Chapitre 8 Traumatisme de l’enfant
Les traumatismes du rachis de l’enfant sont rares et ne représentent que 1 à 10 % [1, 2] de tous les traumatismes spinaux adultes et enfants confondus et seulement 2 à 3 % des fractures pédiatriques [3]. Le taux de mortalité de ces lésions est cependant beaucoup plus élevé que chez l’adulte surtout en raison de la plus grande fréquence de lésions cérébrales associées [2].
Le risque immédiat de ces traumatismes est bien évidemment la lésion neurologique, immédiate ou secondaire, qui survient dans 25 à 50 % des cas [4], et qui est grave dans 1 % des cas [2]. À long terme, il existe un risque de déformation rachidienne secondaire en cas d’atteinte du listel, surtout pendant la période pubertaire.
Épidémiologie
Étiologie des traumatismes
Les accidents de voiture représentent la cause la plus fréquente de traumatismes, quels que soient le segment rachidien concerné ou l’âge de l’enfant (36–54 %) [2]. Avant 8 ans, les autres causes sont dominées par les chutes et les traumatismes minimes, avec plus rarement des traumatismes obstétricaux et des sévices. Après 8 ans, le sport est le plus grand pourvoyeur de traumatismes, et les garçons sont les plus touchés.
Mécanismes, lésions et stabilité
Ces mécanismes lésionnels et l’énergie qui leur est associée sont étroitement liés aux circonstances du traumatisme. Les lésions en compression surviennent principalement après une chute d’une hauteur et les accidents de sport, surtout de natation. Les lésions les plus sévères, comme les burst fractures, les compressions latérales, la rotation, la flexion et la distraction, nécessitent des traumatismes de haute énergie comme les accidents de la voie publique [5].
Le pronostic et le traitement des lésions traumatiques dépendent de leur stabilité ou potentiel de déplacement. Au niveau du rachis cervical supérieur, la stabilité est assurée par les structures ligamentaires. La laxité physiologique de l’enfant explique la fréquence des lésions ligamentaires cervicales supérieures avant 8 ans et en particulier du Sciwora (spinal cord injury without obvious radiological abnormality) et de la subluxation rotatoire C1–C2. Au niveau du rachis cervical inférieur et du rachis thoracolombaire, la théorie des trois colonnes de Louis s’applique comme chez l’adulte et permet de déterminer la stabilité des lésions par l’analyse de la colonne moyenne. Les lésions élémentaires sont comme chez l’adulte de type luxation, fracture et fracture–luxation, avec avant 8 ans surtout des lésions ligamentaires et après 8 ans surtout des fractures comme chez l’adulte [4]. On pourra aussi observer spécifiquement chez l’enfant des traumatismes au niveau de structures transitoires comme les apophyses non fusionnées (listels, noyaux d’ossification secondaires) et les synchondroses, qui sont des zones de faiblesse.
Bilan d’imagerie
La réalisation du bilan d’imagerie ne se conçoit qu’après un contrôle des fonctions vitales et une immobilisation rachidienne afin d’éviter des lésions neurologiques secondaires (25 % des lésions médullaires surviennent durant la prise en charge) [6, 7]. Le type d’examens et l’ordre dans lequel ils doivent être réalisés dépendront de l’état de conscience, de la présence ou non de signes neurologiques, de la présence d’autres lésions, de l’âge et de la capacité de verbalisation de l’enfant, et du degré de suspicion lésionnelle sur la clinique et les radiographies initiales. Les lésions associées extrarachidiennes sont fréquentes, rencontrées dans 42 % des cas, et le pronostic vital peut être engagé par des lésions cérébrales, observées dans 37 % des cas [8], et viscérales. Inversement devant un polytraumatisé comateux, il ne faudra pas sous-estimer la présence de lésions rachidiennes, qui peuvent en raison de leur instabilité entraîner des lésions neurologiques secondaires.
Radiographies conventionnelles
Elles sont souvent réalisées en première intention chez un patient conscient non polytraumatisé et permettent le dépistage rapide de signes directs et indirects de traumatisme. Il faut obtenir des radiographies de l’ensemble du rachis afin de dépister les lésions multifocales, contiguës et non contiguës, rencontrées dans 35 % des cas, surtout après 8 ans [9]. Les radiographies dynamiques permettent de rechercher, après des radiographies initialement normales, une instabilité souvent masquée par la contracture musculaire initiale. Elles se font le plus souvent à distance du traumatisme, de manière active par un enfant sous la surveillance étroite d’un médecin.
