8: Psychopathologie psychanalytique de la parentalité en période périnatale: approche clinique d’une pédopsychiatre en maternité

Chapitre 8 Psychopathologie psychanalytique de la parentalité en période périnatale


approche clinique d’une pédopsychiatre en maternité





Éloge de la singularité et de la complexité


Le temps chronologique des 9 mois de grossesse offre une opportunité extraordinaire de rencontrer une large population de femmes, entre environ 13 et 45 ans, dans toutes les configurations environnementales, sociales, culturelles, ethniques, mais aussi affectives, psychiques et psychopathologiques. La rencontre avec des femmes enceintes au cours de leur parcours obstétrical, dans un moment de remaniement psychique intense, révèle la richesse et la complexité de cette clinique de l’humain. Chaque rencontre y est singulière. Pour le clinicien du périnatal, c’est une chance d’avoir accès à ce moment fondateur qui explore les premiers temps de la construction du lien humain. C’est aussi une chance pour une femme, un couple, un bébé en devenir d’être accompagnés par la présence de professionnels attentifs, empathiques et bienveillants, lors de ce parcours à fort potentiel de transformations et de changements. Entrer dans ce processus de la maternité est à la fois une prise de risque et une formidable opportunité de transformation et de maturation individuelle.




La clinique périnatale : une clinique du lien à l’autre


Le bébé humain (et bien sûr le fœtus) naît immature et entièrement dépendant de son environnement. Il ne peut se construire psychiquement, se différencier et se séparer sans être d’abord « habité », pensé par un autre, support de ses identifications primaires. Chacun d’entre nous porte en lui la trace de ces premiers liens intersubjectifs fondateurs entre l’enfant et les parents et la trace des modalités de réponses de l’objet (« autre sujet » dit Roussillon, 2007).


C’est une clinique de l’interaction, à liens pluriels, tant avec les présents qu’avec les absents – mère, père, frères et sœurs, grands-parents, ancêtres –, qui organisent le berceau psychique, issu de deux lignées familiales, du bébé à venir ou déjà né.


C’est une clinique qui confronte chacun, patient et professionnel, à la conflictualité de la vie et de la mort, d’Éros et de Thanatos, de l’amour et de la haine, de l’étrange, de l’inconnu, de l’imprévisible, de la surprise, de la force et de la fragilité de l’être, dans toute sa puissance et son impuissance, au mieux dans un mouvement d’ambivalence suffisamment tempérée.


Le champ psychopathologique va être l’expression de l’ensemble des troubles dont certains sont adaptatifs, d’autres pathologiques. Ils peuvent émerger tout au long de ce processus, tant chez la mère, chez le père, que chez l’enfant, dès le temps prénatal, premier chapitre pour le bébé du dedans, puis dans le post-partum dans la rencontre avec le bébé du dehors. Certains troubles ne se déploient que dans ce processus de la naissance et dans la rencontre intersubjective avec le bébé. La dépression maternelle anté- ou postnatale en est le paradigme. C’est pourquoi certaines patientes, sans aucun antécédent psychiatrique, peuvent se sentir troublées de manière plus ou moins intense dans ce processus qui réactive le bébé que la femme a elle-même été et/ ou qu’elle se représente avoir été (comment pense- t-elle avoir été désirée, enveloppée, portée…) et qui réactive aussi la trace des liens d’attachement à ses figures parentales et la représentation de ces liens qui l’ont fondée dans un couple parental et une histoire familiale inter- et transgénérationnelle.


La psychopathologie périnatale est abordée ici à travers le regard clinique d’un pédopsychiatre de liaison en maternité. La psychopathologie maternelle est donc au premier plan dans une temporalité qui va du suivi de la grossesse aux premières semaines du post-partum. Mais la clinique périnatale ne se réduit pas à la psychopathologie maternelle. Elle ouvre à une dimension nouvelle pour le clinicien, celle de la psychopathologie de la relation intersubjective et du lien à l’autre. Cette perspective psychopathologique est riche de promesses et certains professionnels s’y sont déjà aventurés en étudiant les scénarios narcissiques de la parentalité (Manzano et al., 1987) ou les liens parents–bébé lors des consultations thérapeutiques périnatales (Lebovici, 1986 ; Palacio-Espasa, Manzano, 1982 ; Cramer, Palacio-Espasa 1993 ; Lemaitre, 2008).




Devenir parent, le processus de « parentalité »


« La parentalité, c’est une fleur de cœur et moi j’aime ça », David, 4 ans.


