9 Entités psychopathologiques liées au travail
Les entités psychopathologiques liées aux nouvelles formes d’organisation du travail se caractérisent par différentes manifestations symptomatologiques que l’on peut regrouper schématiquement sous deux intitulés :
Les pathologies de la servitude caractérisent les situations pathogènes liées au travail dans les activités de service qui regroupent des secteurs d’activité variés (soin, travail social, éducation, assistance technique, commerce, hôtellerie, restauration, communications, transports, etc.). Pour les cliniciens du travail, il s’agit de mettre en évidence les implications psychopathologiques de la « relation de service », dans le contexte de méthodes d’organisation structurées par le recours au flux tendu et à la flexibilité (caissières, téléopérateurs, restauration, services administratifs, etc.), tout en précisant ce qui ressortit précisément à la mobilisation intersubjective avec le client ou l’usager. Le façonnement et le travail sur les émotions sont requis dans la plupart des situations professionnelles spécifiques des activités de service et entraînent un risque de confusion entre les sphères professionnelle et privée. La question de la servitude se présente comme une question majeure en vue de comprendre les compromissions dans l’organisation, qui génèrent des formes spécifiques de souffrance (souffrance éthique), compromissions concédées au nom de l’efficacité du travail et qui se révèlent particulièrement périlleuses sur le plan psychopathologique. Les recherches portant sur le travail domestique, sur le travail des professionnel(le)s des services à la personne, et plus généralement du care ouvrent des pistes de recherche importantes aux cliniciens pour aborder les ressorts psychiques de la relation de service. L’analyse des rapports entre activité de service et santé mentale demande donc une prise en compte des nouvelles formes de domination et d’exploitation du travail, mais également une prise en compte des rapports de genre, en raison des modalités défensives différenciées face à la souffrance et à la vulnérabilité (cf. Partie I).
Troubles de l’humeur
Dans les enquêtes épidémiologiques, la santé mentale est généralement appréciée en termes de symptomatologie dépressive et/ou anxieuse à partir des données fournies par des auto-questionnaires ou parfois des entretiens diagnostiques structurés. Les études épidémiologiques mettent en évidence que 5 à 15 % de la population française seraient touchés par un épisode dépressif au cours de l’année. Les rapports entre dépression et travail sont le plus souvent appréhendés à partir des conséquences de la symptomatologie dépressive entraînant une cessation d’activité professionnelle plus ou moins longue (34,5 % de la population d’après le Baromètre santé 2005). Les dépressions liées au travail sont estimées à 11 % de la population active. Si la dépression concerne toutes les catégories socioprofessionnelles, la fréquence de symptômes dépressifs est accrue chez les travailleurs précaires et les chômeurs (24 %) (Étude de l’InVS, 2007). Les cadres et professions intellectuelles supérieures seraient moins touchés que les ouvriers, les employés et les agriculteurs.
Clinique
Dans le tableau clinique des troubles dépressifs, on retrouve la triade symptomatique associant :
• humeur dépressive (idées noires, dévalorisation, sentiment de culpabilité) ;
• inhibition ou ralentissement psychomoteur (diminution de l’intérêt ou du plaisir pour les activités, fatigue, perte d’énergie, difficultés de concentration) ;
• signes somatiques (troubles du sommeil et de l’appétit, douleurs physiques diffuses).
L’expression symptomatologique peut être d’intensité variable selon les sujets, justifiant dans les cas les plus sévères un arrêt de travail prolongé, voire un avis d’inaptitude.
Le syndrome dépressif peut se présenter de manière isolée, se déclencher dans le cadre de situations de harcèlement moral (cf. § Pathologies du harcèlement), ou encore précéder un passage à l’acte suicidaire (cf. § Suicides et tentatives de suicide).
Des accès maniaques peuvent également être observés (M.P. Guiho-Bailly, D. Guillet, 2005). Leur apparition brutale se caractérise par :
• un état d’exaltation émotionnelle ;
• une hyperactivité improductive ;
• des troubles du comportement (familiarités inadéquates, prises d’initiatives risquées, investissements hasardeux, projets grandioses, etc.).
Les rapports entre facteurs professionnels et symptomatologie dépressive ont été mis en évidence par des études épidémiologiques, notamment chez des salariés travaillant en sous-traitance (G. Doniol-Shaw et al., 2000) : contraintes horaires, pénibilité physique, contraintes de rythmes imposés, ou encore dégradation des relations avec les collègues et la hiérarchie apparaissent comme des contraintes organisationnelles qui pèsent sur la santé mentale des salariés. En référence au modèle du stress de Karasek, les situations de travail qui se caractérisent par des attentes ou exigences importantes (high job demand) associées à un faible contrôle (job control) sont corrélées à des troubles dépressifs importants (R. Rau et al., 2010).
