4. Cognition et Langage
CAPACITÉS COGNITIVES
COMPÉTENCES COGNITIVES : QUELQUES DÉFINITIONS
On raconte que monsieur Binet, interrogé sur ce qu’était l’intelligence, répondait: « C’est ce que mesure mon test » (Test de Binet-Simon, 1908). En un siècle, le problème s’est enrichi mais pas résolu de façon simple. Les pédiatres ont été exposés à différentes écoles de pensée sur le développement telles que celle de Gesell ou celle de Piaget. Chacune propose sa conception du développement, qu’elle soit davantage fondée sur la maturation, l’apprentissage ou l’adaptation. Très schématiquement, on constate qu’à la phase prélinguistique ou encore sensorimotrice, soit de 0 à 2 ans, l’activité exploratoire s’exprime essentiellement dans le comportement moteur. Ce comportement se calmera vers 30 mois, au bénéfice de l’échange verbal, enrichissant la relation interpersonnelle. Plus tard, il sera possible de dissocier par l’évaluation l’intelligence concrète ou adaptative, qui porte davantage sur la faculté d’établir des relations entre soi et les autres, aptitude nécessaire dans la vie quotidienne, et l’intelligence abstraite, celle qui consiste à traiter efficacement une grande quantité d’informations, ou encore la capacité de résoudre des problèmes nouveaux grâce à la découverte des principes sous-jacents.
DÉVELOPPEMENT « NORMAL » : QUELQUES REPÈRES
On ne connaît pas les bases anatomiques et physiologiques de l’intelligence ; on sait que ça se passe dans le cerveau et que la génétique, la famille, l’environnement et les émotions contribuent à l’efficience cognitive d’un individu. La seule façon de mesurer l’intelligence d’un individu est d’utiliser des tests qui évaluent les compétences cognitives (sous le double aspect « concret » et « abstrait ») d’après les résultats et comportements observés au cours des multiples situations proposées.
Dans chaque test, des tâches sont proposées en sous-groupes, en particulier tâches verbales et non verbales. Ces tâches sont normalisées dans une population représentative ; le score calculé sur l’ensemble des tâches réussies est désigné sous le nom de « quotient intellectuel » (QI). Les résultats peuvent être exprimés en âge mental: le groupe d’épreuves qui a été complètement réussi fixe l’âge mental de base, auquel on rajoute des mois en fonction de la réussite dans les épreuves plus difficiles. L’âge mental se traduit généralement en quotient, à l’aide de la formule:
Les résultats peuvent aussi être directement dérivés des étalonnages normalisés. On adopte alors une échelle standard ayant le plus souvent comme moyenne 100 et comme écart type 15. On calcule le quotient d’après la table normative. Le quotient de développement (ou QD) est la terminologie souvent utilisée jusqu’à 4 ans, c’est-à-dire avant qu’il ne soit possible de définir l’intelligence abstraite, et pour tenir compte de la variabilité individuelle très grande du développement au cours des premières années de la vie.
On entend souvent les périnatalogistes se plaindre de la diversité des instruments psychométriques: « Il serait temps que nous adoptions une fois pour toutes un test unique, pour être capables de comparer nos résultats à long terme… » Proposition ô combien naïve et inappropriée ! Le choix d’un test sera fait en réponse à de nombreux critères, parmi lesquels on retrouve:
– incapacités motrices ou sensorielles associées ;
– population normative appropriée ;
– formation de l’évaluateur pour l’administration et l’interprétation ;
– contexte d’administration du test.
Pour un dépistage clinique précoce, de la naissance à 4 ans, le test de Brunet-Lézine, décrit au tableau 4.1, est le plus couramment utilisé en France et s’avère très comparable au test de Bayley, largement utilisé dans les pays anglo-saxons. L’un et l’autre de ces tests sont réalisés soit dans un but individuel pour apprécier le profil évolutif d’un enfant, soit dans un but épidémiologique pour analyser une cohorte d’enfants à risque. Chez l’enfant de plus de 4 ans, les tests sont plus diversifiés: certains outils tels que les batteries psychométriques de Wechsler évaluent l’intelligence abstraite.