Ce processus dynamique ne démarre pas quand un couple décide d’avoir un enfant. Il se réactive. En effet, il traverse la vie psychique de chacun d’entre nous, garçon et fille, dès nos premières constructions psychiques au sein de l’espace intersubjectif parents–enfant. Dès les premiers liens, le bébé s’imprègne d’un style relationnel maternel et paternel, berceau de sa propre histoire infantile. Enfants, garçon et fille, jouent à la poupée, au docteur, s’explorent mutuellement. Ils découvrent la différence des sexes, observent les relations entre les parents, curieux du désir qui les animent, et ils se fabriquent des théories explicatives sur les grandes énigmes de la vie (Freud, 1905). Le terme de parentalité fait référence à cette dynamique psychique et se définit comme « l’ensemble organisé des représentations mentales, des affects, des souvenirs et des comportements se rapportant à l’enfant, que celui-ci soit à l’état de projet, attendu pendant la grossesse, ou déjà né » (Stoléru et al., 1985).


Ce processus s’enracine dans l’histoire de chacun, et pré-existe à la conception biologique et ce, quelle que soit la façon dont l’enfant a été conçu.


Le terme de parentalité est dérivé de celui de maternalité, défini par P.C. Racamier (1984) dans deux de ses célèbres écrits, La maternalité psychotique et À propos des psychoses de la maternalité, comme « l’ensemble des processus psycho-affectifs qui se déroulent chez la femme au moment d’accéder à la fonction maternelle ». C’est donc à partir de la clinique des désorganisations psychiatriques, survenant au décours d’une naissance, que se sont révélés toute la complexité de ce processus psychique universel et tous les risques psychiques qui lui sont inhérents.



La pratique du pédopsychiatre de liaison : du normal au pathologique


Des troubles d’adaptation aux troubles psychiatriques, cette clinique révèle une grande variabilité d’expressions cliniques, « dans les variations du normal au pathologique », que la femme soit primipare ou multipare et pour chaque grossesse spécifiquement (cf. p. 2–3). Un repérage diagnostique et psychopathologique est un préalable à toute approche thérapeutique : la femme est-elle anxieuse, triste dans le cadre d’un blues du post-partum ou est-elle déjà déprimée ? Est-ce une pathologie réactionnelle ? Une pathologie aiguë ou chronique ? S’agit-il d’un début de décompensation aiguë du post-partum ? Y a-t-il un trouble de la personnalité ?


Une connaissance des mouvements psychiques inhérents au processus de parentalité fait partie des fondamentaux pour le psychiatre en maternité.




La grossesse : du registre narcissique au registre objectal


La grossesse va mobiliser la femme dans un double registre narcissique et objectal : « je suis enceinte » souligne le sentiment de complétude narcissique et « j’attends un enfant » (Beetschen, Charvet, 1978), le début du processus d’objectalisation du fœtus qui habituellement s’installe progressivement au fil des mois de la grossesse jusqu’à la naissance. Ce processus est toutefois indépendant du terme de la grossesse. Certaines femmes « objectalisent » leur fœtus dès les premières semaines de la grossesse, parlent de leur bébé, le nomme, d’autres femmes mettent plus de temps, ont besoin de le voir à l’échographie, ou de le sentir bouger ou même de le voir après la naissance pour le faire exister. D’autres, dans des situations pathologiques, n’y arriveront pas en ne le différenciant pas d’elle-même. Ce repérage clinique est central pour tout professionnel en périnatalité. « Où en est la femme/l’homme dans son investissement objectal du bébé ? »



Cet exemple souligne de manière évidente la différence entre la réalité objective médicale et la réalité subjective, celle qu’il est essentiel de repérer afin d’ajuster au mieux ses interventions auprès des patientes.



Être à l’écoute des nœuds du passé


La grossesse est un temps extrêmement précieux pour être à l’écoute des nœuds du passé, la gestation est corporelle et psychique.


