15. Col utérin, papillomavirus et cancer
A.-I. Richet
Ma pratique de gynécologue, mais surtout de colposcopiste, m’a permis de m’interroger sur les différentes réactions des patientes à la présence de ce virus, mais également aux réponses que nous pouvons leur apporter et à toutes les interrogations qui persistent.
L’infection à HPV du col utérin est la plus fréquente des maladies sexuellement transmises de la femme. Si elle n’est pas dépistée à temps, elle peut être responsable des cancers du col (3380 cancers du col survenus en France en 2000) et de décès (environ 1000 ; Anaes, 2004).
Développement du papillomavirus et cheminement du cancer
Le HPV est un petit virus à ADN sans enveloppe, avec une capside et constitué de 80 paires de bases sur un double brin d’ADN portant 8 gènes en 3 régions E, L et LRR. La protéine L permet, par autoassemblage, la fabrication des VPL (virus particle like), constituant les vaccins anti-HPV.
On connaît une centaine d’HPV dans l’espèce humaine. Ils se répartissent grossièrement en deux groupes :
– groupe non agressif : principalement 6, 11, 42, 43, 44 ;
– groupe potentiellement oncogène : 16, 18 (pour 70 à 80 % des lésions de haut grade) 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 68, et d’autres (Bergeron et al., 1992).
Si les HPV à haut risque sont responsables des lésions de haut grade, on les retrouve aussi dans plus de 50 % des lésions de bas grade (CIN I).
L’infection à HPV survient souvent au début de la vie sexuelle, lors des tout premiers rapports quand l’immunité du col et probablement aussi les défenses de la glaire cervicale sont insuffisantes. Près de 80 % des femmes seraient infectées par ce virus avant l’âge de 30 ans. Seul un petit nombre d’entre elles garderont ce virus dans leurs cellules cervicales, virus susceptible d’altérer le cycle cellulaire en faisant pénétrer son ADN dans le noyau des cellules. On peut donc considérer que, plutôt que la présence d’un HPV à haut risque chez une femme, c’est sa persistance après l’âge de 25 ans qui peut poser un problème.
Une fois le virus intégré, il entraîne un certain nombre de modifications cellulaires mais également architecturales du tissu cervical, tout en respectant au début la membrane basale, signe de la non-invasion des lésions, jusqu’à la survenue tardive d’un cancer après 10 à 15 ans d’évolution sans traitement. Ces notions, compliquées pour les médecins, sont abstraites pour les patientes et d’autant plus difficiles à transmettre.
Le pic de fréquence des lésions de haut grade est maximal dans la tranche d’âge 25-45 ans, et ces frottis anormaux représentent alors 10 % de l’ensemble des frottis. Quant au cancer invasif, il survient plutôt après 55 ans. C’est bien là une partie du problème : l’infection à HPV est une pathologie des trentenaires, mais la contamination se fait avant 20 ans et le cancer survient après 50 ans. La femme est donc touchée à tous les tournants de sa vie : au début de sa sexualité, au moment des maternités et à la ménopause.
Moyens diagnostiques de la pathologie du col
Nous allons envisager ici les différents moyens à notre disposition pour explorer le col de la femme. Depuis Papanicolaou en 1933, on sait que l’analyse des cellules du vagin et du col permet de détecter des anomalies avant que la clinique ne soit parlante et n’évoque un cancer du col devant des métrorragies spontanées ou, plus classiquement, provoquées. Même si le frottis cervicovaginal n’a une sensibilité (possibilité de faux négatifs) que de 30 à 87 % pour une spécificité (possibilité de faux positifs) de 86 à 100 %, il reste un examen fiable et efficace dans le dépistage primaire des lésions du col utérin. Ainsi, dans la majorité des cas, les femmes qui développent un cancer du col sont celles qui ne sont pas suivies ou qui n’ont pas eu de suivi approprié après une première alerte. Dans les pays nordiques où le dépistage couvre plus de 90 % de la population féminine, le cancer du col a presque disparu.
Depuis 2001, la conférence de Bethesda a permis un nouveau consensus concernant la classification des frottis. Ce consensus est fondé sur une réponse analytique ; ainsi, de nouveaux termes sont apparus, peu familiers aux femmes qui étaient habituées aux anciennes classes I et II.