Instrument | Âge | Expression des résultats | Pays d’étalonnage | Meilleures indications | Référence |
---|---|---|---|---|---|
Bayley Scales of Infant and Toddler Development – III (Bayley, 2005) | 0 à 42 mois | Sphères cognitive, motrice et langage évaluées par observations directes. Fonctionnement social-émotif et comportement adaptif évalués par questionnaires complétés par les parents | États-Unis | Instrument de dépistage clinique | Bayley N. Bayley Scales of Infant and Toddler Development, 3rd ed. Hartcourt Assessment, Psychological Corporation, San Antonio, Tx, 2005 |
Brunet-Lezine (1951) Réétalonnage de 2 à 30 mois (1997) | 0 à 4 ans | 4 rubriques et note globale permettant de calculer le QD | France | Instrument de dépistage clinique | Brunet O, Lezine I. Échelle de développement psychologique de la première enfance – Établissements d’applications psychotechniques, Issy-les-Moulineaux, France, 1951 |
Griffiths Mental Developmental Scales Réétalonnage de 0 à 2 ans (2001) | 0 à 8 ans | 6 échelles (locomotion, coordination, sociabilité, langage, performance et raisonnement). Quotients calculés pour chaque échelle et DQ global Moyenne = 100; DS = 12,76 | UK | Suivi d’une cohorte Surveillance clinique individuelle | Griffiths R. The Abilities of Young Children: Main. The Test Agency, High Wycombe, UK, 1954 |
McCarthy Scales of Children’s Abilities (McCarthy, 1972) | 2 ans ½ à 8 ans ½ | Échelle verbale Échelle de performance Quantitative Scale Mémoire Moyenne = 50 ; DS = 10 | États-Unis | Suivi d’une cohorte Surveillance clinique individuelle | McCarthy DA. Manual of the McCarthy Scales of Children’s Abilities. Psychological Corporation, San Antonio, TX, 1972 |
Stanford-Binet, 4e éd. (Thorndike et al., 1986) | 2 à 23 ans | Index cognitif général Moyenne = 100 ; DS = 16 | États-Unis | Thorndike RL et al. Guide for Administring and Scoring the Strandford Binet Intelligence Scale, 4th ed. Riverside Publishing, Chicago, CL, 1986 | |
Instrument | Âge | Expression des résultats | Pays d’étalonnage | Meilleures indications | Référence |
WPPSI-R (Wechsler, 1989) | 3 à 7 ans | QI verbal QI performance QI global Moyenne = 100 ; DS = 15 | États-Unis | Suivi de cohorte Évaluation clinique individuelle | Wechsler D. Manual for the Preschool and Primary Scale of Intelligence-revised. Psychological Corporation, San Antonio, TX, 1989 |
WISC-IV (Wechsler, 2003) | 6 à 16 ans | États-Unis | Suivi de cohorte Évaluation clinique individuelle | Wechsler D. Manual for the Wechsler Intelligence Scale for Children, 3rd ed. Psychological Corporation, San Antonio, TX, 1991 | |
Kaufman (K-ABC) (Kaufman et Kaufman, 1983) | 2 ans ½ à 12 ans ½ | Donne l’équivalent d’un QI et un âge mental Analyse le traitement de l’information | États-Unis | Suivi de cohorte Évaluation clinique individuelle | Kaufman A, Kaufman NL. K-ABC: Kaufman Assessment Battery for Children. American Guidance Service, Circle lines MN, 1983 |
Columbia Mental Maturity Scale (CMMS, 1972) | 3 ans ½ à 9 ans | Analyse les capacités de raisonnement, classification perceptuelle et manipulation abstraite | États-Unis | Enfants avec IMOC ayant des difficultés motrices limitant l’expression verbale | Burgemeister BB et al. Columbia Mental Maturity Scale, 3rd ed. Psychological Corporation, San Antonio, TX, 1972 |
Au cours des deux dernières décennies, un nouveau courant s’est exprimé par le développement d’outils orientés davantage vers les comportements adaptatifs ou l’autonomie dans la vie quotidienne: ce sont, entre autres, le Pediatric Evaluation of Disabilities Inventory (PEDI), le Vineland Adaptive Behaviors Scale et la Mesure d’indépendance fonctionnelle (MIF-Môme). Ces mesures permettent une appréciation valide de l’impact des déficiences sur les capacités fonctionnelles de l’enfant. Elles sont donc complémentaires des tests cognitifs sans les remplacer: les tests les plus courants sont répertoriés ailleurs [1].
D’une façon générale, l’analyse des résultats d’un enfant dans les différentes composantes du test a plus d’intérêt que le résultat global, en permettant de mettre en évidence des dissociations entre les résultats obtenus dans les sous-groupes (définies par une différence supérieure à 15 points entre, par exemple, le QI verbal et le QI performance). Ces dissociations ont une bonne valeur d’orientation: par exemple, un QI verbal plus bas pourrait orienter vers une dysphasie développementale alors qu’un QI performance plus bas pourrait orienter vers une dyspraxie visuospatiale. Cette interprétation simplifiée demeure toutefois insuffisante pour établir un profil précis du fonctionnement cognitif de l’enfant. Les observations de l’évaluateur sur les stratégies d’exécution et de résolution de problème, le comportement émotionnel, l’attention au cours de la passation de test sont également essentielles pour la description des capacités de l’enfant.
