2. Conséquences neuro-hormonales des différents types de stress
À court terme
Sterling et Ewing ont introduit le terme d’allostasie, signifiant le maintien de la stabilité à travers le changement. Étant donné que l’allostasie, dysrégulée à long terme, peut évoluer vers un état pathologique, Ewen parle de « charge ou surcharge allostatique » faisant référence à la chronicité de la réponse de défense de l’organisme devenue nuisible, alors qu’elle n’est plus nécessaire [1]. En fonction de chaque individu, cet état peut se traduire par des modifications du comportement, l’apparition de pathologies diverses mais surtout cardiovasculaires ou des addictions, refuge dans l’alcoolisme, le tabagisme, la consommation de drogues. De nombreuses réactions mettent en jeu l’état neuro-endocrinien (catécholamines, stéroïdes), des neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine, acétylcholine), des peptides, des cytokines, véritables hormones du système immunitaire (cytokines inflammatoires, inhibitrices IL-4, IL-10 ou stimulantes, tumor necrosis factor bêta, IL-2). Ces moyens régulent la pression artérielle, la fonction cardiaque, les concentrations et le métabolisme des catécholamines, l’équilibre électrolytique et glucidique, la fonction plaquettaire, les moyens de défense immunitaire, permettant une adaptation de l’organisme à tout état de détresse créant une nouvelle homéostasie (figure 2.1). À long terme, ces moyens d’adaptation, dysrégulés, créent une surrégulation permanente dont les effets néfastes s’expriment au plan neuro-endocrinien, facteurs de troubles métaboliques, de diabète, d’hypertension artérielle, d’athérosclérose précoce et évolutive.
Figure 2.1 D’après J.-P. Bounhoure « Stress et maladies cardiovasculaires » in Actualité Innovation Médecine : hors série 2007 |
La stabilité du milieu intérieur demande des ajustements permanents, nécessaires pour permettre l’adaptation de l’organisme aux perturbations externes et internes. Le stress est perçu par les organes sensoriels, c’est le cerveau qui détermine ce qui est dangereux et qui contrôle les réponses physiologiques et biologiques. Les points d’impact du stress dans le cerveau sont multiples et différentes structures du système nerveux central sont impliquées, en particulier les neurones adrénergiques du locus cœruleus et des noyaux hypothalamiques. Les facteurs de stress physiques transmettent les signaux nerveux par l’intermédiaire de fibres sensitives. Les stress psychiques et émotionnels représentent des stimulus interprétés et intégrés par les structures supérieures, le cortex cérébral, le système limbique (amygdale, formation réticulée, hippocampe, septum, corps mamillaires), centre d’intégration émotionnelle de toutes les informations que nous recevons. Le complexe cortex–système limbique est un système d’analyse comparative qui module la réponse, la stocke pour programmer, lors d’un nouveau stress, une réponse adaptée. Ce système a des relations étroites avec l’hypothalamus qui déclenche des sécrétions endocriniennes et des processus intervenant dans nos comportements (encadré 2.1 et figure 2.2).
Encadré 2.1
Effets du système sympathique et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien :
▪ ↑ cortisol;
▪ ↑ glycémie;
▪ ↑ cholestérol;
▪ ↑ acides gras libres;
▪ ↑ insuline.
Effets hématologiques :
▪ ↑ fibrinogène plasmatique;
▪ ↑ agrégation plaquettaire;
▪ ↑ facteur plaquettaire 4;
▪ ↑ bêta-thromboglobuline.
Effets cardiaques :
▪ ischémie;
▪ arythmies;
▪ diminution de la variabilité sinusale;
▪ altérations myocytaires.
Effets vasculaires :
▪ dysfonction endothéliale;
▪ augmentation de l’épaisseur intima-média.
Figure 2.2 |
Amygdale et hippocampe, très largement interconnectés, jouent un rôle essentiel dans les phénomènes d’interprétation des émotions et leur mémorisation. Les amygdales sont des structures responsables de la mémorisation des souvenirs inconscients, l’hippocampe intervient dans l’évaluation du caractère dangereux d’un objet ou d’une situation. Le système limbique reçoit les informations, module la réponse. Elle se déclenche via l’amygdale/l’hippocampe sur l’hypothalamus. Il possède une grande sensibilité et plasticité à l’égard des hormones du stress. Il exprime des récepteurs de deux types qui ont une réponse biphasique. Le type 1 a une forte affinité pour les minéralocorticoïdes, le type 2 pour les glucocorticoïdes [1]. Ces récepteurs sont très nombreux dans l’hippocampe mais sont retrouvés dans d’autres structures cérébrales dont le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus. Les neurones adrénergiques, nor-adrénergiques, dopaminergiques et sérotoninergiques ont été isolés dans de nombreuses structures, telles que le locus cœruleus, les noyaux du raphé, les noyaux paraventriculaires hypothalamiques et tout le système limbique, le rhinencéphale.
