Chapitre 9 « Contenir » les contenus psychiques
En préambule, quelques notions doivent être précisées.
Transfert
Tout d’abord, celle concernant le transfert. Cette notion fondamentale dans le processus thérapeutique peut se concevoir dans la mesure où « un transfert initial » a eu lieu dans la relation à l’objet. Il faut donc qu’il y ait eu une première relation de « transfert » sous la forme d’une externalisation des éprouvés du sujet, accueillis par l’objet et retournés, échoïsés au sujet. Pour paraphraser D.W. Winnicott, nous pourrions dire que sans cela « là où il aurait pu se passer quelque chose d’utile, il ne s’est rien passé ». Nous pouvons imaginer la rencontre entre un objet-mère environnement suffisamment à l’écoute de ses éprouvés internes du fait de la préoccupation primaire qui la caractérise et de son empathie, et un sujet pas encore révélé à lui-même mais programmé, précâblé, qui s’attend à trouver un objet précurseur de l’écho de lui-même.
La poussée pulsionnelle fait craindre au bébé dans les premiers temps de la vie psychique une implosion qui ne saurait être contenue sans l’organisation d’un double narcissique. Sous l’effet du clivage, décrit par De M’Uzan comme nécessaire à sa survie, la psyché du bébé doit s’associer à l’objet perçu alors comme « le même » et simultanément comme « autre ». Ce mouvement primaire fonde le concept d’homosexualité primaire en double (R. Roussillon), concept adossé dans un premier temps à la sensorialité (sensualité, sensation, perception aux flux sensoriels, A. Bullinger).
Enjeux transféro-contre-transférentiels
Ces rappels théoriques fondamentaux vont nous aider à comprendre les enjeux transféro-contre-transférentiels dans la thérapie. Autrement dit, si tout est répétition, il s’agit alors d’essayer de préciser quelles sont les modalités de retour transférentiel dans la thérapie. Il s’agit des retours des modes de défenses que les états de « dépendance psychique » peuvent mettre à l’œuvre en incluant les phénomènes sensoriels, sensori-moteurs et mimo-gesto-posturaux.
Comme précisé par ailleurs, notre attention doit se porter en priorité sur les « contenants psychiques » et leurs défaillances. L’objectif étant de restaurer ces contenants pour favoriser les processus de symbolisation, favoriser la structuration d’un appareil psychique (appareil à penser les pensées), accompagner, soutenir in fine la réflexivité.
Dépendance psychique
Il nous apparaît paradoxal, qu’un sujet supposé avoir établi un lien de dépendance avec un objet primaire, puisse dès le début d’une thérapie poser avec clairvoyance le problème de sa dépendance à l’objet primaire via le transfert sur le cadre thérapeutique.
Nous pensons que ce qui est précisément recherché dans cette rencontre c’est une relation à « l’identique » – relation au double identique à soi – figurée par la relation patient-thérapeute. Le cadre thérapeutique proposé, loin de favoriser l’instauration de ce schéma de représentation dans lequel l’autre est un identique à soi, favorise l’instauration d’un lien différenciateur (règle fondamentale).
À l’appui de ce que nous pourrions décrire comme forme de dépendance, citons l’exemple d’un bébé observé par Selma Fraiberg, en deux temps, qui réagit violement à la frustration ressentie lorsqu’à trois-quatre mois sa mère joue à lui retirer le biberon de la bouche pendant la tétée. Quelques mois plus tard, le même bébé toujours en prise avec les comportements incohérents de l’objet maternant fait preuve d’un autre type de réaction, il rit lorsque sa mère poursuit ce qu’elle croit être un jeu, qui la fait rire. Le bébé réagit en riant lui aussi. On observe comment se joue ici le drame de l’adaptation et de la dépendance aux humeurs de l’objet et ceci laisse augurer de la force de cette inscription dans la psyché du bébé et de l’impossibilité de remettre en cause cette force adaptative.