Devant l’augmentation des problèmes de souffrance au travail recensés par les médecins du travail, la reconnaissance médicale et juridique des dépressions – qui peuvent être reconnues comme « accidents du travail » – précédant des suicides de salariés, fait actuellement l’objet de débats à propos de la création de tableaux de maladies professionnelles portant spécifiquement sur les psychopathologies.
Analyse
S’il est courant de référer la survenue de dépressions à l’approche descriptive du stress au travail1, l’approche clinique met l’accent sur l’investissement subjectif du travail et le contexte qui préside au déclenchement de la symptomatologie dépressive. Les corrélations entre dépression et travail relevées par les enquêtes épidémiologiques ne permettent pas de défendre un facteur causal unique et direct déterminant l’apparition de symptômes dépressifs liés au travail. L’expression « dépression réactionnelle professionnelle » a été proposée pour désigner l’apparition d’une pathologie dépressive en lien avec les contraintes organisationnelles et sociales du travail (D. Huez, 2003). Alors que l’apparition de troubles dépressifs dans le cadre de la perte d’emploi est fréquente et repérée cliniquement (cf. § Psychopathologie du chômage), la dépression chez les « actifs », bien que souvent mentionnée, ne fait pas l’objet d’études cliniques spécifiques. L’exploration de la situation particulière des « placardisés » (D. Lhuilier, 2002) a contribué à révéler que le maintien dans l’entreprise, privé de moyens matériels (téléphone, ordinateur, bureau…), isolé dans un sous-sol ou au fond d’un couloir, ignoré par les collègues et la hiérarchie, etc. entraîne des atteintes narcissiques et de l’estime de soi qui précèdent la survenue d’une symptomatologie dépressive parfois associée à des troubles somatiques.
De façon plus générale, l’augmentation des contraintes résultant de transformations structurelles à la faveur de restructurations, de fusions, ou encore du recours à la sous-traitance s’accompagne de méthodes spécifiques (flexibilité, qualité totale, évaluation individualisée des performances) qui modifient en profondeur l’organisation du travail et contribuent à accroître les écarts entre les prescriptions et l’activité réelle. Pourtant ce n’est pas seulement l’écart entre les prescriptions et l’activité qui rend le sujet vulnérable à la dépression, dans la mesure où cet écart est ce qui constitue en propre le « travailler » et conditionne la mobilisation de l’intelligence dans le travail. Mais la décompensation se déclenche quand le zèle, qui est au principe de l’ingéniosité au travail et se déploie toujours à la marge des procédures (cf. Partie I), est mis en impasse par la confrontation au déni du réel du travail. Si les obstacles opposés à la reconnaissance du réel du travail ont toujours existé2, les formes modernes d’organisation du travail se caractérisent par la précarisation induite par le recours aux emplois précaires et à la sous-traitance, la flexibilisation de l’emploi et par de nouvelles formes d’organisation du travail structurées par des méthodes et des critères formels de gestion. Ainsi ce ne sont pas seulement les travailleurs précaires qui se présentent comme étant vulnérables à la dépression, mais l’ensemble des salariés pour lesquels la peur induite par la menace du licenciement conduit à un déni de la souffrance (la sienne comme celle des autres) qui génère l’individualisme et la neutralisation de la mobilisation collective contre la souffrance et la domination. Les évolutions du monde du travail confrontent d’une manière spécifique les sujets à l’épreuve de la solitude qui s’avère particulièrement dangereuse sur le plan psychopathologique. Les investigations cliniques mettent en évidence que pour supporter la souffrance, les sujets sont conduits à mobiliser des stratégies individuelles de défense comme la répression pulsionnelle ou encore la rationalisation qui se caractérise par une justification des conduites au titre de la raison économique. Les contradictions qui surgissent entre rentabilité économique et qualité rendent l’exécution du travail plus difficile et détériorent le sens accordé à l’activité. L’appel à l’autonomie et à la responsabilisation individuelle dans la gestion fait surgir l’angoisse de ne pas être à la hauteur, de ne pas comprendre les tenants et aboutissants des « indicateurs » retenus pour évaluer l’activité, ce qui peut se manifester par un « sentiment d’incompétence anxiogène » (A. Flottes, P. Molinier, 1999). L’hyperactivité, qui peut fonctionner comme une défense, précède souvent le déclenchement de la symptomatologie dépressive et signe les tentatives du sujet de solder le conflit entre les contraintes de la situation de travail et les exigences pulsionnelles. La sévérité des troubles dépressifs est généralement à la mesure de la déstabilisation de l’économie défensive structurée par le rapport au travail à la suite de résultats insuffisants, d’un incident, de « fautes » ou de « manquements » aux règles, révélateurs du contenu concret du travail et s’avérant en totale contradiction avec les évaluations et les descriptions formelles du travail.
