Dolto Fr, L’image inconsciente du corps, points essais, Seuil, 1984.
◗ L’image du corps et le « stade du miroir »
L’image du corps est inconsciente et personnelle, individuelle. Elle est propre à chacun et se trouve liée au sujet, à son histoire personnelle.
Elle ne correspond pas à la réalité du corps mais se façonne à travers l’histoire du sujet, à travers la relation qu’il a à l’autre, le regard que l’autre (la mère en premier lieu) porte sur lui, c’est pourquoi elle est différente pour chacun de nous. Elle est l’image que l’on a de soi donnée par la relation libidinale à l’autre. Pour Dolto, un être peut n’avoir pas structuré son image du corps au cours du développement du schéma corporel dans le cas de maladies organiques graves, d’infirmités précoces, néo-natales, mais aussi lorsque la personne qui s’occupe précocement de l’enfant se trouve angoissée, ne communique plus avec l’enfant par le langage mais dans un corps à corps trop fusionnel où l’enfant ne perçoit pas la différence entre son corps à lui et celui de l’autre. Lorsque l’image du corps reste saine malgré l’atteinte du schéma corporel, c’est que l’enfant a pu être investi affectivement comme un enfant normal, susceptible des mêmes capacités, aimé de la même façon, doué d’une fantasmatique où il peut se projeter dans la vie comme être désirant sans être ramené sans cesse au réel d’un corps non fonctionnel.
Pour Lacan, il existe une expérience du miroir, appelée, « stade du miroir », à l’issue de laquelle l’enfant peut accéder à une représentation unifiée du corps humain, lui permettant de devenir sujet. Cette dernière survient entre le sixième et le dix-huitième mois de la vie : l’enfant, devant le miroir, perçoit que l’image qu’il y voit est la sienne, et qu’il n’est pas un être morcelé (façon dont il se percevait avant le stade du miroir) mais un être intègre et différencié du corps de sa mère. L’expérience du miroir s’accompagne en général des paroles de la mère qui nomme son enfant lorsqu’il rencontre son image dans le miroir en lui disant : « c’est toi ». L’enfant a alors accès à la forme de son corps, aux limites de ce dernier par rapport à ce qui l’entoure et à la relation de son corps avec l’environnement. Le « c’est toi » de la mère, se transformera en « c’est moi » chez l’enfant, où son moi (voir Fiche 5, page 149) se constitue alors. C’est l’avènement du narcissisme. L’image du corps est constituée du corps réel, du corps imaginaire (de la perception mentale que le sujet en a) et du corps symbolique en tant que parlé par la mère (« c’est toi »).
Mais l’image inconsciente du corps, par l’aspect imaginaire, la représentation de soi qu’elle fait intervenir, ne correspond pas à ce que les autres voient de ce corps. C’est l’image inconsciente que la personne a de son corps et qui n’a rien à voir avec la réalité visible de ce corps. Elle ne peut se révéler que dans la parole (lors d’une psychothérapie par exemple).
Elle est complètement subjective, ce qui explique par exemple que des personnes anorexiques se voient grosses : leur image, telle qu’elles la perçoivent dans le miroir, est celle d’une personne obèse alors qu’elles sont d’une maigreur terrifiante dans la réalité. Le symptôme véhiculé là par le corps est à déchiffrer comme tentative de communication à l’autre de la souffrance, de la douleur d’exister ; il est une adresse inconsciente à l’autre d’un passé (toujours actuel dans l’inconscient, c’est pourquoi il continue de faire souffrir tant qu’il n’est pas dévoilé) dont les inscriptions s’incarnent alors dans le corps comme un réseau de significations que seul une psychanalyse permet de révéler.
Le cas de Tony
C’est pourquoi l’image du corps, dit Dolto, « est la trace structurale de l’histoire émotionnelle d’un être humain. Elle est le lieu inconscient d’où s’élabore toute expression du sujet ; lieu d’émission et de réception des émois interhumains langagiers. »6
Le lien entre le corps, l’image du corps et la parole, Dolto nous en donne une illustration exemplaire à travers l’analyse de l’un de ses petits patients7:
ony, un jeune enfant de dix ans, est pris en charge par Dolto dans une consultation hospitalière où il est adressé parce qu’il manque l’école depuis plusieurs mois, avec une plainte constante de douleurs aiguës aux genoux qui l’empêchent de dormir et de marcher. Un médecin de quartier avait diagnostiqué des « douleurs » de croissance à un moment où le genou dont se plaignait Tony apparaissait chaud et enflé. Or, sur le plan médical, biologique, les analyses et les examens ne dévoilent pas la cause de ces douleurs. Françoise Dolto se demande si l’enfant est hypocondriaque ou hystérique.



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