Ces mots ou acronymes, comme ASC-US (anomalies indéterminées des cellules squameuses) ou HSIL (lésion intraépithéliale squameuse de haut grade), sont peu compréhensibles, et même si les femmes ont repéré depuis longtemps le résultat normal, toute modification dans l’écriture est génératrice d’angoisse. Dès lors, elles appellent leur gynécologue, demandant une explication sur cet ASC-US ou ce HSIL. Nous leur proposons une explication de texte parfois un peu lénifiante, et souvent simplement un courrier disant que le frottis montre quelques anomalies sans gravité mais qu’il convient de contrôler. Ce frottis qui n’était jusqu’alors que « de routine » devient alors examen médical complémentaire anormal, donc anxiogène. La patiente se sent devenir une malade et rentre alors dans le circuit des explorations du col utérin dont la première est la colposcopie. C’est un examen qui fait peur, car son nom est compliqué ; il est d’ailleurs souvent mal compris par les femmes qui disent « coloscopie », plus familier à leurs oreilles.
Comment se passe cette consultation particulière ? La patiente vient sur les conseils de son médecin et, même si celui-ci a bien tout expliqué, le premier rôle du colposcopiste est de reprendre le résultat du frottis et de répondre aux questions. Souvent, la patiente demande si c’est grave, mais il semble que la « vraie » question est : « Est-ce que c’est un cancer ? » Lorsque la réponse est négative, et souvent après qu’elle a été répétée pour une plus grande certitude, la patiente est réellement et visiblement soulagée. Elle exprime fréquemment ce soulagement en nous disant qu’elle était très inquiète, que cela fait plusieurs nuits qu’elle ne dort pas, et sourit enfin en s’autorisant à se détendre et à se laisser aller en arrière sur son fauteuil.
Il devient alors possible de lui expliquer le déroulement de la consultation de colposcopie – un examen du col avec des jumelles éclairantes – et de la rassurer sur le caractère indolore de l’examen et même des biopsies si elles sont nécessaires. La colposcopie est un examen qui demande un certain temps. Il est bon de prévenir les patientes que cela ressemble à un frottis quant à la sensation mais que c’est plus long, et donc qu’il faut qu’elles se détendent. Pendant l’examen colposcopique et ses trois temps – sans préparation, après application d’acide acétique puis de Lugol -, il est indispensable « d’occuper » les patientes en leur parlant et de les rassurer sur ce qu’on voit et qu’elles peuvent parfois voir elles-mêmes si le colposcope est relié à un moniteur télé. Quand on dispose donc d’une caméra branchée sur le colposcope, on peut montrer aux femmes « en live » ce qu’on fait « en bas ». Elles découvrent ainsi leur col et sont souvent surprises des couleurs, des saignements éventuels, toujours inquiétants pour elles. On peut leur faire voir les changements de coloration liés aux applications d’acide acétique puis de Lugol, et expliquer où se situent les zones pathologiques. La plupart sont intéressées par cette vision d’une partie d’elles, partie toujours invisible voire méconnue : « Mais le col c’est où exactement ? On peut le toucher avec son doigt ? » Ce sont des questions souvent posées et tous les gynécologues ont eu l’expérience de patientes venant en consultation pour la découverte d’une « boule » dans le vagin, qui sont en fait dans le col.
Des biopsies sont éventuellement réalisées sur les zones pathologiques en faisant tousser la patiente à la fois pour faire descendre le col, permettant une meilleure préhension et aussi pour créer une autre sensation dans l’effort de toux, sensation en compétition avec l’inconfort de la biopsie. Le gynécologue utilise aussi le colposcope pour examiner la vulve et la région périanale, à la recherche de condylomes externes.
Souvent, la vision de leur vulve les dérange plus que celle de leur col : l’aspect des lèvres, la vue des poils sont choquants pour certaines ; elles trouvent que c’est « inesthétique ». Mais elles sont rassurées que nous voyions ce qu’elles ont senti avec leurs doigts et que nous puissions nommer ces lésions. D’autres femmes ressentent désagréablement l’examen, se sentant gênées que nous puissions les soupçonner de pratiques sexuelles « différentes ». Là encore, la parole du colposcopiste est fondamentale et il se doit d’être retenu mais explicatif.
Après l’examen, un schéma colposcopique est réalisé, permettant au colposcopiste de commenter dans le même temps pour la patiente les anomalies repérées et de lui situer les lésions ainsi que la place des biopsies.
La question suivante porte alors inévitablement sur le traitement et les alternatives suivantes : traiter par destruction ou exérèse, ou attendre avec contrôle ultérieur en fonction des résultats des prélèvements.
Comment aborder la pathologie précancéreuse qu’est le HPV ?
À l’issue de cette mise au point, de nombreuses questions restent en suspens.
Le HPV est bien une infection sexuellement transmise, mais peu importe l’activité sexuelle ; la transmission se fait au tout début de la vie sexuelle, souvent avec le premier partenaire. Même si le nombre de partenaires sexuels est un facteur de risque supplémentaire pour la pathologie du col, il est de nombreuses femmes qui développent l’infection sans avoir multiplié les amants. Comme nous venons de le voir, l’infection à HPV est une maladie sexuellement transmise et cette transmission particulière génère bien des questions.