17. Cancer de l’utérus, cancer de l’ovaire
I. Borten-Krivine
Le cancer du col utérin a été traité au chapitre 15.
Le cancer de l’ovaire, avec près de 4 000 cas par an, se place quant à lui au quatrième rang des cancers gynécologiques, mais il est le premier en terme de mortalité. Son caractère insidieux est tel que 75 % des cancers de l’ovaire sont diagnostiqués à un stade avancé, la survie n’est que de 20 % à 5 ans tous stades confondus.
Les cancers génitaux féminins sont diversement dépistables (Brémond et al., 2001). Si le col de l’utérus est accessible à l’œil, l’endomètre est retranché dans le corps utérin. Contrairement au dépistage des cancers du col utérin et du sein, il n’existe pas de technique de dépistage de masse pour le cancer du corps utérin.
Cancer de l’utérus
Signes d’appel
La patiente consulte pour un saignement qui l’inquiète ou qu’elle prend parfois pour la reviviscence de ses règles. Pour le médecin, tout saignement intempestif à ces âges doit éliminer un cancer. La métrorragie postménopausique en est le symptôme maître, et souvent le seul. Cependant, d’autres causes sont fréquentes : infections vaginale, utérine ou tubaire, atrophie de la muqueuse utérine par carence estrogénique ou, à l’inverse, hypertrophie endométriale due à un traitement hormonal ménopausique mal équilibré, ou encore tumeur bénigne, polype ou fibrome sous-muqueux révélés tardivement.
Le cancer de l’endomètre est hormono-dépendant. Les estrogènes seuls créent une hyperplasie de l’endomètre. D’abord simple et bénigne, celle-ci peut se transformer en hyperplasie atypique qui fait le lit du cancer. Elle est en cause dans 40 % des cancers de l’endomètre. Le traitement estroprogestatif substitutif permet de prévenir ce cancer. Sous traitement hormonal, les femmes consultent régulièrement, ce qui permet de dépister plus précocement des anomalies ; de plus, sous l’effet des estrogènes, l’orifice interne du col est moins sténosé, rendant les investigations plus faciles. Il est à craindre que les femmes ayant arrêté le traitement hormonal de substitution aient moins tendance à consulter après la ménopause.
Le tamoxifène constitue un cas particulier. Ce traitement adjuvant du cancer du sein exige une surveillance particulière de l’utérus, étant donné son effet estrogénique sur l’endomètre. Il n’est pas toujours facile d’expliquer et de faire accepter ce traitement à une patiente traumatisée par son cancer du sein, et par tout ce qu’elle a déjà subi. Elle entend : « Pour traiter votre cancer du sein, il nous faut prendre un autre risque, celui du cancer de l’utérus, si minime soit-il. »
L’obésité, pourvoyeuse d’estrogènes endogènes, est aussi un facteur de risque.
Quant à la patiente, elle peut réagir de façon variable au symptôme, le saignement. On sait que des règles peuvent revenir dans les toutes premières années après la ménopause. Elles peuvent survenir soit à des dates anniversaires parlantes pour la femme, soit lors d’un choc émotionnel. Précédées de mastodynies et de courte durée, ces règles, cette ménorragie « pour mémoire », n’imposent pas des explorations poussées. Cependant, la patiente appelle souvent en urgence ; elle a besoin d’être rassurée même si elle manifeste une certaine fierté devant ce « retour de jeunesse ». À l’inverse, certaines considèrent ces saignements comme normaux et ne consultent pas.
Diagnostic
Quelles que soient les circonstances, une simple échographie intravaginale rassure médecin et patiente ou, à l’inverse, impose d’autres investigations, depuis l’hystéroscopie diagnostique et thérapeutique jusqu’à l’IRM pelvienne. Le temps des examens permet de préparer la femme au diagnostic qu’il faut annoncer le plus clairement possible, en prenant tout le temps nécessaire et, surtout, en insistant sur les éléments positifs : 80 % des cancers de l’endomètre sont diagnostiqués au stade l, 10 % au stade 2. Nous-mêmes, nous préparons à l’annonce en sachant que, de toute façon, nous serons pour chaque patiente celle par qui le malheur arrive ; nous devons l’assumer. L’annonce du diagnostic crée toujours une fracture dans la vie psychique. Il y a toujours un avant et un après le cancer. La révélation d’une menace de mort crée une pathologie de crise. Les psychiatres décrivent volontiers les quatre phases par lesquelles vont passer les femmes atteintes :
– une période dite de déni où la maladie n’est pas encore intégrée ; si la patiente accepte les conseils donnés, une dose de déni est loin d’être négative ;
– un mouvement de révolte ;
– un lent processus de rationalisation, temps de compréhension, de recherche d’une causalité subjective, d’acceptation, où notre rôle d’accompagnant est important ;
– enfin, un temps dépressif.
Tout n’est pas aussi schématique dans la réalité. Il faut être à l’écoute des signes de dépression pour envisager un soutien médicamenteux et plus si nécessaire.
Consultation
Il faut donner à la femme le plus vite possible des éléments de prise en charge, et si possible l’adresser à un chirurgien ou à une équipe que nous connaissons bien, avec laquelle la communication sera simple. La patiente se sentira plus en confiance et soutenue si elle sait que l’information va circuler dans ce qui sera, de façon idéale, comme une famille médicale. Le programme thérapeutique doit être annoncé en signalant qu’il peut être modifié selon les résultats de l’intervention chirurgicale. En effet, il s’agit toujours d’une hystérectomie totale avec annexectomie et, en général, curage ganglionnaire pelvien, Après l’intervention, qui permet de préciser la situation, on sera à même de juger d’une thérapeutique complémentaire, curiethérapie ou hormonothérapie. Dans les stades avancés, le programme thérapeutique sera décidé au cas par cas et en tenant compte de l’état général de la malade.
Dans cette situation traumatique pour la femme, toutes les études révèlent que la capacité du compagnon de communiquer avec elle est un des éléments les plus importants pour elle. Tel ce mari faisant irruption au cabinet du gynécologue le soir du diagnostic. Il venait chercher des réponses sur la meilleure façon de soutenir sa femme. C’était ses premiers pas dans une aide qui ne s’est jamais démentie. Il est resté toujours présent tout au long de la maladie, dont l’évolution a été très favorable.
C’est à chaque femme de décider si la présence de son compagnon est bonne pour elle, et le médecin n’est pas toujours le meilleur juge. Certaines souhaitent apprendre le diagnostic seules, pour ne pas avoir à prendre en charge la réaction de l’autre. D’autres se connaissent, savent qu’elles n’entendront pas, et préfèrent la présence d’un témoin soutenant. Selon les cas et ses questions, nous parlons brièvement des statistiques et de leurs limites, sachant que chaque cas est particulier. Mieux l’on connaît sa patiente, mieux on peut l’aider à mobiliser son énergie.
Pour ce qui est du vécu de l’hystérectomie chez les patientes autour de la soixantaine, le risque de maladie mortelle surdétermine l’acceptation de l’intervention, et la ménopause est passée par là.
Quant à la sexualité, le médecin ne doit pas s’abriter sous la gravité de la maladie pour éluder cette dimension. Le silence sur la sexualité est encore trop fréquent avec les patients atteints de cancer ; c’est encore plus vrai en matière de cancers touchant les organes sexuels, où le tabou de la mort se surimpose à celui du sexe. C’est au médecin d’ouvrir le dialogue, ou de savoir saisir les non-dits de sa patiente aussi bien avant qu’après l’intervention.