Chapitre 9 Maladies des reins et du tractus urinaire
Les reins, dont la longueur va de 11 à 14 cm, sont situés derrière le péritoine de chaque côté de la colonne vertébrale de T12 à L3. Ils exercent les fonctions suivantes :
• régulation du volume et de la composition des fluides corporels ;
• fonction endocrine : production d’érythropoïétine, de rénine et transformation de vitamine D en sa forme active ;
• fonction autocrine : production de l’endothéline, de prostaglandines, du peptide natriurétique rénal.
L’unité fonctionnelle du rein est le néphron, qui est composé du glomérule, du tubule proximal, de l’anse de Henlé, du tubule distal et du tube collecteur (fig. 9.1). Les artères rénales, des branches de l’aorte abdominale, se divisent de nombreuses fois pour former chacune des artérioles afférentes amenant le sang dans l’un des 2 millions de néphrons. Le calibre plus large de l’artériole afférente par rapport à l’efférente augmente la pression sanguine dans le glomérule, ce qui pousse l’eau et des solutés hors des capillaires glomérulaires dans la capsule de Bowman. Le débit du filtrat glomérulaire, dont sont exclus les éléments figurés du sang ainsi que les grandes molécules protéines plasmatiques, est d’environ 170 à 180 l par jour. Les tubes contournés proximaux réabsorbent une grande partie du filtrat afin de maintenir l’équilibre hydroélectrolytique, mais l’élimination du potassium, de l’eau et des ions hydrogène non volatiles est régulée dans les tubules distaux. Lorsque la perfusion rénale et la filtration glomérulaire viennent à diminuer, la réabsorption de l’eau et du sodium par les tubules proximaux augmente en sorte qu’un minimum de liquide atteint le tubule distal. Ainsi, les patients hypotendus ou hypovolémiques ne peuvent pas excréter les ions potassium et hydrogène. C’est également le cas chez les patients atteints de lésions tubulaires distales, par exemple causées par un médicament. Normalement, seul 1 % environ du filtrat, fortement enrichi en urée et créatinine, passe dans le bassinet sous forme d’urine.
Manifestations des maladies rénales et urinaires
Dysurie
Une dysurie (douleur à la miction) peut avoir les causes suivantes :
• une inflammation touchant l’urètre (urétrite) ou la vessie (cystite). La dysurie est fréquente chez les femmes adultes et est généralement due à des infections bactériennes (voir plus loin) de l’urètre ou de la vessie. Des urétrites peuvent être causées par Chlamydia trachomatis ou Neisseria gonorrhoeae (voir chap. 2) ;
• une inflammation du vagin ou du gland pénien. Les agents en cause sont par exemple Candida albicans ou Gardnerella vaginalis.
Polyurie et nycturie
La polyurie est une production d’urine excessive, plus de 2,5 à 3 l en 24 heures. Elle doit être différenciée de plaintes plus communes comme la fréquence des mictions (pollakiurie) et la nycturie (mictions nocturnes), qui ne sont pas nécessairement associées à une augmentation du débit urinaire total. Les causes de polyurie sont notamment la polydipsie, définie comme une soif excessive conduisant à un apport hydrique accru (> 3 l par jour), la diurèse osmotique (par exemple hyperglycémie avec glycosurie), le diabète insipide et une MRC. La nycturie est le plus souvent due au fait de boire avant le coucher ou, chez les hommes de plus de 50 ans, à l’hypertrophie prostatique (voir plus loin).
Oligurie
L’ oligurie, une diminution anormale du débit urinaire, lorsqu’elle persiste au-delà de plusieurs heures, est un signe d’une lésion rénale aiguë (LRA) ou d’une obstruction des voies urinaires. Elle peut être « physiologique », comme chez les patients souffrant d’hypotension ou d’hypovolémie, et chez qui l’urine est concentrée au maximum pour que l’eau puisse être conservée. L’anurie (absence d’urine) suggère une obstruction des deux uretères ou un obstacle à la vidange vésicale. La prise en charge d’un patient oligurique comporte trois phases.