Si on leur en donne la possibilité lors du suivi de la grossesse, les femmes expriment le besoin de parler d’elle. C’est, fréquemment, la première fois qu’elles en ont ainsi l’occasion. Une écoute attentive et bienveillante, non intrusive permet d’entendre les événements ou les antécédents qui pourront avoir un impact tant médical que psychologique sur le déroulement de la grossesse (cf. p. 175–179). La femme, avec son accord, pourra alors être orientée vers un suivi psychologique dont les entretiens révèlent combien la grossesse ouvre à un monde psychique inconscient, habituellement inaccessible. Cet accès à l’inconscient ou « transparence psychique » (Bydlowski, 1991, 1997) serait lié à un abaissement des résistances habituelles de la femme face au refoulé inconscient pendant la grossesse et lui permettrait, notamment, de revisiter sa propre histoire d’ex-fœtus/ex-bébé, dans les liens d’identification primordiaux à ses objets parentaux. Ce dont la femme enceinte parle, c’est avant tout d’elle-même, celle qu’elle a été bébé et surtout celle qu’elle se représente avoir été dans un centrage narcissique, qui fait habituellement peu de place dans le discours au bébé in utero. M. Bydlowski évoque la grossesse comme l’expérience d’« une rencontre intime avec soi-même ».



De la prévention à la protection de l’enfance


Les notions de prévention et de protection de l’enfance sont centrales dans la mission du pédopsychiatre de maternité comme pour tous les acteurs des champs médico-sociaux et éducatifs engagés en périnatalité. La loi du 5 mars 2007, publiée au Journal officiel du 6 mars 2007, réforme la protection de l’enfance et donne une base légale aux actions de prévention « primaire » et à la prévention précoce autour de la grossesse et de la naissance.65


« N’importe quel soin prodigué en période périnatale est aussi et simultanément un acte de prévention. » (Dayan, 2008.)



La prévention


La motivation consciente principale des pédopsychiatres qui interviennent dans les services d’obstétrique, en néonatalogie ou en réanimation néonatale, est avant tout de prévenir, de repérer et de traiter les dysharmonies relationnelles périnatales (parents–fœtus/bébé) ainsi que leurs conséquences possibles chez le fœtus/bébé. Si les troubles maternels ont un impact sur la qualité des interactions mère–bébé, les risques de survenue de troubles chez le bébé dépendent de multiples facteurs qui doivent proscrire toute idée de causalité linéaire et de prédictibilité entre des troubles maternels et la survenue de troubles chez le bébé. Chaque bébé est particulier (rôle des facteurs endogènes de ressources et de vulnérabilités) et s’engage de manière spécifique dans la relation. Toutefois, il est entièrement dépendant des soins qu’il reçoit et, en premier lieu, de ceux de sa mère (ou du substitut maternel). Il est ainsi essentiel de s’occuper des mères, premier pas fondamental dans la prévention des troubles précoces du lien mère–bébé, et de souligner l’importance de l’environnement parental, familial, mais aussi social, culturel et professionnel autour de chaque femme. En paraphrasant D.W. Winnicott, notre devise devrait être « Une mère seule, ça ne devrait pas exister ! »


L’engagement d’équipes pluridisciplinaires en périnatalité trouve toute sa place dans la prévention des troubles précoces de l’enfant. C’est une des missions des intersecteurs de psychiatrie infanto-juvénile dont fait partie la psychiatrie de liaison. Certains services de pédopsychiatrie ou de psychiatrie adulte ont pu créer des unités de parentalité qui en lien avec les équipes de PMI mettent en œuvre des stratégies d’accompagnement des mères–pères–bébé après la sortie de maternité. Peu disposent d’une unité d’hospitalisation psychiatrique mère–bébé. Les dispositifs d’accompagnement en périnatalité sont très différents d’un service à un autre, et d’une région à une autre en France en fonction de la culture locale et des moyens.



Pourquoi intervenir en maternité ?


Cet engagement en maternité plaide pour :



Le temps de la grossesse est un temps extrêmement précieux pour repérer, rencontrer et mobiliser des femmes et des couples qui souvent sont déjà en difficulté dans leur parcours personnel et pour installer un lien thérapeutique de confiance qui soutiendra la co-création d’un projet thérapeutique dans le post-partum. Il est encore trop fréquent d’être interpellé juste après la naissance de l’enfant pour une patiente qui prend un traitement psychotrope de longue date, ou qui a antérieurement décompensé dans le post-partum dans ce temps si court des suites de couches. Le risque est d’intervenir de manière intrusive, et de passer à côté d’une rencontre qui aurait pu se faire.



