Chapitre 9 Diagnostic et prise en charge d’une fracture–tassement ostéoporotique
Généralités sur l’ostéoporose
Selon la conférence de consensus de l’OMS de 1993, l’ostéoporose est une maladie diffuse du squelette caractérisée par une masse osseuse basse et une altération de la micro-architecture du tissu osseux ayant pour conséquence une fragilité osseuse accrue à l’origine d’une élévation du risque de fracture [1].
Épidémiologie
Les fractures ostéoporotiques ont un impact économique majeur en termes de santé publique. En effet, le risque de fracture ostéoporotique à l’âge de 50 ans pour la vie restante est estimé à 40 % chez les femmes et à 13 % pour les hommes. Le nombre de fractures vertébrales a été évalué en France à environ 70 000/an. L’épidémiologie des fractures vertébrales est moins bien connue que celle des fractures appendiculaires du fait de l’absence fréquente de symptômes et de diagnostics clinique ou radiologique. Plusieurs études récentes fondées sur un suivi morphométrique attentif au cours d’essais thérapeutiques ont démontré qu’un peu moins d’un tiers des nouvelles déformations vertébrales visibles radiologiquement chez des patientes ménopausées avait fait l’objet d’un diagnostic clinique de fracture [2]. Dans deux tiers des cas, le diagnostic de douleur rachidienne arthrosique ou discale avait été évoqué, entraînant des thérapeutiques inadaptées [3].
Dans l’étude européenne EPOS concernant 14 011 sujets de plus de 50 ans, l’incidence morphométrique des fractures vertébrales a été estimée à 10,7 pour 1000 personnes/année chez les femmes et 5,7 pour 1000 personnes/année pour les hommes, avec une augmentation marquée de cette incidence avec l’âge chez la femme comme chez l’homme [4]. Les données françaises de l’étude EPIDOS confirment cette augmentation des fractures vertébrales avec l’âge chez les femmes avec une prévalence de fracture vertébrale de 19 % chez les femmes de 75 à 79 ans, de 21,9 % chez les femmes de 80 à 84 ans et de 41,4 % chez les femmes de plus de 85 ans [5].
Physiopathologie de l’ostéoporose
Le risque fracturaire dépend de plusieurs éléments – masse osseuse, qualité osseuse –, ainsi que de facteurs extra-osseux – en particulier les chutes, la diminution de la force musculaire et de l’acuité visuelle essentielle chez les sujets âgés (fig. 9.1). Parmi ces éléments, seule la masse osseuse est actuellement mesurable et déterminerait 70 à 80 % de la résistance osseuse. À tout moment, la masse osseuse est la résultante du capital osseux acquis au cours de la croissance et de l’intensité de la perte osseuse ultérieure. Dans les deux sexes, une perte osseuse physiologique linéaire lente qui débute vers 40 ans est estimée à 3 % par décennie en secteur trabéculaire. Chez la femme, il s’y associe une perte osseuse post-ménopausique causée par la carence œstrogénique qui entraîne une augmentation du nombre et de l’activité des ostéoclastes et donc un excès de résorption osseuse. Ainsi entre 20 et 80 ans, la femme perd environ 40 % de sa masse osseuse avec d’importantes déconnexions trabéculaires alors que l’homme n’en perd que 25 % sans altération significative de la connectivité trabéculaire. Après 70 ans, l’hyperparathyroïdie secondaire à la carence calcique et en vitamine D accélère encore la perte osseuse.
Principales causes d’ostéoporose
Même si l’ostéoporose liée à l’âge en particulier post-ménopausique prédomine, les causes secondaires de perte osseuse doivent absolument être recherchées. En effet, environ 50 % des femmes avec une faible densité minérale osseuse ont des antécédents médicaux ou des prises médicamenteuses susceptibles de causer des pertes osseuses et dans certaines séries, 20 à 64 % des femmes ostéoporotiques auraient des anomalies biologiques favorisant une ostéoporose secondaire. Il est donc indispensable de chercher de principe une cause d’ostéoporose secondaire (encadré 9.1) devant toute ostéoporose densitométrique ou fracturaire.
Encadré 9.1
Causes les plus fréquentes d’ostéoporoses secondaires
Pathologies
Traitements médicamenteux
Risque fracturaire : intérêt du FRAX®
L’instauration d’un traitement anti-ostéoporotique chez une femme ménopausée va dépendre de nombreux facteurs (encadré 9.2) :
• en présence d’une fracture vertébrale ostéoporotique, l’indication est évidente. En effet même après ajustement pour l’âge et la densité osseuse, le fait d’avoir une fracture vertébrale prévalente augmente le risque de fracture vertébrale incidente mais également le risque de fracture périphérique y compris du col fémoral. De plus, le risque de nouvelle fracture vertébrale est immédiat, puisqu’une patiente sur cinq fera une nouvelle fracture vertébrale dans l’année suivante avec souvent un enchaînement des fractures ou « cascade fracturaire » [6]. L’indication d’un traitement anti-ostéoporotique est également facile chez des femmes ménopausées ayant un T-score très diminué inférieur à − 3;
• en l’absence de fracture vertébrale, chez une patiente ostéopénique ou proche du seuil diagnostique de l’OP, d’autres facteurs de risque cliniques de fracture doivent être combinés à la mesure densitométrique pour calculer chez chaque femme le risque absolu de fracture à 10 ans.