Du point de vue psychopathologique, l’apparition de symptômes dépressifs liés au travail correspond à la catégorie sémiologique des dépressions « psychogènes » déclenchées par une situation actuelle. La réactivité dépressive est généralement analysée comme la conséquence d’un traumatisme affectif qui réactive des conflits inconscients (T. Lemperière et al., 1997). La situation dépressive représente une modalité spécifique d’élaboration psychique de la perte, dont le deuil en représente la modalité la plus classique (S. Freud, 1915). Dans la perspective psychodynamique, la symptomatologie dépressive peut s’analyser à la lumière de la fragilisation de la dynamique de la reconnaissance (cf. Partie I), dont les processus contribuent à la conquête de l’identité individuelle, en organisant le sentiment d’appartenance à un collectif et accordant de la valeur à la contribution singulière apportée par le sujet. La problématique de la perte, caractéristique de la dépression, contribue dans ce cas à révéler la crise de l’identité consécutive à la déstabilisation du rapport subjectif au travail qui se fait connaître à travers l’apparition de symptômes dépressifs. La plupart des dépressions liées au travail se caractérisent en effet par l’intensité des sentiments d’infériorité et de culpabilité : sentiment d’être « nul », de ne plus être à la hauteur, d’être « dépassé », etc. Le conflit entre les instances psychiques du Moi et du Surmoi, qui est à l’origine du sentiment de culpabilité, est le témoin de la déstabilisation des investissements sublimatoires engagés dans le rapport au travail.
Les compromis établis entre les différents déterminismes qui pèsent sur la construction de l’identité résultent toujours d’une conquête coûteuse pour l’économie psychique. Quand la situation de travail se dégrade, l’apparition d’une symptomatologie dépressive signe la mise en impasse de l’engagement subjectif dans le travail se traduisant par un vécu d’inaptitude, d’indignité et, dans les cas les plus sévères, d’auto-accusations délirantes. Le doute sur soi est l’expression consciente des conflits d’investissement qui mobilisent toute la dynamique intrapsychique. La symptomatologie dépressive signe l’impossibilité dans laquelle se trouve le sujet de discriminer ce qui, dans ses difficultés, vient de lui et de son incompétence d’une part, de ce qui procède de prescriptions contradictoires, inapplicables ou de disqualifications répétées de sa contribution d’autre part. En l’absence de prise en compte des modes d’investissement du travail, la perte narcissique qui caractérise les dépressions en lien avec le travail peut orienter le diagnostic psychopathologique vers les pathologies limites, et dans des cas plus rares, vers la mélancolie, étant donné l’intensité de l’effondrement narcissique.
Monsieur D. est un ingénieur âgé de cinquante ans travaillant dans une grande entreprise spécialisée dans la technologie aéronautique. Il se décrit comme extrêmement engagé dans son travail et exigeant vis-à-vis de lui-même comme de ses collaborateurs. Il reconnaît que son activité professionnelle remplit un rôle important dans son équilibre personnel, mais qu’il vit avec le risque toujours présent d’être « débordé ». Il situe cet investissement du travail comme un héritage de son histoire familiale, où les hommes de la famille ont tous été amenés à occuper des postes à responsabilités importantes au service de la défense et de la sécurité du territoire, ou de l’expertise portant sur les nouvelles technologies. Il a été mis en arrêt de travail pour dépression quelques mois auparavant à la suite de l’interruption d’un projet sur lequel une partie des salariés de l’entreprise s’était mobilisée pendant plusieurs années. Il évoque la manière dont ce projet, visant à la conception d’un outil technique innovant, a suscité l’engouement au sein de l’entreprise : des moyens financiers importants ont été alloués, une grande partie des salariés a été sollicitée. Monsieur D. travaille pour ce projet sans relâche, renonce à ses congés, travaille le dimanche tout comme ses collègues, ce qui génère progressivement des tensions avec sa femme et le reste de sa famille. Le projet est finalement arrêté avant d’avoir abouti, pour des raisons budgétaires et une réorganisation des priorités dans un contexte de maîtrise des coûts qui suscitent l’incompréhension de la part des salariés. Monsieur D. expose alors le scénario conduisant au « deuil » qui va précipiter l’entrée dans la dépression : le projet étant « planté », des corbeilles géantes, faisant office de poubelles, sont déposées devant les bureaux et tous les documents relatifs au projet doivent y être « jetés ». Rien de ce qui a été étudié et réalisé ne fera l’objet d’une reprise ou d’une capitalisation pour des projets futurs. Tous les efforts auxquels il a consenti, les renoncements qu’il a réalisés lui semblent désormais inutiles au regard du résultat du travail et s’abîment dans les mouvements dépressifs de désinvestissement : les remords, la tristesse, l’inquiétude pour l’avenir et le sentiment de dévalorisation imprègnent désormais le vécu de Monsieur D.
Psychoses liées au travail
Les décompensations psychotiques sont rares et touchent moins de 1 % de la population active.