Madame O. accouche un vendredi matin. Elle est dans sa chambre l’après-midi et la sage-femme des suites de couches repère qu’il est inscrit sur son dossier un antécédent de dépression du post-partum traité par rispéridone (Risperdal®) et arrêté en début de grossesse. La sortie de cette patiente étant prévue le lundi matin, elle me propose de la voir car il n’y a pas de « psy » le week-end et la nuit. S’il est peu souhaitable de rencontrer une patiente le jour même de l’accouchement, la sortie prévue le 3e jour pour un accouchement eutocique, me pousse à tenter la rencontre avec cette jeune femme. Madame O. est presque figée lorsque je me présente, non préparée à ma venue, dans une attitude que je comprendrais ensuite, comme une tentative de mettre à distance ses antécédents psychiatriques dont elle a honte. Ce premier contact est complètement raté. Elle et moi ne sommes pas au même rythme. Elle accepte cependant que je reste un moment avec elle, et c’est autour du bébé que nous trouvons un apaisement. Le deuxième entretien a lieu le lundi après-midi suivant, alors qu’elle a accepté de rester un jour de plus dans le service pour que nous nous rencontrions à nouveau. Madame O. me parle alors de ses antécédents, des épisodes psychotiques aigus (et non pas dépressifs) qu’elle attribue à des moments de surmenages et qui, toujours en urgence, ont été traités par la prise de psychotropes. Elle accepte de revoir le psychiatre d’adulte qui l’avait antérieurement reçue et que je puisse l’accompagner dans les semaines à venir dans le lien mère–bébé. Je n’ai pas rencontré son mari, mais Madame O. lui a fait part de notre échange et il a soutenu ma démarche auprès de sa femme, l’a rassurée et s’est montré un allié pour l’installation du suivi.


Certaines rencontres potentielles peuvent être complètement ratées. C’est tout l’intérêt d’un repérage prénatal de possibles difficultés pour le post-partum.



La protection de l’enfance


Régulièrement, nous pouvons, dès le temps de la maternité, être confronté à une situation d’un bébé potentiellement en danger, voire déjà en danger. Dans ces cas, la décision d’écrire une information préoccupante ou un signalement se discute, au mieux en équipe, lors d’un staff de parentalité, et la sortie du bébé peut être reportée. Les parents sont informés de cet écrit qui est adressé à la cellule de signalement de leur département de résidence. Dans les situations d’urgence, le signalement est envoyé de façon concomitante au procureur de la République chargé des mineurs.


Dans les situations d’un fœtus en danger (lors d’une alcoolisation maternelle par exemple, ou dans un contexte de grande violence connu, etc., il peut être décidé, lors d’un staff prénatal, d’écrire un signalement pour accompagner le projet de soins. Cependant, comme il n’y a pas de signalement pour un fœtus puisqu’il n’a pas encore d’existence juridique légale, l’écrit est adressé au procureur et à la cellule de signalement après la naissance de l’enfant.


En fonction des éléments de gravité et/ou d’urgence, les professionnels de terrain adressent à la cellule un écrit qui relève soit d’une information préoccupante, soit d’un signalement. Mais les membres de la cellule (cellule départementale de signalement ; à Paris, la CRIP75 : cellule de recueil des informations préoccupantes) ont le pouvoir de décider l’orientation à donner à l’écrit transmis par l’équipe de la maternité. Ils peuvent, au vu du contenu de l’écrit, décider de le transmettre au procureur de la République.


Dans le cadre d’une information préoccupante : les éléments de l’information préoccupante sont transmis au responsable enfance de l’EDS (Espace départemental des solidarités ou maison départementale des solidarités, anciennement nommé circonscription d’action sanitaire et sociale) afin de poursuivre l’évaluation faite à la maternité. L’équipe de l’EDS doit transmettre, dans un délai de 2 mois, les conclusions de leur évaluation avec des préconisations de suivi si nécessaire. Dans ce cadre, le suivi se met en place, avec l’adhésion des parents (accompagnement éducatif à domicile : AED ; proposition d’intervention d’une TISF, etc.).


Dans le cadre d’un signalement judiciaire : lorsque les éléments recueillis à la maternité relèvent d’une particulière gravité, l’écrit est adressé au procureur de la République avec un double envoyé à la cellule.


Le procureur de la République est le seul professionnel à pouvoir, au vu des éléments qui lui sont adressés, se saisir en urgence et prendre une mesure de protection immédiate : une ordonnance de placement provisoire (OPP), valable initialement 8 jours, le temps de la saisine du juge pour enfants. Cela signifie que le procureur a 8 jours pour transmettre le dossier au juge pour enfants. L’OPP est maintenue jusqu’à la rencontre avec le juge pour enfants.


Le procureur peut demander un complément d’information et d’évaluation aux professionnels de l’ASE ou diligenter une enquête par la brigade territoriale pour la protection de la famille (anciennement brigade des mineurs).


