9: Toxicologie, matières dangereuses et armes de destruction massive

Chapitre 9


Toxicologie, matières dangereuses et armes de destruction massive



Ce chapitre explore les effets dangereux des toxines naturelles ou celles créées par l’homme sur le corps humain. Comme toujours, ce que vous étudierez repose sur l’approche méthodique AMLS, au cœur de laquelle vous trouverez l’analyse de la scène, l’évaluation systématique et la stabilisation rapide des menaces vitales. Nous allons commencer par la toxicologie liée à l’environnement terrestre et marin, ce qui comprend les envenimations dues aux arthropodes et aux serpents ainsi que les toxines végétales. Les intoxications par abus de médicaments et drogues seront également examinées en détail. Puis, nous parlerons des toxiques se trouvant à domicile et sur les lieux de travail ; nous verrons également l’essentiel pour détecter et intervenir avec sécurité lors d’un accident d’exposition à du matériel dangereux. Nous aborderons les avis des autorités sanitaires, les zones d’attente, de décontamination et l’équipement de protection individuelle. Finalement, nous aborderons les risques biologiques, chimiques et radiologiques par armes terroristes, y compris les engins incendiaires ainsi que les dangers liés aux produits chimiques.



Mots clés



agent pulmonaire


Agent chimique industriel utilisé comme arme dans le but de tuer ceux qui inhalent les vapeurs ou les gaz ; les dommages pulmonaires entraînent une asphyxie. Aussi appelé agent de choc.


bombe sale


Matériel explosif conventionnel utilisé pour la dispersion d’agent radiologique.


concentration létale 50 % (CL50)


Concentration d’un agent aéroporté qui tue 50 % de la population animale exposée. Elle désigne à la fois la concentration et le temps d’exposition d’une population.


contamination


État d’être souillé, maculé, touché ou exposé à un agent nocif, ce qui rend un objet potentiellement dangereux pour une utilisation normale ou sans matériel de protection. Un exemple est l’entrée de matériel infectieux ou toxique dans un environnement déjà propre ou stérile.


décontamination d’urgence


Processus de décontamination pour les victimes exposées à, et potentiellement contaminées par des matières dangereuses qui consiste à un nettoyage rapide de la contamination afin de réduire le temps d’exposition et ainsi de sauver des vies. Par la suite, une décontamination complète sera effectuée.


décontamination gastro-intestinale


Toute tentative pour limiter l’absorption ou accélérer l’élimination d’une toxine du tractus gastro-intestinal. Voici des exemples : le charbon actif, le lavage gastrique et le lavage intestinal. Bien que ces méthodes aient un petit rôle dans la toxicologie, leur utilisation n’est pas forcément recommandée et doit faire l’objet de discussion avec le centre antipoison ou un expert en toxicologie.


delirium


Trouble mental aigu caractérisé par un état confusionnel, une désorientation, de l’agitation, des obnubilations, des incohérences, de la peur, de l’anxiété, de l’excitation et souvent des hallucinations.


dose létale 50 % (DL50)


Dose d’exposition aérienne ou de contact qui tue 50 % d’une population animale exposée en 2 semaines.


fulminant


Décrit un événement soudain créant une zone à risque.


intoxication


État d’empoisonnement par une drogue ou une autre substance toxique ; peut être un état d’ébriété suite à une consommation excessive d’alcool.


méthémoglobinémie


Présence de méthémoglobine dans le sang, qui empêche l’hémoglobine de transporter l’oxygène aux tissus. L’hémoglobine est convertie en méthémoglobine par l’oxyde d’azote et les sulfamides.


mule


Personne qui ingère une grande quantité d’échantillons de drogues destinés à la contrebande. Ces paquets, soigneusement préparés, sont moins susceptibles de se rompre que ceux ingérés par des stuffers. Malgré tout, l’intoxication peut être grave car ils contiennent une quantité importante de drogue.


National Fire Protection Association (NFPA)


Organisation nationale et internationale composée de volontaires visant à promouvoir la prévention et la protection contre les incendies ; elle établit également des garanties contre les pertes humaines ou matérielles en cas d’incendie. La NFPA écrit et publie les normes nationales consensuelles des volontaires.