Cet état adaptatif fait de l’état de dépendance un état que le sujet va chercher à reproduire et non à éviter. Ainsi donc, la question reste posée qui est celle de savoir ce que les sujets dépendants cherchent à éviter au cours de la rencontre thérapeutique. L’expérience relative à cette clinique nous conduit à envisager chez eux la crainte de la survenue de la différence. Le constat peut être celui d’une relation par trop différenciatrice pour un appareil psychique non préparé à intégrer les éléments différenciateurs, proposée par la démarche thérapeutique.
L’enjeu semble être celui du maintien d’une illusion du même, au sens de D.W. Winnicott, qui permet au patient d’éprouver progressivement le passage du double identique à soi à la problématique du double inaugurant le lien à l’objet autre sujet. Objet du même et du différent.
Rappelons que chez les anorexiques et les hyperactifs, cette problématique est centrale puisque ces personnalités sont généralement perçues par l’entourage comme personnalités à forte indépendance.
Comme le souligne R. Roussillon (2001), le vivant ne saurait être identique à lui-même, il y a une nécessaire hétéromorphie du vivant.
Le rôle du thérapeute consistera dans un premier temps à atténuer les effets différenciateurs du cadre thérapeutique en introduisant ce que nous avons appelé une supplémentation au cadre. Le rôle de ce supplément pouvant être compris comme introduction d’objets « précurseurs » à la transitionnalité au sens de R. Gaddini.
Il est essentiel de signifier au patient à quel niveau de régression il peut être entendu mais aussi à quel niveau il peut être vu et senti selon les cas. Comme nous l’avons déjà souligné, la régression vertigineuse sans point de fixation phallique, anal ou encore oral, nous conduit à observer des modalités régressives spécifiques du transfert. Elle nous permet de découvrir des états « d’inorganisations » du domaine sensoriel et sensori-moteur particulièrement intéressants pour la thérapeutique de ces patients.
Ces niveaux d’inorganisation de la sphère sensorielle ont pu passer inaperçus et être recouverts par des niveaux plus élaborés de la représentation. Mais ils peuvent être reconvoqués dans une relation transféro-contre-transférentielle précise, et le thérapeute doit être préparé à les accueillir et les conserver pour que le patient puisse les intégrer.
Pour l’anorexie, en groupe ou en individuel :
Pour les anorexiques plus spécifiquement, le postulat sur lequel le groupe travaille c’est que « l’anorexie mentale n’est pas un trouble alimentaire. Le trouble alimentaire c’est la conséquence mais pas la cause d’une souffrance qui vient de plus loin ».
Modalités sensorielles
Le thème central étant la « jonction », la coordination de différentes modalités sensorielles et la tendance délétère chez certains sujets à disjoindre ces fonctions. Il s’agit donc des fonctions corporelles en lien avec la psyché. Des fonctions hémisphériques droites et gauches et sensori-motrices entre elles. B. Golse (2009) a mis en évidence la nécessaire association des fonctions sensorielles, au minimum deux, pour qu’un sujet puisse entrer dans une communication interhumaine.
Bruner a apporté cette notion d’attention conjointe qui inscrit la mère et le bébé dans un même espace-temps pour observer et nommer un objet (le corollaire négatif étant l’attention disjointe). A. Bullinger quant à lui a pu mettre en évidence l’importance développementale de l’association des fonctions sensorielles.
La rythmicité et la prévisibilité des réponses de l’objet maternant rencontrent la capacité du bébé à établir un lien anticipateur qui lui fait envisager qu’il va trouver du même au-dehors. Ainsi se construit la sensation de continuité de soi qui préfigure le sentiment de continuité de soi.
Rappelons dans tous les cas que nous tentons d’élaborer une thérapeutique qui a pour objet la synthèse des fonctions clivées, comme le montre la figure 9.1 ci-après.
On peut postuler à l’origine un état d’excitation pulsionnelle dont le sujet doit s’exonérer par le biais d’une décharge motrice qu’il déplace à l’extérieur de son corps et de son psychisme. Cette externalisation doit rencontrer l’objet afin d’être ressaisie, traduite primairement puis réinterprétée.
Deux fonctions de l’objet sont décrites par R. Roussillon (la fonction d’objet thérapeute se superpose ici à la fonction d’objet mère-environnement) :

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