Scanner
C’est l’examen de référence, mais qui peut être jusqu’à 200 fois plus irradiant que les radiographies. Grâce à l’acquisition volumique spiralée, il permet de réaliser des reconstructions multiplanaires en 2D et en 3D d’excellente qualité. Le scanner est réalisé pour préciser une lésion retrouvée sur radiographies, en cas de radiographies douteuses ou de mécanisme de haute énergie. De plus en plus, le rachis fait partie du bilan d’imagerie initial du polytraumatisé au scanner (body scan), surtout si le patient est comateux, avec exploration successive du crâne et du rachis cervical et, reconstructions du rachis thoracolombo-sacré à partir du scanner thoraco-abdominopelvien. Si le scanner permet de détecter la totalité des fractures osseuses et des déplacements associés, les lésions cartilagineuses et ligamentaires sont par contre difficiles à évaluer [10].
Aspects normaux du rachis en croissance
Anatomie développementale
Le rachis passe par une étape de chondrification à la 5e semaine de vie intra-utérine avec un rachis entièrement cartilagineux, puis d’ossification avec apparition de points d’ossification primaire et secondaire au sein des différentes vertèbres du 4e mois de vie intra-utérine jusqu’à l’adolescence (fig. 8.1a à c). L’ossification complète du rachis se termine au milieu de la 3e décade avec soudure des listels marginaux (fig. 8.1d et e).
Fig. 8.1 Croissance et maturation du rachis.
a. Noyau d’ossification primaire.
b. Synchondroses neurocentrales entre corps vertébral et arc neural.
d. Noyau d’ossification secondaire.
Atlas
C1 se forme à partir de trois centres d’ossification primaire, un pour l’arc antérieur et un pour chaque hémi-arc postérieur. L’arc postérieur s’ossifie dès la 7e semaine de vie intra-utérine. L’arc antérieur est ossifié dans 20 % des cas à la naissance, ou ne s’ossifie qu’à l’âge de 1 an. Les arcs antérieur et postérieur sont séparés par des zones cartilagineuses, les synchondroses, qui permettent la croissance de la vertèbre et l’élargissement du canal rachidien. La synchondrose postérieure, située entre les deux hémi-arcs postérieurs, fusionne à 7 ans, tandis que les synchondroses neurocentrales, situées entre l’arc antérieur et chaque hémi-arc postérieur, fusionnent à l’âge de 3 ans.
Axis
La synchondrose sous-dentale, entre le corps et la dent de l’axis, bien vue sur le cliché de profil et située sous le niveau des facettes articulaires supérieures, apparaît large chez l’enfant et fusionne de 3 à 6 ans (fig. 8.2). Les synchondroses neurocentrales entre le corps et l’arc postérieur et la dent et l’arc postérieur fusionnent de 3 à 6 ans, et la synchondrose postérieure de 2 à 3 ans. L’ossicule terminal est un noyau d’ossification secondaire situé à l’extrémité supérieure de la dent de l’axis qui commence à s’ossifier à 6–8 ans et fusionne avec la dent à 12 ans. L’axis présente un autre noyau d’ossification secondaire au niveau de la partie inférieure de son corps, le listel inférieur, qui s’ossifie à la puberté et se soude à 25 ans.
Autres vertèbres
Chaque vertèbre possède trois centres d’ossification primaire, un pour le corps et un pour chaque hémi-arc postérieur. La synchondrose postérieure fusionne à 3 ans (voir fig. 8.1b) et les synchondroses neurocentrales à 6 ans (voir fig. 8.1c). Des noyaux d’ossification secondaire (voir fig. 8.1d) apparaissent au niveau des apophyses transverses (fusion à 6 ans), des apophyses épineuses et des plateaux vertébraux supérieurs et inférieurs (fusion à 25 ans). Les plateaux vertébraux contiennent un cartilage physaire situé au contact du corps vertébral osseux, qui permet la croissance en largeur des corps vertébraux, et des anneaux cartilagineux périphériques ou listel marginal qui siègent entre le disque et la physe, permettant la croissance en hauteur de la vertèbre (fig. 8.3). Ces listels marginaux sont des équivalents d’épiphyses, et vont progressivement s’ossifier de la périphérie vers le centre de 8 à 12 ans pour fusionner avec le corps vertébral sous-jacent de 14–15 ans à 21–25 ans. Le développement des processus semi-lunaires des vertèbres cervicales débute après l’âge de 10 ans.
