9 Échocardiographie chez les patients critiques
L’échocardiographie a été utilisée chez les patients critiques depuis le début des années 1990. Elle a ensuite évolué pour devenir un puissant outil de diagnostic et de prise en charge. Les publications initiales décrivaient surtout l’utilisation de l’échocardiographie transœsophagienne (ETO), alors que l’échocardiographie transthoracique (ETT) était considérée comme limitée dans ses capacités diagnostiques en unité de soins intensifs [1–5]. La plupart des études ont rapporté que moins de la moitié des examens d’ETO étaient techniquement corrects, notamment chez les patients sous ventilation mécanique [6–8]. Toutefois, dans les années 1990, deux avancées technologiques majeures ont significativement amélioré les capacités diagnostiques de l’échocardiographie. L’imagerie d’harmonique a permis d’améliorer la détection et la définition des limites de l’endocarde et a substantiellement réduit les artéfacts de proximité [9,10]. En outre, les images acquises et archivées sous forme numérique préservent la qualité de l’image par rapport au vieux système de l’enregistrement sur cassettes vidéo analogiques [11]. Aujourd’hui, le plus souvent, l’ETT est considérée comme l’examen échocardiographique de premier choix pour les patients critiques et l’ETO est réservée à des situations spécifiques [12].
Les indications de l’échographie chez les patients critiques se répartissent en deux catégories principales [13] :
Diagnostic morphologique dans les syndromes cliniques spécifiques
1 Y a-t-il une cause cardiaque à l’hypotension ?
L’objectif de l’examen est d’écarter un diagnostic menaçant le pronostic vital. La sensibilité de l’ETT pour diagnostiquer une cause de choc cardiogénique a été évaluée à près de 100 % [12]. La figure 9.1 est un guide de procédure utile pour l’examen échocardiographique.
Examen pour une tamponnade
Une étape initiale est utile pour rechercher un épanchement péricardique et, s’il est présent, pour déterminer sa taille et sa répercussion hémodynamique. La voie sous-costale de l’ETT a la plus grande utilité à cet égard, bien qu’avec un péricarde intact, un épanchement puisse également être visualisé par une fenêtre parasternale ou apicale. La caractéristique échocardiographique d’un épanchement péricardique est la visualisation d’un fluide écholumineux dans l’espace péricardique (figure 9.2). Parce que les pressions cardiaques du côté droit sont plus faibles que du côté gauche, les effets de l’accumulation de liquide sont généralement visualisés en premier lieu dans les cavités droites. Le collapsus diastolique du ventricule droit (VD) est indicateur d’un épanchement péricardique hémodynamiquement significatif. L’inversion de l’oreillette droite, qui tend à se produire en fin de diastole ventriculaire et à persister en début de systole, est un signe échocardiographique extrêmement sensible, mais moins spécifique d’une instabilité hémodynamique. La démonstration, avec le Doppler pulsé, de la variation respiratoire du flux intracardiaque d’une certaine ampleur aide à l’évaluation clinique de la tamponnade. La vélocité du flux mitral diminue après une inspiration et augmente après une expiration (> 25 %) en cas de tamponnade cardiaque. La vélocité du flux tricuspide a des variations contraires (> 75 % de variation) ; autrement dit, elle augmente après l’inspiration et diminue après l’expiration. Il est important de comprendre que la tamponnade est un syndrome clinique et que l’examen échocardiographique doit être interprété en fonction de l’état hémodynamique du patient. En particulier, une compression cardiaque localisée par un thrombus, par exemple après une chirurgie cardiaque, peut conduire à une altération hémodynamique majeure sans produire les signes échocardiographiques classiques de tamponnade. Dans cette situation, l’ETO peut être supérieure à l’ETT, puisque l’accès peut être limité (incision chirurgicale et drains thoraciques) et que des caillots sont souvent situés près de l’oreillette, dans un champ éloigné du faisceau d’ETT [14].
Évaluer la fonction ventriculaire
Une dysfonction sévère du ventricule gauche (VG) est la découverte la plus commune des séries échocardiographiques de patients critiques [15] (figures 9.3a à 9.3e). Les voies transthoraciques sous-costales sont souvent suffisantes pour visualiser les fonctions ventriculaires droite et gauche lorsque d’autres voies sont difficiles. Chez les patients critiques, l’évaluation globale de la fonction ventriculaire gauche est le plus souvent réalisée par l’estimation visuelle de la fraction d’éjection (FE). La FE est le pourcentage du volume diastolique du VG qui est éjecté à chaque battement du cœur. Une FE normale est supérieure à 50 % [16]. Il faut savoir que la FE est le résultat d’interactions complexes entre les conditions de charge ventriculaire et l’état contractile du ventricule, et qu’elle peut ne pas toujours refléter la vraie contractilité ventriculaire. Par exemple, chez un patient qui saigne, la réduction rapide de la précharge réduit la FE, indépendamment de la contractilité. La fonction du VD est évaluée par la visualisation séparée de trois caractéristiques du VD : le remplissage, la paroi libre et la chambre de chasse [16]. La présence d’anomalies segmentaires du mouvement des parois (réduction de l’épaississement systolique des segments de paroi du myocarde) est évocatrice d’ischémie myocardique. Ceci est normalement le signe d’une pathologie coronaire, en particulier si elle se situe dans un secteur de perfusion d’une artère coronaire (figure 9.4). Toutefois, chez un patient critique, une septicémie sévère peut également causer une réduction régionale de la fonction systolique [17]. Lors d’un sepsis, parmi les survivants, le VG est typiquement dilaté et présente une réduction de contractilité. Les anomalies de la fonction diastolique ont également été démontrées chez des patients septiques [18].