1. Exclure l’obstruction. Chez le patient avec obstruction (rétention aiguë d’urine), le besoin pressant d’uriner est généralement cause de grand inconfort. La vessie est palpable comme une masse sensible, avec un son mat à la percussion, débordant du bassin. Le diagnostic est confirmé par l’introduction d’un cathéter urétral qui libère un grand volume d’urine. Si le patient a déjà un cathéter, celui-ci doit être rincé avec une solution saline stérile pour éliminer toute obstruction. Une obstruction proximale de la vessie (par exemple une obstruction urétérale) est souvent indolore, et l’examen échographique est indiqué afin d’exclure une dilatation pyélocalicielle.
2. Rechercher une éventuelle hypovolémie. Une fois que l’obstruction est exclue cliniquement, il faut rechercher des signes d’hypovolémie par mesure de la pression artérielle, du pouls, de la pression veineuse jugulaire (PVJ) et le dosage des électrolytes urinaires (voir plus loin). Si le patient est hypovolémique, on peut évaluer la production d’urine en perfusant 500 ml de solution saline à 0,9 % par voie intraveineuse pendant 30 minutes.
3. Traiter la LRA établie dès que l’obstruction et l’hypovolémie ont été exclues.
Douleur
Une douleur dans les lombes ou les flancs est ressentie en cas d’infection du rein (pyélonéphrite aiguë), d’obstruction des voies urinaires supérieures, d’occlusion de l’artère rénale par une thrombose in situ ou par un embole. Une douleur rénale chronique peut être causée par des kystes ou une tumeur du rein. Une forte douleur aiguë irradiant à partir du flanc jusque dans la fosse iliaque et les testicules ou la vulve est typique de colique urétérale due à un calcul.
Examens en cas de maladie rénale
Tests sanguins
Les concentrations sériques de l’urée ou de la créatinine représentent l’équilibre dynamique entre la production et l’élimination, mais il faut une réduction de 50 à 60 % du DFG pour que les taux dépassent les limites normales. La concentration sérique d’urée s’élève sous l’effet d’un régime riche en protéines, d’un catabolisme tissulaire accru (chirurgie, traumatisme, infection) ainsi qu’en cas de saignement gastro-intestinal, alors que le taux de la créatinine dépend beaucoup moins de l’alimentation, mais il est davantage lié à l’âge, au sexe et à la masse musculaire. Une fois qu’il est élevé, le taux sérique de la créatinine est un meilleur guide pour l’évaluation du DFG que le taux d’urée, mais un niveau normal n’est pas synonyme d’un DFG normal.
Débit de filtration glomérulaire
La mesure du DFG est le meilleur indicateur de la fonction rénale. La clairance de la créatinine est une mesure assez précise du DFG. Elle est fondée sur la teneur en créatinine, l’urine recueillie durant 24 heures et un dosage de la créatinine plasmatique. En pratique clinique, le DFGe est calculé au moyen de formules fondées sur la créatinine sérique et des données démographiques, par exemple l’équation de Cockroft-Gault.
Bandelettes urinaires
Ces bandelettes détectent du sang, des protéines, du glucose, des cétones, de la bilirubine et de l’urobilinogène dans l’urine et permettent une évaluation approximative de la quantité. Elles peuvent également servir à la mesure du pH urinaire, ce qui est utile à la prise en charge d’une acidose tubulaire rénale (voir chap. 8). Chaque test est fondé sur un changement de couleur d’une bandelette de cellulose imprégnée du réactif approprié. La bandelette est plongée brièvement dans un échantillon frais d’urine recueilli dans un récipient propre, et les changements de couleur sont comparés aux nuanciers fournis par le fabricant. Une hématurie ou une protéinurie suggère une maladie des voies rénales. Des bandelettes sont également disponibles pour tester les nitrites urinaires et l’élastase leucocytaire pour l’identification des infections urinaires.
