16. Corps utérin
I. Borten-Krivine
La pathologie bénigne de l’utérus est extrêmement fréquente : hypertrophie fibreuse du myomètre, hyperplasie muqueuse de l’endomètre. Elle croît avec l’âge. Plus de 40 % des femmes de plus de 40 ans sont concernées. Des examens systématiques de pièces d’hystérectomies constatent des lésions de ce type dans 75 % des cas en l’absence de toute symptomatologie (Audebert et al., 1993). Bien que l’utérus ne soit pas visible, l’atteinte de cet organe si chargé symboliquement de féminité, de fertilité et de sexualité inquiète les femmes. Elles en redoutent particulièrement les conséquences sur leur vie affective et sexuelle.
Fibromes utérins
Les fibromes utérins sont les plus fréquentes des tumeurs bénignes. Ils se développent aux dépens du muscle utérin, le myomètre. Ils sont entourés d’une pseudocapsule due à la condensation du tissu conjonctif. Leur physiopathologie, multifactorielle, est maintenant mieux connue. Ils n’apparaissent pas avant la puberté. Leur régression après la ménopause, leur tendance à l’hypertrophie lors de la grossesse signent leur estrogénodépendance. Les estrogènes agissent sur les différents facteurs de croissance et stimulent l’angiogenèse. C’est cette riche vascularisation des fibromes qui expose les femmes au risque de saignements.
Il existe aussi un facteur génétique : il y a des familles au sein desquelles de nombreuses femmes de génération différente sont porteuses de fibromes. La recherche de gènes de susceptibilité est en cours, mais aucun gène prédisposant n’a encore été identifié. Le facteur ethnique est notable : les femmes africaines sont particulièrement exposées – deux fois plus que les Caucasiennes, et à un âge plus précoce.
Rappelons des notions connues depuis longtemps.
– L’hypertrophie diffuse ou localisée de l’utérus est asymptomatique dans plus de 50 % des cas.
– La dégénérescence maligne n’atteint que 0,5 % des myomes.
– Malgré cela, les fibromes sont à l’origine des deux tiers des hystérectomies pratiquées du début du XXe siècle jusqu’à nos jours. L’hystérectomie est, avec la césarienne, l’intervention la plus pratiquée chez les femmes. On estime qu’elle touche près de 10 % des femmes en France. Notons tout de même qu’il s’agit là d’un des taux les plus bas d’Europe.
Cet organe non vital qui transmet la vie a été l’objet d’indications chirurgicales abusives. On sait que le taux d’hystérectomies varie selon les régions, les opérateurs, leur spécialité, leur sexe, leur âge, etc. Mais un diagnostic de fibrome, qu’il soit symptomatique ou asymptomatique, n’entraîne plus aujourd’hui une sanction chirurgicale systématique et encore moins l’ablation de l’utérus.
Circonstances de découverte
Les circonstances de découverte d’un fibrome sont multiples.
Il existe un symptôme gynécologique ou pelvien. Des troubles du cycle sont présents, mais plus fréquemment, il y a modification des règles, devenues plus abondantes, plus longues avec parfois de véritables hémorragies – ménorragies, métrorragies, ménométrorragies -, des douleurs, des pesanteurs pelviennes et/ou des troubles urinaires. Les règles ou la période prémenstruelle révèlent ou aggravent ces troubles. Une pollakiurie est fréquente. Elle s’explique mécaniquement par le poids de l’utérus sur la vessie.
Il n’existe pas de symptôme pelvien. Un examen gynécologique de routine découvre un utérus augmenté de volume (dont la femme ne se plaint pas). Dans d’autres cas, c’est le bilan étiologique d’une anémie qui fait évoquer la pathologie utérine. Enfin, le fibrome peut être découvert fortuitement par une radiographie (fibrome calcifié) ou une échographie, demandées dans un autre registre que gynécologique, notamment abdominopelvien.
On demandera systématiquement un hémogramme en cas de règles abondantes. Une hystéroscopie estimera la situation et l’impact d’un fibrome sous-muqueux, et précisera les possibilités thérapeutiques, médicales et chirurgicales.
