Approche médicojudiciaire
O. Laccourreye
C’est en mars 2007 que les décrets et arrêtés qui précisent le schéma organisationnel et les règles à respecter dans notre pays lors de la prise en charge des personnes malades atteintes d’un cancer ont été publiés au Journal officiel de la République française [1–3]. Ces textes précisent qu’en France, la pratique du soin en cancérologie est soumise à une autorisation délivrée par l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARS) de la région où le soin est délivré. Cette autorisation ne peut être accordée que si plusieurs critères sont respectés. Les principaux critères sont :
• l’annonce du diagnostic et de la proposition thérapeutique après concertation pluridisciplinaire ;
• la proposition d’un traitement conforme aux référentiels de prise en charge définis par l’INCa ;
• l’accès aux traitements innovants et aux essais cliniques ;
• la réalisation d’une activité minimale annuelle ;
• mais aussi la prise en charge du traitement des complications [1–3].
Il est ainsi maintenant clairement et explicitement écrit dans la loi que les équipes qui prennent en charge une personne malade atteinte d’une néoplasie (qu’elle soit ou non à point de départ cervico-facial) ont l’obligation d’assumer et de traiter les complications et les séquelles inhérentes à la prise en charge thérapeutique réalisée par leurs soins.
La loi du 4 mars 2002 [4] dénommée « droit des malades et qualité du système de santé » est le second texte que les médecins prenant en charge une personne malade atteinte d’un cancer doivent connaître. Ce texte établit que la personne malade participe à la décision médicale la concernant et que cette participation passe par l’obtention d’un « … consentement libre et éclairé… » qui découle d’une « … information loyale claire et adaptée… » [4]. Aux yeux du législateur, les termes « … loyale claire et adaptée… » sous-entendent que des informations ne peuvent être cachées à la personne malade (information loyale), que la personne malade doit parfaitement comprendre l’information qui lui est délivrée (information claire) et que cette information ne peut être délivrée sans discernement ni humanisme (information adaptée). La loi impose au praticien d’informer la personne malade non seulement sur « … les différents traitements possibles, leur utilité, leur urgence éventuelle… » mais aussi sur « … leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles… » [4]. Les termes « … risques graves normalement prévisibles… » doivent être entendus, comme l’a précisé le conseiller à la cour de cassation Sargos, comme : « des risques qui sont de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes, ou même esthétiques graves compte tenu de leurs répercussions psychologiques ou sociales. »
Ces éléments font que les praticiens qui prennent en charge une personne malade atteinte d’un cancer cervico-facial ont l’obligation légale de l’informer sur les complications (risques) inhérentes aux divers traitements (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie) qu’ils souhaitent utiliser pour lutter contre la néoplasie dont elle souffre. Il convient aussi de savoir que cette information est à « exécution successive ». La loi précise en effet que la personne malade doit être informée tout au long de son traitement, à chaque fois qu’une thérapeutique est entreprise et à chaque fois qu’une complication survient et que des mesures thérapeutiques sont mises en œuvre pour la résoudre. Par ailleurs l’enfant ne peut être exclu de l’information si son âge le permet car l’article L.1111-2 du code de la santé publique précise : « … les intéressés ont le droit de recevoir l’information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée à leur maturité… ». Enfin, en cas de recherche biomédicale associée aux soins mis en œuvre, l’article L.1122-1 du code de la santé publique impose aussi une très large information de la personne malade portant notamment sur la finalité de la recherche, les bénéfices, les contraintes et tous les risques prévisibles.
Plusieurs articles publiés dans la littérature médicale scientifique indexée illustrent l’importance que l’information médicale au décours du soin et en particulier l’information sur les complications (risques) encourues a prise aux yeux des personnes malades et des magistrats dans les pays occidentaux. Ainsi deux études anglo-saxonnes ont souligné que l’information sur les risques thérapeutiques est le premier des points que les malades souhaitent voir abordé par le chirurgien lors d’une consultation préopératoire [5, 6]. Et une étude menée en Allemagne en 1999 notait une augmentation des mises en causes en rapport avec la chirurgie de la glande thyroïde avec un défaut d’information identifié dans 11 % des cas [7]. De même plusieurs travaux médico-légaux publiés au décours des années 2000–2010 ont souligné que le défaut d’information sur les risques encourus en cas d’acte médical invasif à visée diagnostique ou thérapeutique en cancérologie cervico-faciale est devenu, avec les séquelles et le retard diagnostique, une des trois principales raisons de la mise en cause d’un soignant aux États-Unis [8–13].
En France, deux grandes décisions de justice ont fait évoluer la jurisprudence et ont modifié en profondeur l’approche de la preuve de l’information en cas de conflit soigné-soignant. La première décision est celle prise par la cour de cassation dans l’arrêt du 25 février 1997. Depuis cet arrêt, qui a inversé la charge de la preuve en matière d’information médicale, il appartient au médecin de démontrer qu’il a bien mis à la disposition de la personne malade toutes les données nécessaires à se forger une opinion informée. La seconde décision est celle survenue le 3 juin 2010, quand la cour de cassation dans l’arrêt n° 09-13.591 a précisé que : « … les principes de la dignité de la personne (article 16 du code civil) et de respect de l’intégrité du corps humain (article 16–3 du code civil) imposent d’informer le patient avant tout acte d’investigation, de traitement ou de prévention sur les risques liés à cet acte et de recueillir son consentement, sauf en cas de nécessité thérapeutique conjuguée à l’impossibilité de recueillir ce consentement… ». Avec cet arrêt, le non-respect du devoir d’information est maintenant devenu, en France, une faute légale qui génère par elle-même un préjudice moral spécifique indemnisable et ce, même s’il apparaît que la réalisation de l’information aurait conduit la personne malade à ne pas opter pour une autre option thérapeutique.
Plusieurs erreurs pouvant avoir un important impact médicojudiciaire doivent être évitées lors de l’information d’une personne malade atteinte d’un cancer cervico-facial :
• la première est de laisser la charge de l’information à un autre collègue ou soignant (infirmière), voire à la structure de soin (administratif) [14] ;
• la dernière erreur à éviter est de ne pas anticiper le défaut de mémorisation par la personne malade de l’information qui lui a été délivrée. Ce défaut de mémorisation, souligné dans toutes les études publiées sur le sujet, touche toutes les complications thérapeutiques et est d’autant plus fréquent que la complication est grave ou rare [15, 16]. La bonne tenue du dossier médical est la réponse à ce défaut de mémorisation car la mention en divers endroits (observation clinique, lettre au médecin traitant, compte rendu opératoire) est un élément clé qui permet de rappeler à la personne malade ce qui a été dit et décidé si une complication vient à survenir tout en fournissant à l’expert judiciaire, si une mise en cause du soignant survient, des éléments qui permettent d’évaluer de façon objective la réalité de la prise en charge réalisée. Rappelons, là encore, que la loi a évolué et impose maintenant non seulement que le dossier médical comprenne l’observation clinique, les comptes rendus des examens complémentaires (radiologiques, anatomopathologiques, etc.), le compte rendu de réunion de concertation pluridisciplinaire, le compte rendu opératoire, le compte rendu d’hospitalisation et les lettres au médecin traitant mais aussi qu’en cas de complication, une note écrite retraçant l’évolution soit inscrite tous le 2–3 jours dans l’observation médicale [1, 2].

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