Cancer du sein

18. Cancer du sein

M. Espié and N. Espié




Introduction



Nous entretenons un comportement étrange et ambigu avec notre corps. L’intérêt que nous lui portons doit être payé de retour dans une demande de réciprocité, nous laissant entièrement désarmés quand il souffre.

Travailler en cancérologie non seulement impose une rencontre avec le corps souffrant, mais requiert également de pouvoir être confronté à l’angoisse des patients – et rien n’est plus contagieux que l’angoisse -, à leurs moments dépressifs, à leurs espoirs en la toute-puissance du médecin, à leur agressivité, et donc à la possibilité ou non de la gérer.

Le but d’un médecin en cancérologie est d’offrir les meilleures chances de guérison dans les meilleures conditions possibles. Mais la relation avec les patients n’est pas ou peu enseignée pendant les études médicales. L’écoute, le recul, l’empathie, la maîtrise de ses émotions, bref ce qui fait l’essentiel d’un travail de consultation, ce qui permet de mettre un peu d’humanité dans un univers impitoyable sont laissés à la bonne volonté et à l’intuition de chacun.


Le cancer du sein n’est pas un cancer comme les autres, car il touche un organe symbolique. Le sein occupe en effet une place centrale dans le psychisme des deux sexes. Il est symbole de féminité, fierté de femme, appât sexuel, mamelle nourricière, etc.

L’annonce d’un diagnostic de maladie du sein est toujours génératrice d’inquiétude pour l’esthétique, pour l’image de soi, pour la féminité et pour la maternité. Cela vaut pour la femme, mais également pour le partenaire sexuel ; le retentissement sur la vie de couple est immédiat.


Le diagnostic et son annonce


Le cancer compromet la certitude d’exister, accule au cauchemar. La patiente est généralement sidérée par cette annonce, KO debout ; elle a entendu le mot « cancer » et n’entendra parfois rien d’autre malgré nos efforts. La pensée est arrêtée, figée. Une rupture fondamentale s’opère, rien ne sera plus jamais comme avant, la perception du monde vacille, les repères s’effondrent. Leur corps les trahit, se dérobe. La vie affective, familiale, professionnelle est remise en cause.

Le médecin est celui qui vient faire irruption, compromettant cette continuité d’exister par l’annonce de la maladie. Il est alors souvent nécessaire de laisser faire le temps, d’offrir d’autres possibilités, d’autres moments pour poser les questions qui n’ont pas pu être énoncées. Cette période de sidération semble correspondre au temps nécessaire à la mise en place de mécanismes de défense.


Tout va en fait se jouer lors de la première consultation, qui reste fondamentale. Ce premier examen au cours duquel la malade offre son corps nu au médecin et où celui-ci va en prendre possession en le touchant et en le regardant conditionnera la relation ultérieure.

Dire impose d’avoir le temps, de prendre son temps, de procéder par étapes, en plusieurs consultations si nécessaire, en essayant de comprendre ce que la patiente veut savoir, ce qu’elle veut et peut entendre à un moment donné. Cette première consultation est vécue avec appréhension. La patiente sait qu’on l’adresse à l’hôpital en raison d’un doute sur un hypothétique cancer. L’annonce est alors ressentie comme un verdict à la fois redouté et attendu.

L’annonce du diagnostic est nécessaire à l’acceptation du traitement et à l’instauration d’un climat de confiance indispensable à la relation thérapeutique. Il faut absolument expliquer les traitements. Il est impossible de parler de chimiothérapie, de radiothérapie si le diagnostic n’a pas été préalablement et clairement formulé. Tout le monde sait de quoi il retourne et le médecin n’a pas le choix, il est obligé de parler.

Faut-il tout dire ? Cet éternel débat autour de la vérité n’est pas un problème moral. Nous payons actuellement les conséquences de siècles de non-dit en pratique médicale où le patient n’avait pas voix au chapitre et où le secret était érigé en système. Le médecin savait ce qui était bon pour le malade, et celui-ci n’avait qu’à se taire et à se plier aux traitements prescrits.


