Alcoolisme et toxicomanies

170 Alcoolisme et toxicomanies




Introduction


Les humains utilisent des substances psychoactives depuis des milliers d’années. La nature a fourni la plupart de nos médicaments psychotropes, notamment l’éthanol, la morphine, la cocaïne et la marijuana. Cependant, l’ingéniosité humaine a également permis le développement de molécules de synthèse dotées de puissantes propriétés psychoactives, comme le fentanyl, l’oxycodone et la méthamphétamine. Bien que la plupart des cultures acceptent l’utilisation de certaines drogues psychotropes, leur choix et leur mode d’utilisation varient selon les cultures. Par exemple, la consommation d’alcool est courante aux États-Unis, où 60 à 70 % de la population américaine reconnaît en consommer.


Les drogues peuvent causer des dommages médicaux de nombreuses manières, mais les deux principales sont soit un effet direct (par exemple l’arythmie induite par la cocaïne) soit la conséquence de la consommation ou de la recherche de la drogue (par exemple l’absentéisme au travail à cause de l’alcool ou une activité liée à l’acquisition de la drogue). La plupart des drogues partagent la capacité particulière d’induire une dépendance chez les personnes vulnérables. Une toxicomanie, ou dépendance à une drogue, représente la forme la plus grave de l’abus de substances psychoactives. La dépendance est un besoin compulsif de la drogue, la perte de contrôle sur son usage, son utilisation continue en dépit des conséquences négatives et le développement d’une dépendance physique, en particulier pour l’alcool, les opiacés, les sédatifs et les hypnotiques.


La consommation de substances nocives entraînant une dépendance est fréquente. Au moins 15 % des patients non hospitalisés, 25 à 40 % des hospitalisés et plus de 50 % des patients de certaines unités spécialisées (par exemple les unités de psychiatrie ou des grands brûlés) ont un problème de toxicomanie. L’alcool et le tabac sont le plus souvent en cause ; toutefois, la consommation et l’abus d’autres drogues sont également importants. L’utilisation simultanée de deux ou plusieurs drogues est fréquente. Dans certains cas, cela peut conduire à des complications particulières ; par exemple, la production métabolique de cocaéthylène après la consommation d’alcool et de cocaïne peut produire des arythmies graves et une vasculite nécrosante. Les médecins doivent connaître les conséquences de la consommation d’alcool et de drogues et rester attentifs au fait que ces agents peuvent contribuer à chaque rencontre avec un patient.



Étiologie et pathogénie


L’alcoolisme, comme syndrome, a été décrit de façon indépendante en 1785 par le médecin américain Benjamin Rush et le médecin britannique Thomas Trotter. Bien que la stigmatisation de la société reste considérable, de nombreuses études ont montré l’importance thérapeutique de considérer l’abus d’alcool et de drogues comme une maladie causée à la fois par des facteurs génétiques et environnementaux. Les études de jumeaux et d’enfants adoptés ont révélé que les facteurs génétiques contribuent pour environ 50 % à l’étiologie des toxicomanies. Aucun gène n’est dominant, et de multiples gènes sont en cours d’identification, nombre d’entre eux affectant la fonction neurobiologique.


De grands progrès ont été accomplis dans la compréhension de l’action neurobiologique des drogues génératrices de dépendance (toxicomanogènes) et de la façon dont elles contribuent au processus de la maladie. Deux éléments ont émergé des nombreuses études sur la toxicomanie et le développement de la consommation compulsive qui caractérise la toxicomanie. Premièrement, toutes les drogues toxicomanogènes produisent des effets positifs en activant les voies classiques de récompense de la dopamine allant du mésencéphale au noyau accumbens et au cortex préfrontal. Ainsi, les drogues influencent de plus en plus le comportement de l’individu, et la sensibilité à cet effet est probablement conditionnée par la génétique. Deuxièmement, au fil du temps, l’alcool et les autres drogues produisent une neuroadaptation telle que, lorsque la consommation de la drogue est arrêtée, un syndrome de sevrage aigu et prolongé peut survenir. Les effets aigus sont bien connus (voir plus bas). Les effets prolongés, étudiés plus récemment, persistent durant des mois. Bien que le profil des symptômes prolongés de sevrage doive encore être précisé, il comprend vraisemblablement l’insomnie, la sensibilité au stress, l’anxiété, une diminution de la capacité à éprouver du plaisir, ainsi que d’autres symptômes. Ces conséquences renforcent l’attrait pour la drogue et constituent, dès lors, des facteurs importants de rechute.


L’alcoolisme et les autres toxicomanies sont des maladies progressives qui peuvent conduire à la mort. Les individus peuvent passer par des périodes de traitement et de rechute, ne jamais recevoir un traitement ou réussir à s’améliorer de manière notable, avec ou même sans traitement.



Tableau clinique


Le tableau clinique de l’alcoolisme est très varié. En pratique de médecine générale ou en milieu hospitalier, les conséquences médicales ou traumatiques de l’alcoolisme sont les raisons les plus fréquentes pour lesquelles un alcoolique attire l’attention d’un médecin. L’alcool a des effets toxiques sur la plupart des systèmes d’organes, et des patients peuvent se présenter à un stade avancé de l’une ou l’autre de ces diverses affections (par exemple une cirrhose, une pancréatite) ou avec des troubles du comportement, notamment une dépression et des insomnies ainsi que divers troubles moins graves exacerbés par l’alcool ou la drogue (figure 170.1). Après leur admission dans des unités chirurgicales ou médicales, les patients passent souvent par un syndrome de sevrage alcoolique se manifestant par une activation neurovégétative, des tremblements, de la confusion, de la fièvre, des convulsions, de l’agitation et des hallucinations. Le délire du sevrage est l’une des raisons les plus communes de consultation en psychiatrie. À l’extrémité la moins sévère du spectre, la consommation d’alcool est connue pour augmenter le risque de problèmes médicaux courants tels que l’hypertension artérielle essentielle, l’hypertriglycéridémie et la goutte. Un lien entre la consommation d’alcool et la manifestation des symptômes physiques n’est généralement pas évident. Par conséquent, les médecins devraient toujours tenir compte du rôle possible de l’alcool et d’autres drogues au cours de leur évaluation clinique de patients hospitalisés pour un syndrome grave ou qui viennent en consultation pour des problèmes plus bénins.