Indications thérapeutiques chirurgicales ou médicales
Ces 20 dernières années, de nouvelles techniques ont profondément modifié la pratique chirurgicale. Alors qu’auparavant l’hystérectomie régnait sans partage, il y a aujourd’hui un choix de techniques alternatives : myomectomies, résections endoscopiques, embolisations, thermocoagulation par ballonnet. Le développement de la chirurgie endoscopique a comme conséquence d’éviter ou de surseoir à l’hystérectomie, celle-ci n’étant proposée que si les symptômes persistent pendant un laps de temps qui permet aux femmes de s’y préparer.
De plus, si la chirurgie se révèle nécessaire, des voies d’abord nouvelles exaucent le vœu que les femmes exprimaient si souvent : ne pas porter de traces visibles de l’intervention.
Quelques références médicales actuelles (Chauveau-Lambling, 2003)
Un fibrome sous-séreux de moins de 10cm doit être laissé en place s’il est asymptomatique, si les règles sont normales et s’il n’y a pas de désir de grossesse.
Il n’existe pas de traitement médical efficace et acceptable à long terme capable de diminuer notablement le volume du fibrome. Les progestatifs ont perdu beaucoup de leur crédit. Les analogues de la LH-RH ont des effets secondaires importants, mais leur utilisation pendant quelques mois permet de supprimer les hémorragies et de diminuer le volume des fibromes, ce qui simplifie l’acte chirurgical.
Un fibrome sous-muqueux, un polype fibreux ou muqueux doivent faire l’objet d’un repérage précis. Classiquement, s’il mesure moins de 4cm, c’est une indication de résection endoscopique. Comptent également l’enchâssement dans le myomètre et l’accessibilité dans la cavité utérine. Si un traitement médicamenteux n’a aucune indication dans ce cas, on peut discuter plusieurs modalités thérapeutiques : myomectomie, thermocoagulation, embolisation, stérilet à la progestérone… et faire partager la décision à la patiente. Le contrôle de la bénignité s’impose toujours.
Le traitement médical s’adresse aux pathologies endométriales associées, notamment à une hyperplasie de la muqueuse utérine, qu’il faut toujours rechercher.
L’annonce de la thérapeutique conseillée tient compte des constatations cliniques et biologiques, de la situation de chaque femme, de son âge, de sa personnalité, de son affectivité et de son environnement. Tout va dépendre de deux paramètres essentiels qui sont d’un registre différent : d’une part la maîtrise des saignements, d’autre part la relation de chaque femme avec sa fertilité.
Quand il s’agit d’hémorragies, on se heurte parfois à la tolérance de certaines femmes au saignement (la championne en la matière avait 4g d’hémoglobine). On essayera de comprendre, au cours de consultations répétées, ce qui relève d’une forme de négligence, de déni ou de peur. Par ces comportements, les femmes visent inconsciemment et paradoxalement à se protéger des « risques » que leur feraient courir des médecins qu’elles imaginent trop interventionnistes.
En ce qui concerne la maîtrise des saignements, on peut selon les cas proposer aux femmes de plus de 45 ans, acceptant de renoncer à leur fertilité, les techniques suivantes :
– la thermocoagulation à l’aide d’un ballonnet gonflé avec du liquide stérile et chauffé à 97° C pendant 8 minutes détruit l’endomètre ; donc il n’y a plus d’accueil possible pour une grossesse ;
– l’embolisation est une technique qui vise à obstruer la vascularisation du fibrome. Elle se fait sous anesthésie locale et nécessite 48 heures d’hospitalisation. Elle donne 85 % de succès et un petit nombre de femmes ont mené des grossesses à bien après ce traitement. Elle doit se faire par un opérateur rompu à cette technique et reste encore discutée dans sa généralisation. Il faut compter avec des suites douloureuses.
