens angiographiques, les gestes de cardiologie interventionnelle, l’angoisse à l’égard du devenir des endoprothèses sont des facteurs de stress majeur et de dépression.
Les réactions des patients sont variables en fonction de leur personnalité, de leur aptitude à faire face, et selon l’environnement familial, l’attitude et le comportement de l’entourage médical plus ou moins rassurant. Certains patients ont une réfutation plus ou moins consciente de l’événement générateur d’angoisse. Ils peuvent mettent en œuvre une attitude de déni, semblent posséder des capacités d’adaptation leur permettant de supporter avec calme, de refuser la réalité de la situation, les risques de cet événement brutal et leur incidence sur leur mode de vie. Cette attitude de non-réaction apparente à l’égard d’une pathologie grave peut être un moyen de défense psychologique efficace. D’autres ont immédiatement une sensation de peur incontrôlable, d’angoisse permanente, facteur de stress et de complications secondaires.
Havick et al. ont tenté d’établir une typologie des coronariens en fonction de leurs réactions émotionnelles. En classant les sujets en groupes homogènes de malades selon leurs réactions émotionnelles (dépression, anxiété, irritabilité), ils ont évalué les particularités cliniques et pronostiques des différents groupes. En synthèse, certains ont un excellent ajustement, immédiat ou à long terme, avec un déni des risques de l’événement et une bonne adaptation aux risques et aux contraintes du traitement. Ces sujets, ayant dans l’ensemble un bon entourage familial, ont une bonne réinsertion professionnelle et un pronostic favorable avec peu de complications et de réhospitalisations. D’autres patients s’adaptent mal à cette situation stressante, immédiatement ou secondairement, et demeurent angoissés, anxieux sur leur devenir. Ce sont le plus souvent des sujets qui ont un passé médical, des difficultés familiales et conjugales, une mauvaise réinsertion professionnelle. Ces patients sont des sujets à risque de complications et de réhospitalisations [11].
Impact sur le pronostic
Il est évident que pour certains patients, l’angoisse d’une menace imprévisible, la conscience de cette pathologie à haut risque et la réviviscence des circonstances de l’accident peuvent avoir un important retentissement psychologique et faciliter l’apparition d’un syndrome dépressif. Celui-ci est souvent méconnu et il est trop fréquemment considéré comme normal, banal, par le médecin et l’entourage familial, qu’un sujet, dont la vie est menacée par une affection grave, sombre dans le découragement, une tristesse invincible. En fait, une tendance dépressive ne doit pas être considérée comme une réaction normale à un accident coronarien aigu.
Chez les patients atteints d’un syndrome coronarien aigu ST ±, la prévalence d’un syndrome dépressif est très variable, atteint 20 à 25 % des sujets, et des signes de dépression mineure sont retrouvés chez 30 à 40 % des patients [12]. Les femmes ne sont pas épargnées et bien que les infarctus soient plus rares dans le sexe féminin, celles âgées de moins de 60 ans pourraient être un terrain particulièrement fragile et à risque de survenue de syndromes dépressifs. Dans l’année qui suit un accident coronarien, une dépression multiplie par deux les risques relatifs de complication, de rechute ou de décès [13] and [14]. De même après un pontage coronarien, un syndrome dépressif favorise les réhospitalisations, les récurrences angineuses et une surmortalité. En synthèse, il apparaît que tous les malades coronariens déprimés doivent être considérés comme des sujets à haut risque de complications avec un surcroît de récidives douloureuses, d’arythmies, d’insuffisance cardiaque. Cette conclusion est étayée par divers travaux.
Dans deux études canadiennes comportant des effectifs importants et un suivi de plusieurs années, l’apparition d’une dépression dans les suites d’un infarctus est corrélée de manière significative à une morbidité augmentée et à une surmortalité[13] and [14]. Frasure Smith et al. rapportent qu’après ajustement tenant compte de la gravité de l’infarctus, du contexte clinique et des antécédents du patient, le risque de décès au cours des 6 mois qui suivent l’accident coronarien est quatre fois plus grand chez les déprimés que chez les non-déprimés. La valeur pronostique du trouble psychiatrique est égale à celle d’une dysfontion ventriculaire gauche ou d’un antécédent d’infarctus. Les autres facteurs du pronostic considérés sont la classe Killip à l’hospitalisation, le type d’infarctus avec ou sans onde Q, la fraction d’éjection et la présence d’un tabagisme. Une méta-analyse récente comportant plus de 20 études rapporte qu’une dépression majeure double le risque de décès après un infarctus aigu. On ne retrouve que peu de travaux à propos de la valeur pronostique de la dépression après un angor instable mais l’étude de Lesperance constate que cette association augmente le risque d’infarctus non fatal ou de décès. Dans notre expérience sur 350 syndromes coronariens aigus, traités et dirigés vers des centres de réadaptation, le taux de syndrome dépressif est évalué à 12 %. Les patients dépressifs sont âgés (72,6 ans en moyenne), ont une co-morbidité importante, une dysfonction ventriculaire et sont hospitalisés pour des récidives de syndrome coronarien aigu.