Il s’agit de dire le diagnostic, de répondre aux questions que le patient pose, de les susciter, mais sans asséner ce qu’il n’a pas envie d’entendre à un moment donné.

Les malades – dit-on – veulent tout savoir. En fait, ce sont surtout les gens en bonne santé qui ont ce réflexe lorsqu’on les interroge. La demande est souvent différente lorsqu’on est soi-même confronté à une maladie potentiellement mortelle. Chacun réagit comme il peut, et la demande peut varier en fonction du temps ou de l’interlocuteur.

La maladie est alors un voyage au long cours où la malade est accompagnée quotidiennement ; le temps est rythmé par les séances de radiothérapie, de chimiothérapie, les consultations. Tout cela va concourir au fait qu’une fois le traitement terminé ces femmes se sentent souvent déprimées, abandonnées. C’est un véritable parcours du combattant depuis l’annonce de la maladie, son traitement, et son arrêt, mais aussi parfois la rechute.


Les traitements


Les traitements du cancer du sein sont multiples, car le cancer du sein est multiple, même s’il existe des consensus de prise en charge en fonction de la présentation de tel ou tel cancer. Mais il convient également de ne pas oublier que chaque équipe thérapeutique a ses habitudes, ses protocoles, ses croyances en fonction de son histoire et de la formation de ses médecins.

Ainsi, certains services proposeront-ils de commencer par la chirurgie, alors que d’autres se font les champions de la chimiothérapie première en fonction de tel ou tel protocole, ce qui illustre bien le fait que la médecine est une science humaine et que rien ne sera jamais parfaitement codifié, y compris en matière de traitement.

Il n’y a toujours pas de traitements miracles, mais l’efficacité des traitements augmente pas à pas, au fil des années, et l’on essaie de les adapter au plus près du « cas » de chaque patiente.


La prise de conscience de la maladie est donc progressive. Elle ne peut se réaliser d’un seul coup. La mise en route des traitements, l’hospitalisation, le rythme des traitements et des consultations fixent la réalité de la maladie, la représentation du cancer. C’est dire qu’aux différentes étapes de la prise en charge correspondent différents niveaux de prise de conscience de la maladie et d’approfondis-sement de ses implications.

Ainsi, l’hospitalisation entraîne des ruptures dans la vie de la femme et de l’entourage. La femme ne peut plus assumer ses obligations familiales, conjugales et socioprofessionnelles. Elle se demande si elle pourra un jour les reprendre.


Chirurgie


La chirurgie mammaire peut être soit conservatrice soit radicale. La nécessité d’une intervention chirurgicale apparaît comme le deuxième traumatisme auquel la patiente est confrontée après l’annonce du diagnostic. En effet, si la chirurgie semble peu douloureuse physiquement, y compris lors d’une mastectomie, en revanche cette intervention est psychologiquement traumatisante. La femme voit son schéma corporel bouleversé, et l’intensité des réactions est fonction de la localisation et des représentations qui en découlent. Ainsi, la chirurgie provoque une angoisse devant la mutilation, un sentiment d’étrangeté (« quelque chose manque à sa place », nous confiait une femme qui se regardait dans un miroir après sa mastectomie), une dépréciation de soi et, bien souvent, un sentiment de culpabilité. Il en est ainsi de Mme M. qui, après une mastectomie, se plaint d’une perte de sensation tactile à l’endroit du sein disparu. De ce fait, elle se sent étrangère à elle-même ; ne sentant plus rien, elle « ne peut pas se regarder dans une glace ». Il en sera ainsi, ajoute-t-elle, tant qu’elle n’aura pas retrouvé cette sensibilité-là. « On ne peut pas se regarder tant qu’on ne se sent pas », disent d’autres femmes non sans souffrance.

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Apr 27, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Cancer du sein

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