L’apparition de troubles psychotiques empêche le maintien d’une intégration socioprofessionnelle, du fait des altérations des processus de pensée et des distorsions du rapport à la réalité qui entravent l’activité de travail, les relations avec les collègues et avec la hiérarchie.
Clinique
Sur le plan étiologique, l’apparition de troubles psychotiques en situation de travail est envisagée comme la conséquence d’affections neurologiques (épilepsies, démences dégénératives étant les plus fréquentes), ou certaines maladies plus générales comme l’encéphalopathie hépatique, l’hypercalcémie, des troubles endocriniens. Le rôle des agents chimiques (plomb, mercure, arsenic, sulfure de carbone, solvants par exemple) peut également provoquer le déclenchement de troubles d’allure psychotique chez les salariés qui y sont exposés.
Les troubles psychotiques prennent la forme de décompensations psychotiques aiguës, comme des bouffées délirantes aiguës. La thématique délirante est généralement de type persécutif (préjudice subi, vol, menace pour sa vie…), associée à des mécanismes interprétatifs et hallucinatoires. La thématique professionnelle n’est pas toujours présente dans la construction délirante.
La résolution de l’épisode psychotique, quand celui-ci reste un épisode isolé, peut s’accompagner de la reprise du travail ou du maintien d’une activité en milieu ordinaire. Dans le cas d’une évolution chronique de la symptomatologie psychotique, des aménagements du poste de travail, un reclassement professionnel ou la mise en inaptitude pour troubles mentaux et du comportement conduisant à une orientation en milieu protégé (réadaptation), peuvent être proposés.
Analyse
Les processus psychiques qui concourent au déclenchement d’un épisode psychotique aigu se déploient le plus souvent dans le contexte d’une inquiétude majeure portant sur son devenir dans l’entreprise à la suite de conflits avec la hiérarchie et/ou les collègues de travail, portant sur les valeurs de métier, les buts du travail ou des critères portant sur la qualité du travail. À ces conflits vécus par le sujet sont opposés des dénégations, un silence ou une indifférence par le management et les collègues, induisant chez le sujet un vécu angoissant d’hésitation, de doute et de solitude. Cette situation peut le conduire à adopter une « posture paranoïaque », du fait de la mobilisation de ressources psychiques qui sollicitent de manière élective les processus de pensée et l’activité de jugement : hypervigilance, méfiance, hypertrophie de la démarche logique, recoupement des sources d’information, vérifications, etc. (M.P. Guiho-Bailly, D. Guillet, 2003). Le processus délirant s’inscrit comme une solution critique élaborée par le sujet en vue de maintenir le rapport avec la réalité et de penser la situation paradoxale dans laquelle il se trouve.
Dans certains cas, il est apparu que la déstabilisation de l’identité qui se manifeste par la crise délirante résulte d’un conflit insoluble entre les contraintes de travail et les investissements affectifs relevant de l’intimité et de la sphère privée (A. Bensaïd, 1990/2010). Les difficultés, voire l’impossibilité à participer aux stratégies de défense du collectif de travail, qui font suite à des remaniements familiaux et/ou des transformations des contraintes de travail (nouvelle hiérarchie, mutation, réorganisation de l’activité, etc.) entraînent une exclusion progressive de ce collectif. La solitude qui en résulte se révèle particulièrement dangereuse sur le plan psychique puisqu’elle conduit à devoir assumer seul les risques liés à l’activité. Le réel du travail (risque de mort, de blessure, de maladie…), susceptible de déclencher l’angoisse, et qui était évacué par les constructions défensives du collectif de travail, fait alors retour au travers de la construction délirante.
Dans d’autres cas, l’investigation clinique de la crise psychopathologique révèle l’impossibilité, pour le sujet, de traiter psychiquement les affects suscités par la situation de travail et la réalisation d’activités qui s’avèrent contradictoires avec les valeurs et le sens moral (L. Gaignard, 2008). La confrontation répétée aux distorsions de la réalité qui caractérisent l’activité (projets frauduleux, mensonges concernant la qualité, la fiabilité ou la sécurité d’outils ou d’installations…) retentit de manière élective sur les processus de pensée qui ont pour fonction de soutenir le rapport à la réalité. L’impasse psychologique qui résulte de l’impossibilité pour le sujet de maintenir durablement le déni de réalité se traduit par une reconstruction délirante qui signe la tentative, par le sujet, de maintenir une cohérence entre les exigences de la réalité psychique et les contraintes matérielles de la situation de travail.