Protéinurie
C’est un excès de protéines dans l’urine. Dans des conditions normales, les protéines de faible poids moléculaire et l’albumine qui passent le filtre glomérulaire sont presque complètement réabsorbées dans le tubule rénal proximal. Il en résulte une excrétion de protéines urinaires de moins de 150 mg/jour, dont seulement une petite proportion est de l’albumine (< 30 mg par jour). Des bandelettes urinaires spécifiques de l’albumine permettent de la détecter lorsque les taux dépassent 200 mg/l (300 mg par jour si le volume d’urine est normal). Ces bandelettes ne détectent pas les protéines anormales, telles que les immunoglobulines et les protéines de Bence-Jones (chaînes légères des immunoglobulines), excrétées en cas de myélome multiple. Le tableau 9.1 énumère les causes de protéinurie. Une protéinurie persistante détectée par bandelette urinaire nécessite une enquête complète, qui doit comporter une quantification et une évaluation de la fonction excrétoire par la mesure du DFGe. La quantification de la protéinurie consiste en un dosage des protéines et/ou de la concentration d’albumine dans un échantillon urinaire, idéalement recueilli le matin. On calcule alors le rapport protéine urinaire sur créatinine urinaire (RPC) ou celui de l’albumine urinaire sur la créatinine urinaire (RAC), qui est plus sensible. L’excrétion protéique normale est inférieure à 150 mg par jour (RPC < 15 mg/mmol) et une protéinurie de type néphrotique dépasse 3,5 g par jour (RPC > 350 mg/mmol).
Type | Mécanisme | Exemples |
---|---|---|
Glomérulaire | Perméabilité accrue | Glomérulopathies |
Tubulaire* | Réabsorption diminuée | Syndrome de Fanconi |
Troubles tubulo-interstitiels | ||
Débordement | Protéines plasmatiques produites en excès | Myélome multiple |
Gammapathie monoclonale | ||
Physiologique† | Augmentation de l’hémodynamique rénale | Maladie aiguë |
Fièvre | ||
Exercices intenses | ||
Posture debout |
* Habituellement < 1 g par jour et peut être associée à d’autres anomalies de la fonction tubulaire proximale (par exemple glycosurie, phosphaturie, aminoacidurie).
† Protéinurie légère et non associée à une maladie rénale sous-jacente. Le diagnostic est fondé sur l’absence de protéinurie lors des analyses urinaires ultérieures au moment de la normalisation, par exemple résolution de la fièvre.
La microalbuminurie est une excrétion urinaire d’albumine supérieure à la norme, mais qui est indétectable par les bandelettes classiques (30 à 300 mg/jour). C’est un indicateur précoce de la maladie rénale largement utilisé comme facteur prédictif de l’évolution de la néphropathie chez les diabétiques. Un RAC de > 2,5 mg/mmol chez les hommes et de > 3,5 mg/mmol chez les femmes correspond à une microalbuminurie. Une excrétion d’albumine supérieure à 300 mg/jour est une protéinurie avérée.
Hématurie
Du sang dans l’urine peut être visible à l’œil nu (hématurie macroscopique) ou non visible (hématurie microscopique) ; il peut être détecté par une bandelette urinaire (résultat positif 1 + ou plus).
Le saignement peut provenir de plusieurs sites du tractus rénal ou urinaire (fig. 9.2).
• Si le sang n’apparaît qu’au début de la miction, la cause est généralement une maladie de l’urètre.
• Du sang visible à la fin de la miction suggère un saignement de la prostate ou de la base de la vessie.
• Si le sang colore l’urine de manière homogène, il est probable que le saignement trouve son origine dans la vessie ou en amont.
L’arbre décisionnel de la figure 9.3 guide la démarche diagnostique en cas d’hématurie. Les patients doivent être évalués qu’ils soient ou non sous traitement anticoagulant ou antiagrégant plaquettaire. La répétition des tests permet d’exclure les causes transitoires telles qu’une infection du tractus urinaire et une contamination pendant les menstruations. Il faut penser à un cancer des voies urinaires chez les patients ayant une hématurie visible, se plaignant de douleurs et âgés de plus de 40 ans ; aussi, une consultation urologique est généralement indiquée en vue du choix approprié de la technique d’examen : échographie, tomodensitométrie (TDM) ou cystoscopie. Tous les autres patients sont plus susceptibles d’être atteints d’une maladie glomérulaire, souvent une néphropathie à IgA, et la consultation néphrologique est indiquée si le test initial ou ultérieur de la fonction rénale s’avère anormal.
Microscopie des urines
Cet examen est effectué sur urine fraîche, recueillie au milieu du jet et après désinfection du méat urinaire, chez tous les patients suspects de maladie rénale.