L’impact sur le pronostic est-il dû à l’interaction des deux syndromes pathologiques ou est-il un épiphénomène ? Dickens et al. apportent des informations intéressantes [15]. Leur travail a eu pour but de rechercher rétrospectivement les marqueurs de mauvais pronostic et les risques de décès d’origine cardiaque dans 587 observations. Les marqueurs les plus significatifs sont l’âge, des antécédents d’infarctus, la présence de signes d’une dysfonction ventriculaire établie selon la classification de Killip. Une dépression précédant un infarctus n’a pas de valeur péjorative et n’est pas associée à une surmortalité. Par contre, une dépression survenue après l’infarctus est un facteur statistiquement significatif de mauvais pronostic (HR : 2,33, p=0,38). Apparaissant dans les semaines qui suivent l’événement coronarien, un état dépressif compromet la réhabilitation, l’observance du traitement, le suivi d’un mode de vie approprié, la pratique d’une activité physique régulière. Au cours du MINDT-IT trial effectué chez 2177 patients, âgés en moyenne de 63 ans, comportant 23 % de femmes, on a constaté 18 % de dépressions survenant chez les patients les moins âgés mais présentant des signes d’atteinte myocardique sévère avec des signes de dysfonction ventriculaire gauche [16]. Au cours des enregistrements électrocardiographiques de longue durée réalisés dans les suites de l’infarctus, on a constaté de nombreuses tachycardies ventriculaires chez les patients déprimés.
Physiopathologie de cette association délétère
Plusieurs facteurs démographiques, biologiques et comportementaux ont été évoqués pour expliquer les conséquences délétères de cette association.
Il est évident qu’un syndrome dépressif, surtout chez un sujet âgé, facilite le désintérêt des patients à l’égard de leur état de santé, joue un rôle favorisant dans la genèse et l’évolution d’une cardiopathie ischémique ou d’une dysfonction ventriculaire. Le découragement à l’égard de l’avenir et le désintérêt pour son état sont associés chez un patient cardiaque et dépressif à un mépris non dissimulé de l’hygiène de vie et des traitements. Cet état psychologique conduit le déprimé à une mauvaise observance des mesures hygiénodiététiques ou thérapeutiques recommandées pour la prévention primaire ou secondaire de la maladie coronaire et des récidives d’infarctus. Le mauvais suivi des prescriptions, la médiocre observance thérapeutique, l’absence d’entraînement physique peuvent faciliter l’aggravation de l’athérosclérose, de nouveaux accidents coronariens et l’évolution rapide de la dysfonction ventriculaire. La mauvaise adhésion des cardiaques déprimés aux prescriptions a été constatée chez 14 % des patients déprimés inclus dans la Heart and Soul study[17]. L’arrêt définitif du tabac et une bonne compliance au traitement d’un diabète, d’une hypertension artérielle ou d’une dyslipidémie sont des mesures mal acceptées et rarement suivies par les patients souffrant d’un syndrome dépressif, même mineur [2] and [3]. L’observance médiocre des stratégies thérapeutiques comportant des traitements complexes, des prises médicamenteuses répétées et un suivi médical régulier sont les facteurs indirects pouvant rendre compte de la gravité de ces associations pathologiques.
Mais chez les coronariens, une résistance au traitement médical habituel de la dépression peut être en cause et expliquer le mauvais pronostic. Seulement 50 % des patients coronariens déprimés ont un réponse satisfaisante aux traitements antidépresseurs, 35 % sont résistants et 15 % répondent faiblement. Les causes de cette résistance sont méconnues, certains avançant des facteurs biologiques, la présence d’un syndrome inflammatoire important. Il est aussi possible que des facteurs liés à la personnalité des patients, à la présence d’un comportement d’un profil psychologique de type A ou D interviennent dans l’acceptation des traitements de la cardiopathie et du trouble de l’humeur. Une mauvaise observance et adhésion du patient à la psychothérapie et au suivi thérapeutique pourrait être en cause dans cette faible efficacité des mesures thérapeutiques, facilitant la survenue de complications. On peut aussi suspecter une comorbidité cérébrovasculaire, avec des anomalies fonctionnelles et structurales cérébrales qui expliqueraient la résistance aux antidépresseurs et l’augmentation de la morbidité et la surmortalité. Pour certains, c’est l’intrication de plusieurs anomalies cardiocirculatoires et biologiques qui semble jouer un rôle dans la résistance au traitement et à la survenue de complications [2] and [3].