Monsieur S3. est un ouvrier du bâtiment âgé de quarante ans, reçu par le service des urgences d’un hôpital général, pour une symptomatologie délirante de type persécutif, évoluant depuis trois mois. Il présente des idées de référence : sentiment d’être suivi et observé, conviction qu’on le surveille et parle de lui à son insu. Sont également présentes des hallucinations acoustico-verbales, où des voix masculines l’injurient, le traitent de lâche, insultent sa femme et l’enjoignent de divorcer. Les troubles se sont déclenchés trois mois auparavant à la suite d’un accident du travail. Monsieur S. a chuté d’un échafaudage, mais est parvenu à se rattraper à un balcon, ce qui ne lui a laissé aucun dommage corporel. Une semaine plus tard, alors que Monsieur S. n’a pas souhaité prendre d’arrêt de travail, vont apparaître des troubles du sommeil, avec des cauchemars répétant la scène de la chute, une montée progressive de l’angoisse, de l’irritabilité et des idées de référence. L’investigation clinique va permettre de resituer la décompensation de Monsieur S. dans un contexte professionnel et familial particulier. Depuis son départ du Maroc et son arrivée en France à l’âge de vingt-deux ans, il a toujours travaillé dans la même entreprise et apprit son métier sur le tas auprès de peintres en bâtiment professionnels. Il loge dans le même temps dans un foyer de travailleurs qu’il va quitter pour s’installer dans un appartement avec sa femme et ses trois enfants au moment de leur venue en France un an auparavant. Au cours de cette période, des changements vont également se produire dans l’organisation du travail installant progressivement une transformation des contraintes du travail pour Monsieur S. et ses collègues. C’est le fils du patron, qui reprend l’entreprise et instaure une augmentation des cadences associée à une affectation sur les chantiers (intérieur, extérieur) ne tenant pas compte de la qualification des ouvriers. La convivialité qui existait précédemment entre les ouvriers s’efface pour laisser la place à la méfiance et la suspicion entre collègues pour savoir qui dénonce les pots et les pratiques de consommation d’alcool entre collègues, au cours desquels on se retrouve pour « se raconter le boulot ». L’investissement de sa vie de famille maintenant présente physiquement auprès de lui est important à ses yeux et le conduit à manquer les temps de retrouvailles entre collègues. Il se retrouve confronté à un isolement progressif du collectif de travail, collectif déjà déstabilisé par les changements d’organisation du travail. La crise psychique consécutive à l’accident révèle la faillite des processus défensifs face au risque mortel : Monsieur S. ne peut plus avoir recours à l’idéologie défensive virile qui structurait le collectif de travail (blagues, conduites de défi et de bravade face au risque, consommation d’alcool entre « copains »), le protégeait contre la peur et lui permettait de se défendre contre la souffrance engendrée par l’activité de travail dangereuse. Les hallucinations (voix d’hommes) le somment de divorcer, comme une tentative de solder les difficultés psychologiques issues du conflit entre les exigences défensives structurées par les conduites viriles qui dénient la peur et la vulnérabilité du corps d’une part et l’engagement affectif auprès de sa femme et de ses enfants qui l’amène à devoir prendre soin d’eux d’autre part. L’épisode psychotique apparaît comme la résultante de la sollicitation simultanée de registres affectifs habituellement séparés par les opérations défensives : Monsieur S. ne parvient pas à simultanément se montrer tendre et attentionné et opposer un déni à la souffrance.
3 Bensaïd A. (2010). Apport de la psychopathologie du travail à l’étude d’une bouffée délirante aiguë. (Observation clinique [1990/2010]). In : Dejours C. (éd.). Observations cliniques en psychopathologie du travail. Paris : PUF.
Pathologies post-traumatiques et violence au travail
Pathologies post-traumatiques
Les pathologies post-traumatiques sont consécutives aux accidents et agressions dont les travailleurs sont victimes dans l’exercice de leur activité professionnelle. Les accidents du travail ne désignent pas une entité clinique spécifique, mais regroupent les blessures physiques ainsi que les conséquences psychopathologiques des accidents survenus « par le fait ou à l’occasion du travail ».
Les pathologies post-traumatiques concernaient d’abord les employés de banques, victimes d’agressions physiques et de vols à main armée, mais on assiste à une augmentation générale des populations touchées par ces pathologies qui concernent les enseignants, les conducteurs de transports en commun, les caissières, les employés des plateaux clientèle, les agents de l’ANPE, du Trésor Public, les travailleurs sociaux, les policiers, etc.
L’enquête européenne sur les conditions de travail met en évidence une augmentation du niveau des violences physiques (de 4 à 6 % entre 1995 et 2005). L’enquête SUMER 2002-2003 révèle que sur les 70,9 % des salariés français exerçant une activité professionnelle les mettant en contact avec un public, 22,2 % déclarent avoir subi, au cours des douze derniers mois, une agression verbale et 1,8 % une agression physique. La préoccupation des pouvoirs publics concernant ce phénomène a conduit à un accord-cadre européen sur le harcèlement et la violence en 2007, transposé en France le 23 juillet 2010 par accord ministériel.
