Bon stress, mauvais stress et performance : La variabilité de la fréquence cardiaque

8 Bon stress , mauvais stress et performance


La variabilité de la fréquence cardiaque



C. Cungi





Introduction


Hans Selye en 1936 [1] a défini le stress comme la réaction globale de l’organisme face à toute stimulation. Cette réaction générale permet l’adaptation aux différentes conditions externes ou internes que rencontre un être vivant et lui permet le plus souvent de faire face de manière efficace. Dans cette perspective, le stress participe aux différents systèmes destinés à préserver les équilibres vitaux : l’homéostasie et les défenses immunitaires.


Le stress est donc jusqu’à un certain point, un facteur protecteur. Au-delà il n’est bon ni pour la santé ni pour la performance [2].



Définitions




Stresseurs et stress


Il existe une confusion fréquente dans les définitions entre stresseurs et stress. Nous préciserons donc les termes.


Les stresseurs représentent toutes les stimulations qui vont entraîner une réaction de stress. Ce sont les événements de vie, les pressions extérieures, les décisions à prendre. Ce peut être également un ennui de santé.


Le stress est la réaction de l’organisme soumis aux stresseurs. Il existe pratiquement toujours un cercle vicieux entre stresseurs et stress, la réaction devenant elle-même un facteur important de stimulation (figure 8.1).





Mauvais stress – bon stress


D’un point métabolique, un être vivant reçoit et dépense de l’énergie. La dépense d’énergie correspond aux processus physiologiques, aux émotions, à l’activité, à la pensée.


Pour notre propos, nous rangerons la dépense d’énergie en émotions et en actions, celles-ci représentant l’ensemble des processus physiologiques, des pensées et des activités (figure 8.2).



Un mauvais stress correspond à l’utilisation principale de l’énergie pour les émotions et à une dépense énergétique faible pour l’action. Il s’agit du phénomène « marteau-pilon pour écraser une mouche ». En poursuivant la métaphore, non seulement la personne se fatigue inutilement mais de plus l’efficacité sera moindre : un marteau-pilon n’est pas adapté pour la chasse aux mouches. Une simple tapette avec beaucoup moins de dépense en énergie sera beaucoup plus efficace.


Les conséquences d’un mauvais stress sont donc triples : une efficacité le plus souvent réduite ; une énergie dépensée disproportionnée par rapport à la réaction utile ; des conséquences sur la santé, somatiques et psychologiques importantes à moyen et long termes [2].


Le bon stress, inversement, correspond à une dépense énergétique adaptée à l’action et minimale pour l’émotion. Dans l’exemple de Virginie, un bon stress serait, d’une part, une dépense d’énergie adaptée à la meilleure performance possible concernant son travail : une méthode de résolution de problèmes pour préparer la réunion d’équipe et une méthode pour être centrée sur l’activité en cours le reste du temps (orienter son attention et sa pensée sur les activités de la semaine et apprécier sa vie de famille) ; et d’autre part une dépense d’énergie minimale en émotivité pénible, ceci en remplaçant l’anxiété et l’irritabilité par de la vigilance calme.


Au long cours, le bon stress améliore la santé et est un facteur de développement personnel de premier ordre : « Un être humain, c’est l’inverse d’une machine : plus on s’en sert moins ça s’use » à condition de rester dans la zone de performance que nous définissons plus loin dans ce chapitre. La « fonction fait l’organe ». Une activité régulière améliore les aptitudes concernées. Par exemple, l’activité physique rend plus fort et capable de plus d’efforts, réduit le risque cardiovasculaire et plus généralement le risque de pathologie [3]. Réfléchir, pratiquer de nombreux exercices intellectuels développe les capacités cognitives opératoires, et apprendre par cœur développe la mémoire.