Globules blancs
Si l’échantillon d’urine fraîche, recueillie à mi-jet et non centrifugée contient ≥ 10 globules blancs par millimètre cube, une réaction inflammatoire dans le système urinaire, le plus souvent d’origine infectieuse, est probable. Une pyurie stérile (c’est-à-dire du pus sans infection bactérienne) survient en cas d’IVU partiellement traitée, de tuberculose des voies urinaires, de lithiase, de tumeur vésicale, d’une nécrose papillaire et d’une néphrite tubulo-interstitielle.
Globules rouges
La présence d’une ou de plusieurs hématies par millimètre cube est anormale et doit être investiguée (voir « Hématurie »).
Cylindres
La précipitation de mucoprotéine dans les tubules rénaux produit des cylindres hyalins qui n’ont rien d’anormal. Les cylindres érythrocytaires, c’est-à-dire imprégnés de globules rouges, sont pathognomoniques d’une glomérulonéphrite. Les cylindres leucocytaires s’observent en cas de pyélonéphrite aiguë. Les cylindres granuleux résultent de la désintégration de débris cellulaires et suggèrent une maladie glomérulaire ou tubulaire.
Bactéries
La présence de 105 ou 103 micro-organismes par ml d’urine dans un échantillon recueilli à mi-jet chez un(e) patient(e) symptomatique est un signe d’infection urinaire. Chez une femme, le diagnostic sera également posé lorsque l’urine contient 102 de coliformes par ml en présence de pyurie (> 10 leucocytes/mm3). Toute croissance de pathogènes dans l’urine recueillie par aspiration sus-pubienne témoigne d’une infection urinaire.
Techniques d’imagerie
• La radiographie est utile pour identifier une calcification rénale ou des calculs opaques dans un rein, un bassinet, un uretère ou la vessie.
• L’échographie des reins est la méthode de choix pour évaluer la taille rénale, l’évaluation d’une dilatation pyélocalicielle comme signe d’une obstruction rénale chronique, la caractérisation de masses rénales, le diagnostic d’une maladie polykystique, et la détection de liquide intrarénal et/ou périnéphrétique (par exemple du pus ou du sang). Elle offre l’avantage sur les techniques radiographiques d’éviter les rayonnements ionisants et l’utilisation d’un produit de contraste intravasculaire. L’échographie Doppler est utilisée pour l’examen de la perfusion des artères rénales et la détection d’une thrombose veineuse rénale. Un épaississement de la paroi vésicale peut être détecté dans une vessie distendue et la vidange vésicale peut être contrôlée après miction.
• La TDM est l’examen de première ligne en cas de suspicion de coliques urétérales. Elle convient aussi pour identifier les masses rénales non reconnues par l’échographie, pour la stadification d’une tumeur rénale, vésicale ou prostatique et pour la détection des calculs radiotransparents ; les calculs de faible densité invisibles en radiographie ordinaire (par exemple des calculs d’acide urique) sont détectés par la TDM. Celle-ci est également utilisée dans la recherche de tumeur ou de fibrose rétropéritonéale, et l’angiographie par TDM permet la visualisation des artères et des veines rénales.
• L’imagerie par résonance magnétique (IRM) sert à l’identification des masses rénales comme alternative à la TDM, à la stadification d’une tumeur rénale, vésicale ou prostatique et aussi à la visualisation des artères rénales au moyen d’une angiographie par IRM avec le gadolinium comme agent de contraste. Dans des mains expérimentées, sa sensibilité et sa spécificité approchent celles de l’angiographie rénale.
• L’urographie excrétoire, ou pyélographie intraveineuse, a été largement remplacée par l’échographie et la TDM.
• L’artériographie rénale (angiographie) est indiquée pour le diagnostic d’une atteinte des artères rénales, mais l’IRM et l’angiographie par TDM spiralée sont de plus en plus utilisées. Il faut canuler l’artère fémorale et injecter un produit de contraste. Les complications comprennent des embolies de cholestérol et des lésions rénales induites par le produit de contraste.
