Expérience de reconstruction acétabulaire par greffe massive structurale (hémi-bassin de banque cryoconservé)
Acetabular component revision: experience with frozen massive structural pelvic allograft
P. Piriou1, F. Sagnet2 and T. Judet1
1Service de chirurgie orthopédique, Hôpital Raymond Poincaré, 104, bd Raymond-Poincaré, 92380 Garches;
2Clinique Saint-Louis, 1, rue Basset, 78300 Poissy
Résumé
Nous rapportons dans les grosses pertes de substance du cotyle et de son environnement l’utilisation d’une allogreffe massive structurale. Cette allogreffe est ajustée à la perte de substance à partir d’un hémi-bassin de banque cryoconservé. La série comporte 32 cas. La méthode est exposée de même que la technique opératoire. Les résultats analysent les complications précoces et l’évolution tardive. Les résultats cliniques sont également présentés à partir des cotations classiques. Cette expérience se termine par une discussion sur la restauration du stock osseux, la survie du composant acétabulaire et le devenir de l’allogreffe.
Mots clés :
Allogreffe du cotyle. –
Hémi-bassin cryoconservé. –
Allogreffe structurale. –
Révision acétabulaire.
Summary
We report the use of a massive and structural allografts in cases of significant loss of bone in the acetabulum area. These allografts come from hemipelvis cryoconserved in a bone bank. There are 32 cases in the series. This chapter presents the method and the surgical technique.
Early complications and late evolution are presented, as well as clinical results on the basis of classical cotations. This is followed by a discussion of bone stock restoration, the longevity of acetabular components and the outcomes in terms of fusion of the allograft.
Le descellement cotyloïdien est la première cause d’échec des prothèses totales de hanche. Il peut s’accompagner, notamment lors de reprises itératives, d’un défect osseux important.
Ce défect est parfois majeur et inaccessible à toute chirurgie de reconstruction par greffons morcelés quelle que soit leur taille. Dans ces cas, nous utilisons un hémi-bassin de banque cryoconservé sans armature de soutien associé à une cupule polyéthylène cimentée.
La plupart des auteurs semblent s’accorder pour dire que la fréquence des faillites augmente si plus de 50 % de la cupule sont en contact avec la greffe structurale [9, 20, 22]. Cependant, les situations décrites par ces auteurs étaient très différentes, regroupant des cas de cupules cimentées ou non cimentées. Garbuz [5] a publié de bons résultats en utilisant les armatures de soutien associées à la greffe structurale. Quant à nous, nous avons utilisé un hémi-bassin massif congelé où la greffe était en contact avec 100 % de la cupule, aucune zone de ciment n’était en contact avec l’acétabulum receveur.
Chez tous les patients qui avaient un défect majeur à la fois du toit et au moins d’une colonne, nous avons de façon systématique reconstruit la perte osseuse par un bassin de banque, restaurant ainsi la longueur du membre inférieur et l’anatomie de la hanche la plus normale possible. Ceci a été permis grâce à cette allogreffe massive qui, par ailleurs, restaure le stock osseux en vue d’une autre révision ultérieure si elle s’avérait nécessaire.
Nous rapportons les résultats de cette technique, qui représente pour nous une solution de sauvetage de hanches traitées, il y a encore quelques années par résection arthroplastique [7] dont on connaît le mauvais résultat fonctionnel.
Matériels et méthodes
De 1992 à 2005, 420 révisions acétabulaires avec allogreffe ont été réalisées par les auteurs. 262 révisions ont été faites en utilisant une tête fémorale massive cryoconservée ou une extrémité inférieure du fémur. Dans 118 cas plus récents, la reprise cotyloïdienne a été faite par greffons morcelés impactés et cotyle cimenté. Mais dans 32 cas, le défect cotyloïdien était si important que nous avons été obligés de reconstruire le pelvis à l’aide d’un hémi-bassin congelé.
Ces 32 révisions ont été effectuées en utilisant un hémi-bassin congelé, fixé par vissage et au sein duquel a été implanté un composant acétabulaire cimenté restituant l’anatomie normale de la hanche ainsi que la longueur du membre inférieur.
Il s’agit d’une série de 15 femmes et 14 hommes (1 femme et 2 hommes ont été opérés des 2 hanches). L’âge moyen est de 56 ans (27–75). Le cotyle avait été opéré préalablement en moyenne 3 fois (0–10).
Le défect cotyloïdien était quantifié selon la classification de Paprosky [19]. Dans nos 32 cas, les défects osseux cotyloïdiens correspondaient au type III B de Paprosky (figure 1).
Figure 1 |
Dans 6 cas, il existait une interruption de l’anneau pelvien au niveau du défect cotyloïdien (4 fractures, 1 pseudarthrose et 1 défect transversal).
Les 32 hanches opérées ont été revues cliniquement et radiologiquement avec un recul moyen de 7 ans (entre un an et 13 ans). Aucune hanche n’a été perdue de vue.
La pathologie à l’origine de ces défects osseux cotyloïdiens était :
• descellement d’une prothèse totale de hanche posée dans le cadre de :
– 3 coxarthroses primitives;
– 3 ostéonécroses fémorales post-traumatiques;
– 1 ostéonécrose fémorale drépanocytaire;
– 2 luxations congénitales de hanche;
• descellement d’une reprise de prothèse totale de hanche dont l’indication initiale était :
– 7 coxarthroses primitives;
– 1 coxarthrose inflammatoire;
– 6 fractures du col fémoral et/ou du cotyle;
– 6 luxations congénitales de hanche;
• 3 hanches en résections secondaires à des infections de prothèse totale.