Clinique
Les symptômes des pathologies post-traumatiques correspondent au tableau de la névrose traumatique décrite par S. Freud (1920). Il insiste sur la dimension économique du traumatisme et distingue le danger lié à la réactivation de contenus de la réalité psychique des événements renvoyant à la réalité externe. C’est en effet le sexuel qui revêt d’abord un caractère traumatique pour la topique psychique. Dans le cas de la névrose traumatique, le déclenchement des troubles est déterminé par des éléments actuels de la situation vécue par le sujet et non par la réactivation des conflits liés à la sexualité infantile.
• un état permanent d’angoisse avec son cortège de signes somatiques (tachycardie, sueurs, tremblements…) ;
• une reviviscence diurne de l’événement avec pensées au caractère obsédant ;
• des rêves traumatiques souvent suivis d’insomnies ;
Syndrome subjectif post-traumatique ou post-commotionnel
• des symptômes d’allure somatique (céphalées, fatigue extrême, sensations vertigineuses, douleurs variées, paresthésies…) ;
• peuvent y être associés une insomnie, une anorexie, une irritabilité ou des troubles de l’humeur.
Névrose traumatique
NB : L’entité clinique de la névrose traumatique tend progressivement à être remplacée, dans les descriptions psychiatriques contemporaines, par l’« état de stress post-traumatique » (ou Post-Traumatic Stress Disorder selon l’acronyme anglais).
• syndrome de répétition (reviviscences de l’événement traumatique, périodes sensibles au moment des anniversaires, rêves traumatiques et des souvenirs récurrents) ;
• syndrome d’hyperéveil (irritabilité particulière, perte de la capacité de concentration) ;
• syndrome d’évitement (évitements de stimuli liés à l’événement).
Analyse
Travailler avec le risque d’accident fait partie du quotidien pour de nombreux salariés : danger lié aux chutes dans le BTP, manipulation de substances dangereuses dans l’industrie chimique, accidents de la circulation ou de personnes dans les transports en commun sont autant de manifestations du réel de travail (R. Foot, 2005). Les symptômes (psychiques et somatiques), en tant que « rejetons » du traumatisme, contribuent à masquer ce qui a été à l’origine des constructions défensives, à savoir la peur. Mais l’accident comme l’agression remettent en cause le système symbolique basé sur l’occultation du danger qui organise les constructions défensives. La reprise du travail se révèle dès lors particulièrement difficile puisqu’il n’est plus possible, pour le sujet, de maintenir le déni du réel. Ce qui était évacué par la maîtrise symbolique et les contre-investissements opérés par les constructions défensives réapparaît dans le champ de la conscience et génère de l’angoisse.
Si une partie des troubles ressortit directement aux conséquences de l’augmentation des agressions et de la violence, l’investigation étiologique doit également prendre en compte les contraintes organisationnelles auxquelles sont confrontés les travailleurs concernés. Les agents qui sont engagés dans des missions d’accueil et de service auprès du public se retrouvent exposés, non seulement à des situations sociales « dangereuses » et « difficiles », mais sont également soumis à des exigences de rentabilité qui les conduisent à tenir des conduites incohérentes et commettre des discriminations, ou des injustices vis-à-vis des usagers.
Dans le secteur de l’énergie et des télécommunications, dont le marché a été ouvert à la concurrence, il est demandé aux agents, auparavant engagés dans des missions orientées vers l’accès aux biens et aux services collectifs, de « faire du chiffre » (P. Coupechoux, 2009). Alors qu’auparavant, des solutions temporaires ou des délais de paiement pouvaient être accordés aux personnes se trouvant dans la précarité, il est demandé aux salariés de facturer toute intervention, de réaliser des « ventes forcées » de produits inutiles à des usagers perdus dans la segmentation des marchés et des contrats d’abonnements.
Aux fonctionnaires de l’immigration, à qui revient la mise en œuvre de la politique migratoire, on demande de résoudre la contradiction résultant d’une politique répressive de l’immigration sans contrevenir aux normes internationales sur la protection des demandeurs d’asile. Ces derniers sont conduits à « interpréter » de manière variable les textes de lois et les directives ministérielles organisées par « la logique du flou » (A. Spire, 2008) ce qui génère de l’incompréhension et de l’agressivité chez les usagers.
C’est pourquoi, le tableau clinique des pathologies post-traumatiques peut être associé à des manifestations cliniques comme la culpabilité, l’amertume, ou des sentiments d’incompétence face à l’échec dans la conjuration des incidents et de la violence.
Face aux pathologies post-traumatiques, la clinique du travail suggère donc que l’identification des répercussions psychiques de l’événement traumatique est insuffisante et qu’une place spécifique, dans la décompensation, revient à la déstabilisation de l’économie défensive liée au travail.
