5. Cardiomyopathie de stress, Syndrome du tako-tsubo
Observations
Les cardiomyopathies de stress, décrites en 1991 par des auteurs japonais, représentent une nouvelle affection cardiaque caractérisée par la survenue brutale d’une dysfonction ventriculaire gauche, réversible, se produisant à la suite d’un événement dramatique brutal, d’un stress psychologique ou physique intense [1] and [2]. Cette affection est décrite dans la littérature sous diverses dénominations : ballonisation apicale du ventricule gauche, broken heart syndrome, ampulla cardiomyopathie ou syndrome du tako-tsubo, faisant référence à la déformation aiguë du ventricule gauche ressemblant à un piège à pieuvres utilisé au Japon [3] and [4]. De nombreux cas ont été rapportés au Japon, puis aux États-Unis et enfin en Europe, laissant penser que cette pathologie, rare mais non exceptionnelle, a été longtemps méconnue [5] and [8]. Les principales caractéristiques de ces observations sont leur prédominance féminine, leur début brutal évoquant un infarctus du myocarde, la gravité immédiate de la dysfonction ventriculaire et sa réversibilité totale dans la majorité des cas. Les angiographies, réalisées en urgence, montrent l’absence de thrombose artérielle et d’athérosclérose significative sur les principaux troncs coronariens.
Abe et Kondo ont proposé récemment deux critères majeurs et trois critères mineurs pour confirmer le diagnostic de cette nouvelle entité pathologique [9].
Les critères majeurs sont :
• la ballonisation apicale réversible du ventricule gauche;
• les anomalies de l’électrocardiogramme mimant un syndrome coronarien aigu.
Les critères mineurs sont :
• le stress physique ou psychique comme facteur déclenchant;
• l’élévation modérée des marqueurs biologiques;
• la douleur thoracique ou la dysfonction ventriculaire gauche.
Plusieurs mécanismes physiopathologiques ont été proposés pour expliquer les aspects cliniques, angiographiques et évolutifs de ce syndrome. On évoque un spasme coronarien à l’étage microvasculaire, des anomalies de la fonction microcirculatoire, la toxicité sur les myocytes de la libération brutale de catécholamines.
Nous avons pu observer 12 cas concernant des femmes d’âge moyen de 56 ans, sans antécédent pathologique cardiovasculaire majeur, hospitalisées pour une douleur thoracique prolongée ou une insuffisance cardiaque aiguë.
Les signes cardiaques étaient consécutifs à des traumatismes psychologiques soudains et intenses : décès brutaux et inattendus de proches parents, terreurs soudaines à l’occasion de circonstances dramatiques, agressions, inondations, etc. Les manifestations cardiaques sont survenues dans les suites immédiates du choc psychologique ou affectif. Toutes les patientes ont été hospitalisées en unités de soins intensifs, ont subi une surveillance de leur électrocardiogramme, des dosages enzymatiques et biologiques habituels, une coronarographie et une ventriculographie gauche, une échocardiographie à la phase aiguë. À leur sortie de l’hôpital, elles ont été soumises à des contrôles cliniques, électriques, biologiques et échocardiographiques pendant plusieurs mois.
Incidence
L’incidence et la prévalence de ces atteintes myocardiques sont encore méconnues. Depuis quelques années, le nombre d’observations publiées ne cesse d’augmenter. Pour Bybee, cette affection est identifiée dans 2 % environ des syndromes coronariens aigus avec sus-décalage du segment ST, hospitalisés dans son institution entre 2000 et 2003 [7]. Pour les auteurs japonais, l’incidence de ces cardiomyopathies se situe entre 1,5 et 2,2 % des hospitalisations réalisées en urgence pour infarctus aigus. Akai constate ces observations de ballonisation apicale du ventricule gauche chez 2 % des patientes hospitalisées pour une insuffisance cardiaque aiguë lors d’un tableau d’infarctus du myocarde. Dans notre expérience, ces cardiomyopathies aiguës ne représentent qu’environ 0,5 % des cas d’hospitalisation pour syndrome coronarien. Dans des séries françaises, l’incidence se situe entre 0,7 et 1 % par des syndromes coronariens aigus.