North American Emergency Response Guidebook


Livre publié par le gouvernement américain fournissant une référence rapide pour les secouristes sur les urgences à connaître sur les matières dangereuses.


Occupational Safety and Health Administration


Agence fédérale américaine qui réglemente la sécurité au travail.


pancartes


Panneaux indicateurs en forme de losange qui sont placés sur les containers pour identifier les matériaux dangereux.


prodrome


Symptômes précoces qui marquent le début d’une maladie.


psychose


Tout trouble mental majeur caractérisé par une déconnexion de la réalité. La personne concernée évalue anormalement l’exactitude de ses perceptions, de ses pensées et fait des références incorrectes en relation avec la réalité. La psychose est souvent caractérisée par un comportement régressif, une humeur inappropriée ainsi qu’une diminution du contrôle des impulsions. Les symptômes typiques de la psychose comprennent les hallucinations et les délires.


radioactif


L’émission de radiation due à la désintégration des noyaux nucléiques.


sniffer


Action de verser un inhalant dans un chiffon, un sac et d’inhaler la substance, généralement dans le but d’altérer son état mental.


Standard on Hazardous Waste Operations and Emergency Response (HAZWOMPER) (CFR 1919.120)


Réglementation émise par l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA) et l’Environmental Protection Agency (EPA) visant à protéger les intervenants lors d’incidents liés au stockage ou à l’élimination de matériel dangereux.


stuffer


Personne qui ingère en hâte de petits paquets de drogues, pour éviter d’être appréhendée ou de se faire confisquer les substances. Les doses sont normalement moins importantes que celles qu’absorbent les mules, mais le risque de toxicité est bien plus grand car ces échantillons, destinés à la distribution, risquent de s’ouvrir et de se répandre au niveau gastrique ou intestinal.


toxidrome


Groupe de symptômes spécifiquement liés à une exposition à un toxique donné.


zone chaude (rouge) à risque


Zone contaminée. L’accès à cette zone est limité afin de protéger les sauveteurs et les patients d’une exposition. Les combinaisons de protection spécifique sont portées par du personnel entraîné et habilité à s’y rendre.


zone froide (verte) sécurisée


Zone de triage, de stabilisation et de prise en charge des blessés. Les patients et le personnel non contaminé y ont accès, mais les sauveteurs doivent porter des combinaisons de protection lorsqu’ils s’y trouvent et les jeter dans les zones prédéterminées mises en place à cet effet.


zone tiède (jaune)


Zone entourant la zone chaude ou contaminée. Seul le personnel de soin correctement protégé peut y intervenir pour évaluer rapidement et prendre en charge les urgences vitales. Les décontaminations se font dans cette zone.





Les urgences toxicologiques engendrent de nombreux types de maladies auxquels le personnel préhospitalier ou hospitalier peut être confronté. Cela inclut les overdoses intentionnelles, les empoisonnements accidentels, les expositions professionnelles, les dangers environnementaux, les envenimations, les contaminations par arme de guerre biologique et chimique ainsi que les pathologies par irradiation. La reconnaissance et l’identification précoces de l’agent concerné peuvent vous aider à appliquer un traitement initial approprié, à prendre les mesures de protections personnelles adéquates pour vous ainsi que pour les civils et à fournir l’essentiel des informations à tous les intervenants.


De telles urgences entraînent un large spectre de pathologies, mais quel que soit l’agent responsable, la reconnaissance et la prise en charge précoces des zones à risque ainsi que de patients souffrant de pathologies vitales nécessitent une réflexion systématique et ordonnée. Pour diagnostiquer et traiter efficacement des pathologies toxicologiques, vous devez avoir une bonne compréhension du système nerveux, du système cardiaque et de la physiologie respiratoire. Dans ce chapitre, nous avons choisi de nous concentrer sur la réponse du corps humain aux différentes classes de drogues et toxines (toxidrome) plutôt que d’analyser les effets d’agents spécifiques. De plus, nous allons traiter des matières dangereuses qui constituent une menace pour vous et vos patients. Le cas échéant, nous vous recommanderons un traitement symptomatique, puisque l’agent causal rencontré est bien souvent non identifié. Nous allons ensuite passer en revue les intoxications que vous rencontrez régulièrement, tout comme celles auxquelles vous êtes moins habitué, voire que vous n’avez jamais vues, mais que vous devez connaître tout de même. Nous allons mettre l’accent sur les domaines suivants :