Encadré 9.2
Facteurs de risque indépendants de la densité minérale osseuse pour estimer le risque de fracture selon les recommandations de l’Afssaps
• Antécédent personnel de fracture.
• Antécédent de fracture de l’extrémité du fémur chez parents du premier degré.
• Diminution de l’acuité visuelle.
• Insuffisance de masse corporelle (< 19 kg/m2).
• Corticothérapie ancienne ou actuelle (> 3 mois).
• Troubles neuromusculaires ou orthopédiques.
• Mauvais état de santé (plus de trois maladies chroniques).
• Augmentation du remodelage osseux (élévation des marqueurs de résorption).
L’OMS a ainsi conçu l’outil FRAX® (fracture risk assessment tool) développé à partir de cohortes de population étudiées en Amérique du Nord, Asie, Australie et Europe, en donnant des pondérations aux différents facteurs de risque pertinents. Cet outil permet de calculer le risque absolu à 10 ans de survenue d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur et d’une autre fracture ostéoporotique majeure (vertébrale, avant-bras, humérus), mais doit encore être testé et validé pour chaque pays afin de déterminer un seuil rentable d’intervention thérapeutique [7].
Diagnostic clinique de fracture vertébrale ostéoporotique
Le diagnostic d’ostéoporose fracturaire vertébrale peut être évoqué dans trois circonstances :
• des rachialgies aiguës ou chroniques ;
• une perte de taille de plus de 3 cm par rapport à une taille préalablement mesurée ;
Les fractures vertébrales cliniques peuvent se manifester selon deux principaux profils douloureux :
• un épisode douloureux initial très intense associé le plus souvent à une fracture vertébrale complète nécessitant souvent une hospitalisation et s’améliorant en 4 à 8 semaines. Au cours d’études prospectives, une fracture vertébrale clinique entraîne 18 jours de douleur rachidienne sévère, 32 jours de handicap important, avec retour à un état d’équilibre après 5 à 7 mois [8] ;
• un épisode douloureux d’intensité plus faible associé à une fracture vertébrale incomplète, mais susceptible de se répéter à plusieurs reprises dans les 6 à 18 mois suivants avec constitution d’une fracture vertébrale complète en plusieurs étapes. C’est dans ce second cas que les diagnostics seraient le plus fréquemment erronés.
La cascade fracturaire vertébrale (fig. 9.2) a deux conséquences principales : d’une part, la répétition d’épisodes douloureux aigus et d’autre part, des conséquences statiques avec perte de taille, hypercyphose et rachialgies chroniques. Ces douleurs prolongées, liées au retentissement de l’affaissement vertébral sur les différentes articulations intervertébrales et sur la musculature périvertébrale, ne cèdent pas au traitement de l’ostéoporose.
Une étude prospective de cohorte a démontré que les fractures vertébrales sont associées à une augmentation de la mortalité, proportionnelle au nombre de fractures prévalentes [9, 10].
Place de la densitométrie osseuse : le T-score
La DXA (dual energy X-ray absorptiometry) ou absorptiométrie biphotonique aux rayons X est pour l’OMS la méthode de référence de la mesure de la densité minérale osseuse (DMO). En effet, compte tenu de l’étroite relation entre DMO et risque fracturaire, un groupe d’experts de l’OMS a proposé de définir l’ostéoporose primitive de la femme post-ménopausique à haut risque fracturaire à partir de critères densitométriques (encadré 9.3) [11]. La mesure quantitative de la DMO est donc actuellement l’approche diagnostique la plus précise de l’ostéoporose et la seule qui soit facilement réalisable en pratique clinique.
Encadré 9.3
Classification OMS de l’ostéoporose fondée sur la densitométrie osseuse
• Normale : densité osseuse inférieure de moins de 1 écart type à celle de l’adulte jeune (T-score > − 1).
• Ostéopénie : densité osseuse comprise entre − 1 et − 2,5 écarts types par rapport à l’adulte jeune (− 2,5 ≤ T-score ≤ − 1).
• Ostéoporose : densité osseuse inférieure à − 2,5 écarts types par rapport à l’adulte jeune.
• Ostéoporose sévère : densité osseuse inférieure à − 2,5 écarts types par rapport à l’adulte jeune en présence d’une ou plusieurs fractures par fragilité.
Le T-score est établi en comparant la valeur obtenue à la moyenne de référence de l’adulte jeune pour le même sexe et la même ethnie. Le rachis et l’extrémité supérieure du fémur sont les sites habituellement mesurés. La mesure de l’avant-bras peut être utilisée lorsqu’une des deux mesures précédentes ne peut être mesurée ou interprétée, en cas d’hyperparathyroïdie ou d’obésité morbide empêchant l’utilisation de la technique. En France, la densitométrie osseuse est remboursée dans certaines indications depuis le 30 juin 2006 (encadré 9.4), sous réserve d’un contrôle de qualité de la machine.
Encadré 9.4
Indications remboursées de la densitométrie osseuse
Indications remboursées de la densitométrie dans la population générale quels que soient l’âge et le sexe
• En cas de signes d’ostéoporose : découverte d’une fracture vertébrale, antécédents de fracture périphérique sans traumatisme majeur (sont exclues les fractures du crâne, des orteils, des doigts, du rachis cervical).
• En cas de pathologie ou traitement potentiellement inducteur d’ostéoporose :