Les capacités d’attention représentent une composante importante pour le développement et l’efficacité des fonctions cognitives. La mesure de l’attention devrait donc avoir une place importante dans toute évaluation développementale à l’âge préscolaire, en particulier en cas de suspicion de déficience mentale ou TDAH [2]. La majorité des instruments développés en recherche ne sont pas entrés dans la pratique courante [3]. Dès l’âge de 2 ans, les tests fondés sur le temps de réaction à un stimulus (réponse par pression sur un bouton) sont d’utilisation simple: la vitesse de réaction augmente rapidement entre 3 et 5 ans, avec des progrès dans les processus d’excitation et d’inhibition. D’autres tests de vigilance sollicitent l’attention visuelle et/ou auditive, mesurant la rapidité de réaction à des stimuli présentés au hasard. Entre 3 et 6 ans, l’utilité de ces évaluations a été mise en doute en raison de la nature très variable de l’attention à cet âge. Cette variabilité n’est pas surprenante à un âge où la maturation du système préfrontal progresse rapidement avec le développement des connexions synaptiques. Néanmoins, pour un dépistage universel des troubles de l’attention à l’âge préscolaire, des questionnaires remplis par les parents et/ou les enseignants de maternelle sont de plus en plus utilisés. Les échelles de Conners, disponibles dans plusieurs langues, peuvent être utilisées à partir de 3 ans [4]. Toutefois, certains parents peuvent éprouver des difficultés à compléter le questionnaire avant que l’enfant ait atteint l’âge de 5 ans, du fait de la nature des questions [3].
DÉFICIENCE INTELLECTUELLE
Définition et catégorisation
Rendant compte des deux aspects de la définition des capacités cognitives, le traitement de l’information et son impact sur les capacités d’adaptation, la définition de la déficience intellectuelle dans le DSM-IV [5] est la suivante: fonctionnement intellectuel général significativement inférieur à la moyenne (QI < 70) (critère A) associé à des limitations significatives dans au moins deux domaines du fonctionnement adaptatif (tels que communication, hygiène personnelle, apprentissages scolaires, responsabilité individuelle, etc.) (critère B). La sémiologie doit apparaître avant l’âge de 18 ans (critère C). La déficience intellectuelle a été découpée en quatre catégories par l’organisation mondiale de la santé (OMS). Plus récemment, l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD) a proposé des modifications à cette catégorisation pour intégrer les notions d’autonomie et d’aide requise (intermittente, restreinte, importante, constante) par l’individu dans divers contextes sociaux. Les distinctions sont présentées au tableau 4.2.
Niveau de fonctionnement | Zone du QI | Catégorisation de la déficience | |
---|---|---|---|
OMS | AAIDD | ||
Langage et logique concrète Niveau fin de primaire | 50-55 à 70-75 | Légère | Légère 51-75 |
Langage pauvre Niveau préscolaire | 35-40 à 50-55 | Modérée | |
Langage rudimentaire ou absent Niveau 2 ans | 20-25 à 35-40 | Sévère | |
Intestable | Inférieur à 20-25 | Profonde |
Prévalence
La déficience mentale est souvent appelée « retard mental ». La prévalence est très imprécise en raison des variations dans les définitions [6]. Sans entrer dans cette discussion, on peut retenir un chiffre global voisin de 2,5 % de la population, dont 0,3 à 0,4 % de déficience sévère à modérée (QI < 50) et 1,5 % de déficience dite légère (QI compris entre 50 et 70): on peut donc constater la répartition pyramidale du plus sévère au plus léger, comme pour l’IMOC. Une étiologie spécifique n’est reconnue que dans 40 à 60 % des cas seulement, génétique ou acquise.
Apport de l’évaluation neurologique et neuropsychologique
L’examen neurologique tel que décrit au chapitre 2 est essentiel: il permet souvent à lui seul de déterminer la cause de la déficience intellectuelle. Il est complètement distinct de l’évaluation neuropsychologique. La neuropsychologie est une discipline assez récente en pédiatrie dans laquelle la relation entre cerveau et fonctionnement psychologique complexe tente d’être mieux comprise. Bien évidemment la nature des investigations dépend de l’âge, ici c’est seulement l’enfance qui nous intéresse, c’est-à-dire la période de la vie à laquelle les investigations sont limitées par l’immaturité fonctionnelle [6].
L’indication d’un bilan neuropsychologique chez un enfant en difficulté scolaire [7, 8] se fera sur l’histoire périnatale suggérant la possibilité d’une pathologie cérébrale, sur l’histoire du développement des premières années témoignant de problèmes dans un ou plusieurs domaines, sur l’examen neurologique, sur un échec scolaire.
Une batterie de tests neuropsychologiques appropriée à chaque cas sera appliquée à l’âge des troubles de l’apprentissage, autrement dit à l’âge où on peut aborder la mémoire, le langage, les fonctions visuospatiales, la résolution de problème, etc. Elle permettra d’entrevoir ainsi la façon dont l’enfant traite l’information afin de déterminer quelle déficience spécifique dans le domaine cognitif peut expliquer la mauvaise qualité des performances langagières. L’idée générale est donc de cibler certains tests qui permettront de définir les stratégies de l’enfant dans le domaine intellectuel, et ce dans le but de l’aider de façon spécifique.