9: Regard pharmacologique sur les récepteurs

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Regard pharmacologique sur les récepteurs




Généralités sur les récepteurs


Comme P. Erhlich en eut précocement l’intuition, les molécules qui sont biologiquement actives doivent, pour ce faire, s’associer à des cibles biologiques. Ainsi naquit le concept de récepteurs. Depuis lors, la diversité et ainsi le nombre de cibles biologiques n’a cessé de croître.


Les récepteurs ont longtemps constitué une interprétation raisonnable des faits expérimentalement constatés, jusqu’à ce que la biologie moléculaire qui se développait s’y intéresse et démontre le caractère irréfragable de ce qui n’était encore qu’un concept.


Les études portant sur le récepteur nicotinique de l’acétylcholine (présent en abondance dans l’organe électrique du poisson torpille, le gymnote) menées par l’équipe du chercheur français Jean-Pierre Changeux, ont été déterminantes dans la matérialisation de ce concept. Ce récepteur nicotinique a été solubilisé, séquencé (établissement de sa composition en acides aminés). Puis ont été analysés les gènes codant les récepteurs que la pharmacologie avait identifiés. Bientôt la génétique a été en avance sur la pharmacologie, mettant en évidence des récepteurs que la pharmacologie ignorait encore, pour lesquels elle ne disposait pas encore de ligands spécifiquese et, ainsi, dont la fonction était inconnue. Les récepteurs-canaux (ou récepteurs ionotropiques) et les récepteurs couplés aux protéines G (RCPG) (ou récepteurs métabotropiques) ont d’abord mobilisé l’attention ; mais d’autres cibles ont pris de l’importance : enzymes, canaux ioniques, récepteurs cytosoliques aux hormones, transporteurs. Ces cibles, leurs fonctions principales et les principaux ligands d’intérêt thérapeutique sont énumérés dans ce chapitre.


Beaucoup de médicaments ont pour cible des récepteurs métabotropiques (i.e., dont stimulation a pour effet de modifier des voies métaboliques cellulaires), heptahélicoïdaux (i.e. formés de sept hélices transmembranaires) couplés à des protéines G (récepteurs couplés aux protéines G, RCPG), qui sont les facteurs de transduction du signal qui apparaît dans la cellule à la suite de l’occupation du récepteur par son ligand naturel ou par des molécules qui en reproduisent les effets. « Protéines G », car leur fonction repose sur les modifications de leur affinité pour deux nucléotides à guanine (G comme guanine) : la guanosine diphosphate (GDP) et la guanosine triphosphate (GTP). Le récepteur étant au repos (non stimulé), la sous-unité α de la protéine G ancrée au récepteur est liée au GDP. Quand le récepteur s’associe à son ligand (par exemple, le récepteur D2 de la dopamine), l’affinité de la sous-unité α pour le GDP chute et le GDP s’en détache ; en revanche, l’affinité pour le GTP de cette sous-unité α devient élevée et, ainsi, le GTP s’y associe. Cela a pour effet de libérer la sous-unité α liée au GTP des deux autres constituants de la protéine G (les sous-unités β et γ). Le complexe sous-unité α-GTP diffuse à la face interne de la membrane vers un effecteur. Pour le récepteur D2, il s’agit d’une enzyme, l’adénylate cyclase, qui catalyse la transformation de l’ATP (adénosine triphosphate) en un second messager, l’AMPc (adénosine monophosphate cyclique). Pour le récepteur D2, la sous-unité α liée au GTP inhibe l’activité tonique de l’adénylate cyclase. C’est une sous-unité αi (« i » comme inhibitrice) ; elle a donc pour effet de faire chuter le taux cellulaire d’AMPc. Au contraire, la sous-unité α activée par les récepteurs D1 de la dopamine est du type αs (« s » comme stimulatrice), car elle accroît l’activité de l’adénylate cyclase et accroît donc le taux d’AMPc endocellulaire.


On dénombre presque un millier de types de récepteurs couplés aux protéines G. Ils sont les lointains descendants d’un récepteur ancestral aux photons, à l’œuvre dans la rétine, la rhodopsine. Si beaucoup de ces récepteurs sont dédiés à la gustation et à l’olfaction, il en reste plusieurs centaines au service des nombreuses substances de communications intercellulaires ; qu’il s’agisse de neuromédiateurs (dopamine, noradrénaline, sérotonine, acétylcholine, GABA, glutamate, etc.), de neuromodulateurs (endocannabinoïdes, peptides opioïdes, neurotensine et maints autres neuropeptides, etc.), de cytokines (interleukines diverses, etc.), d’autacoïdes (histamine, prostaglandines, leucotriènes).