• La pyélographie antérograde consiste en une ponction percutanée et l’injection de produit de contraste dans le système pyélocaliciel pour le repérage d’une obstruction urétérale. On y recourt lorsque l’échographie a montré un système pyélocaliciel dilaté avec obstruction probable. On peut ensuite placer un cathéter par voie percutanée afin de vidanger le système obstrué (néphrostomie percutanée), ou une endoprothèse urétérale pour lever l’obstacle.
• La pyélographie rétrograde consiste en l’injection d’un produit de contraste dans les uretères au moyen d’un cathéter introduit au cours d’une cystoscopie (endoscopie de la vessie). Elle est utilisée pour l’évaluation des lésions de l’uretère et repérer le niveau inférieur de l’obstruction urétérale révélée par d’autres techniques d’imagerie. Cet examen expose à un faible risque d’infection.
• La scintigraphie rénale consiste en l’injection intraveineuse d’un produit radiopharmaceutique (par exemple l’acide diéthylène triamine pentaacétique [DPTA] marqué au technétium-99 m). Celui-ci est extrait de la circulation sanguine par les reins et détecté ensuite par une gamma caméra informatisée. Ce procédé permet la détection des anomalies anatomiques ou fonctionnelles des reins ou des voies urinaires. La scintigraphie rénale dynamique sert à l’évaluation du débit sanguin rénal en cas de suspicion de sténose de l’artère rénale et de la fonction rénale en cas d’obstruction, ainsi qu’à la détection du reflux vésico-urétéral. Par la scintigraphie rénale statique, on peut évaluer la taille des reins, contrôler leur localisation, observer une différence de fonction entre chaque rein et repérer des défectuosités parenchymateuses (cicatrices, zones ischémiques, tumeurs).
Biopsie rénale transcutanée
La biopsie rénale est réalisée sous contrôle échographique. La microscopie est utile à la mise en évidence des syndromes néphrétiques et néphrotiques, d’une LRA et d’une MRC, d’une hématurie, après des analyses urologiques négatives et en cas de dysfonction d’un greffon rénal. Les complications sont notamment une hématurie, une douleur dans le flanc et à la formation d’un hématome périrénal.
Maladies glomérulaires
Structure glomérulaire normale
Chaque rein contient environ un million de glomérules, qui sont constitués d’un plexus capillaire invaginant l’extrémité aveugle du tubule rénal proximal (fig. 9.4). L’endothélium des capillaires glomérulaires est fenestré et repose sur la membrane basale glomérulaire (MBG). Derrière la MBG, les cellules épithéliales viscérales (podocytes) n’entrent en contact avec celle-ci que par des projections digitales, appelées pédicelles, séparées les unes des autres par les « fentes de filtration ». Cette structure unique de la membrane glomérulaire explique sa très grande perméabilité, permettant la formation de 125 à 200 ml de filtrat par minute (débit de filtration glomérulaire [DFG]). La composition du filtrat glomérulaire est similaire à celle du plasma, mais ne contient que de petites quantités de protéines (toutes de faible poids moléculaire), dont la plupart sont réabsorbées dans le tubule proximal. Normalement, la réabsorption et la sécrétion tubulaires modifient substantiellement la composition hydroélectrolytique du filtrat glomérulaire avant qu’il n’atteigne le bassinet sous forme d’urine.
Pathogénie et nomenclature des maladies glomérulaires
Les maladies glomérulaires sont appelées glomérulonéphrites en cas d’inflammation des glomérules et glomérulopathies en l’absence de tout signe d’inflammation, mais ces termes se chevauchent souvent. Les reins sont touchés de façon symétrique et la lésion rénale peut être primitive ou compliquer une maladie systémique, par exemple le lupus érythémateux disséminé.
• focale : seuls certains glomérules sont affectés ;
• diffuse (globale) : la maladie touche la plupart des glomérules ;
• segmentaire : seule une partie du glomérule est touchée ; la plupart des lésions focales sont également segmentaires, par exemple la glomérulosclérose segmentaire et focale ;
• proliférative : le nombre de cellules est augmenté à la suite d’une hyperplasie d’un ou de plusieurs types de cellules glomérulaires résidentes avec ou sans inflammation ;
• altérations membranaires : épaississement de la paroi capillaire due à des dépôts de complexes immuns ou à des modifications de la membrane basale ;
• formation de croissants : prolifération des cellules épithéliales avec infiltrat de cellules mononucléaires dans l’espace de Bowman.