Complications de l’infarctus du myocarde
L’hypotension post-infarctus du myocarde est le plus souvent due à une dysfonction globale du VG (surtout si l’infarctus implique plus de 40 % du VG) ou du VD. L’infarctus transmural est plus susceptible d’entraîner des complications liées à une rupture. Ceci se produit jusque chez 3 % des patients. Chez le patient hémodynamiquement instable, il est essentiel d’exclure la rupture – rupture des muscles papillaires, rupture du septum ventriculaire et rupture de la paroi libre – avant de conclure que le choc cardiogénique est basé sur un dysfonctionnement de la pompe [19].
Nécrose du muscle papillaire
La nécrose du muscle papillaire avec une rupture et un volet valvulaire conduit à une régurgitation mitrale aiguë qui nécessite une intervention chirurgicale urgente. L’atteinte la plus fréquente est celle du muscle papillaire postéromédian, vraisemblablement en raison de sa perfusion à partir d’une seule artère coronaire. Les caractéristiques échocardiographiques incluent le prolapsus d’une ou des deux valves, un volet valvulaire ou une portion libre du muscle papillaire attaché à une valve. Une fuite excentrée ou un jet de régurgitation de petite taille au cours de la fuite mitrale aiguë peuvent compliquer l’identification par l’ETT ; le seuil pour réaliser une ETO doit être bas [20].
Ruptures du septum interventriculaire
Les ruptures du septum interventriculaire apparaissent habituellement 3 à 6 j après un infarctus du myocarde avec la survenue soudaine d’une hypotension, un frémissement apical et un nouveau souffle pansystolique. L’échocardiographie de surface (ETT) a une sensibilité jusqu’à 70 %, alors que l’ETO a une sensibilité et une spécificité de 100 %. La zone du myocarde lésée est le plus souvent visualisée au niveau de la coupe parasternale petit axe pour la rupture du septum postéroapical (la plus courante), alors que la vue apicale quatre cavités apporte la démonstration de la communication interventriculaire antérieure, qui survient généralement dans le tiers distal de la cloison.
Rupture de la paroi libre du ventricule
La rupture de la paroi libre du ventricule se présente habituellement comme un événement catastrophique aigu qui conduit rapidement à un décès s’il n’est pas traité chirurgicalement. Elle est plus susceptible de survenir chez des patients avec un infarctus de la paroi postérolatérale associé à une occlusion de l’artère coronaire circonflexe gauche ou de l’artère interventriculaire antérieure.
Évaluation des quatre valves cardiaques
Une évaluation approfondie des valves aortique, mitrale, tricuspide et pulmonaire doit être effectuée chez tous les patients présentant une hypotension pour rechercher une sténose significative ou une régurgitation (figure 9.5).
Une valve sténosée est généralement épaissie et calcifiée et son ouverture est limitée (figure 9.6). Tous ces aspects peuvent être visualisés par l’échocardiographie bidimensionnelle. L’examen bidimensionnel est utile pour identifier l’étiologie de la sténose, comme une valve aortique bicuspide, une valve mitrale rhumatismale ou une maladie cardiaque carcinoïde.
L’imagerie en couleurs est utile pour réaliser l’alignement du faisceau Doppler continu, parallèle à la direction du jet de la circulation sanguine. L’équation de continuité permet, avec sécurité, d’estimer la superficie de la valve à l’aide du volume d’éjection d’un autre orifice cardiaque. Le temps de demi-pression, qui est l’intervalle de temps pour que le pic de pression maximale atteigne la moitié de sa valeur initiale, est un autre paramètre Doppler utile pour évaluer la sévérité de la sténose mitrale. La chute de la pression est d’autant plus lente que l’orifice mitral diminue, donc, le temps de demi-pression est allongé [13]. L’échocardiographie bidimensionnelle est utile dans l’évaluation de la régurgitation valvulaire, car elle met en évidence le substrat anatomique à la régurgitation (par exemple prolapsus de la valve mitrale, endocardite, dilatation annulaire) et permet la mesure de la taille de la fonction systolique globale du VG.
Toutefois, l’évaluation de la régurgitation valvulaire ne peut pas être effectuée par une échocardiographie bidimensionnelle seule. La principale modalité échocardiographie pour évaluer de façon semi-quantitative la régurgitation valvulaire est l’imagerie Doppler couleur, qui affiche le flux sanguin intracavitaire.
Les critères pour déterminer la gravité d’une régurgitation sur l’imagerie Doppler couleur sont fondés sur la largeur et la surface du jet de régurgitation. Les critères Doppler supplémentaires pour l’évaluation de la régurgitation valvulaire incluent la mesure de la vena contracta1
et la mesure PISA (Proximal Isovelocity Surface Area : surface proximale d’isovélocité) [21].