Variantes de la normale–images pièges spécifiques à l’enfant
Axis
La différence de croissance entre l’atlas de type neural et l’axis de type somatique se manifeste par une image de pseudo-fracture de Jefferson (voir fig. 8.2a) sur le cliché de face bouche ouverte jusqu’à 4–7 ans, mais surtout avant 2 ans [11]. Le débord latéral des masses latérales de C1 n’est que relatif. En fait, il s’agit plutôt d’un pseudo-retrait des masses latérales de C2 lié à un retard d’ossification de son versant externe contenant la partie horizontale du siphon de l’artère vertébrale [12, 13]. La synchondrose sous-dentale et le défaut de fusion de l’ossicule terminal, observé chez 9 % des moins de 16 ans, peuvent simuler de profil des fractures de l’odontoïde type I ou III. Le défaut de fusion de la synchondrose neurocentrale débouche sur une spondylolyse congénitale de C2, pathologie rare le plus souvent associée à une picnodysostose, qui peut mimer une fracture de Hangmann. Elle s’en différencie par ses bords corticalisés, sclérosés. L’élargissement de l’espace interépineux C1–C2 est dû à une hypermobilité en flexion. Une légère angulation postérieure de la dent est présente chez 4 % des enfants. Elle est physiologique et contribue au mouvement d’extension. Elle s’oppose à l’angulation antérieure qui est toujours un signe de fracture.
Il existe une pseudo-luxation en C2–C3, moins fréquemment en C3–C4 et C4–C5, avec un antélisthésis d’environ 3 à 5 mm par hypermobilité en flexion et qui se réduit en extension (voir fig. 1.14). Cette subluxation est présente chez 40 % des enfants de moins de 8 ans [14] et 24 % des moins de 16 ans [2]. La ligne de Swischuk permet de la différencier de la fracture de Hangmann et d’une luxation antérieure C1–C2; le bord antérieur de l’apophyse épineuse de C2 devant se situer au niveau ou à moins de 2 mm en arrière de la ligne spinolamaire passant par C1 et C3. Cette pseudo-luxation C2–C3 est à l’origine d’une flexion cervicale non uniforme. Une angulation postérieure C2–C3 est parfois observée. Elle est différenciée d’une luxation par la ligne du mur postérieur de C2, qui doit normalement seulement toucher le coin postérosupérieur de C3 sans traverser le corps vertébral.
Rachis cervical moyen et inférieur
La contracture musculaire parfois associée à un traumatisme rachidien peut être à l’origine d’une rectitude ou d’une cyphose cervicale. Ce signe est peu fiable chez l’enfant où l’absence de lordose cervicale est notée dans 14 % des cas [2] avec parfois une cyphose de 10 à 13° après 6 ans [15]. L’épaississement des tissus mous prévertébraux peut traduire la présence d’un hématome prévertébral post-traumatique. Chez l’enfant, les tissus mous prévertébraux mesurent normalement moins de 7 mm en C2 et moins de 14 mm en C6, soit la moitié d’un corps vertébral de C1 à C4 et la moitié d’un corps vertébral de C4 à C7. L’épaisseur des tissus mous peut cependant augmenter avec les cris et en flexion, et il faut davantage se fier à un bombement localisé [16] ou, en cas de doute, refaire des clichés en extension et en inspiration.
Les vertèbres cervicales sont ovoïdes, parfois triangulaires surtout en C3, jusqu’à l’âge de 12 ans, et il faudra les différencier des tassements (voir fig. 1.14). La persistance de synchondroses non fusionnées est possible, surtout au niveau de la synchondrose postérieure (spina bifida occulta), et n’a pas de caractère pathologique (voir fig. 1.15).
Biomécanique–anatomie fonctionnelle
Chez l’enfant, la résistance mécanique du rachis et donc le type de lésions observé après un traumatisme sont âge-dépendants. Le rachis de l’enfant est constitué davantage de cartilage et d’eau comparativement à l’adulte [17] surtout avant 8 ans, ce qui explique certaines particularités biomécaniques.