Classification et tableaux cliniques des glomérulopathies
La présence d’une certaine forme de maladie glomérulaire, par opposition à la maladie tubulo-interstitielle ou vasculaire, est généralement suggérée par les antécédents et un ou plusieurs résultats des analyses urinaires : hématurie (en particulier si les globules rouges sont déformés (dysmorphiques), cylindres érythrocytaires et protéinurie, qui peut atteindre le taux néphrotique (> 3,5 g/jour). Les glomérulopathies sont classées et décrites sous forme de quatre syndromes glomérulaires majeurs :
• syndrome néphrotique : protéinurie massive (> 3,5 g/jour), hypoalbuminémie, œdème, lipidurie et hyperlipidémie ;
• glomérulonéphrite aiguë (syndrome néphrétique aigu) : apparition soudaine d’une hématurie avec des cylindres ou des hématies dysmorphiques, une protéinurie non néphrotique, un œdème, de l’hypertension et une insuffisance rénale transitoire ;
• glomérulonéphrite rapidement progressive : caractéristiques de la néphrite aiguë, nécrose focale avec ou sans croissants et insuffisance rénale rapidement progressive (quelques semaines) ;
• hématurie ou protéinurie asymptomatique (ou les deux) : ce sont généralement des découvertes fortuites à l’occasion de tests par bandelettes urinaires, qui peuvent constituer des signes précoces de maladie rénale. Les causes et les investigations nécessaires sont décrites dans les sections consacrées à l’hématurie et à la protéinurie (voir plus haut).
Syndrome néphrotique
La filtration de macromolécules à travers la paroi capillaire glomérulaire est massive à la suite d’anomalies structurelles et fonctionnelles des podocytes glomérulaires.
• Une hypoalbuminémie (albumine sérique < 30 g/l) se développe comme conséquence de l’importante protéinurie (> 3,5 g/24 h chez l’adulte) et d’une augmentation du catabolisme rénal des protéines filtrées.
• L’œdème est principalement dû à la rétention de sodium dans les tubes collecteurs associée à une augmentation de la perméabilité capillaire. Une réduction du volume circulant effectif conduit également à un œdème par des mécanismes semblables à ceux de l’insuffisance cardiaque et de la cirrhose (voir chap. 4).
• L’hypercholestérolémie et l’hypertriglycéridémie sont fréquentes dans le syndrome néphrotique en raison d’une synthèse accrue et d’un catabolisme diminué.
Étiologie
Syndrome néphrotique avec sédiments urinaires non spécifiques
La néphropathie membraneuse et la glomérulosclérose segmentaire et focale sont les causes les plus fréquentes chez les adultes, alors que la néphropathie à lésions glomérulaires minimes s’observe surtout chez les enfants (tableau 9.2). La néphropathie membraneuse est généralement idiopathique, mais peut être liée à certains médicaments, comme la pénicillamine, l’or et les AINS ; elle peut aussi compliquer des maladies auto-immunes (par exemple le lupus érythémateux disséminé [LED] ou une thyroïdite), des cancers du poumon, du côlon, de l’estomac, du sein ou un lymphome, des infections (par exemple les hépatites B et C, la schistosomiase et le paludisme à Plasmodium malariae) ; d’autres causes sont la sarcoïdose et la drépanocytose. On trouve des dépôts d’IgG et le facteur C3 du complément à la face externe de la membrane basale glomérulaire. Après l’expansion de la membrane basale qui entoure les dépôts, ceux-ci finissent par être résorbés. L’étiologie de la glomérulosclérose segmentaire et focale est inconnue ; elle est une cause fréquente de syndrome néphrotique, en particulier chez l’adulte noir. Un type histologique similaire peut se développer en cas d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Syndrome néphrotique avec sédiment urinaire non spécifique |
Maladie glomérulaire primitive
|
Syndrome néphrotique avec sédiment urinaire « actif » (forme mixte néphrotique/néphrétique) |
Maladie glomérulaire primitive
|
Syndrome néphrotique avec sédiments urinaires « actifs » (forme mixte néphrotique/néphrétique)
Le syndrome mésangiocapillaire, ou glomérulonéphrite membranoproliférative, peut compliquer une infection chronique (abcès, endocardite infectieuse, infection d’un shunt ventriculo-péritonéal), la cryoglobulinémie secondaire à une hépatite C, ou elle peut être idiopathique. Un type différent survient en cas de lipodystrophie partielle (perte de la graisse sous-cutanée du visage et de la partie supérieure du tronc). La plupart des patients développent une insuffisance rénale après plusieurs années. La glomérulonéphrite proliférative mésangiale se manifeste par une protéinurie massive, mais avec des lésions minimes en microscopie optique. Des dépôts dans le mésangium glomérulaire contiennent de l’IgM et du complément (néphropathie à IgM) ou du C1q (néphropathie à C1q). Certains patients répondent aux corticoïdes, mais certains évoluent vers l’insuffisance rénale.