La prise en charge précoce et appropriée des patients exposés à une variété de toxines et de matières dangereuses reste un aspect fondamental des soins d’urgences.



image Généralités


Les urgences toxicologiques causées par des expositions accidentelles ou intentionnelles sont une des principales causes de morbidité et mortalité aux États-Unis. En 2006, le National Center for Injury Prevention and Control des CDC a dénombré 23 618 cas d’empoisonnements accidentels et 37 286 morts ont été attribuées à un empoisonnement. Les empoisonnements accidentels arrivaient en deuxième place après les accidents de la route dans les données de 2005 concernant les décès dus à un traumatisme. En 2006, l’American Association of Poison Control Centers National Poison Data System a indiqué que 83 % des empoisonnements étaient accidentels et que plus de 50 % de ceux-ci concernaient des enfants de moins de 6 ans. En 2007, près de 2,5 millions d’expositions à des toxiques ou à des drogues ont été signalées aux centres antipoison américains.


Comme lors de toute urgence médicale ou traumatique, le diagnostic et le traitement des urgences toxicologiques requièrent une approche cohérente et fiable. La sécurité du personnel préhospitalier et des premiers intervenants est la première préoccupation. Au cours de chaque intervention, même pour les urgences médicales, vous arrivez sur les lieux en étant conscient du risque potentiel d’exposition à une toxine ou à des matières dangereuses. Mais il devient extrêmement important de suivre un processus systématique lors d’une intervention où le patient a été exposé à des toxines chimiques, biologiques ou radiologiques.


La prise en charge AMLS vous guide grâce à une évaluation efficace des patients intoxiqués. Dans certains cas, préserver un pronostic vital signifie initier un traitement immédiat, notamment en stabilisant les voies aériennes ou en administrant des médicaments cardiotoniques. Après avoir effectué les gestes de sauvetage, vous pourrez entreprendre le recueil de l’anamnèse, l’observation attentive de la scène et l’examen physique. Cela réduit souvent le diagnostic différentiel, et vous permet de mettre en place un traitement potentiellement salvateur sans délai.



image Approche AMLS




image Recueil de l’anamnèse ou histoire de la maladie


Les informations concernant l’histoire de la maladie sont souvent un point clé du diagnostic et du traitement de la toxicité. La discussion avec les membres de la famille et les témoins est indispensable, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un enfant ou d’un patient souffrant d’une altération de l’état de conscience. Lorsque l’agent en cause a été identifié, vous devez confirmer et rechercher s’il y a eu des co-ingestions, et vérifier les points suivants :



En tant qu’intervenant, vous êtes souvent en bonne position pour recueillir les informations les plus exactes. Malheureusement, pour différentes raisons, les informations de l’anamnèse sont souvent peu fiables. Les découvertes lors de l’examen physique peuvent être plus sûres et c’est là que l’approche AMLS vous aide à effectuer une évaluation rapide et organisée du patient souffrant d’une exposition toxicologique.



image Observation initiale


Vous devez vérifier que les lieux sont sûrs avant de vous approcher (voir chapitre 1 et plus loin dans ce chapitre). De nombreux gaz et toxines sont à même de blesser ou d’invalider les intervenants. Le centre de régulation doit également se renseigner sur la sécurité de la scène et transmettre les informations à tous les intervenants. Cette information est particulièrement importante lorsqu’il y a de nombreuses victimes. En fait, l’implication de plus d’un patient laisse penser qu’une cause possible peut être la toxicité d’un gaz, lequel peut rapidement déclencher des symptômes. L’agent responsable de la zone contaminée est souvent inconnu. Lorsqu’on suspecte la présence de matières dangereuses, il faut envisager le renfort d’une équipe d’intervention spéciale en cas de matière dangereuse (HazMat). Les informations et recommandations pour vous aider à identifier et manipuler les matières toxiques seront décrites dans la section « Matières dangereuses » de ce chapitre.


