9. Neuro-Psychoacoustique de L’audition de L’entendant

Apports de L’imagerie Fonctionnelle Cérébrale

Coez A.



Depuis une quinzaine d’années, le développement récent des techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale offre un regard nouveau sur le traitement de l’information sonore par le cerveau. Ces techniques permettent d’étudier le cerveau lorsqu’il réalise une action telle qu’écouter, voir… Il est ainsi possible d’examiner le traitement des différents indices psychoacoustiques par le cerveau et d’évaluer ceux qui ouvriront un accès au langage. Ainsi, l’imagerie fonctionnelle est à la psychoacoustique ce que le sonagramme est à l’analyse acoustique des sons (de parole). Ces techniques couplées révèlent des phénomènes « cachés » tels que la structure acoustique du langage (sonagramme), sa perception et son analyse par les structures cérébrales (imagerie fonctionnelle cérébrale). Ces techniques permettent de revisiter certaines grandes interrogations telles que : « Qu’est-ce que le langage ? », « Qu’est-ce que la musique ? », « Qu’est-ce que le timbre d’un instrument, d’une voix ? », « Comment ces composantes sonores sont-elles analysées par les structures cérébrales ? », « Comment ces indices acoustiques peuvent-ils créer une émotion… ? »

Cette meilleure connaissance du vivant et de l’audition de l’entendant (que nous aborderons dans ce chapitre) amène à mieux comprendre certains dysfonctionnements dans le traitement cortical de l’information sonore induits par la surdité (qui seront abordés dans le chapitre : Neuro-psychoacoustique de l’audition altérée : apports de l’imagerie fonctionnelle cérébrale) mais aussi de porter un regard nouveau sur des pathologies qui entraînent un trouble de la communication telles que l’autisme, la dyslexie. L’accès à cette connaissance élargie permet de proposer de nouvelles approches thérapeutiques et de nouvelles prises en charge plus adaptées. Lors de l’EPU de décembre 2006, les apports de l’imagerie fonctionnelle cérébrale dans l’évaluation des différents dispositifs médicaux correcteurs de l’audition utilisés dans la prise en charge du handicap auditif ont été exposés.


1. QU’EST-CE QUE L’IMAGERIE FONCTIONNELLE CÉRÉBRALE ?


La maîtrise des rayonnements électromagnétiques et des algorithmes mathématiques a permis le développement de nouvelles techniques d’imagerie chez l’homme (HOUNSFIELD, 1973 et CORMACK, 1980) telles que le scanner X ou l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM). Ces techniques permettent d’obtenir des images anatomiques fines d’une précision de quelques millimètres. L’imagerie fonctionnelle cérébrale se distingue de l’imagerie anatomique par la possibilité de caractériser la fonction d’un organe plutôt que son anatomie (YOUNG, 1994). Jusqu’à un passé récent, le moyen de connaître chez l’homme la fonction d’un organe en général ou d’une région de son cerveau en particulier était de corréler la symptomatologie du vivant d’un homme aux lésions qui auraient pu être observées après son décès lors d’une autopsie.

Par cette démarche, au XIXe siècle, le cas du célèbre patient Phineas Gage (DAMASIO, 1992) a permis d’établir le rapport existant entre une lésion cérèbrale spécifique acquise par accident et la perturbation de ses capacités émotionnelles. L’inconvénient majeur de cette stratégie d’investigation est qu’il faille attendre le décès du patient pour comprendre la cause réelle du dysfonctionnement observé… Plus proches de nous, l’électro-encéphalographie et la magnétoencéphalographie permettent de recueillir des signaux électromagnétiques émis par les courants électriques qui se déplacent le long des axones des cellules nerveuses. La localisation de la source de ces signaux recueillis par ces instruments demeure malgré tout imprécise. Ils révèlent, en revanche, une résolution temporelle très fine des signaux recueillis. Les méthodes d’imagerie fonctionnelle sont des méthodes plus élégantes, qui permettent de façon atraumatique d’étudier du vivant d’un être humain la fonction d’un organe, d’une aire cérébrale.


