Chapitre 8. Sémiologie respiratoire de l’adulte et de l’enfant
Dominique Vanpee and Eddy Bodart
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Si le traitement par kinésithérapie fait le plus souvent suite à une prescription médicale, la prise en charge d’un patient atteint de maladie respiratoire ne consiste pas seulement à appliquer des techniques. Il est important pour le kinésithérapeute de connaître les principaux signes cliniques des pathologies respiratoires les plus fréquentes afin notamment de vérifier l’absence de complications et l’évolution de son patient durant le traitement.
Dans le cadre des objectifs de ce livre, nous ne parlerons ici que des problèmes en relation avec des situations fréquentes que peuvent rencontrer des kinésithérapeutes dans leur profession. La description du recueil de l’évaluation clinique ne sera donc pas exhaustive dans ce cadre.
L’évaluation clinique d’un patient est divisée schématiquement en deux phases : le recueil d’information, interrogatoire ou anamnèse, et la recherche de signes cliniques objectifs par l’examen physique.
Interrogatoire ou anamnèse
Introduction
L’anamnèse est une première approche du patient. Elle représente l’ensemble des renseignements obtenus auprès du malade et parfois de son entourage (important en pédiatrie et gériatrie). En établissant le contact avec le patient, il est primordial de réunir les conditions pour le mettre en confiance.
Dans notre cadre, elle sera structurée en trois phases : le dossier administratif, les antécédents du patient et son problème actuel.
On commence souvent l’anamnèse par le recueil de l’affection actuelle ; le patient expose les raisons pour lesquelles il a besoin de vos services (un essoufflement, un encombrement, une douleur…).
Les antécédents du patient sont importants à recueillir.
On tiendra compte de ses antécédents médicaux respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO], asthme, mucoviscidose, bronchectasies….) et non respiratoires (cardiopathie ischémique, diabète, hypertension artérielle…), de ses antécédents chirurgicaux (pneumonectomie, lobectomie, exérèse de bulles d’emphysème…) et de son traitement habituel (prise de corticoïdes, de théophylline, d’aérosol bronchodilatateur…).
La partie administrative doit comprendre au minimum l’âge du patient, son état civil, sa profession et son lieu d’habitation.
Les principaux symptômes respiratoires
Face à un patient avec un problème respiratoire, une première distinction doit être faite entre une maladie aiguë ou subaiguë (comme une pneumonie ou une embolie pulmonaire), entre une maladie chronique (exemple du syndrome restrictif sur cyphoscoliose ou de la BPCO à l’état stable) et une exacerbation d’une maladie chronique (exemple de la surinfection de BPCO).
Les cinq principaux symptômes des maladies respiratoires sont : la dyspnée (essoufflement, impression d’être à court d’haleine, de manquer d’air), la douleur thoracique, la toux, les expectorations et l’hémoptysie. En plus de ces symptômes cardinaux, d’autres signes systémiques doivent être recherchés en fonction du contexte (fièvre, amaigrissement).
La dyspnée
L’anamnèse ou interrogatoire est une étape essentielle qui permet d’évoquer très souvent la cause d’une dyspnée aiguë. Il est important de préciser les circonstances de survenue (installation brutale ou progressive) et le type de dyspnée (orthopnée, dyspnée d’effort ou de repos…).
De manière arbitraire, la dyspnée est définie comme aiguë si la symptomatologie dure depuis moins de 15j.
La dyspnée survient soit chez des sujets sans antécédent connu et le problème diagnostique est en premier plan, soit chez des patients avec des antécédents cardiovasculaires déjà connus (BPCO, asthme, décompensation cardiaque…) et chez qui il faudra analyser les facteurs de décompensation. Les mécanismes de la dyspnée sont complexes et non évoqués ici.
Une dyspnée suggérant une certaine variabilité est suggestive d’une pathologie obstructive variable dans le temps comme la maladie asthmatique. Une dyspnée aiguë et brutale évoque a priori un œdème aigu du poumon, un pneumothorax, une embolie pulmonaire ou un asthme.
Les principales causes de dyspnée sont rapportées au tableau 8.1.
1. Causes pulmonaires Obstruction des voies aériennes supérieures (dyspnée inspiratoire) : – œdème, infections (dont la laryngite aiguë sous-glottique chez l’enfant), corps étranger Obstruction bronchique : – asthme – BPCO Maladies parenchymateuses/interstitielles : – pneumonie – fibrose pulmonaire – pneumoconiose Pathologies pleurales : – pneumothorax – pleurésie – fibrothorax Pathologies neuromusculaires : – myopathies – anomalies pariétales (cyphoscoliose) |
2. Causes cardiovasculaires Insuffisance ventriculaire gauche Valvulopathies Troubles du rythme Pathologies péricardiques Embolie pulmonaire |
3. Causes métaboliques Anémie Acidose métabolique |
4. Causes psychogènes Syndrome d’hyperventilation |
La dyspnée peut être inspiratoire ou expiratoire. Nous dirons ici seulement quelques mots sur la dyspnée inspiratoire.
En cas de dyspnée inspiratoire, le patient présente très fréquemment des signes de tirage et de stridor (sifflement laryngotrachéal de type cornage). L’inspiration est prolongée, lente et pénible et l’expiration courte. Ce type de dyspnée est secondaire à un problème au niveau du larynx (néoplasie, œdème, spasme des cordes vocales…) ou de la trachée (goitre).
En cas de dyspnée expiratoire, nous avons un allongement du temps expiratoire avec expiration lente et difficile et mise en jeu des muscles respiratoires accessoires comme fréquemment rencontrés dans l’asthme ou la BPCO.