Durant la même période, 6 patients ont bénéficié de la même technique pour tumeur du bassin, mais ne sont pas inclus dans cette série où ne sont présentées que des hanches «mécaniques».
Méthode
Tous les patients ont été suivis prospectivement, à la fois cliniquement et radiologiquement. Nous avons analysé les résultats cliniques fonctionnels selon Postel et Merle d’Aubigné (PMA) [13]. Concernant l’analyse radiologique, nous avons utilisé les critères de Oakeshott [16] et ceux définis par Nunn [15]. Nous nous sommes intéressés aux critères permettant d’affirmer la consolidation de la greffe à l’hôte et à la présence de liserés radiologiques [4]. Par ailleurs, la mobilisation du cotyle a été mesurée sur une radiographie de bassin de face, faite à chaque examen et au dernier recul. Le centre du cotyle a été étudié dans son déplacement horizontal et vertical [3].
Technique opératoire
Nous utilisons une voie d’abord antérieure selon Smith-Petersen [25] sur table orthopédique. Cette voie d’abord modifiée et minimalisée [23] est pour nous la voie pour toutes les prothèses de hanche de primo-intention, quelle qu’en soit l’étiologie en dehors des luxations hautes. Elle permet une exposition excellente de l’ilion et de l’acétabulum. Cependant, un abord par trochantérotomie et un abord postéro-externe ont été réalisés respectivement trois et sept fois pour des raisons locales du fait de la nécessité d’un geste de reconstruction fémorale ou du fait d’une pseudarthrose du trochanter.
L’hémi-bassin de banque est taillé pour s’adapter en force dans le bassin de l’hôte avec un appui sur l’aile iliaque et sur les branches ischio- et ilio-pubiennes (figure 2), assurant ainsi une stabilité primaire renforcée cependant de manière systématique par des vis (figure 3). Nous réalisons ainsi un véritable encastrement de la greffe dans le receveur taillant des facettes d’appui au niveau du cotyle hôte (figure 4). Au sein de ce bassin de banque, le scellement du cotyle prothétique s’effectue entièrement dans l’hémi-bassin. La durée opératoire en moyenne est de 4 heures avec une perte sanguine moyenne de 3 litres.
Figure 2 |
Figure 3 |
Figure 4 |
Les suites opératoires comportent un appui soulagé à 20kg pendant 45 jours puis l’appui complet est autorisé au 45e jour postopératoire.
L’os de banque est obtenu à la banque des tissus de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ou dans la Banque Nationale Belge où il est conservé congelé dans l’azote liquide, sans aucune irradiation complémentaire. Ces os ont été obtenus lors de prélèvements multi-organes sur donneur en mort cérébrale. Ils sont prélevés stérilement par une équipe chirurgicale puis sont mis en quarantaine dans l’azote. Ils ne sont utilisés que lorsque des contrôles sérologiques ont été faits sur les receveurs des organes transplantés issus du prélèvement multi-organes, assurant ainsi une sécurité sérologique maximale. Des contrôles sérologiques sont faits sur les receveurs des organes prélevés, 3 mois après qu’ils ont été greffés (foie, rein, cœur, cornée, etc.).
Résultats
Aucun patient n’a été perdu de vue. Trois sont décédés, mais ont contribué auparavant au suivi de la cohorte. La durée opératoire moyenne a été de 4 heures, avec un saignement moyen de 3 litres englobant la période de drainage. 11 hanches ont eu besoin d’une chirurgie secondaire et 7 cas de résorption de la greffe ont dû être repris. Nous déplorons 2 cas d’infection profonde et 4 luxations. Les résultats initiaux à 5 ans ont été publiés [21] et actualisés ici.
Complications précoces
Infection
Une infection postopératoire s’est chronicisée malgré une synovectomie précoce. Elle a nécessité secondairement la réalisation d’une coaptation de hanche.
Luxation
Quatre luxations sont survenues durant les trois premiers mois post-chirurgicaux. Deux ont été traitées orthopédiquement et rééduquées. Une autre a nécessité une révision fémorale du fait d’une tige laissée en place, avec une antéversion excessive passée inaperçue. Ni la greffe, ni la cupule n’ont été concernées par ces trois reprises. La dernière a été opérée dans un autre centre et le patient mis en résection; il s’est luxé volontairement.
Liseré stable
Cinq hanches ont développé des liserés de moins d’1mm d’épaisseur autour de la cupule. Ces liserés ont été non évolutifs, stables dans le temps. Ils n’ont pas été corrélés à une quelconque migration de la cupule.
Évolution tardive
Infection
Une infection hématogène est survenue 3 ans après la mise en place de la prothèse traitée par synovectomie et antibiothérapie. Cette intervention a été un échec, nécessitant un traitement long en deux temps puis une reconstruction secondaire par un greffon autologue, un anneau de soutien et un cotyle cimenté. Au recul maximum de 8 ans, la hanche est cotée à 6/6/6 selon PMA sans anomalie radiologique.
Résorption de la greffe
Sept hanches ont évolué vers une lyse aseptique du greffon. Ces lyses radiologiques sont apparues entre le 7e mois et le 23e mois postopératoire. Elles ont nécessité une reprise chirurgicale qui, à chaque fois, était possible par une nouvelle greffe associée à un anneau de soutien grâce à la restauration relative du stock osseux permis par le bassin de banque. La reprise consistait à enlever tout l’os nécrotique sur lequel étaient appliquées soit une armature de soutien cimentée, soit une nouvelle greffe.