Il peut aussi demander une saisine du juge pour enfants sans prendre de mesure de protection (OPP) en urgence. L’enfant rentre au domicile de ses parents et ceux-ci sont convoqués ultérieurement, par exemple, lorsqu’une famille est déjà connue par un juge pour des enfants précédents. Cela peut aussi être le cas, lorsque la mère et l’enfant sont engagés dans un projet de soins.


Les parents sont reçus par le juge pour enfants dans un délai d’environ 8 à 15 jours. Le juge aura donc connaissance des derniers éléments de l’évaluation pour cette rencontre. Il peut alors décider de maintenir la mesure de protection – maintien de l’OPP (éléments jugés inquiétants) – ou de lever l’OPP (éléments jugés plus rassurants). Dans tous les cas, il mandate une équipe chargée d’une mesure d’évaluation et d’accompagnement dans un cadre judiciaire : investigation et orientation éducative (IOE)66, puis aide éducative en milieu ouvert (AEMO).


Le magistrat (juge pour enfants) peut mandater différents services pour assurer l’accompagnement comme l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou le Service social de l’enfance (SSE).


Si l’enfant est au domicile des parents, les professionnels assurant l’IOE ou l’AEMO peuvent ré-interpeller le juge pour enfants, à tout moment, si un élément nouveau apparaît. Il peut y avoir alors décision d’un placement.


Lorsqu’il y a une OPP immédiate sur décision du procureur, le bébé est confié soit à l’hôpital soit directement à l’ASE, en attendant la décision du juge. Les parents ne peuvent pas, dans ce cas, rentrer avec l’enfant. Ils doivent attendre l’audience avec le juge pour enfants pour connaître sa décision, car lui seul a le pouvoir de décider du retour du nouveau-né à domicile. Il peut aussi prononcer un placement de l’enfant. Les parents peuvent se faire assister d’un avocat et faire appel de cette décision.


Les mesures sont toujours provisoires et généralement d’une durée d’un an. La famille revoit alors le juge pour enfants. Les équipes, qui accompagnent la famille, adressent un écrit concernant l’évolution de la situation familiale avant l’audience.


Divers types d’accueil sont proposés selon les possibilités locales (la pouponnière le plus souvent, une famille d’accueil, un placement familial thérapeutique…). Des modalités de rencontre parents–enfant sont organisées par l’ASE, médiatisées ou non après le placement en fonction de l’ordonnance du juge. La séparation physique parents–bébé ne suffit pas à prévenir la survenue de troubles chez l’enfant et ne protège l’enfant que physiquement. Un accompagnement thérapeutique des parents, du lien parents–bébé, et une observation attentive du bébé sont indispensables par des professionnels spécialisés en périnatalité. Ces suivis sont longs, souvent difficiles mais essentiels pour éviter chez les parents, des grossesses à répétition, chacune ayant comme objectif de combler, réparer, et guérir les blessures de la séparation précédente vécue de manière traumatique, et pour donner, chez l’enfant, un sens aux liens avec ses parents et à son histoire.


À la maternité, l’envoi d’un signalement est expliqué aux parents. Il est le résultat d’une réflexion d’équipe et non pas l’écrit d’un seul professionnel. Dans ces situations difficiles, il nous semble préférable d’être au moins deux professionnels à accompagner et soutenir les parents afin de mieux gérer les mouvements émotionnels inévitablement induits par cette annonce. Il peut arriver en effet que cela déclenche un mouvement de violence chez des parents dans le déni de leurs troubles, persécutés par la décision incompréhensible pour eux de ne pas pouvoir sortir avec leur enfant avant la rencontre avec le juge. Ce sont des situations rares mais particulièrement éprouvantes. Le plus souvent, notre présence attentive et bienveillante permet aux parents d’entendre l’importance d’accompagner, de manière cadrée et soutenue, leur parentalité, sans les disqualifier, et en soutenant leur place de parents pour leur bébé, celle de parents capables de repérer leurs difficultés même si, généralement, ils n’acceptent pas le signalement. Il peut aussi arriver que des parents soient apaisés par la demande d’une mesure de protection.



La pédopsychiatrie en maternité : un cadre spécifique


La psychiatrie de liaison est une activité qui permet à un psychiatre de secteur d’intervenir soit ponctuellement soit régulièrement dans un service de médecine somatique lorsqu’un signe d’appel psychiatrique ou une souffrance psychique sont repérés par l’équipe soignante. Cette activité s’inscrit dans une dynamique qui va à la rencontre du patient, sur le lieu de son suivi médical, lors d’une hospitalisation ou lors d’un suivi en ambulatoire dans une approche globale médico-psychosociale. Le psychiatre de liaison intervient le plus souvent à la demande de l’équipe soignante soit de manière directe auprès du patient, soit de manière indirecte dans la réflexion avec l’équipe médicale.