Mode d’action des ligands


Les agents pharmacologiques qui agissent sur ces récepteurs le font :



image soit en reproduisant l’action de leur ligand endogène (par exemple, le ropinirole, Requip®, qui reproduit les effets de la dopamine au niveau de ses récepteurs D2) ; il s’agit alors d’agonistes (« agonistes entiers », full agonists des Anglo-Saxons) ; on y recourt quand le ligand endogène d’un type de récepteur est défaillant, comme la dopamine dans le striatum du parkinsonien ;


image soit en s’opposant, par compétition, à l’occupation des récepteurs par son ligand endogène, mais sans développer du fait de cette occupation un quelconque effet, relativement à la situation qui correspondait à celle du récepteur libre de tout occupant ; on y recourt lorsque le ligand endogène stimule trop intensément ses récepteurs, développant de ce fait des effets trop intenses (par exemple, un antagoniste neutre des récepteurs dopaminergiques D2, pour pallier la stimulation excessive des récepteurs D2 limbiques, en regard de boutons synaptiques de neurones dopaminergiques méso-limbique, dont la libération excessive de dopamine est à l’origine des expressions productives de la schizophrénie).


En fait, cette présentation binaire de type « agoniste »/« antagoniste » est simplificatrice :



image d’abord parce que certains récepteurs présentent, spontanément, une activité constitutive : cela signifie qu’en l’absence de toute occupation par un ligand agoniste, par le jeu de leurs protéines G, ils influencent toniquement le métabolisme cellulaire, comme s’ils étaient stimulés à un certain degré. L’occupation de tels récepteurs par certains types de ligands (« agonistes inverses ») faisant disparaître cette activité constitutive basale, suscite un effet de sens opposé à celui des ligands agonistes ; de là l’expression pour les désigner, d’agonistes inverses. On sait désormais que dans leur grande majorité, les antipsychotiques, qu’ils soient ou non neuroleptiques, sont des agonistes inverses au niveau des récepteurs D2 ;


image en outre, parce qu’entre les agonistes complets (full agonists) et les antagonistes neutres, existent tous les états intermédiaires possibles, correspondant aux « agonistes partiels » : ceux-ci stimulent les récepteurs, mais toujours avec une intensité inférieure à celle des agonistes complets (souvent abrégés « agonistes ») :



Évidemment, entre l’antagoniste neutre et l’agoniste inverse complet, il existe des agonistes inverses partiels.


Ces caractères — agoniste complet, agoniste partiel, antagoniste neutre, agoniste inverse partiel et agoniste inverse complet — sont quantifiés par ce qu’on appelle l’activité intrinsèque, matérialisée par la lettre grecque α.



Affinité du ligand pour le récepteur


La notion d’affinité est également très importante à considérer pour l’analyse des interactions entre un ligand et un récepteur. Elle est la condition sine qua non pour que la collision d’un ligand, animé d’un mouvement brownien, avec un récepteur, au lieu d’aboutir à un rebond élastique ultrabref par l’établissement temporaire de plusieurs liaisons avec des radicaux chimiques des hélices transmembranaires, déforme la structure du récepteur et retentisse en particulier sur la troisième boucle endomembranaire, là où s’opère la liaison du récepteur à la protéine G, ce qui retentit sur sa fonction (cf. supra). L’affinité élevée d’une molécule pour un récepteur déterminé est donc le prérequis d’une interaction entre une molécule (ligand, L) et un récepteur (récepteur, R).


Le ligand L se lie le plus habituellement au récepteur R de façon réversible :


image


À l’équilibre, à chaque instant, il se forme autant de complexes [RL] qu’il s’en dissocie en R + L.


L’affinité de L pour R correspond au rapport de la vitesse d’association au récepteur, à la vitesse de dissociation. Une affinité élevée correspond donc à une vitesse d’association beaucoup plus rapide que la vitesse de dissociation. Une affinité de l’ordre du nanomolaire (nM, 10−9 M) est considérée comme élevée ; cela signifie que lorsque le ligand est à cette concentration de x nM à proximité des récepteurs, à tout instant 50 % de ces récepteurs sont occupés par le ligand.

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May 9, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 9: Regard pharmacologique sur les récepteurs

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