Il est important aussi de distinguer la dyspnée (sensation subjective du patient) de la détresse respiratoire aiguë. Dans ce dernier cas, la tolérance à la dyspnée est médiocre et s’accompagne de défaillance respiratoire, hémodynamique et parfois neurologique. Les signes présents en cas de détresse respiratoire sont rapportés dans le tableau 8.2. En cas de détresse respiratoire, on devra pratiquer dans un même temps une prise en charge diagnostique et thérapeutique.
Difficulté à parler (incapacité à faire des phrases complètes) |
Cyanose |
Tirage (dépression thoracique sus– ou sous-sternale lors de l’inspiration forcée) |
Battement des ailes du nez (chez l’enfant) |
Tirage intercostal (dépression au niveau des espaces intercostaux) |
Mise en jeu de muscles respiratoires accessoires |
Respiration thoracoabdominale |
Brady– ou tachypnée |
Brady– ou tachycardie |
Respiration superficielle |
Troubles de la conscience (agitation/coma) |
Il est souvent utile d’évaluer la sévérité d’une dyspnée et ses répercussions sur la vie de tous les jours (tableau 8.3).
Grade I : pour des efforts importants |
Grade II : pour des efforts modérés |
Grade III : pour des efforts légers |
Grade IV : au moindre effort ou au repos |
La douleur thoracique
Pour certains patients, la distinction entre douleur et dyspnée n’est pas toujours facile. Classiquement, on distingue les douleurs thoraciques de type central (rétrosternale) ou latéral (latérothoracique). Les douleurs rétrosternales doivent faire avant tout penser à un problème au niveau cardiaque (surtout si la douleur est de type constrictif et qu’elle irradie dans la mâchoire inférieure et/ou les membres supérieurs). Il est important de préciser si la douleur augmente à l’inspiration ou à la toux (douleur respirodépendante). Les douleurs latérothoraciques respirodépendantes, dites aussi douleurs pleurétiques, sont dues aux frottements des deux surfaces pleurales l’une sur l’autre. Cette douleur peut être le fait d’une irritation pleurale secondaire à une pneumonie, à un infarctus pulmonaire secondaire à une embolie pulmonaire périphérique, à une pleurésie virale. À signaler aussi que le pneumothorax donne fréquemment une douleur latérothoracique aiguë qui disparaît rapidement pour laisser apparaître, dans un second temps, une dyspnée.
La dyspnée et la douleur thoracique sont souvent associées chez un même patient ; par exemple, les diagnostics les plus importants à évoquer en cas de dyspnée, dans le décours ou accompagnée d’une douleur thoracique respirodépendante, sont : le pneumothorax, l’embolie pulmonaire, la péricardite, la pleurésie (isolée ou associée à une pneumonie).
La toux
Il s’agit d’un symptôme très fréquent témoignant d’une irritation de la muqueuse du tractus respiratoire (du pharynx jusqu’aux bronchioles terminales). La stimulation des récepteurs de la muqueuse peut être d’origine infectieuse, inflammatoire, tumorale ou liée à la présence d’un corps étranger. En pratique clinique, on distingue classiquement la toux sèche de la toux productive. La toux en rapport avec une trachéite est classiquement sèche et douloureuse, celle provenant des voies aériennes inférieures est souvent associée à une expectoration (toux dite productive) comme en cas de bronchite, de pneumonie ou de bronchectasies. La toux secondaire à une rhinorrhée postérieure (rhinite et sinusite) est associée à une sensation de « nez bouché » et à des reniflements. La toux est un facteur protecteur contre l’encombrement bronchique et doit, à ce titre, être respectée autant que possible.
Les expectorations
Face à un patient se plaignant de présenter des expectorations, il est important de préciser au minimum leur abondance et leur aspect. L’abondance des expectorations est cependant parfois difficile à évaluer. L’adulte moins souvent que l’enfant avale ses expectorations. Les patients qui disent expectorer quotidiennement la quantité d’une « tasse à café » souffrent possiblement de bronchectasies, parfois d’un abcès pulmonaire, et de manière tout à fait exceptionnelle d’un carcinome bronchioloalvéolaire. En cas de bronchite ou de pneumonie, le patient se plaint généralement de la présence de quelques crachats par jour. Il est indispensable de regarder l’échantillon d’expectorations. Les crachats peuvent être « tout rouges » ou teintés de filets de sang : on parle alors d’hémoptysie. Dans les autres cas, ils sont généralement classés en quatre catégories : séreux, muqueux, mucopurulents ou purulents. Chez un fumeur, la notion de fréquence des expectorations est utile pour le diagnostic de bronchite chronique (expectoration quotidienne, 3 mois consécutifs pendant 2 années de suite). L’expectoration mousseuse et rosée est notée dans l’œdème pulmonaire cardiogénique.
L’hémoptysie
Elle se définit comme le rejet de sang par la bouche au cours d’un effort de toux. Sur le terrain, la réalité de l’hémoptysie est parfois difficile à confirmer. S’agit-il de sang provenant réellement des voies aériennes sousglottiques (hémoptysie) ou s’agit-il de sang provenant de l’estomac (hématémèse), ou encore de sang ayant une origine oto-rhino-laryngologique (épistaxis postérieur ou saignement pharyngolaryngé) ? L’abondance de l’hémoptysie est importante à préciser. S’agit-il de simples crachats teintés de sang, d’une hémoptysie modérée ou massive ? La réponse à ces questions oriente bien évidemment la rapidité de la prise en charge thérapeutique. Les principales étiologies des hémoptysies sont rapportées dans le tableau 8.4.
Carcinome bronchique |
Embolie pulmonaire avec infarctus |
Tuberculose |
Infection pulmonaire |
Surinfection de bronchectasies |
Décompensation cardiaque gauche aiguë |
Trouble de la coagulation (maladie ou traitement anticoagulant) |