Système hypothalamosympathique
Par l’intermédiaire de l’hypothalamus, du locus cœruleus, du tronc cérébral, toute agression met en jeu immédiatement le système nerveux sympathique, libérant de la nor-adrénaline par les fibres post-ganglionnaires, les terminaisons nerveuses périvasculaires et de l’adrénaline par la surrénale. Ce système représente la composante principale de la régulation de la fonction circulatoire. L’ampleur de la réponse varie avec l’intensité et la soudaineté du stress. Ce système mobilise les possibilités de défense, met l’organisme en alerte, entraîne un hyper-éveil, une vigilance accrue avec une augmentation de l’anxiété. L’activation des nerfs sympathiques cardiaques induit la libération de nor-adrénaline, associée à l’activité motrice, l’agressivité, la colère exprimée. Cette amine à l’échelon moléculaire myocardique produit une augmentation de la perméabilité membranaire du myocyte au calcium, associée à des modifications des courants potassiques. On observe, au niveau cardiaque, une augmentation de la vitesse de dépolarisation diastolique lente, une augmentation de la vitesse de décharge du nœud sinusal et de la vitesse de conduction du nœud auriculoventriculaire, modifications électrophysiologiques entraînant une tachycardie. L’activation des récepteurs bêta-1-adrénergiques conduit, via l’AMP cyclique, à l’activation de protéines kinases qui majorent le pic de concentration intracellulaire de calcium et accélèrent le recaptage du calcium par le réticulum sarcoplasmique. Ceci aboutit au niveau de l’appareil contractile à une augmentation de la vitesse et de la force de contraction (inotropie) associée à une accélération de la relaxation. Les conséquences hémodynamiques immédiates du stress physique ou émotionnel sont donc variées :
• accélération de la fréquence cardiaque (pouvant atteindre 200 battements/minute);
• élévation tensionnelle;
• augmentation de la consommation myocardique en oxygène et du débit cardiaque.
Au niveau vasculaire, on constate une vasoconstriction alpha-1 prédominante, rénale, cutanée et splanchnique cause d’une augmentation des résistances périphériques totales. Il s’y associe une vasodilatation musculaire par le biais des récepteurs bêta.
C’est à l’occasion d’un stress intense et soudain, l’orage catécholergique, avec une libération massive de catécholamines, susceptible de créer des lésions de sidération myocardique, des arythmies sévères.
Antagoniste du système sympathique, le parasympathique lorsqu’il est activé s’oppose aux effets des catécholamines, ralentit le rythme cardiaque, le rythme ventilatoire et exerce des effets vasodilatateurs.
Axe hypothalamus–hypophyse–surrénales
Cet axe exerce une véritable vigilance biologique, traitant les informations, les comparant aux expériences passées et réagissant de manière adaptée à un stimulus interprété comme stressant. Le cortex préfrontal, le système limbique sont fortement impliqués dans la réponse aux situations stressantes. Ces structures ont une réponse lente, mais c’est le système le plus réactif aux stimuli physiologiques. L’activation des neurones de la région parvocellulaire des noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus conduit à la synthèse et libération d’un neuropeptide, le corticotrophin releasing factor (CRF ou CRH), et de l’arginine vasopressine, acheminés par voie sanguine à l’hypophyse. De nombreux neurotransmetteurs et peptides interviennent sur la libération du CRH par l’hypothalamus. À ce niveau, des récepteurs spécifiques captent ces facteurs hypothalamiques, ce qui déclenche la sécrétion d’ACTH et de vasopressine. Cette réponse, plus progressive, joue un rôle majeur au cours du processus d’adaptation. L’administration intraveineuse de CRH entraîne un comportement d’éveil, une stimulation de la vigilance. La libération de CRF, induite par les stress aigus ou chroniques, est modulée par différents neurotransmetteurs. Ceux qui ont un effet stimulant sont l’acétylcholine, la sérotonine, la nor-adrénaline. Le GABA (acide gamma aminobutyrique) freine l’activité du système hypophysosurrénalien. Le CRF migre jusqu’à l’hypophyse antérieure où diverses hormones sont libérées dont l’ACTH à partir de son précurseur la pro-opiomélanocortine. La libération d’ACTH stimule les surrénales qui synthétisent et libèrent dans le sang périphérique des glucocorticoïdes, cortisol et corticostérone. La libération d’ACTH ne dépend pas seulement de la CRH, elle est stimulée par l’angiotensine, la vasopressine, l’ocytocine, l’adrénaline.
