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Planification préopératoire
La responsabilité civile et pénale des chirurgiens est plus que jamais d’actualité. L’acte chirurgical est vécu de plus en plus comme un « acte de consommation » sous-entendant une obligation de résultat et non plus de moyens. L’augmentation croissante des « procédures juridiques » dans la vie médicale n’est pas sans conséquences à la fois pour le patient et pour le chirurgien orthopédiste.
Les buts d’une intervention de chirurgie orthopédique sont de rétablir une fonction ostéoarticulaire indolore de façon durable. À part l’infection difficilement prévisible, les principales complications qui sont source d’échec ou de mécontentement du patient doivent être prévenues en pré et peropératoire par une suite de choix. Certains facteurs sont sous le contrôle du chirurgien comme la voie d’abord, la technique opératoire, le choix des matériaux, l’orientation des implants prothétiques, le contrôle de la longueur des membres inférieurs, etc.
Lors de la mise en place des implants, le chirurgien essaie de respecter certains critères : bon positionnement et taille adaptée des implants, ancrage osseux stable et solide, restauration des éléments fonctionnels de cette articulation remplacée, notamment sa force, sa stabilité, sa souplesse.
Pour pouvoir faire face à la variété anatomique présentée par les patients, les gammes proposées par les fabricants sont devenues vastes et multiples.
Dans l’arthroplastie de hanche, la tige fémorale peut être droite ou anatomique, elle peut être monobloc ou modulaire avec parfois une double modularité (col et tête d’une part, col et implant fémoral d’autre part). Pour d’autres fabricants, l’angle cervicodiaphysaire peut varier ainsi que l’importance de la latéralisation. Le chirurgien dispose d’une gamme d’implants permettant de tenir compte des variations anatomiques mais il doit les choisir à bon escient. Il doit aussi pouvoir mesurer la longueur des membres inférieurs, évaluer certains angles et certaines distances comme l’offset fémoral. Tous ces facteurs doivent être anticipés afin de diminuer les risques opératoires et d’optimiser le fonctionnement du bloc opératoire, et concernent principalement les interventions programmées de type arthroplastie de hanche et de genou.
Optimisation du bloc opératoire
Il s’agit d’allouer un certain temps à des chirurgiens ou à une spécialité afin de leur permettre de réaliser les actes chirurgicaux nécessaires chez les patients dont ils ont la charge.
On comprend très bien que dans la logique actuelle d’optimisation maximale des ressources humaines autant que matérielles, il s’agit d’une démarche essentielle pour que le chef de bloc puisse prévoir le temps suffisant mais aussi les personnels et les moyens nécessaires à la réalisation d’une intervention chirurgicale.
En matière de temps, l’habitude est d’allouer un certain nombre de vacations à un chirurgien ou à une spécialité définie. Le plus souvent le calcul de ces vacations se fait en combinant plusieurs facteurs, dont les données de l’année précédente, le projet d’établissement et le projet stratégique du service, les capacités d’hébergement, l’activité ambulatoire, les « variations saisonnières », mais aussi la durée prévisible d’une intervention.
Dans ce sens, le chirurgien doit planifier la difficulté de l’intervention et le temps dont il estime avoir besoin.
Optimisation des risques opératoires
Reason a proposé un modèle permettant de représenter les différentes causes de défaillances d’un système permettant de montrer que se cumulent pour produire un accident (figure 9.1) :
Figure 9.1 Le modèle de plaques de Reason.
Ce modèle permet d’élargir quasiment à l’infini la recherche des causes d’accident en ajoutant des plaques. Toutes les plaques sont équivalentes, il suffit que le trou d’une plaque soit bouché, quel qu’il soit, pour que l’accident ne passe plus.
• des défaillances dites latentes : défaillances organisationnelles, carences managériales, défauts de conception, etc. ;
• des défaillances dites patentes : ce sont les erreurs humaines des acteurs de première ligne.
Le concept développé par Reason est que devant tout accident, il faut rechercher les causes et le contexte qui ont permis la survenue de l’erreur humaine génératrice de l’accident.
Pour analyser un événement indésirable, après une description chronologique précise de l’événement en question et de ses conséquences, il faut se demander pourquoi et comment il a pu se produire, c’est-à-dire non seulement analyser les causes immédiates (par exemple l’opérateur a implanté la mauvaise prothèse parce qu’il n’a pas vérifié avant l’implantation la nature de l’implant) mais aussi quelles sont les défaillances latentes qui ont pu conduire à cette erreur (rangement défectueux ou récent et non connu des produits, personnel inexpérimenté non supervisé, surcharge de travail et fatigue, etc.).
Chacune des « plaques » du système (représentant les processus d’amont) doit être analysée et il faut parvenir à « boucher » le maximum de trous sur chaque « plaque », c’est-à-dire à sécuriser l’ensemble du système pour rendre improbable l’occurrence d’un nouvel incident ou accident.
L’intérêt de la méthode est de visualiser l’enchaînement logique qui a conduit à l’erreur.
Chaque opérateur doit donc veiller à ce que les données nécessaires à cette programmation soient disponibles suffisamment à l’avance pour l’inscription de chaque patient :
• les noms, prénoms, date de naissance du patient ;
• le nom de l’opérateur (chirurgien ou médecin) ;
• la nature précise de l’intervention ;
• les besoins spécifiques (table d’opération particulière, amplificateur de brillance, anatomopathologie, prothèse, ancillaires à commander, cell saver, fibroscope pour intubation difficile, etc.) ;
• le nombre d’aides opératoires ;
• la durée prévue de l’intervention ;
Planification radiographique : exemple de la prothèse de hanche
La planification est un des moyens pour prévoir les éventuelles difficultés opératoires et commencer à cibler le choix des implants.
Elle se fait essentiellement sur le cliché de face selon la technique des calques décrite par Müller dans les années soixante-dix [3] (figure 9.2).
Cette planification est soumise à de nombreux aléas : le coefficient d’agrandissement, la position du bassin, la position du fémur, la position du patient selon qu’il est couché ou debout. Sa reproductibilité est variable et souvent jugée non totalement satisfaisante.
Malgré l’utilisation de procédures standardisées, il peut être difficile de planifier précisément en cas de rotation fixée ou de prévoir certains problèmes opératoires au niveau de l’extrémité proximale du fémur comme au niveau de l’acétabulum [2].
Sur les radiographies de face et de profil, les facteurs d’agrandissement et les positions des pièces osseuses sont aléatoires, certaines caractéristiques comme l’hélitorsion fémorale ou le positionnement spatial de l’acétabulum ne sont pas reproduites sur une radiographie qui réduit un espace à un plan.
Cette planification radiographique n’a pas accès au plan axial, elle ne permet pas d’appréhender la qualité du tissu osseux et elle peut être imprécise dans le calcul de certaines distances comme l’offset fémoral en raison des rotations.
Néanmoins, en utilisant des radiographies mensurées (figure 9.3), et en tolérant une taille de différence au niveau de la tige et/ou de la cupule, la planification permet le plus souvent de prévoir la taille des implants [5]. Plus encore, elle est indispensable afin de prévoir d’éventuels implants spéciaux, voire sur mesure, dont le délai de fabrication peut être de plusieurs semaines.
Figure 9.3 Protocole radiologique pour l’obtention de radiographies mensurées.
Un repère métallique est placé autour de la cuisse près de la hanche de façon à pouvoir quantifier le facteur d’agrandissement radiologique par la suite, en moyenne de 1,15. Radiographie de face du bassin ainsi obtenue.