LA CAPILLAROSCOPIE EN DEHORS DU LIT PÉRI-UNGUÉAL, INSUFFISANCE ARTÉRIELLE, INSUFFISANCE VEINEUSE, HYPERTENSION ET ANTI-ANGIOGÉNIQUES
Capillaroscopie en pleine peau et troubles trophiques vasculaires
Introduction
L’apparition d’appareillages compacts avec objectif « contact » appliqués sur la peau a permis de réaliser des capillaroscopies en-dehors du lit unguéal, et notamment en pleine peau. Des appareils plus lourds avaient été utilisés dans le passé, permettant à Fagrell [1] de décrire les conséquences microcirculatoires de l’artériopathie des membres inférieurs et de l’insuffisance veineuse chronique. Nous ne décrirons pas ici certaines techniques utilisées en recherche (pression capillaire par canulation, fluorescence) (voir chapitre techniques de recherche). Les applications cliniques de la capillaroscopie en pleine peau restent limitées mais la plus grande accessibilité des appareillages laisse présager d’une extension des applications cliniques au-delà de la recherche. Il est ainsi possible d’imaginer une utilisation pour l’aide au diagnostic de certaines pathologies (angiodermite nécrosante….) ou pour le suivi thérapeutique.
Technique
L’objectif est apposé sur la peau après application d’une goutte d’huile, l’examinateur doit éviter de bouger pendant l’acquisition et peut soit se faire aider d’une autre personne, soit disposer l’appareil de manière à limiter les déplacements (Figure 1). Un faible grossissement (× 50 par exemple) permet la visualisation d’un large champ et une meilleure profondeur. L’objectif « contact » est muni d’un cône de plastique appliqué directement sur la peau. Pour le membre inférieur, la position assise est préférable car elle permet une augmentation de la visibilité des capillaires.
Capillaroscopie en pleine peau chez le sujet sain
En dehors du lit péri-unguéal, les capillaires sont généralement perpendiculaires au plan cutané et seul leur sommet est visible sous la forme d’un point ou d’une virgule. L’aspect dépend de l’orientation des capillaires et de l’angle de visualisation. Ainsi, le capillaire perpendiculaire au plan de focalisation prend un aspect de point avec un contour plus ou moins circulaire, ou de 2 points séparés avec un contour plutôt ovalaire correspondant aux 2 branches de l’anse capillaire. Dans ce cas les 2 points doivent être distants de moins de 20 μm et il faut compter un seul capillaire. Le capillaire peut être de biais ou parallèle au plan de focalisation, pouvant prendre un aspect linéaire ou tortueux (Figure 2).
La visualisation des capillaires est limitée par l’épaisseur de la couche cornée et l’intensité de la pigmentation. L’architecture microcirculatoire varie en fonction des territoires en raison des différences d’épaisseur du derme et du caractère plus ou moins festonné de la jonction dermo-épidermique.
La mesure de densité capillaire est un élément essentiel de l’examen. Il existe des dispositifs complexes, peu utilisés en pratique, qui permettent un comptage automatisé des capillaires. La reproductibilité de la mesure de densité a été étudiée par l’équipe de Lamah et Mortimer [2], avec de bons résultats (variation intra-lecteur de 5,6% et corrélation inter-lecteurs de 94%). Dans une étude n’utilisant pas de dispositif automatisé de comptage, la variation des mesures était inférieure à 10% entre observateurs et inférieure à 3% pour un même observateur [3]. L’examen de la cheville et du pied est particulièrement intéressant en raison de la grande fréquence des troubles trophiques à ce niveau. L’équipe de Lamah et Mortimer [4] a établi une cartographie des capillaires des pieds chez le sujet sain. Les mesures de densité varient beaucoup d’un sujet à l’autre (coefficient de variation de 22%). La densité capillaire est plus élevée sur les orteils (48/mm2) que sur le dessus du pied (33/mm2). La densité peut varier même entre deux sites proches, donc il est conseillé de mesurer la densité sur plusieurs sites et de retenir la moyenne des densités observées. La densité capillaire est habituellement de 30 à 50/mm2 [1,5] (Figure 3).
Capillaroscopie en pleine peau dans les troubles trophiques vasculaires
Artériopathie des membres inférieurs (AOMI)
La densité capillaire est réduite dans l’AOMI : 24/mm2 en cas d’ulcère artériel, 31/mm2 en cas d’AOMI au stade de claudication, 34/mm2 chez le sujet sain [6]. Fagrell [7] a décrit 3 stades (dilatation capillaire puis œdème puis diminution majeure de densité) de gravité croissante en capillaroscopie, associés à un risque croissant de nécrose cutanée (5, 15 et 90% respectivement). Ubbink [8] a classifié les patients avec artériopathie des membres inférieurs non revascularisables pour le risque d’amputation imminente en trois stades en fonction de la densité capillaire en pleine peau mais aussi des données de la TcPO2 et du laser doppler. Une densité capillaire de 20/mm2 séparait les patients en bon et mauvais pronostic. La combinaison de ce chiffre de densité aux résultats des autres techniques permettait de définir trois groupes de pronostic bon, mauvais ou intermédiaire (Figure 4).
Insuffisance veineuse chronique
La physiopathologie des ulcères veineux implique la microcirculation. Les anomalies observées préexistent à l’apparition des ulcères, dès le stade de l’œdème et en peau macroscopiquement non lésée. Les anomalies microcirculatoires persistent après la guérison des ulcères. Au niveau des lésions d’hypodermite, les capillaires sont dilatés, allongés, tortueux. Il existe une importante diminution de densité capillaire qui s’accompagne d’une augmentation de longueur qui explique leur tortuosité pouvant aller jusqu’à la forme de « peloton glomérulaire » [9]. En périphérie des zones d’atrophie blanche, avasculaires, il existe des capillaires élargis qui deviennent pratiquement parallèles au plan cutané [1]. Les papilles dermiques s’élargissent et leurs contours sont rehaussés par les dépôts d’hémosidérine de la dermite ocre. Lorsque la densité capillaire est diminuée en position couchée et ne varie pas en position debout, le risque d’ulcère parait plus grand (perte du réflexe postural) [10] (Figure 5 A, B, C, D & E).