Les émotions ne sont pas les sentiments [5]


Les théories des émotions se sont développées considérablement depuis la fin du XIXe siècle avec les travaux de Charles Darwin (1872) [6] sur l’expression des émotions ; de William James et Carl Lange (1887) [7] qui insistent sur la primauté du corps ; les travaux de Walter Cannon et Philippe Bard (1929) [8,9] montrant l’importance des facteurs cognitifs ; plus récemment Stanley Schachter et Jerome Singer (1975) [10] ont insisté sur le rôle de l’évaluation cognitive des sensations. Paul Ekman [11], dès 1972 en citant Charles Darwin, a bien décrit les expressions faciales des émotions et leur valeur transculturelle. Actuellement, la neurobiologie et l’imagerie cérébrale nous ont permis de mieux comprendre les phénomènes de réactivité émotionnelle, particulièrement grâce à Joseph Ledoux [12] et Antonio Damasio [4,5]. Les débats scientifiques concernant les émotions ont toujours été vifs et fortement argumentés. Ils ne sont pas terminés et il est impossible de présenter dans ce chapitre une discussion approfondie sur le sujet. Nous nous contenterons de mettre en évidence quelques points importants et nous renvoyons le lecteur intéressé à la bibliographie.


Les émotions existent probablement chez tout être vivant pluricellulaire. Elles sont fortement reliées aux perceptions. En prenant l’exemple des reptiles, nous pouvons constater qu’une tortue est capable de peur. Face à un prédateur, elle se met à l’abri dans sa carapace ; est capable de colère si son terrain nourricier est en danger ; est capable de dégoût pour certains aliments, ce qui permet une sélection des produits comestibles. Cette tortue peut également se calmer et se reposer pour dépenser le moins d’énergie possible et reconstituer ses forces et est capable de plaisir pour la reproduction sexuelle.


Elle n’éprouve cependant pas de sentiments au sens commun du terme, c’est-à-dire ne dispose pas d’aptitudes affectives.


La capacité affective apparaît probablement chez les mammifères et représente une forme cognitive beaucoup plus complexe faisant appel aux aires corticales associatives [5]. Elle regroupe chez l’être humain les sentiments comme l’amour, ou certaines formes de jugements comme préférer une couleur à une autre couleur, un objet à un autre objet, sans que des critères rationnels soient au premier plan. Il a été démontré que les choix que nous faisons sont fortement influencés par la dimension affective [13].


Enfin, au fur et à mesure de l’évolution des espèces, des capacités cognitives plus complexes apparaissent comme les représentations symboliques, l’écriture, la lecture, les mathématiques. Une des plus remarquables aptitudes qui différencient l’être humain des animaux est la possibilité d’être organisé dans le temps et ainsi de faire une différence entre hier, aujourd’hui et demain. Cette capacité se développe progressivement chez l’enfant et n’est bien établie qu’à partir de sept ou huit ans. Cela n’est pas sans conséquence sur les émotions : l’anticipation permet de faire des projets, mais aussi de craindre certains événements, bien avant qu’ils ne surviennent.


Il est possible d’avoir des émotions sans sentiment ni pensées, mais dès qu’il y a des sentiments, il existe toujours une réaction émotionnelle. Il est également possible d’avoir des sentiments et des émotions sans pensée, mais dès que nous avons une pensée, il existe aussi une réaction affective et émotionnelle.




Différents types émotionnels


Charles Darwin a déjà bien décrit les manifestations émotionnelles chez l’animal et chez l’homme [6] à partir d’observations précises. Ces observations reprises et enrichies par les travaux de Paul Ekman [11] différencient six émotions de base : la tristesse, la joie, la colère, la peur, la surprise, le dégoût. Ces émotions de base ont une fonction de signal et de préparation pour l’action, mais aussi de communication, leur expression étant le plus souvent transculturelle et reconnaissable par autrui. Les émotions dites secondaires correspondraient à un mélange d’émotions de base. Les discussions se poursuivent toujours sur ces théories.


En pratique, nous proposons de considérer les émotions archaïques : la peur, la colère, la surprise, la douleur, la joie et le calme qui correspondent à l’activation de structures cérébrales surtout sous-corticales, et les sentiments qui seraient des représentations « sophistiquées », faisant appel à des structures cérébrales plus complexes et corticales, particulièrement préfrontales, en plus des zones sous-corticales [4,5] (tableau 8.1). La tristesse dans cette hypothèse est plutôt un sentiment, de même que la culpabilité, la honte et de manière plus agréable l’amour. Cette liste des sentiments n’est bien sûr pas limitative.