1.1. Tomographie par émission de positons


La tomographie par émission de positons permet de réaliser le rêve de Claude BERNARD qui était de pouvoir suivre une molécule de son administration dans l’organisme (absorption) jusqu’à son élimination. Le principe repose sur le marquage d’une molécule biologique telle que l’eau ou le glucose par un atome radioactif émetteur de positons. Cette molécule radiomarquée peut être administrée à dose traceuse dans l’organisme. Elle traverse les mêmes compartiments biologiques que la molécule naturelle. Ainsi, l’eau marquée à l’oxygène 15 (O15), émetteur de positons, permet de « tracer » le compartiment sanguin cérébral. Les variations de débits sanguins cérébraux liées à l’activité neurale d’une région cérébrale, lors de la réalisation d’une action, s’accompagnent d’une augmentation de concentration d’eau émettrice de positons dans cette région. Au contact de la matière (électron), le positon émis s’annihile et donne naissance à deux photons γ de 511keV qui se déplacent dans des directions diamétralement opposées et qui sont recueillis en coïncidence par les cristaux du tomographe qui ceinturent la tête du sujet (figure 9.1). Cette détection en coïncidence permet, à l’aide de puissants algorithmes de calculs, de réaliser une reconstruction tomographique du lieu de désintégration. Il est ainsi possible de réaliser des cartes corticales de lieux de concentration de la molécule traceuse utilisée en fonction de la tâche que le sujet est en train de réaliser.








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Figure 9.1
Principe de la tomographie par émission de positons. Les atomes émetteurs de positons, isotopes radioactifs, permettent de marquer des molécules biologiques qui sont présentes dans l’organisme vivant. De faibles quantités de ces molécules marquées, qui auront le même métabolisme que la molécule naturelle, permettent de tracer un compartiment biologique, une fonction. Ainsi, l’eau marquée à l’oxygène 15 permet de marquer le compartiment sanguin et de mesurer des variations de débit sanguin cérébral. Le désoxyglucose marqué au F18 permettra de suivre le métabolisme glucidique…


D’autres atomes émetteurs de positons peuvent être employés tels que le Fluor 18 (F18), qui permet par substitution nucléophile de marquer une molécule telle que le glucose en F18 fluoro-2-désoxyglucose. Le compartiment biologique marqué est alors le métabolisme du glucose.

De nombreuses autres molécules peuvent ainsi être marquées au F18 ou à d’autres atomes émetteurs de positons (carbone 11, azote 13, brome 76) et servir de traceur de la neurotransmission (F18-DOPA), du métabolisme d’un médicament… La tomographie par émission de positons est la seule méthode atraumatique qui permette actuellement une étude fonctionnelle aussi bien physiologique que biochimique du cerveau humain vivant (SYROTA, 1997).

Pour l’étude de la correction du handicap auditif par les dispositifs actuels de correction de la surdité, la TEP apparaît particulièrement appropriée, car il n’y a pas d’interactions physiques entre les deux modalités, ce qui n’est pas le cas des autres techniques d’imagerie qui utilisent les propriétés magnétiques de la matière.


1.2. Imagerie fonctionnelle par résonance magnétique nucléaire (IRMf )


L’IRM, par une mesure des propriétés magnétiques d’un corps, permet d’établir une image de ce corps. Tout organe est constitué d’atomes eux-mêmes constitués d’un noyau et d’électrons. Le noyau de l’atome tourne sur lui-même et peut être assimilé à un petit aimant. La résultante magnétique de ces petits aimants est nulle du fait de l’anisotropie du milieu. Lorsque l’organe étudié est placé dans un champ magnétique B0 d’un gros aimant de type IRM, alors chaque moment magnétique (spin) de chaque noyau s’aligne dans une direction donnée. Par des gradients de champ magnétique, cet équilibre peut être « bousculé ». À l’arrêt du gradient, il est possible de mesurer le temps de retour à l’équilibre qui sera différent en fonction de la nature de l’atome considéré et donc du tissu analysé. Ce principe permet d’obtenir des images anatomiques très fines.