Diagnostics différentiels
Le syndrome néphrotique doit être différencié des autres causes d’œdème et d’hypoalbuminémie. Dans l’insuffisance cardiaque congestive (voir chap. 10), l’œdème s’accompagne d’une augmentation de la PVJ. Dans le syndrome néphrotique, la PVJ est normale ou basse, sauf en cas d’insuffisance rénale concomitante et d’oligurie. La cirrhose est également cause d’hypoalbuminémie et d’œdème, mais habituellement les autres signes de maladie chronique du foie orientent le diagnostic (voir chap. 4).
Examens
Les examens servent au diagnostic, au suivi et à l’identification de l’étiologie sous-jacente (tableau 9.3).
Examens | Signification |
---|---|
Mesures de base | |
Estimation du taux de filtration glomérulaire | Pour évaluer l’état actuel, suivre l’évolution et la réponse au traitement |
Protéine urinaire | |
Electrolytes et urée dans le sérum | |
Albumine sérique | |
Tests utiles au diagnostic | |
Microscopie urinaire | Des cylindres de globules rouges suggèrent une glomérulonéphrite |
Culture (écouvillon de la gorge ou la peau infectée) | Diagnostic d’une infection streptococcique récente |
Titre sérique des antistreptolysine-O | |
Glycémie | Diagnostic du diabète |
Tests sériques : | |
Présents en titre significatif dans le LED | |
Positifs dans les vasculites | |
Présents dans la glomérulonéphrite anti-MBG | |
Hépatite B | |
Hépatite C | |
Infection par le VIH | |
Cryoglobulinémie | |
Radiographie thoracique | Cavités dans la granulomatose de Wegener, cancer |
Echographie des reins | Taille rénale, pour chercher une thrombose veineuse rénale |
Biopsie rénale | Diagnostic de toute glomérulopathie |
ANCA : anticorps anticytoplasme des neutrophiles ; LED : lupus érythémateux disséminé ; MBG : membrane basale glomérulaire ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine.
Soins
Un œdème généralisé est traité par un régime hyposodé et un diurétique thiazidique, par exemple, bendrofluméthiazide 5 mg par jour, suivi par le furosémide et l’amiloride quand la maladie résiste. Des diurétiques intraveineux et, parfois, des perfusions intraveineuses d’albumine pauvre en sel peuvent être nécessaires pour que la diurèse reprenne ; une fois établie, elle peut généralement être maintenue par des diurétiques oraux. La protéinurie est réduite par l’administration d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) ou d’un antagoniste du récepteur de l’angiotensine II ; il faut recommander aux patients un régime normal sans augmentation de la teneur en protéine, car cela amplifierait la protéinurie. Un repos au lit prolongé devrait être évité et une anticoagulation prophylactique à long terme doit être prescrite en raison de la tendance thrombotique (voir « Complications »). Les infections doivent être traitées de manière vigoureuse, et les patients devraient être vaccinés contre la grippe et les pneumocoques.
Complications
• Thrombose veineuse. La perte de facteurs de coagulation dans l’urine prédispose à la formation de thrombus dans les veines périphériques et rénales. Les manifestations sont des douleurs lombaires, une hématurie et une détérioration de la fonction rénale ; le diagnostic est posé par l’échographie.