Le tableau clinique de l’abus de drogue est également très varié et peut se manifester comme suit :






Ces manifestations générales lors de la présentation sont aussi utiles qu’une liste plus complète de signes et symptômes, étant donné le très grand nombre d’agents et leur association à de nombreuses maladies. Il existe un certain nombre de signaux d’alarme supplémentaires qui reflètent les effets physiques et sociaux de la toxicomanie : une infection liée aux injections intraveineuses, des syndromes cliniques résultant d’une athérothrombose accélérée (due à la cocaïne ou à d’autres stimulants) et des résultats de laboratoire ou des signes physiques résultant de lésions d’un organe cible induites par l’alcool ou par une drogue. Ces signaux d’alarme sont les suivants.


Facteurs historiques : violence, traumatisme, hématémèse, changements aigus de l’état mental, psychose aiguë, usage antérieur de drogues, itinérance, comportement criminel, dégradation financière, perte d’emploi, recherche d’une substance spécifique contrôlée.


Signes physiques : accélération ou ralentissement du pouls, de la respiration, augmentation ou diminution de la pression artérielle ; mauvaise hygiène ; odeur d’alcool ; ictère, hémorragies linéaires sous-unguéales, traces d’injections, angiomes stellaires ; myosis ou mydriase ; cloison nasale perforée ; nouveau souffle cardiaque ; ataxie, hyperréflexie ; combativité, diminution de la conscience ; constatations incompatibles avec le niveau déclaré de la douleur.


Résultats des tests diagnostiques : dépistage de drogue positif ; alcoolémie > 0,10 g/dl, élévation des enzymes hépatiques ; augmentation du volume globulaire moyen ; enzymes cardiaques positifs chez une personne jeune ; électrocardiogrammes montrant des rythmes rapides ; signes d’infarctus du myocarde (IDM) chez une personne jeune ; imagerie par TDM ou par résonance magnétique révélant un accident vasculaire cérébral (AVC) chez une personne jeune.



Diagnostic différentiel


Dans le diagnostic différentiel de la consommation d’alcool et des troubles dus à d’autres drogues, on peut séparer les conséquences de l’abus d’alcool ou de drogue du véritable alcoolisme ou de la vraie toxicomanie, dans lesquels une perte de contrôle et une consommation compulsive aboutissent souvent à des conséquences graves. Le diagnostic de dépendance à l’alcool (alcoolisme), ou de toxicomanie, tel que défini par le Diagnostic and Statistical Manual of MentalDisorders, 4th edition (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition), comprend un modèle de consommation inadaptée de drogue aboutissant à de la détresse ou à une altération clinique grave ; il consiste en la manifestation, dans une même période de 12 mois, de trois ou plus des éléments suivants (figure 170.2).










L’alcool et les drogues peuvent être responsables de maladie chez des patients non connus comme toxicomanes. Par ailleurs, puisque les toxicomanes connus sont souvent mal nourris, ont une lésion d’organe sous-jacente et ont été victimes d’événements comme des chutes ou de fausses déglutitions lorsqu’ils étaient en état d’ébriété, il est courant pour eux de développer d’autres maladies mentales et physiques. Pour ces raisons, lors des diagnostics médicaux et psychiatriques les plus courants, il faut toujours envisager la possibilité d’un abus de drogue.


Voici quelques considérations générales pour les problèmes de drogue :








Démarche diagnostique


Le diagnostic des troubles liés à l’alcool et aux drogues dépend de la mise en évidence des signes et des symptômes (voir les critères précédents et la figure 170.3). Puisque le diagnostic est basé principalement sur les antécédents, il est important de recueillir des données sur les modes de consommation de l’alcool et de la drogue ainsi que les problèmes connexes ; le patient peut fournir ces informations, mais il faut parfois recourir à une source parallèle, comme le conjoint. Sans le juger, il faut interroger le patient sur le type, la quantité et la fréquence des substances utilisées. Après avoir documenté la consommation, on doit rechercher ses conséquences, notamment sur les manifestations physiques, sur les relations en général et professionnelles ainsi que sur l’état affectif et psychologique.



Des tests de dépistage ont été élaborés, dont le CAGE (4 questions) et l’Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT, 10 questions) ; ils sont faciles à faire passer et ont une bonne sensibilité pour la détection des problèmes d’alcool (encadré 170.1). L’AUDIT-C, les trois premières questions de l’audit, se concentre uniquement sur la consommation (combien de fois consommez-vous une boisson, combien en moyenne par jour, combien de fois avez-vous consommé six verres ou plus d’alcool en une occasion) ; il a montré de très bonnes sensibilité et spécificité comme outil de dépistage simple. Plus le score de l’AUDIT-C est élevé, plus grande est la probabilité que l’individu soit confronté à des problèmes d’alcool.


May 20, 2017 | Posted by in Uncategorized | Comments Off on Alcoolisme et toxicomanies

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