Toutes les études soulignent la très nette prédominance féminine de ces atteintes cardiaques : 88,8 % des observations concernent des femmes ménopausées entre 50 et 80 ans, l’âge moyen se situant dans les divers travaux analysés entre 58 et 77 ans [5][10] and [11].
Dans les séries publiées, 2,7 % seulement des malades ont un âge inférieur à 50 ans, une de nos patientes avait 41 ans. La prévalence des facteurs de risque n’est pas toujours mentionnée et varie en fonction de l’âge des patientes. Le tabagisme, l’hypertension artérielle et le diabète sont constatés respectivement dans 26,5 %, 22,8 % et 11 % des cas en moyenne. Dans notre expérience, les deux patientes les plus âgées avaient été traitées pour une hypertension modérée et une dyslipidémie, les autres n’avaient pas de facteur de risque cardiovasculaire.
Le facteur déclenchant peut être un stress psychologique ou physique. Les stress émotionnels les plus fréquemment mentionnés sont le décès brutal d’un proche, une agression, une colère violente, une altercation, la survenue d’une catastrophe naturelle, une perte financière importante. Les stress physiques sont une douleur prolongée intense, une intervention chirurgicale importante extracardiaque, la prise de cocaïne. On a rapporté des syndromes de tako-tsubo lors de douleurs viscérales intenses au cours de pancréatite aiguë, d’un pneumothorax spontané, de coliques néphrétiques, de fracture des membres. Quelques observations concernent des ballonisations apicales secondaires à des traumatismes crâniens importants, des hémorragies méningées ou des accidents vasculaires cérébraux hémorragiques [8] and [11]. Exceptionnellement, on ne constate aucun épisode déclenchant physique ou psychique, ces observations très rares faisant surtout évoquer une myocardite aiguë (tableau 5.1).
Stress émotionnel | Stress physique |
---|---|
Décès d’un conjoint ou d’un proche | Intervention chirurgicale |
Catastrophe naturelle | Douleur intense |
Agression | Traumatisme, fracture des membres |
Perte financière brutale | Pneumothorax spontané |
Divorce | Pancréatite aiguë |
Inondation | Épilepsie |
Annonce d’une maladie gravissime | Cocaïne |
Exposition au froid | Peur intense |
Manifestations cliniques
Le motif de l’hospitalisation est, dans la majorité des cas, un intense syndrome douloureux thoracique évoquant soit une crise angineuse, soit un infarctus du myocarde brutal. La crise douloureuse survient au repos, mais elle est toujours en rapport avec une cause déclenchante, physique ou psychique [4][5][6][7] and [10]. Le plus souvent, il s’agit d’un traumatisme psychique et affectif brutal (annonce du décès soudain d’un proche). Les symptômes ont été provoqués par l’annonce du décès de deux enfants au cours d’un accident de la circulation pour un de nos cas (cf.cas clinique 1, p. 117), et par l’épouvante après une explosion importante survenue dans la cité pour deux autres cas. Les agressions sont en cause dans deux cas (Figure 5.3 and Figure 5.4). Une dyspnée aiguë et intense démasque l’atteinte myocardique dans 17 à 27,7 % des cas dans la littérature. Six de nos patientes ont été hospitalisées pour un syndrome douloureux précordial intense, trois autres pour une dyspnée aiguë avec sub-œdème pulmonaire, enfin pour une syncope précédée de palpitations dans le dernier cas. Une insuffisance cardiaque sévère avec œdème pulmonaire immédiat est observée dans 27,7 % des cas [7] and [10]. Les symptômes cliniques peuvent être plus discrets, simple malaise avec nausées et sueurs, quelquefois palpitations avec lipothymies [6][7] and [10]. Des manifestations cliniques très graves ont été rapportées : choc cardiogénique (4,2 % des cas), syncope (1,7 % des cas) ou arrêt circulatoire dû à une fibrillation ventriculaire. Une fibrillation auriculaire paroxystique avec lipothymies est mentionnée, mais cette arythmie paraît exceptionnelle.