Dans les ONG, les responsables sont préoccupés de la gestion du « stress et du trauma » par les volontaires intervenant en situation d’urgence sur le terrain (catastrophes naturelles, guerres civiles et conflits armés…), mais également lors des retours de mission. La participation à des programmes de reconstruction, ou à des aides au développement qui se révèlent parfois préjudiciables pour certaines catégories de population et instaurent des discriminations concernant les « bénéficiaires », s’avère contradictoire avec les valeurs qui ont présidé à l’engagement humanitaire (altruisme, compassion…) et génère de la souffrance (R. Brauman, 2002). La poursuite du travail en situation d’injustice nécessite le déploiement de stratégies collectives de défense qui « gauchissent » la pensée et s’appuient sur des constructions symboliques qui stigmatisent ou disqualifient les populations locales (des « pays sous-développés », ou « moins avancés »), en vue d’entretenir le déni sur la réalité qui fait souffrir. Le retour de mission se révèle être une période particulièrement « sensible » et propice au déclenchement de troubles post-traumatiques dans la mesure où il coïncide avec l’arrêt du recours à l’idéologie collective. Apparaissent en effet des troubles de type dépressif, des troubles du sommeil avec des reviviscences nocturnes des épisodes critiques des missions, des manifestations anxieuses, des difficultés de concentration, une irritabilité, mais aussi de la déception, de la culpabilité… Ces manifestations cliniques seraient les témoins de l’émergence d’un travail de conflictualisation des motions pulsionnelles qui se voyaient jusque-là endiguées ou contenues par les constructions symboliques et idéologiques véhiculées par les stratégies collectives de défense (C. Demaegdt, 2006).
Travail et violence
Des passages à l’acte violents peuvent se produire sur le lieu de travail et prennent la forme d’agressions de collègues, de supérieurs hiérarchiques (les « prises d’otage » des cadres ou dirigeants en représentent la forme la plus médiatisée), plus rarement des usagers, ou se manifester sous la forme de sabotages des installations ou des machines (par exemple des ouvriers qui détruisent leur outil de travail dans le contexte de fermeture d’usines). Il arrive également que se produisent des agressions entre collègues, et parfois contre les usagers (maltraitance envers les personnes âgées par exemple), ce qui pose la question de la place de la violence dans l’exercice du travail. La part revenant au travail dans la genèse de la violence est souvent sous-estimée, les manifestations paroxystiques de la violence étant référées à des vulnérabilités ou caractéristiques psychopathologiques individuelles.
Dans certains milieux de travail qui impliquent des risques pour l’intégrité corporelle (BTP, police, armée, surveillants de prison, industrie chimique, etc.), la violence est banalisée en se trouvant intégrée dans les stratégies collectives de défense. Ces constructions défensives ont pour caractéristiques d’être organisées par les valeurs du courage viril (cf. Partie I) qui valorisent la capacité à endurer la souffrance, mais autorisent également de pouvoir infliger de la souffrance à autrui, même si cela requiert d’en passer par des conduites violentes. La violence virile se caractérise comme une construction sociale au service de la domination sociale des hommes sur d’autres hommes et des hommes sur les femmes (cf. § Harcèlement sexuel). Cependant, au regard du travail, la violence occupe aussi une place particulière au service de la préservation de la santé mentale, de sorte que sa prévention nécessite une analyse fine des processus psychiques mobilisés pour conserver le rapport au travail qui implique des risques physiques majeurs (accident, mutilations, maladies…). En d’autres termes, les manifestations de la sexualité (sadisme, masochisme, violence) dans le travail ne sont pas seulement mobilisées à des fins de satisfaction immédiate de l’économie pulsionnelle, mais sont indexées aux stratégies défensives au service de la protection de la santé mentale au travail.
En psychanalyse, les ressorts psychiques de la violence résident dans le pouvoir de déliaison du sexuel. La tendance du sexuel est en effet de se déchaîner sous la forme de l’excès caractéristique de la « pulsion sexuelle de mort » (J. Laplanche, 1997). La pulsion qui vise la recherche d’excitation représente toujours une menace pour la cohésion du Moi et l’identité. À cette excitation il convient d’opposer des formes de liaison en vue de la circonscrire, dont la sublimation en représente la forme cardinale. La clinique du travail met en évidence que parallèlement aux ressorts intrapsychiques, l’avènement du processus sublimatoire nécessite des conditions sociales rassemblées sous la forme de la dynamique de la reconnaissance (cf. Partie I). La conjuration de la violence subie ou agie est donc déterminée par des rapports intersubjectifs structurés par la référence au travail. La réaction paroxystique que représente l’émergence de la violence en situation de travail apparaît principalement comme une conséquence des dysfonctionnements de l’organisation du travail qui génèrent de l’injustice dans un contexte de dégradation des solidarités et du vivre-ensemble (C. Dejours, 2007). Si les limites imposées par le réel du travail à l’efficacité ne sont plus discutées (activité déontique) et que les conditions permettant aux travailleurs de parvenir à une intelligibilité commune de la situation ne sont pas réunies, alors le risque de dérive se traduisant par l’usage de la violence est possible. Dans ces situations, les conditions intersubjectives permettant de conjurer l’irruption de la violence sont en effet ruinées.