L’indication d’un traitement chirurgical conservateur est guidée par le désir de la patiente de préserver sa fertilité. Ce désir doit être respecté autant que faire se peut, en évitant les commentaires blessants sur l’âge limite et l’utilité d’un utérus passé cet âge. L’âge moyen au premier enfant était de 29 ans en 2006, et nous rencontrons tous des femmes enceintes dans leur fraîche quarantaine.
Quand le diagnostic de fibrome est fait chez une femme qui souhaite un enfant ici et maintenant, la situation est autre. Il est souvent difficile de repérer la responsabilité du fibrome. Il semble exister davantage une association de pathologies qu’un rapport direct de causalité entre fibrome et infertilité. Cependant, s’il n’existe aucun autre facteur d’infertilité, des gestes sont à envisager au cas par cas. Peu d’arguments sont en faveur d’une amélioration du taux de grossesse après myomectomie, sauf en cas de fibromes sous-muqueux ou de polypes hémorragiques. Dans les autres cas, la myomectomie peut être réalisée par voie cœlioscopique, ce qui permet de vérifier s’il n’y a pas d’autres pathologies associées, notamment une endométriose. Il faut prévenir la femme de la possibilité de récidives.
– Si le fibrome sous-séreux ou interstitiel est pédiculé, avec risque de torsion, s’il existe des signes de compression, si l’augmentation du volume utérin est rapide, c’est l’indication d’une myomectomie par laparotomie ou par cœlioscopie.
– Si le fibrome est très volumineux et donne des règles hémorragiques, il faut annoncer que, là aussi, le traitement risque d’être chirurgical. En cas de volume très important et en présence d’une anémie, on peut conseiller un traitement par les agonistes de la LH-RH pour réduire la taille du fibrome avant l’intervention, ce qui rendra possible la voie basse avec ou sans morcellement.
– Dans certains de ces cas, il faut négocier une période d’observation d’une année au maximum pour apprécier l’action d’un traitement médical sur l’épaisseur de l’endomètre et le volume du ou des fibromes. Une surveillance régulière de l’hémogramme est nécessaire.
Les consultations permettent d’aborder toutes les questions que se posent les femmes. Avant toute décision radicale, il est souhaitable de prendre l’avis d’opérateurs qui maîtrisent les nouvelles techniques : « Sur cent femmes qui subissent aujourd’hui une hystérectomie, quatre-vingt-dix auraient pu bénéficier de traitements moins agressifs » écrit Hervé Fernandez (inChauveau-Lambling, 2003).
Évolution des indications, des mentalités et des techniques de l’hystérectomie
On peut articuler ces trois facteurs dans tous les sens, mais on ne peut isoler le facteur technique de l’évolution des mentalités. Globalement, ces 20 dernières années, les indications de l’hystérectomie ont changé. On enlève beaucoup moins l’utérus d’une femme qui présente quelques fibromes et a plus de 40 ans. Les références médicales opposables sur l’attitude à avoir vis-à-vis des fibromes asymptomatiques (voir ci-dessus) ont consacré l’évolution actuelle.
Aujourd’hui, on opère plutôt des femmes près de la cinquantaine. Le contexte médical et psychologique en est bien différent. L’hystérectomie n’est proposée que quand les symptômes persistent, ce qui permet aux femmes de se préparer à une intervention. Des années ont passé et le renoncement à la fertilité est souvent fait. Depuis 20 ans, on a pu conseiller l’ablation d’un utérus polymyomateux à certaines femmes pour les faire « bénéficier » du traitement de la ménopause. Cela a pu être vécu par certaines de façon positive. Pour l’instant, la comparaison de deux thèses faites par des chirurgiens à 10 ans d’intervalle ne montre pas vraiment de chute nette du taux des hystérectomies. Il s’agit peut-être d’une simple migration de la population des hystérectomisées. Il est un peu tôt pour le repérer. Enfin, les femmes demandent de plus en plus souvent un deuxième avis dès lors qu’on leur propose une intervention radicale. Ce ne sont donc pas exactement aux mêmes femmes qu’autrefois que sont proposées les nouvelles hystérectomies.