D’autres hormones que le cortisol sont impliquées, en particulier l’hormone de croissance, l’hormone thyréotrope (TSH) susceptible de créer des dysfonctions thyroïdiennes à l’occasion de stress intenses, les hormones sexuelles, la prolactine, l’hormone mélanotrope.
En conclusion, quels que soient les facteurs de stress, la libération de CRH est un fait primordial, l’ACTH stimule les surrénales qui synthétisent les glucocorticoïdes. Ceux-ci ont des actions multiples au niveau métabolique et une action inhibitrice sur le système immunitaire.
Stress : facteur libérateur d’autres médiateurs chimiques
La dopamine, neuromédiateur maître d’œuvre de nos passions, participe à l’attribution d’un sens aux stimuli environnementaux. Les neurones à dopamine sont concentrés dans une région étroite du tronc cérébral, le mésencéphale. Les cellules à dopamine forment un banc ininterrompu qui va des bords, la substance noire, au milieu, l’aire ventrotegmentale. Les prolongements se regroupent en faisceaux, se dispersent en ramifications dans différentes régions corticales et sous-corticales du cerveau. Le système dopaminergique est activé par la nor-adrénaline.
La sérotonine (5 hydroxytryptamine : 5-HT), dont les actions sont complexes, est un neurotransmetteur impliqué dans le contrôle de l’appétit, de l’anxiété, du stress, de la dépression. Le stress a des effets variables : un stress modéré accroît la synthèse et l’utilisation de la 5-HT, mais un stress sévère peut être responsable d’une insuffisance de la sécrétion au niveau de l’hippocampe. Les études animales montrent que les stress aigus et l’exposition à un nouvel environnement sont associés à une augmentation de la libération de 5-HT. Par contre, les stress prolongés ou chroniques entraînent une réduction des taux cérébraux.
Les endomorphines réduisent les sensations douloureuses et peuvent faire ignorer les douleurs au cours d’importants traumatismes.
Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur impliqué de manière considérable dans le stress.
Les situations de stress se traduisent par des modifications immunitaires par le biais des catécholamines, de la sérotonine, des corticostéroïdes. Des chercheurs ont constaté que les chocs électriques douloureux diminuent la résistance des animaux aux infections. La prédisposition aux maladies organiques des sujets en détresse psychologique est connue de longue date. Le cortisol affaiblit les défenses immunitaires. Les corticostéroïdes modifient les lymphocytes T et B, réduisent l’activité des cellules tueuses NK et la sécrétion d’anticorps.
Les corticostéroïdes sont utilisés en clinique comme immunosuppresseurs et inhibent la production de cytokines. Celles-ci ont des effets sur le fonctionnement cérébral, interviennent dans la mort cellulaire, l’apoptose, et jouent un rôle dans certaines altérations psychologiques. Les agressions psychologiques répétées tendent à diminuer le potentiel de réponse immunitaire.
Interactions
La conception d’une réponse séparée des différents systèmes est totalement artificielle, la réaction de l’organisme soumis à un stress violent est globale, avec une interaction entre le système nerveux central, le système endocrinien, le système nerveux autonome et immunitaire.
Le cortex cérébral intervient dans l’interprétation des stimulus, leur relation avec des expériences antérieures. L’amygdale et le système limbique sont concernés pour les réponses émotionnelles, l’hippocampe pour les phénomènes mnésiques, le thalamus pour les réponses immédiates. Sur le plan neuro-endocrinien, le retentissement hormonal est rapide et complexe : les stimuli émotionnels violents et soudains (accès de colère, émotions fortes, anxiété) provoquent une stimulation sympathique immédiate suivie de l’activation de l’axe corticosurrénalien et celle secondaire, plus tardive du système rénine–angiotensine–aldostérone. L’interaction de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et du système nor-adrénergique module la réponse sympathique et la sécrétion de corticoïdes ou d’autres médiateurs chimiques. La production d’adrénaline correspond à une réponse immédiate ou rapide mise en jeu lors des stress nerveux, brutaux, à forte charge émotionnelle, telles les crises d’angoisse panique. La stimulation de l’axe hypophyso-surrénalien avec sécrétion de cortisol représente une réponse plus lente intervenant au cours de stress prolongés; elle contrôle électivement les réactions de défense. La sécrétion de CRH, levier de commande de l’axe corticotrope, augmente l’activité électrique du locus cœruleus, noyau cérébral libérant de la nor-adrénaline. Inversement, la libération de nor-adrénaline stimule la sécrétion de CRH dans le noyau paraventriculaire, étant elle-même freinée par l’augmentation des taux de cortisol. Chez l’animal de laboratoire, la modification de la nor-adrénaline cérébrale (par l’intermédiaire des récepteurs bêta-adrénergiques de l’amygdale) et du taux plasmatique de glucocorticoïdes (par l’intermédiaire des récepteurs de l’hippocampe) altère la remémoration des souvenirs liés aux stress. L’activation de l’amygdale joue un rôle important dans le rappel mnésique.