Dès l’arrivée sur les lieux, vous pouvez recueillir un grand nombre d’informations utiles par rapport à ce que vous allez rencontrer. Le lieu où se situe le patient peut vous orienter sur un possible cas d’intoxication. Par exemple, si vous trouvez un patient souffrant d’une altération de l’état de conscience dans un endroit connu pour être un lieu de toxicomanie, cela peut vous guider pour la suite de la prise en charge et du traitement. De plus, la position et les circonstances dans lesquelles vous retrouvez le patient apportent des informations quant aux causes sous-jacentes d’intoxication et au pronostic. La découverte de boîtes de pilules dans une chambre et leur facilité d’accès sont, par exemple, des informations qui peuvent être recueillies avant de commencer votre prise en charge.


Comme dans bien des situations d’urgence, l’évaluation des voies aériennes, de la respiration, de la circulation et de la perfusion forme le cœur de votre évaluation. L’encadré Rappel rapide est un outil mnémotechnique pour réviser l’ABCDEE.




image Impression initiale


Pour chaque patient, vous devez vous faire une impression initiale. Est-ce que le patient est malade ou pas ? Dans ce contexte, « malade » signifie que le pronostic vital pourrait être engagé si vous n’intervenez pas immédiatement. Cette impression initiale est influencée par la constatation de fonctions vitales altérées et l’évaluation d’un état de conscience déficient. Dans les urgences toxicologiques, les états de conscience peuvent varier de l’agitation à la psychose et au coma. Chaque extrême est un état dangereux. Le coma est associé à une hypoventilation et une incapacité de protéger ses voies aériennes. L’agitation et le delirium peuvent quant à eux indiquer un trouble métabolique et provoquer des comportements agressifs ou des troubles cardiovasculaires d’apparition soudaine qui peuvent conduire au décès.


L’adage selon lequel « les signes vitaux sont vitaux » est particulièrement vrai lors d’urgences toxicologiques. L’évaluation et la stabilisation des signes vitaux présentant une anomalie sont essentielles au début de la prise en charge. Une évaluation en continu peut vous aider à estimer la nature et le degré de l’intoxication. Appliquez sans délai les protocoles d’assistance des voies aériennes et d’advanced cardiac life support (ACLS) chez les patients malades.



image Diagnostics différentiels et actions


L’examen primaire et l’examen secondaire se concentrent sur l’identification et la prise en charge des urgences vitales en relation avec l’exposition toxique spécifique. Les actions entreprises visent à traiter les altérations de l’état de conscience et les anomalies au niveau de la perfusion. L’éventail d’agents toxiques et les traitements spécifiques sont vastes, mais l’évaluation AMLS vous aidera à restreindre le champ de diagnostics différentiels en une hypothèse diagnostique et un traitement d’urgence pourra débuter. Un monitorage en continu du patient en réponse au traitement reçu est essentiel. Comme toujours, un bilan rapide avec le centre receveur favorise une prise en charge fluide et continue.




image Coma


Le coma est un état d’inconscience ou de sédation profonde dans lequel le patient ne répond à aucun stimulus externe ; c’est une présentation assez fréquente après une intoxication. Le terme intoxication renvoie simplement au poison ou à la toxine se trouvant dans le corps, sans que cela implique un état de conscience altéré, mais ce terme reste souvent utilisé pour décrire les patients souffrant d’une altération de l’état de conscience.


Du fait que les informations ne peuvent être obtenues auprès d’un patient inconscient, les témoins, la famille et un examen physique peuvent être les seules options pour formuler un diagnostic dans le milieu préhospitalier. Par conséquent, il est essentiel que vous soyez compétent pour reconnaître les différentes variétés d’environnement, les mécanismes des lésions, la position du patient et les odeurs pouvant apporter des renseignements quant à l’état du patient.


Le traitement d’un coma est avant tout un traitement symptomatique, et peut inclure la mise en place d’un dispositif d’assistance au niveau des voies aériennes. La plupart des recommandations actuelles suggèrent de s’occuper d’abord des voies aériennes, de la respiration et de la circulation avant d’envisager un traitement. Les agents thérapeutiques pour inverser un état de coma peuvent inclure la thiamine, le glucose (G30 %), la naloxone (Narcan®) et parfois le flumazénil (Romazicon®, ou Anexate®), agent antagoniste des benzodiazépines.