Avec la TEP, on mesure des variations de débit sanguin cérébral. Effectivement, lorsque une région cérébrale réalise une tâche, il y a une hyperperfusion d’oxyhémoglobine. Les propriétés magnétiques de l’oxyhémoglobine et de la désoxyhémoglobine sont différentes. Ainsi, la technique blood oxygen level degree (BOLD) permet de mesurer les variations de magnétisme lorsque le cerveau réalise une action donnée par rapport à son état au repos. La modification du rapport de concentration entre hémoglobine et désoxyhémoglobine entre ces deux conditions permet de déterminer et de localiser la région qui a été sollicitée par la tâche demandée. Chez le sujet sain, cette technique de mesure de débit sanguin cérébral est plus facile à mettre en œuvre qu’avec la TEP. Les acquisitions peuvent être plus nombreuses et plus rapides. Le traceur biologique interne à l’organisme (oxyhémoglobine) n’a ni à être synthétisé (ce qui évite une infrastructure de radiochimie), ni à être injecté. Malheureusement, les dispositifs médicaux correcteurs de la surdité (implants et prothèses auditives) par leurs propriétés magnétiques représentent à l’heure actuelle une contre-indication formelle à l’utilisation de l’IRM.


1.3. Électro-encéphalographie (EEG) et magnéto-encéphalographie (MEG)


L’électro-encéphalographie est une méthode d’imagerie cérébrale. Il est possible d’enregistrer et d’analyser l’activité électrique du cerveau résultant du fonctionnement des neurones. Des électrodes sont placées sur le scalp du patient (64 électrodes). La magnéto-encéphalographie est l’enregistrement des champs magnétiques induits par l’activité électrique neurale. Des techniques mathématiques rendent possible la construction des cartes de l’activité électrique et/ou magnétique cérébrale enregistrée. La résolution spatiale demeure néanmoins faible. En revanche, cette technique offre une résolution temporelle excellente (de l’ordre de la milliseconde) à l’échelle de l’activité neurale mesurée. Ainsi, les modalités TEP et IRMf permettent d’obtenir une résolution spatiale de l’activité cérébrale de bonne qualité (de l’ordre du millimètre) mais une mauvaise résolution temporelle (de l’ordre de la minute), alors que le phénomène biologique observé est de l’ordre de la milliseconde.

Inversement, les méthodes d’électrophysiologie apportent une résolution temporelle fine mais une résolution spatiale grossière. Il peut s’avérer pertinent de coupler ces différentes modalités d’imagerie pour avoir une « image » plus riche en information du phénomène neural observé.


2. PENSER LES SONS. PARAMÈTRES ACOUSTIQUES FONDAMENTAUX : INTENSITÉ, FRÉQUENCE, TEMPS



2.1. Tonotopie


La tomographie par émission de positons a été utilisée avec succès dès 1985 par RAICHLE pour mettre en évidence l’organisation tonotopique du cortex temporal chez l’homme. Il est bien établi que le cortex auditif primaire des animaux présente une organisation tonotopique, c’est-à-dire que chaque région temporale est spécialisée dans le traitement d’une fréquence donnée. Ainsi, de la cochlée au cortex auditif primaire, cette tonotopie permet de décomposer un son en ses fréquences constitutives.

Cette transformation géométrique est le pendant biologique à la décomposition mathématique des sons par la transformée de FOURIER. Cette organisation tonotopique centrale a été mise en évidence chez l’animal dès 1942 (LICKLIDER et KRYTER, 1942 ; WALZL et WOOLSEY, 1943) par des méthodes invasives de physiologie qui n’ont bien évidemment pas pu être appliquées à l’homme. Il a fallu attendre le développement de la magnéto-encéphalographie pour que des équipes puissent établir cette organisation (ELBERLING et al., 1982; ROMANI et al., 1982). RAICHLE (1985) en TEP a pu établir chez un groupe de cinq hommes que l’écoute monaurale (oreille droite) à 50dB SPL de sons de fréquences 500Hz et 4000Hz est traitée par des régions temporales gauches différentes. Ainsi, la fréquence 500Hz est traitée statistiquement (p < 0,01 non corrigé) davantage dans des régions latérale et antérieure du cortex auditif primaire, alors que la fréquence 4000Hz est analysée dans des régions plus médiales et postérieures. Curieusement, cette représentation tonotopique a pu être mise en évidence uniquement dans le cortex controlatéral à la stimulation et non dans le cortex ipsilatéral. Peut-être qu’une étude avec un nombre plus important de sujets aurait pu démontrer également l’effet ipsilatéral.

Plus récemment, BILECEN et al. (1998) ont pu en IRMf mettre en évidence dans un groupe de neuf hommes, par une stimulation binaurale par des sons purs pulsés de 500Hz et de 4000Hz, une activation bilatérale du cortex auditif primaire prépondérante à gauche. Les sons de 4000Hz sont traités par des régions plus antérieures et médiales que les sons de 500Hz qui induisent par ailleurs des réponses plus massives.