Les zones cartilagineuses sont des zones de faiblesse, où des fractures ou des décollements pourront survenir. Les fractures peuvent passer au travers des synchondroses et des plateaux cartilagineux [18, 19]. Comme dans les fractures épiphysométaphysaires, les structures ligamentaires sont plus résistantes que leurs attaches osseuses et les listels, davantage solidaires du disque et des ligaments que du corps vertébral, seront facilement arrachés lors des traumatismes (fig. 8.4). Il n’y a ainsi pas de hernie discale chez l’enfant, mais plutôt un arrachement du listel postérieur favorisé par l’insertion des fibres périphériques de l’annulus fibrosus (fibres de Sharpey) sur le listel.
Le disque est plus résistant que le corps vertébral en raison de son contenu plus important en eau et absorbe ainsi mieux les chocs. Suite à une compression vertébrale, le plateau vertébral cède en premier et donne une hernie de Schmorl plutôt qu’une hernie dans le canal comme l’adulte [19]. À un degré de plus, la force de compression est transmise dans l’annulus, provoquant une fracture comminutive et le disque élastique transmet en vague les forces de compression aux autres vertèbres. C’est ainsi que les lésions multiples sont plus fréquentes chez l’enfant que l’adulte.
Traumatismes du rachis cervical
Épidémiologie
Les traumatismes rachidiens pédiatriques sont les plus courants (37 à 80 %) [15]. Pour autant la fréquence des lésions traumatiques cervicales reste faible, entre 1 et 2,7 % [14, 20–24], avec deux pics d’incidence, un premier de 2 à 4 ans, un second entre 12 à 15 ans. Ils sont associés jusque dans 60 % des cas à d’autres lésions, notamment cérébrales dans 40 % des cas qui sont la principale cause de mortalité. Un quart des traumatisés du rachis cervical sont des polytraumatisés. Ils sont potentiellement graves et sources de déficits neurologiques dans 4 à 60 % des cas, surtout avant 8 ans. Les lésions médullaires cervicales sont retrouvées dans 35 % des traumatismes rachidiens cervicaux. L’atteinte était complète une fois sur quatre, les radiographies étaient normales (Sciwora) une fois sur deux.
Étiologie
En cas de maltraitance, les lésions rachidiennes surviennent dans 3 % des cas, et sont plus rares en cervical qu’à l’étage thoracolombaire [26, 27]. Les lésions de secousses provoquent des fractures ou luxations cervicales et cervicothoraciques par un mécanisme d’hyperextension–hyperflexion.
Particularités
Avant 8 ans, la position haute du pivot de flexion [6] explique la plus grande fréquence de lésions cervicales hautes de C0 à C2. Ces lésions, qui représentent 72 % des lésions traumatiques rachidiennes dans cette tranche d’âge, sont surtout des lésions ligamentaires, sont plus graves et plus létales, et s’associent fréquemment à des lésions médullaires [14]. Certaines lésions observées sont spécifiquement pédiatriques comme la subluxation rotatoire C1–C2 et la fracture C1–C2 au travers de la synchondrose.
Après 8 ans, les lésions du rachis cervical inférieur prédominent et sont identiques à celles de l’adulte, avec plutôt des fractures [4, 28]. Elles sont classifiées et traitées de la même manière, et sont surtout des fractures–compressions et des lésions en hyperflexion.
Chez l’enfant de moins de 3 ans, une étude récente de Polk-Williams retrouve toutefois une fréquence partagée entre les fractures et les lésions médullaires cervicales hautes et basses, les fractures de C2 étant les plus fréquentes avec 26,5 % des cas [29] et les fractures de C6 et C7 représentant respectivement 16,5 et 18, 5 % des lésions rachidiennes.
Indication de l’imagerie
Les critères NEXUS ont été appliqués chez l’enfant avec une valeur prédictive négative et une sensibilité de 100 % pour exclure une lésion rachidienne [14]. Egloff propose de les utiliser chez l’enfant mais prudemment avant 9 ans et surtout 2 ans [15]. Viccelio propose de rajouter la communication verbale à ces cinq critères [24]. En général, les meilleurs indicateurs semblent être la cervicalgie, les signes neurologiques et un mécanisme à haut risque.
En pratique, on peut diviser les patients en trois groupes :
• un groupe à bas risque (critères NEXUS) sans radiographies ;
• un groupe à risque moyen (patient conscient mais pas tous les autres critères NEXUS) avec radiographies complétées par un scanner avant 10 ans si les radiographies sont douteuses ou s’il existe une forte suspicion de lésion ;
• un groupe à haut risque (patient inconscient, obnubilé, polytraumatisé, traumatisme violent, examen neurologique anormal) avec TDM cérébral et cervical et plus ou moins IRM.