Naloxone: La naloxone tient un rôle clé dans la prise en charge des patients en état de coma. C’est un antagoniste des récepteurs opioïdes μ qui annulent les effets des opiacés. La principale indication pour son utilisation est la dépression respiratoire, comme en témoignent la diminution de la fréquence respiratoire, une hypercapnie ou une hypoxémie (constatation tardive). Le traitement à base de naloxone vise à la restauration d’une oxygénation et d’une ventilation adéquates. Le dosage excessif de naloxone entraîne un sevrage aigu du patient dépendant aux opiacés. La naloxone est également associée à une hypertension et des lésions pulmonaires aiguës, probablement dues à la libération de catécholamines associée à l’état brutal de sevrage. Le patient suspecté d’être dépendant aux opiacés devrait recevoir de petites doses de naloxone afin d’éviter ces complications. Si le bolus initial est insuffisant, une titration par palier est recommandée.



Flumazénil: Le flumazénil est un acide γ-aminobutyrique (GABA), antagoniste des récepteurs des benzodiazépines, qui inverse efficacement la sédation ; malgré cela, vous devez être conscient de ses effets dangereux. Bien des patients traités pour surdosage sont sous l’effet de benzodiazépines, en association avec d’autres médicaments. Les benzodiazépines ont souvent un effet protecteur dans ce scénario, particulièrement si le patient a ingéré des antidépresseurs tricycliques. Dans ces cas-là, l’effet inverse qu’apporte le flumazénil peut être l’aggravation de la toxicité et compromettre le devenir du patient. Le sevrage induit par les médicaments GABA-agonistes peut induire de sévères troubles des fonctions vitales, des crises convulsives, un delirium et mener au décès. Beaucoup de patients en surdosage qui sont sous benzodiazépines en prennent de manière chronique ; chez eux, l’administration de flumazénil peut donc précipiter un état de syndrome de sevrage aigu.




image Déficit en thiamine


Le déficit en thiamine peut conduire à l’encéphalopathie de Wernicke chez les patients souffrant de malnutrition, principalement ceux qui ont une dépendance à l’alcool (voir chapitre 2 pour plus d’informations sur le syndrome de Wernicke-Korsakoff). Bien que cette affection soit rare, une simple dose de thiamine peut avoir un effet positif et ne comporte pas de risque à la dose standard de 100 mg en administration intraveineuse (IV) ou intramusculaire (IM). Il n’est pas nécessaire d’administrer la thiamine avant le glucose. Bien que l’encéphalopathie due à un déficit en thiamine puisse être exacerbée par une hypoglycémie chronique, l’administration de glucose en situation urgente ne peut pas induire un syndrome de Wernicke-Korsakoff chez les personnes en bonne santé. Vous ne devez donc pas retarder le traitement d’une hypoglycémie en raison d’un possible déficit en thiamine.



Agitation


De nombreux médicaments et toxines peuvent entraîner une excitation du système nerveux central (SNC), de l’agitation ou une psychose. Quelle que soit la cause, la prise en charge initiale reste la même. Le but du traitement d’un patient agité est de réduire l’excitation du SNC de manière à protéger le patient de troubles métaboliques associés à l’agitation, de lésions tissulaires dues à l’intoxication cardiovasculaire et d’un comportement d’automutilation.



Benzodiazépines: Les benzodiazépines constituent le traitement de choix des personnes agitées. Étant donné que les benzodiazépines ont un profil d’innocuité bénigne et un index thérapeutique large, cette classe de médicaments est largement utilisée pour éviter des blessures chez les patients intoxiqués ainsi que chez le personnel soignant qui s’en occupe. Les benzodiazépines ont également l’avantage d’éviter des convulsions, d’atténuer l’hyperactivité du système nerveux sympathique et de réduire les causes de morbidité souvent associées à une agitation importante (par exemple rhabdomyolyse).


Les benzodiazépines dépriment le SNC, mais des moyens de contention seront peut-être nécessaires pour leur administration. Vous devez cependant essayer de minimiser l’immobilisation physique pour privilégier une contention chimique, car la première est associée à des risques tels qu’une aggravation de l’acidose métabolique, une rhabdomyolyse et parfois une détresse respiratoire.