Cas clinique 1
Madame D. est âgée de 62 ans. Alors qu’elle dort profondément, Mme D. est réveillée brutalement une nuit par la gendarmerie : on lui apprend soudainement que ses deux fils âgés de 24 et 18 ans viennent de se tuer au cours d’un accident de voiture. Profondément bouleversée, elle a un malaise lipothymique, s’écroule en pleurs. Dans les minutes qui suivent, elle se plaint de douleurs thoraciques, est de plus en plus oppressée et en quelques minutes s’étouffe et fait progressivement un œdème pulmonaire. Le SAMU est appelé et le médecin de garde constate une tachycardie à 140bpm, une TA à 90–60mmHg et, à l’électrogradiogramme, une ischémie sous-épicardique antérolatérale (figure 5.1). La patiente est traitée par dérivés nitrés, aspirine, morphine et diurétiques. Transportée aux soins intensifs en cardiologie, son état clinique s’est améliorée, elle est bouleversée et très choquée. On pense à un infarctus du myocarde compliqué de dysfonction ventriculaire gauche aiguë et à une thrombose de l’artère interventriculaire antérieure. À la coronarographie réalisée en urgence, on a la surprise de constater l’absence de thrombose ou de sténose significative sur le réseau coronarien. La ventriculographie montre une ballonisation apicale du ventricule gauche, une hypercinésie des segments de la base du coeur, une akinésie de l’apex dilaté. Cet aspect et la dysfonction ventriculaire gauche font évoquer un syndrome du tako-tsubo.
Figure 5.1 |
La fraction d’éjection ventriculaire est à 32 %, la pression télédiastolique du VG élevée à 22mmHg. La troponine I est de 1,2ng/mL, le BNP à 840ng/mL. Les CKMB sont à un taux normal.
Dans les jours qui suivent, la patiente demeure très déprimée mais, sous traitement comportant du captopril, de l’aténolol, une HBPM, des anxiolytiques, elle s’améliore progressivement sur le plan cardiaque. Une IRM montre des anomalies de la cinétique segmentaire, avec une akinésie des segments médians et apicaux et une hyperkinésie de la base du cœur. À l’étude de la perfusion, on ne constate ni hypersignal, ni anomalie de la perfusion, ni rétention du gadolinium. La patiente est régulièrement suivie sur le plan cardiologique. Les signes d’insuffisance ventriculaire gauche régressent, la fonction ventriculaire gauche s’améliore et, à l’échocardiographie, la fraction d’éjection s’améliore en quelques semaines, passant de 30 à 45 % et au 3e mois à 58 %. L’électrocardiogramme montre des ondes T négatives mais moins profondes dans le territoire antérieur, sans onde Q pathologique. Mme D. demeure sous aténolol, aspirine, captopril, anxiolytiques. Elle est confiée à un psychiatre qui décide de l’hospitaliser dans son service vu l’importance du syndrome dépressif. Revue au 6e mois, elle va bien au plan cardiologique avec l’absence d’angor, de dyspnée d’effort, d’arythmie. Le tracé électrique est normal, l’échocardiographie montre la disparition de la ballonisation apexienne, une cinétique ventriculaire normale, une FE ventriculaire à 62 %. La malade poursuit les bêtabloquants, son traitement antidépresseur.