L’organisme met en jeu en permanence des adaptations nécessaires à sa survie. La réaction aux stress implique une grande variabilité individuelle qui intervient dans les réponses biologiques, psychologiques et somatiques. L’intensité des réactions dépend de facteurs génétiques, de la personnalité de l’individu, de l’anxiété de base, de l’environnement, du coping, c’est-à-dire des processus individuels pour faire face. Les progrès fantastiques réalisés dans l’imagerie cérébrale (tomographie à émission de positons ou IRM fonctionnelle) permettent de mieux connaître l’impact des émotions. Le cortex préfrontal médial joue un rôle dans le traitement des émotions quel que soit leur type; la peur agit sur l’amygdale; les souvenirs interviennent sur le gyrus cingulaire antérieur. Ce domaine, passionnant et en pleine évolution, dépasse le cadre de notre rappel très sommaire.
Effets cardiaques des stress aigus
Les effets cardiaques, vasculaires et métaboliques de l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénaliensont complexes et variés. Les conséquences hémodynamiques immédiates sont :
• une accélération de la fréquence cardiaque;
• une élévation tensionnelle;
• une élévation légère du débit cardiaque;
• une augmentation de la consommation myocardique en oxygène.
L’activation neuro-hormonale au long cours pourrait faciliter l’apparition d’une dysfonction endothéliale, impliquée dans l’athérogenèse et l’hypertension artérielle. Elle contribue à générer un état inflammatoire et à augmenter la dépense énergétique.
L’adrénaline joue un rôle majeur dans le processus d’adaptation et par ses effets délétères. Le mécanisme moléculaire de ses effets inclut la liaison aux récepteurs membranaires couplés à la protéine G, entraînant une modification de la production d’AMP cyclique, un effet stimulant ou inhibiteur. L’AMP cyclique comme un second messager qui active une série de protéines phosphokinases activant elles-mêmes des protéines régulatrices de l’AMP cyclique. Ce processus permet la transmission de gènes adaptant le système cardiovasculaire au stress. L’afflux de catécholamines crée une sidération myocardique avec des lésions cellulaires membranaires altérant les échanges ioniques : pompes sodiques, potassiques et calciques du sarcoplasme. Ces modifications des échanges ioniques altèrent la stabilité électrique cardiaque. Ainsi, le retentissement hémodynamique et cardiaque s’avère arythmogène, il constitue un facteur déclenchant de rythmes ectopiques chez un sujet prédisposé avec un substrat lésionnel myocardique.
Des études animales ont montré qu’au cours de stress aigus chez le babouin ou le rongeur, des anomalies de l’électrophysiologie cardiaque apparaissaient portant sur des modifications des échanges ioniques transmembranaires (altération des canaux sodiques, potassiques, calciques) représentant un facteur favorisant les arythmies (cf.figure 2.3). La stimulation sympathique, associée à une réduction du tonus vagal et de la variabilité sinusale, amplifie ce risque. Celle-ci traduit le dérèglement de la balance sympathicovagale qui représente un marqueur de risque rythmique, de mauvais pronostic. De même, la dispersion de l’espace QT est un reflet indirect de l’inhomogénéité de la repolarisation ventriculaire. Une dispersion de l’espace QT supérieure à 80 ms constitue un facteur indépendant de risque de mort subite chez les patients atteints de cardiomyopathie primitive. Chez des sujets génétiquement prédisposés (syndrome du QT long), une émotion violente est susceptible d’initier une fibrillation ventriculaire et la mort subite. De plus, chez l’athéromateux, les stress sont des facteurs de rupture ou de fissuration de plaque d’athérosclérose latente et de thrombose étant donné le retentissement plaquettaire. L’augmentation des facteurs thrombogène, fibrinogène et du facteur VII, ainsi que l’activation de l’adhésivité et de l’agrégation plaquettaire sont bien démontrées.
Des études anatomiques ou des études de biopsies myocardiques, effectuées au cours de cardiomyopathies de stress, ont montré des lésions parcellaires myocardiques avec présence de nécrose en bande associée à de petits infiltrats disséminés de cellules mononucléées. Ces lésions de sidération myocardique, conséquences du choc catécholergique, sont voisines de celles rencontrées dans les complications cardiaques aiguës des phéochromocytomes (cf.figure 2.4).