Les benzodiazépines couramment utilisées pour la sédation chez les patients extrêmement agités lors des soins d’urgence sont le lorazépam (Ativan®) et le diazépam (Valium®). Le midazolam (Hypnovel®) est disponible par voie IV, IM et per os ; le diazépam, quant à lui, est disponible pour une administration IV, orale ou rectale. La posologie de l’agent requis pour une sédation adéquate varie de manière significative en fonction de la physiologie du patient, du degré d’agitation, de la tolérance connue aux benzodiazépines et de la quantité de substance stimulante ingérée. Les benzodiazépines peuvent provoquer une dépression respiratoire ainsi que des difficultés à maintenir la protection des voies aériennes. Ne les administrez donc que si vous pouvez monitorer attentivement le patient et procéder, au besoin, à la protection des voies aériennes.



Antipsychotiques: Les médicaments antipsychotiques, en particulier l’halopéridol (Haldol®) et la ziprasodone (Geodon®), sont également couramment utilisés dans les situations d’urgence pour le traitement des patients agités. L’halopéridol est un agent antipsychotique qui est un antagoniste puissant des récepteurs D2 dopaminergiques. Un effet secondaire de son administration est la sédation. L’utilisation de la ziprasidone est recommandée en cas d’agitation aiguë chez les patients schizophrènes. Son mécanisme d’action est inconnu, mais une hypothèse est que l’activité antipsychotique de la ziprasidone, tout comme celle de l’halopéridol, est principalement médiée par l’antagoniste aux récepteurs dopaminergiques D2.


Si des benzodiazépines ne sont pas disponibles immédiatement, l’utilisation d’un agent antipsychotique est préférable à la contrainte physique. Malgré les effets indésirables potentiels, l’utilisation d’antipsychotiques après administration de benzodiazépines a un rôle central dans le traitement des patients agités. Les patients intoxiqués souffrant d’une stimulation dopaminergique excessive seront en état de psychose aiguë, souvent manifestée par des hallucinations tactiles et visuelles ou des mouvements choréoathétosiques, ou « danse du crack ». Une fois les benzodiazépines données et l’amélioration de l’agitation et de l’instabilité cardiovasculaire observée, l’halopéridol sera efficace pour le traitement des effets toxiques spécifiques.



image Crises convulsives


L’excitation du SNC peut également provoquer des crises convulsives. La plupart des crises convulsives induites par des toxines sont des crises tonicocloniques généralisées qui ne progressent que rarement en état de mal épileptique, malgré des exceptions (par exemple intoxication à l’isoniazide). La notion de convulsion doit toujours faire penser à effectuer rapidement un contrôle glycémique ou à administrer du glucose à titre prophylactique. Autrement, les benzodiazépines sont utilisées à la fois, à titre prophylactique et en tant que traitement d’une crise. Si le patient présente des signes de tremblements, particulièrement s’ils sont accompagnés d’une tachycardie et d’une anxiété, vous devriez administrer des benzodiazépines dans le but de prévenir une crise convulsive. Une fois que la crise convulsive est active, l’administration d’une forte dose de benzodiazépines est recommandée.


Si les benzodiazépines sont inefficaces lors de la crise, vous devriez administrer des barbituriques, en général du phénobarbital (Luminal® ou Gardenal®) 20 mg/kg. Soyez prêt à intervenir au niveau des voies aériennes et à corriger une hypotension chez les patients qui nécessitent des doses de charge importantes, bien que dans certains cas d’agitation extrême, une intubation puisse être nécessaire. Le propofol (Diprivan®), un agoniste GABA et antagoniste N-méthyl-D-aspartate (NMDA), est un autre sédatif puissant qui peut être titré rapidement, mais qui exige une intubation pour son administration. La phénytoïne (Dilantin®) et d’autres anticonvulsivants typiques sont inefficaces pour le traitement de crises convulsives induites par des toxines.