De plus en plus de maternités bénéficient dans leurs effectifs de postes de psychologues. La présence de psychiatres relève le plus souvent d’une activité de liaison dont les modalités de fonctionnement sont variables d’une institution à une autre.


Habituellement, l’intervention du pédopsychiatre de liaison en maternité s’étend de la grossesse (possiblement en antéconceptionnel) aux premières semaines du post-partum. Un travail d’articulation et de relais s’organise, si cela s’avère nécessaire, conjointement ou à la suite, avec les professionnels engagés en périnatalité sur le terrain extra-hospitalier : la PMI dont le rôle est essentiel pour le suivi de la grossesse puis du petit enfant de 0 à 6 ans, les partenaires des intersecteurs de pédopsychiatrie et du secteur de psychiatrie adulte, les médecins généralistes, les sages-femmes libérales, les assistantes sociales de la maternité ou du secteur, etc. Chacun doit définir son cadre de travail, et se situer par rapport aux autres professionnels qui interviendront tout au long de ce processus de la naissance, et aussi définir la temporalité de son intervention.


C’est ainsi que j’interviens en étant praticien hospitalier de l’intersecteur de pédopsychiatrie en liaison67a dans le service de gynécologie-obstétrique, de manière régulière, quatre demi-journées par semaine, une autre psychiatre67b intervient deux demi-journées par semaine dans le même cadre en équipe avec trois psychologues à mi-temps embauchées par la maternité. Ce nombre nous permet d’assurer une présence quotidienne pendant la semaine pour répondre aux nombreuses demandes de la gynécologie et de l’obstétrique durant les hospitalisations ou pour proposer des suivis de consultations en ambulatoire, animer un groupe de paroles pour les patientes endeuillées par une grossesse interrompue, participer aux échanges interprofessionnels dans certains staffs, ou encore soutenir les équipes soignantes confrontées à des situations douloureuses. Une demi-journée par semaine, et lors du staff de parentalité, l’équipe des « psy » est au complet pour un temps de réflexion partagé.


Sur le terrain, les patientes et les couples sont adressés en consultation psychologique et/ou psychiatrique par les professionnels de l’équipe médicale et paramédicale (sage-femme, infirmier, gynécologue-obstétricien, aide-soignante, assistante sociale, psychiatre d’adulte…) en première ligne (Molénat, 2001) dans le suivi de la grossesse et autour de la naissance lorsqu’ils repèrent des signes de souffrance ou de désorganisation psychique.


Les différents professionnels du périnatal, chacun dans sa fonction, s’articulent selon les règles d’une interdisciplinarité dans le respect des règles de transmission et de partage des informations (Carel, 1992, 2003). Les échanges avec les obstétriciens, les sages-femmes, et les autres professionnels assurent la continuité et la cohérence du suivi.


Les troubles dont les manifestations sont bruyantes sont facilement repérés à l’inverse des troubles en apparence discrets comme la femme silencieuse, distante, et qui ne pleure pas. Pourtant, l’intensité des manifestations cliniques n’est pas corrélée à la gravité des troubles.


Il ne s’agit pas de « tout psychiatriser » et beaucoup de patientes nous ont souvent montré leur extraordinaire capacité à se réorganiser et à s’ajuster à leur bébé malgré leurs angoisses ou leurs difficultés personnelles. Il s’agit de dire que toute naissance s’accompagne tant chez la femme que chez l’homme d’un remaniement psychologique profond qui sera accueilli au même titre que l’examen médical et somatique. Chaque couple doit pouvoir trouver un espace et un temps pour parler à un professionnel de la périnatalité (pas nécessairement un psychologue) d’eux-mêmes, de leur projet de naissance et de leurs préoccupations s’ils le souhaitent ou s’ils le peuvent. Il y a aussi des femmes ou des couples qui montrent des signes inquiétants de désorganisation psychique et de souffrance psychique mais qui refusent tout contact avec les professionnels.