2.2. Psychoacoustique des composants fondamentaux des sons (intensité, fréquence, temps). Étude en tomographie par émission de positons des composantes acoustiques du timbre



2.2.1. Qu’est-ce que le timbre ?


Le timbre est une sensation acoustique qui permet de distinguer une note de musique, jouée par un instrument donné, d’un autre instrument, une voix, d’une autre… Ainsi, une même note jouée par un piano ou une harpe, de même fréquence, de même intensité et de même durée est éprouvée de façon différente. Cette notion acoustique complexe a été définie comme étant une alchimie combinatoire subtile de trois paramètres acoustiques simples : le temps d’attaque, le centre de gravité spectral et le flux spectral (McADAMS, 1995). La variation d’un de ces paramètres, les autres demeurant par ailleurs constants, modifie donc la sensation sonore de timbre. Il a été possible d’étudier en TEP H2O15 deux paramètres acoustiques du timbre : le centre de gravité spectral et le temps d’attaque. Les cartes d’activations induites lors de la discrimination de ces paramètres ont pu être comparées à celles obtenues lors de l’écoute de stimuli plus simples tels que l’intensité et la durée. Dans ces études, le paradigme était toujours le même, seul le paramètre acoustique étudié variait. Les sujets avaient à écouter des séquences de sons et à discriminer mentalement (sans parler ni agir) des variations éventuelles du paramètre étudié selon quatre degrés de difficultés (d’) propres au sujet testé. Le son de référence était d’une durée de 300ms, avec un temps d’attaque de 80ms, une intensité de 75dB SPL et une pente spectrale de 3dB/octave.


2.2.2. Discrimination des variations d’intensité


BELIN et al. (1998) ont pu, par ce paradigme, établir dans un groupe de sept volontaires l’existence d’un réseau attentionnel fronto-temporo-pariétal latéralisé à droite et cérébelleux gauche, engagé dans le traitement de ce paramètre acoustique. Aucune autre région cérébrale ne semble impliquée et donc nécessaire au traitement cortical de l’intensité. De plus, le degré d’activation de la région pariétale inférieure droite est corrélé (p < 0,001) au degré de difficulté de discrimination (d’).


2.2.3. Discrimination des variations de durée


BELIN et al. (2002) ont pu montrer que des discriminations de durée engageaient un réseau fronto-temporo-pariétal droit proche de celui rencontré pour la discrimination des variations d’intensité. L’analyse par le système nerveux central de ce paramètre acoustique implique des régions bilatérales cérébelleuses et sous-corticales supplémentaires. En revanche, il n’y a pas de régions qui co-varient linéairement avec le degré de difficulté (d’).


2.2.4. Discriminations des variations de temps d’attaque


COEZ et al. (2002) retrouvent un réseau fronto-temporo-pariétal droit et cérébelleux bilatéral lors de la discrimination de variations de ce paramètre, ainsi que des activations sous-corticales. En outre, des activations temporales gauches sont trouvées, ainsi que des activations précentrales gauches plus importantes qu’à droite (figure 9.2). Par ailleurs, aucune région activée ne varie avec le degré de difficulté de la tâche.








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Figure 9.2
L’imagerie fonctionnelle cérébrale permet d’avoir une représentation des aires cérébrales engagées dans une action donnée. Lors de ces expériences (BELIN et al., 1998, 2001 ; COEZ et al., 2002), les sujets avaient à discriminer des variations d’intensité, de durée, d’attaque ou de pentes spectrales. Des similitudes manifestes existent lors de la réalisation de cette tâche qui requiert des ressources attentionnelles importantes pour pouvoir discriminer les variations des quatre paramètres acoustiques considérés. Des spécificités à chaque paramètre acoustique existent. Ainsi, des discriminations d’intensité ne requièrent pas l’implication de structures sous-corticales contrairement aux autres paramètres. Les discriminations de variations d’attaque induisent des activations supplémentaires à gauche, alors que le pattern inverse est observé pour des variations de fréquence. Temps et fréquence apparaissent comme deux dimensions du timbre analysées dans des réseaux neuraux différents.

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Aug 15, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 9. Neuro-Psychoacoustique de L’audition de L’entendant

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