Figure 5.3 D’après P. Gianni. Eur Heart, J 2006; 27 : 1523-9 |
Figure 5.4 D’après : J.-P. Bounhoure. Bul Acad Nat Med 2009; 193 : 895- 907 |
Les altérations électrocardiographiques les plus courantes concernent la repolarisation ventriculaire avec un sus-décalage du segment ST dans les dérivations précordiales antérieures chez 81 % des malades. Ces anomalies sont observées plus rarement dans le territoire inférieur : intervalle de confiance, 95 % : 76,4 à 85,9 % (encadré 5.1). Dans nos dix observations, on a constaté des inversions profondes et diffuses de l’onde T, touchant tous les territoires, anomalie retrouvée dans les séries publiées dans 64 % des cas (cf.Cas clinique 1 and Cas clinique 2: Figure 5.1 and Figure 5.2). Des petites ondes Q, peu profondes et transitoires, apparaissent plus rarement, dans 6 à 30 % des cas [7] and [10]. Un allongement de l’espace QT est fréquemment constaté, atteignant en moyenne 500 à 520 ms (510 ms en moyenne pour nos patientes). Ces anomalies électriques persistent pendant plusieurs jours ou semaines, s’atténuent progressivement avec le temps. Elles peuvent persister après normalisation de la fonction ventriculaire gauche.
Encadré 5.1
▪ Signes en faveur d’une ischémie aiguë :
– sus-décalage du segment ST : 40 % des cas;
– ischémie sous-épicardique étendue : 50 % des cas;
▪ Troubles conductifs : 3 %.
▪ Allongement de l’espace QT>500ms.
▪ Arythmies diverses : 5 %.
▪ Résolution des signes ECG en quelques semaines.
Cas clinique 2
Madame LO., 64 ans, vit dans un pavillon isolé à la campagne, près de Toulouse. Alors qu’elle est seule dans sa maison, son époux étant allé faire des courses, la sonnerie de la porte d’entrée retentit. Elle ouvre et se trouve en présence de deux individus intervenant selon leurs dires pour l’EDF. Elle les laisse entrer et est menacée d’un couteau par l’un d’entre eux. Elle est vivement allongée sur le sol, on lui réclame de l’argent, sa carte de crédit si elle en possède une. Mme LO. crie, se débat et reçoit des coups de poing et de pied, les menaces avec le couteau continuent. Elle refuse de répondre, les assaillants continuent à la frapper, se précipitent dans sa chambre, renversent les meubles, fouillent dans les tiroirs, découvrent une somme d’argent, prennent des bijoux, arrachent les fils du téléphone et s’enfuient rapidement en voiture. Cette femme se relève difficilement avec une plaie du visage, ressent plusieurs malaises. Son mari la retrouve très choquée se plaignant de douleurs thoraciques intenses, irradiant dans le dos et les bras. Le SAMU intervient et la transporte dans une clinique cardiologique. À l’entrée, la patiente a des douleurs thoraciques rétrosternales intenses, mal calmées par la trinitrine a une tachycardie sinusale à 120bpm, une TA à 100-75mmHg. Le tracé électrique montre une ischémie lésion sous-épicardique antérieure (figure 5.2). La troponine I est à 1,2ng/ml. On pense à un infarctus antérieur en voie de constitution. La patiente subit une coronarographie qui montre un réseau coronarien normal, sans sténose athéromateuse significative. La ventriculographie met en évidence une ballonisation apicale du ventricule gauche, une akinésie des segments apicaux, une contractilité normale de la base. La patiente est traitée par aspirine, héparine à bas poids moléculaire, bêtabloquants, trinitrine par voie veineuse et sédatifs. Les douleurs disparaissent en quelques heures. L’état clinique s’améliore, le bilan biologique montre un taux de CPK normal, les transaminases sont normales, la troponine I à 0,5ng/ml L’échocardiographie retrouve une dysfonction ventriculaire gauche, une akinésie apicale, une altération de la fonction ventriculaire avec une FE à 34 %. Le traitement est poursuivi, on assiste une réduction des altérations électriques, mais il persiste une ischémie sous-épicardique antérieure.
Figure 5.2 |
La surveillance échographique constate la régression progressive de la dilatation de l’apex ventriculaire et la fraction d’éjection ventriculaire s’améliore progressivement : 45 %, puis 52 % au 5e mois. La patiente demeure sous aspirine, bêtabloquants, captopril. Le tracé électrique se normalise. Une épreuve d’effort ne montre aucune altération du tracé électrique et une scintigraphie d’effort est normale, n’objectivant aucune anomalie de la perfusion.