Tableau 8.1 Émotions et sentiments












Émotions archaïques Sentiments
Peur
Surprise
Colère
Douleur
Joie
Calme
Tristesse
Culpabilité
Honte
Amour
Etc.
Activation des structures cérébrales sous-corticales
Peu d’activation corticale
Activation des structures corticales et sous-corticales


Émotions et système nerveux autonome


Les émotions activent l’ensemble du corps et font intervenir presque tous les effecteurs physiologiques : le système hormonal, l’immunité, et le système nerveux autonome. L’intrication de ces différents systèmes est importante, au point qu’il est difficile d’en séparer les actions.


Nous nous attarderons sur le système nerveux autonome (SNA), car son activité peut être facilement enregistrée par la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) laquelle fournit une bonne évaluation de l’état de stress dans lequel se trouve une personne.


Le système nerveux autonome comporte deux branches, la branche sympathique avec une mise en activité lente. Sa stimulation nécessite environ une demi-seconde et le sommet de son activation prend environ trente secondes ; la branche parasympathique qui est activée rapidement.


L’activité sympathique est permanente et est régulée par le parasympathique qui agit instantanément. Le fonctionnement des deux branches correspond ainsi à une accélération de fond sympathique continuellement ralentie par le parasympathique. Cela ressemblerait au fonctionnement d’une voiture qui n’aurait que la pédale de frein. Quand le conducteur relâche le frein, la voiture accélère, quand le conducteur appuie sur le frein, la voiture ralentit. Si une accélération supplémentaire est nécessaire, l’activité sympathique augmente dans un second temps au-delà du relâchement parasympathique.


Nous proposons de distinguer les émotions débouchant sur une diminution de l’activité parasympathique et une forte activité sympathique, la peur, la colère, la douleur, des émotions entraînant une activation parasympathique plus importante et donc une activation sympathique moindre : le calme et le rire (tableau 8.2).


Tableau 8.2 Activations sympathique et parasympathique









Activation sympathique Activation parasympathique
Peur
Surprise
Colère
Douleur
Calme
Rire

Les émotions à forte activité sympathique entraînent une forte dépense énergétique et une réaction somatique globale avec comme manifestations principales une hyperventilation, une tachycardie, une vasoconstriction, une dilatation pupillaire, la bouche sèche et un ralentissement du transit intestinal. Ce sont des symptômes dont se plaignent souvent les patients en état de stress.


Le calme stimule davantage l’action parasympathique et régularise ces fonctions. En effet l’activation parasympathique entraîne une hypoventilation, une bradycardie, une vasodilatation, un myosis, de la salivation et une accélération du transit digestif.


Enfin, de manière générale comme l’avait déjà remarqué Émile Coué [14], on ne peut avoir qu’une seule émotion en même temps. Par exemple si une personne est angoissée, elle n’est pas en colère, mais si elle se met en colère, elle n’est plus angoissée. De même l’angoisse et la colère diminuent considérablement les sensations douloureuses. Le calme diminue fortement la colère, l’angoisse et même la douleur. Donc si une personne peut se calmer, elle ne sera plus ni anxieuse, ni en colère.


En résumé, la réactivité émotionnelle est centrale dans le stress. Il s’agit d’un phénomène archaïque avec une forte composante somatique, et cela explique l’importance des troubles fonctionnels dans un premier temps puis des troubles organiques dans un second temps. Parfois une forte activation émotionnelle débouche d’emblée sur un trouble organique, c’est le cas par exemple de l’ulcère de stress. Les émotions sont une première réaction de l’organisme face à un stresseur externe ou interne. Si cette réaction est adaptée et proportionnée, elle est utile, sinon les problèmes commencent : au niveau pathologique somatique et psychiatrique, avec souvent une dégradation des modes relationnels et de la performance au travail et dans la vie privée.


Les émotions au-dessus d’un certain seuil d’intensité ne peuvent plus être raisonnées, mais seulement calmées. Cela montre à quel point les méthodes de contrôle émotionnel sont importantes dans un programme de gestion du stress, le plus souvent intégrées avec l’action sur le contexte stressant, et le développement des compétences pour faire face aux situations, comme la résolution de problèmes, les méthodes cognitives et les techniques relationnelles.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Bon stress, mauvais stress et performance : La variabilité de la fréquence cardiaque

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