• Septicémie. La perte d’immunoglobulines dans l’urine augmente la susceptibilité à l’infection, une cause de décès chez ces patients.
• LRA. Elle est rarement due à l’aggravation de la maladie rénale sous-jacente ; elle est le plus souvent une conséquence de l’hypovolémie (en particulier après un traitement diurétique) ou d’une thrombose veineuse rénale.
Glomérulonéphrite aiguë (syndrome néphrétique aigu)
Le syndrome néphrétique aigu est souvent dû à une réponse immunitaire déclenchée par une infection ou une autre maladie (tableau 9.4). Le cas typique de glomérulonéphrite poststreptococcique se développe chez un enfant de 1 à 3 semaines après une infection à streptocoque β-hémolytique de groupe A de Lancefield (pharyngite ou cellulite). Les antigènes bactériens sont piégés dans le glomérule, ce qui cause une glomérulonéphrite proliférative diffuse aiguë.
Glomérulonéphrite poststreptococcique |
Glomérulonéphrite infectieuse non poststreptococcique, par exemple Staphylococcus, oreillons, Legionella, hépatites B et C, schistosomiase, paludisme |
Endocardite infectieuse |
Néphrite de shunt |
Abcès viscéral |
Lupus érythémateux disséminé |
Syndrome de Henoch-Schönlein |
Cryoglobulinémie |
Caractéristiques cliniques
Les manifestations sont les suivantes :
• hématurie (visible ou non visible) avec habituellement des cylindres érythrocytaires visibles en microscopie urinaire ;
• protéinurie (habituellement < 2 g par 24 heures) ;
• hypertension artérielle et œdème périorbitaire, des jambes ou de la région sacrée causée par la rétention d’eau et de sel ;
Examens
L’anamnèse et l’examen permettront d’évaluer la gravité de la maladie et de détecter toute affection sous-jacente. Le tableau 9.3 énumère les examens à réaliser en cas de syndrome néphrotique. Si le diagnostic clinique d’une maladie néphrétique est évident, par exemple la glomérulonéphrite poststreptococcique, l’échographie et la biopsie sont généralement inutiles.
Glomérulonéphrite rapidement progressive
On distingue trois causes principales : 1) un syndrome néphrétique aigu (voir ci-dessus), 2) le syndrome de Goodpasture causé par des autoanticorps dirigés contre la membrane basale glomérulaire et le tissu pulmonaire (voir chap. 11), 3) une vasculite avec anticorps contre le cytoplasme des neutrophiles (ANCA) (voir chap. 7). Le tableau 9.3 énumère les examens indiqués en cas de maladie glomérulaire. Quant au traitement, il est fondé sur la thérapie générale des LRA (voir plus loin) et sur les mesures spécifiques dirigées contre les causes premières.
Infection des voies urinaires
Les IVU sont fréquentes chez les femmes ; environ 35 % d’entre elles ont des symptômes d’infection urinaire à un moment donné de leur vie. Elles sont rares chez les enfants et chez les hommes, chez qui elles indiquent généralement une anomalie sous-jacente des voies urinaires. Les infections de la vessie (cystite) peuvent survenir seules ou associées à une infection ascendante des uretères et du parenchyme rénal (pyélonéphrite).
Pathogénie
Les voies urinaires sont le plus souvent infectées par voie ascendante transurétrale, la contamination étant facilitée par les relations sexuelles et le cathétérisme urétral. Les femmes sont plus sensibles à l’infection, car leur urètre est plus court et sa proximité avec l’anus favorise le transfert d’organismes intestinaux dans la vessie. Escherichia coli est le germe le plus souvent en cause et provient habituellement de la flore intestinale du patient lui-même (tableau 9.5).
Bactérie | Fréquence approximative (%) |
---|---|
Escherichia coli et autres coliformes | 68† |
Proteus mirabilis | 12 |
Klebsiella aerogenes* | 4 |
Enterococcus faecalis* | 6 |
Staphylococcus saprophyticus ou S. epidermidis† | 10 |
* Plus fréquent en médecine hospitalière.
† Plus fréquent chez les femmes.
Les anomalies qui prédisposent aux infections de la vessie (cystite) sont :