Madame R. est très angoissée. À la suite d’un malaise vagal, l’obstétricien me demande de rencontrer cette patiente. Madame R. me fait part de troubles psychiques anciens qui l’ont handicapée dans sa vie sociale et qui ont retardé son projet d’avoir un enfant. Cela lui faisait très peur. Elle m’explique qu’ayant atteint l’âge de 40 ans, elle devait le faire maintenant. La grossesse est à environ 26 SA. Le suivi obstétrical est très irrégulier. Madame R. exprime très clairement que le bébé in utero la terrifie et qu’elle préfère éviter d’y penser. C’est pourquoi, elle ne vient pas voir l’obstétricien. Elle dit que tout ira mieux après la naissance. Des rendez-vous psychiatriques lui sont proposés mais si elle les accepte, elle ne vient à aucun d’eux. Après une absence, elle reprend rendez-vous mais ne vient pas. Un suivi par la sage-femme de secteur est tenté car elle met en avant l’impossibilité de sortir de chez elle souffrant nous dit-elle d’agoraphobie. Mais Madame R. n’ouvre pas la porte et se montre inaccessible à toute rencontre. La situation est préoccupante parce qu’elle prend aussi, depuis des années, un traitement psychotrope, dont l’un des produits est contre-indiqué pendant la grossesse. Elle refuse d’arrêter ce médicament malgré les informations données par le médecin, ainsi que la proposition de modifier son traitement de manière à être compatible avec la grossesse. Madame R. transmet son angoisse majeure de décompenser, refuse de changer son traitement, accrochée depuis des années à la même prescription qu’elle réussit à faire renouveler malgré les contre-indications.


Certaines situations nous confrontent à un sentiment d’impuissance et au décalage fréquent entre ce que l’on souhaiterait pour une patiente et ce qu’elle peut accepter. La marge de négociation relationnelle est parfois étroite et limitée et souligne l’importance du travail psychique que le professionnel doit accomplir sur ce qu’il vit émotionnellement et psychiquement dans ces rencontres, afin d’ajuster au mieux ses réponses.



8.2 Les antécédents psychiatriques individuels, conjugaux et générationnels



Généralités


Il est bien évident que l’approche uniquement individuelle de la femme est une approche réductrice mais elle est nécessaire.


La femme est libre de dire à la sage-femme ou à l’obstétricien, que ce soit en PMI, en libéral, ou à la maternité, ses antécédents psychiatriques, qui seront inscrits sur son dossier médical. Certaines en parlent aisément, d’autres les taisent ou ne les révèlent qu’incidemment lors d’une consultation obstétricale, d’un prélèvement ou même après la naissance. Les noter ne suffit évidemment pas. Comment recueillir ces informations et pour quel objectif, que noter et que transmettre ensuite et à quel professionnel, nécessite toujours une réflexion active. L’entretien prénatal précoce (EPP) a institutionnalisé ce temps d’écoute des signes d’appel psychiques dans le suivi obstétrical (cf. chapitre 11).


Au même titre que les antécédents médicaux, il est important de connaître les antécédents psychiatriques d’une patiente pour évaluer ce qui dans ses troubles est à risque d’interférer dans un bon déroulement de la grossesse et d’être susceptible d’induire des difficultés dans la mise en place du lien mère–bébé après la naissance.


Cette connaissance nous permet dès le temps prénatal de :




Mademoiselle N. accouche de son troisième enfant. La grossesse n’avait pas été souhaitée. Lorsqu’ elle découvre sa grossesse, elle demande une IVG mais le délai légal est dépassé. La grossesse est ensuite peu suivie. Le bébé naît hypotrophe à terme. Lors du séjour à la maternité, la jeune femme confie régulièrement le bébé aux auxiliaires de puériculture et s’absente du service. Quand elle revient, elle va chercher sa fille et la ramène dans sa chambre sans rien demander. Elle sait faire les soins du bébé « comme un robot » dit l’auxiliaire, sans échanges relationnels et sans affects avec l’enfant. Cette jeune femme au profil carentiel, au corps déformé, peu soignée explique qu’il ne faut pas prendre les bébés dans les bras parce que sinon ils s’attachent. Il semble difficile pour elle de donner ce que manifestement elle n’a pas reçu, de porter ce bébé alors qu’elle-même n’a pas été portée et ne l’est toujours pas dans sa vie. Elle a traversé de nombreuses « galères » comme elle dit, avec sa famille et les hommes qui la laissent régulièrement tomber. Ses deux premiers enfants sont placés. Cette fois, elle ira chez sa mère en quittant la maternité. Elle refuse une proposition de suivi dans une unité de parentalité mais elle accepte le suivi du bébé à la PMI et une HAD pédiatrique. Nous transmettons une note d’information au juge pour enfants qui suit la situation des deux premiers enfants sur l’évaluation faite à la maternité. Nous apprenons que deux mois plus tard, à la suite d’un nouveau signalement fait par la PMI pour négligences, le juge pour enfants a décidé le placement de l’enfant.


