24. Cardiotoniques
Les cardiotoniques améliorent la contraction et le débit cardiaques dans l’insuffisance cardiaque. Leur action tonicardiaque est caractérisée par le ralentissement, le renforcement et la régularisation des battements cardiaques. La similitude de leur structure et de leur activité pharmacodynamique en font un groupe très homogène de médicaments; ce sont des hétérosides non azotés constitués par l’association d’une fonction osidique et d’une génine aglycone formée d’une molécule stéroïdique accouplée à un cycle lactonique insaturé pentagonal (cardénolide) ou hexagonal (bufadiénolide). On distingue les cardiotoniques majeurs dérivés de la digitale et du strophantus et les cardiotoniques mineurs dérivés de la scille, du muguet, de l’adonis, de l’aubépine, du laurier-rose.
RAPPEL PHYSIOLOGIQUE
Les propriétés physiologiques cardiaques caractérisées par l’automaticité dépendent du fonctionnement du myocarde, du tissu nodal et de l’innervation intrinsèque.
Le myocarde est doué de contractilité et de tonicité. La première propriété correspond à la fonction inotrope dont dépend le débit cardiaque. La seconde relative au tonus cardiaque pendant la diastole est appelée fonction tonotrope.
Le tissu nodal est caractérisé par son excitabilité, sa rythmicité, sa conductibilité. La première dépend de la période réfractaire cardiaque, elle est appelée fonction bathmotrope. La seconde est la fonction chronotrope dont dépend la fréquence cardiaque. La troisième correspond à la fonction dromotrope: la conductibilité est orientée depuis la région du sinus jusqu’à la pointe du cœur.
L’innervation extrinsèque comprend des nerfs cardio-accélérateurs et des nerfs cardio-inhibiteurs. Les fibres cardio-accélératrices proviennent du sympathique cervical. Leur stimulation provoque des effets chronotrope, inotrope, dromotrope positifs, un effet bathmotrope négatif, un effet tonotrope positif ou négatif selon les espèces. Les fibres cardio-inhibitrices proviennent du parasympathique bulbaire et suivent le trajet du nerf pneumogastrique. Leur stimulation entraîne des effets chronotrope, inotrope, dromotrope, tonotrope négatifs et un effet bathmotrope positif.
L’innervation cardiaque extrinsèque est sous la dépendance de stimuli provenant du sinus carotidien qui suivent le trajet du nerf de Hering et provenant de la crosse aortique qui empruntent la voie du nerf de Ludwig-Cyon. Une chute de la pression artérielle dans les sinus provoque une cardio-accélération et une vasoconstriction. Un accroissement de pression détermine une bradycardie et une vasodilatation.
Le travail cardiaque normal est dépensé en éjectant une certaine quantité de sang, contre la pression régnant dans l’aorte et en imprimant à la masse sanguine une certaine vitesse. Starling a énoncé les lois du fonctionnement du cœur. Ce travail T du cœur dépend du volume d’éjection systolique ES, de la pression artérielle moyenne PA, de la masse de sang éjectée m et de la vitesse acquise v:
T = ES × PA + l/2 mv2
Le débit cardiaque DC est le produit du volume d’éjection systolique ES par la fréquence cardiaque F:
DC = ES × F
Il dépend de la résistance périphérique vasculaire RPV et de la pression artérielle moyenne PA:
L’efficience cardiaque est le rapport du travail cardiaque au volume d’oxygène consommé.
Le débit cardiaque dépend donc de la vigueur de la contraction cardiaque, du volume ventriculaire, du retour de sang veineux, du temps de remplissage, de la pression aortique au moment de la systole. L’augmentation du volume du sang entraîne une augmentation du débit cardiaque et de la pression artérielle. Une altération cardiaque amènera une stase veineuse et une augmentation de la pression artérielle pulmonaire.
Altérations pathologiques de la fonction cardiaque
Les altérations pathologiques justiciables des cardiotoniques sont les insuffisances valvulaires, mitrale et aortique, l’insuffisance cardiaque, l’asystolie, les troubles du rythme supraventriculaires.
Dans l’insuffisance mitrale, les valvules mitrales ne se ferment plus complètement; au moment de la systole ventriculaire le sang reflue en partie dans l’oreillette gauche au lieu d’être poussé en totalité dans l’aorte. Il en résulte une pression veineuse pulmonaire accrue, une hypertrophie ventriculaire droite, une dilatation cardiaque droite: c’est le «cœur pulmonaire».
L’insuffisance aortique est causée par une fermeture incomplète des valvules sigmoïdes. Le sang ne passe pas totalement dans l’aorte et reflue dans le ventricule gauche. On observe une hypertrophie ventriculaire gauche pour compenser le débit cardiaque insuffisant. À l’hypertrophie réactionnelle de compensation fait suite une dilatation paralytique: c’est la décompensation. Il en résulte de la fatigue, de la cyanose, de la dyspnée, de l’œdème, de la tachycardie et de la congestion hépatique.
Les asystolies sont caractérisées par une systole incomplète. Elles sont la cause de l’insuffisance cardiaque, droite, gauche ou totale. Lorsque la systole est incomplète, la pression dans les oreillettes et les ventricules demeure importante pendant la diastole: c’est le résidu diastolique. Le débit cardiaque est diminué, les territoires vasculaires insuffisamment irrigués sont en anoxie partielle, la vitesse sanguine est diminuée, la stase veineuse est importante. La pression artérielle dans les vaisseaux rénaux est insuffisante; la filtration glomérulaire est diminuée; la diurèse est abaissée; on observe une rétention d’eau et un œdème des membres inférieurs. La masse sanguine augmente et entraîne une dyspnée et un risque d’œdème pulmonaire. L’insuffisance du flux plasmatique rénal détermine l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone d’où la sécrétion d’aldostérone qui favorise la rétention du sodium et accroît encore l’œdème. Le système sympathique est excité, les vaisseaux sont contractés, le travail du cœur est accru pour forcer la résistance vasculaire périphérique.
Le débit cardiaque étant insuffisant, le cœur cherche à compenser cette déficience par une accélération: la tachycardie de compensation. Les troubles du rythme peuvent aller jusqu’à l’arythmie avec disparition de l’onde P à l’électrocardiogramme. Le rythme des oreillettes peut être trop rapide et n’être pas suivi par les ventricules: c’est le flutter auriculaire.
Le cœur compense ces altérations lorsque ses réactions d’adaptation permettent une irrigation normale des tissus au repos et au cours d’un léger effort.
CARDIOTONIQUES MAJEURS
Les cardiotoniques majeurs sont retirés: de la digitale pourprée, Digitalis purpurea, Scrofulariacée, pour la digitoxine (anciennement Digitaline découverte par Nativelle) et gitoxine; de la digitale laineuse, Digitalis lanata Scrofulariacée, pour l’acétyldigitoxine, l’acétylgitoxine, la digoxine, l’acétyldigoxine, le lanatoside C ou deslanoside; de divers Strophantus, Apocynacées, pour l’ouabaïne et la strophantine. Ils sont constitués d’une génine stéroïdique et de sucres (fig. 24.1).
Fig. 24.1 |
La présence d’un OH en 14 est nécessaire à l’activité cardiotonique, de même que le cycle lactonique insaturé. Les génines sont moins actives que les hétérosides; les sucres, glucose et digitoxose, sont dépourvus d’activité par eux-mêmes mais modulent l’activité des hétérosides (fig. 24.2).