Enfin, il faut envisager la pyridoxine (vitamine B6) pour le traitement des crises convulsives réfractaires. Classiquement, la pyridoxine a été utilisée comme antidote en cas de crises convulsives dues à une intoxication par l’isoniazide (Nydrazid®), mais elle peut également être employée comme agent d’appoint en cas d’état de mal épileptique de quelque cause que ce soit. Un dosage empirique d’au moins 1 g IV est généralement recommandé pour une dose maximale de 70 mg/kg. Pensez à la mise en place d’un monitorage par électroencéphalogramme (EEG) en continu si les crises persistent malgré une pose apparente au niveau de l’activité motrice.



image Modification de la température corporelle


Bien souvent négligée, particulièrement en milieu préhospitalier, l’obtention de la température corporelle est cruciale pour la prise en charge des urgences toxicologiques. Une intoxication par stimulant est associée à une augmentation de la mortalité s’il existe une hyperthermie. La modification de la température est un élément fondamental pour certains diagnostics toxicologiques tels que le syndrome sérotoninergique, le syndrome malin des neuroleptiques et l’hyperthermie maligne. L’objectif thérapeutique pour de tels patients est une rapide normalisation de la température par la mise en place de techniques de refroidissement externes et l’administration de médicaments.


Une hypothermie peut survenir après l’ingestion d’agents sédatifs, hypnotiques ou d’opiacés. Que la température corporelle du patient soit haute ou basse, vous devriez traiter cette variation de température aussitôt que vous la découvrez.



image Anomalies de la fréquence cardiaque


Les irrégularités de la fréquence cardiaque et les arythmies qui surviennent régulièrement lors d’urgences toxicologiques peuvent aider à diagnostiquer l’affection du patient et à choisir le bon traitement initial. Même si la fréquence cardiaque peut varier de manière significative par rapport aux valeurs normales, vous devez vous concentrer sur le patient dans sa globalité et non simplement traiter les chiffres. Chez bien des patients, une tachycardie ou une bradycardie modérée ne nécessite pas de traitement agressif s’il n’y a pas de signe lésionnel organique dû au trouble du rythme.



Tachycardie: Lors d’une urgence toxicologique, la tachycardie peut être causée directement par l’effet de la substance nocive plutôt que par la déplétion volumique. Divers mécanismes pharmacologiques peuvent augmenter la fréquence cardiaque, y compris la toxicité sympathomimétique, les agonistes des récepteurs dopaminergiques et les inhibiteurs de chaîne calcique, qui provoquent une vasodilatation et une tachycardie réflexe (tableau 9-1). De nombreuses toxines sont actives sur plus d’un site récepteur, ce qui peut compliquer les algorithmes de traitement. En plus des effets pharmacologiques, les toxines émanant de drogues, de plantes ou de produits chimiques induisent une déplétion volumique qui a pour résultat une diminution de l’appétit, des immobilisations prolongées, des vomissements, des diarrhées ou la combinaison de tous ces facteurs.



Tableau 9-1


Mécanismes d’une tachycardie induite par des toxines















































Mécanisme de toxicité Exemples Traitement
Toxicité sympathomimétique Cocaïne, amphétamines, éphédrine, phencyclidine Liquides IV, benzodiazépines
α-bloquants d’action périphérique Antipsychotiques, antidépresseurs tricycliques, doxazosine Liquides IV, phényléphrine
Inhibiteurs périphériques de canaux calciques Inhibiteurs de canaux calciques, dihydropyridines (nifédipine, amlodipine) Liquides IV, phényléphrine
Inhibiteurs des récepteurs muscariniques Antidépresseurs tricycliques, diphénhydramine, cyclobenzaprines, antipsychotiques Liquides IV, benzodiazépines, ± physostigmine
Activation des récepteurs nicotiniques Tabac, noix de bétel, grande ciguë, carbamates, organophosphorés Liquides IV, benzodiazépines
Stimulation des récepteurs de la sérotonine Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), antidépresseurs tricycliques, cocaïne, tramadol, mépéridine Liquides IV, benzodiazépines, ± cyproheptadine
Agonistes des récepteurs dopaminergiques Amantadine, bupropion, bromocriptine, amphétamines, cocaïne Liquides IV, benzodiazépines, ± halopéridol
Retrait des agonistes GABA/antagoniste GABA Alcool éthylique ou sevrage des benzodiazepines, ciguë vireuse, flumazénil Liquides IV, benzodiazépines, barbituriques
Antagonisme des récepteurs adénosiques Méthylxanthines (par exemple théophylline, caféine) Liquides IV, benzodiazépines, esmolol
Agonisme des β-récepteurs Salbutamol, clenbutérol, terbutaline Liquides IV, esmolol

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Jun 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 9: Toxicologie, matières dangereuses et armes de destruction massive

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