À la maternité, les femmes sont reçues parce qu’elles attendent un enfant. Parmi ces femmes enceintes, un certain nombre ont des antécédents de pathologie mentale survenue lors d’une grossesse précédente (antécédent de décompensation du post-partum…), d’autres souffrent d’une maladie psychiatrique avérée (troubles du spectre de la schizophrénie, troubles bipolaires, troubles obsessionnels compulsifs, troubles du comportement alimentaire, addictions diverses…), certaines traversent une période difficile dans leur vie s’accompagnant d’une vulnérabilité psychique et d’un risque dépressif.


Dans tous les cas, il s’agit avant tout, pour le psychologue et/ou le psychiatre, d’accompagner la parentalité de ces femmes, de se préoccuper de la manière dont elles vont s’organiser psychiquement dans leur maternité. Une femme ne se résume pas à un diagnostic de schizophrénie, de dépression, de bipolarité, etc. La manière de devenir mère quand une patiente souffre de schizophrénie, par exemple, peut être très différente d’une patiente à l’autre et même d’une grossesse à l’autre. Il est cependant essentiel de connaître la nosographie psychiatrique, de savoir reconnaître les signes de souffrance psychique et les signes cliniques des décompensations du pré- et du post-partum, de savoir repérer le mode de fonctionnement psychique d’une patiente, son niveau d’angoisse et la manière dont elle y fait face et d’évaluer les ressources et les vulnérabilités de son environnement proche. Tous ces éléments permettent de préparer un projet d’accompagnement de la grossesse, des suites de couches puis du post-partum.


Dans la réalité du terrain, il est fréquent lorsqu’il existe une maladie mentale, que les équipes qui connaissent ces femmes dans un contexte psychiatrique oscillent entre plusieurs positions :



On repère ainsi dans les équipes, ceux qui, en identification au futur bébé confronté à la pathologie mentale de sa mère et au fantasme de sa dangerosité, ne peuvent qu’envisager le placement de l’enfant d’emblée pour le protéger, et ceux qui en identification à la mère, dans une dénégation des risques potentiels pour le bébé militent pour un maintien mère–bébé à tout prix.


Il est illusoire d’attendre l’observation faite en suites de couches car dans ce temps court et dans ce cadre rassurant, il est généralement difficile d’avoir une évaluation suffisamment précise de la relation mère–bébé, en particulier si la mère sait faire les soins corporels de l’enfant. De plus, la brièveté du séjour hospitalier après la naissance induit un sentiment d’urgence, qui ne facilite pas l’activation des réseaux de soins du post-partum. Les soins de suite en périnatalité comme le proposent, en région parisienne, l’hôpital du Vésinet et l’hôpital mère–enfant de l’Est parisien permettent, avec des équipes de professionnels formés en périnatalité, d’accompagner les femmes en difficultés psychosociales dès le prénatal, et de prendre le temps d’accompagner et d’évaluer, en post-partum, la relation mère–bébé sur une durée suffisamment longue.


La recherche des antécédents et la connaissance des points de vulnérabilité parentale sont donc nécessaires dans cette optique de prévention, d’attention aux parents et d’organisation des soins périnataux en luttant contre toute stigmatisation et tout jugement « a priori ». Aucun professionnel même « psy » n’est à l’abri de tels mouvements internes de jugement, et de tentative d’évacuation de l’angoisse provoquée par ces situations, en particulier lorsqu’il n’a pas la possibilité de partager dans un récit adressé à un autre professionnel, ce qui se vit émotionnellement et psychiquement avec ces familles en si grandes difficultés.



Les antécédents et les troubles psychiatriques individuels (non exhaustif)


Ils sont à rechercher et parfois juste à entendre lors d’un échange avec la femme à l’occasion de l’ouverture du dossier, lors des consultations mensuelles, ou lors de l’entretien prénatal précoce. À partir d’expressions symptomatiques (comme une tristesse, des angoisses, un retrait, une logorrhée anxieuse, une pauvreté relationnelle, etc.), d’un sentiment d’étrangeté ressenti face à une patiente, d’une narration décousue ou difficile, confuse, désorganisée, le professionnel – sage-femme, obstétricien, échographiste, infirmière… – adresse la femme vers une consultation psychologique qui permet de repérer ou de confirmer un possible trouble psychiatrique dont :


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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 8: Psychopathologie psychanalytique de la parentalité en période périnatale: approche clinique d’une pédopsychiatre en maternité

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