La question de la maltraitance et de la violence envers les personnes âgées fait l’objet de réflexions et de débats publics à la suite de la médiatisation de situations de patients vivant dans des établissements délabrés et faisant l’objet de sévices de la part des soignants. Accéder à la rationalité des conduites de soin permet une analyse différentielle et critique des formes de « maltraitance » situées par rapport au réel de l’activité de travail.
L’analyse par l’entrée du travail permet de faire émerger les ressorts collectifs de la violence et des moyens de la conjurer, plutôt que des facteurs individuels référés à des caractéristiques de la personnalité (type déviant, pervers, narcissique, agressif, etc.). Les soignants ne sont donc pas violents ou maltraitants par nature. Mais la maltraitance résulte de la mise en impasse du zèle et de l’intelligence déployés par les soignants pour faire face aux manquements et dysfonctionnements de l’organisation prescrite et formelle du travail de soin. Les enquêtes réalisées dans le secteur de la gériatrie mettent en évidence que l’émergence d’actes désignés comme maltraitants est toujours associée à la déstructuration du collectif et à l’isolement d’un ou plusieurs soignants (A. Quaderi, 2004 ; I. Gernet, F. Chekroun, 2008 ; M. Litim, K. Kostulski, 2008 ; F. Bardot, 2009 ; S. Esman, J.L. Nimis, P. Molinier, 2010 ; S. Ingwiller, P. Molinier, 2010). Comment arbitrer sur les manières de procéder pour réussir à faire son travail dans les temps, comment décider ce qui rend telle pratique acceptable ou non au regard des contraintes de travail : laisser un résident nu sur les toilettes pendant plus d’une heure pendant qu’on avance les autres toilettes ; en laver un autre de force et à grande eau dans la douche malgré ses protestations ; leur tenir les mains, les attacher dans le lit pour les habiller et éviter les coups, les forcer à manger pour éviter le risque de dénutrition en sont des exemples parmi d’autres. Sans la référence à l’organisation du travail et à la spécificité du travail de soin, ces comportements sont facilement dénoncés comme maltraitants et violents et référés à des fautes individuelles de personnels subalternes insuffisamment formés.
Il apparaît que ces éléments empiriques se trouvent en contradiction avec l’argumentaire développé par les démarches « qualité » dans les établissements, qui valorisent et prescrivent l’autonomie et la responsabilité individuelle dans le travail en diffusant des « guides de bonnes pratiques ». Ces démarches qualité adossées à l’évaluation des performances de l’institution se présentent objectivement comme des outils de lutte contre la maltraitance, mais contribuent en réalité à masquer les phénomènes de « maltraitance instituée » issus de la généralisation des pratiques de contrôle du travail par des procédures et des critères de gestion (P. Molinier, 2009). Cette démarche constante d’évaluation justifie des réorganisations répétées des modes de travail et des équipes qui s’opposent à la fonction première du soin, qui engage la relation selon des critères de permanence et de continuité, et conduit les professionnels à réaliser des actes et opérer des sélections maltraitantes pour combler la pénurie de moyens. Dans le travail de soin, la violence apparaît d’abord comme la conséquence de l’instrumentalisation des corps « désubjectivés » et réduits à leurs besoins physiologiques. L’analyse du travail conduit donc à déplacer la question de la genèse de la « maltraitance » et de la violence dirigée sur les patients. Ce n’est pas le soin lui-même qui cristallise les difficultés, même quand son exercice se révèle particulièrement pénible et ingrat, mais les conditions organisationnelles et sociales dans lesquelles il est réalisé.
Pathologies du harcèlement
Dans les pathologies du harcèlement, on distingue généralement le harcèlement sexuel du harcèlement moral.
Harcèlement sexuel
Clinique
L’enquête quantitative sur les violences faites aux femmes (Enveff, 2000) replace le harcèlement sexuel au travail dans le cadre plus général des violences au travail envers les femmes. Ont été distingués des faits, des gestes, des actes et des situations ou paroles susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique et morale du sujet. Le harcèlement sexuel se caractérise par des contraintes sexuelles (D. Fougeyrollas-Schwebel et al., 2000) :
• par des gestes directs avec contacts physiques à connotation sexuelle, rapports sexuels sous la contrainte, pratiques sexuelles imposées, attouchements subis contre son gré ;
• des avances sexuelles déplaisantes, des propos obscènes, des images pornographiques imposées ;
• des atteintes verbales : cris, insultes, paroles humiliantes, injonctions, propos grossiers.

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