Chapitre 8 Psychopathologie psychanalytique de la parentalité en période périnatale
approche clinique d’une pédopsychiatre en maternité
8.1 Outils cliniques d’une pédopsychiatre exerçant en maternité
Beaucoup de jeunes professionnels rêvent d’aller travailler en maternité pour accompagner, avec un grand enthousiasme et une certaine dose d’idéalisation, les jeunes parents en difficulté. Aucun ne peut alors imaginer ce qu’ils vont y vivre, dans quel tourbillon émotionnel ils vont se retrouver plongés, par quelles questions existentielles ils vont être traversés de jour et parfois même de nuit, quels bouleversements internes ils auront à affronter et à quels aménagements défensifs ils devront avoir recours. Professionnellement et personnellement, c’est s’engager dans une aventure, celle des rencontres avec l’autre, à la fois si proche et si éloigné de soi, et c’est aussi aller à la rencontre de soi-même dans la rencontre avec les autres dans une mise à l’épreuve chaque jour de sa propre humanité, de sa propre capacité d’accueil, de réceptivité et de réflexivité. C’est une aventure passionnante même si elle n’est pas dénuée d’angoisses et de doutes.
Éloge de la singularité et de la complexité
La clinique périnatale : une clinique du lien à l’autre
Le bébé humain (et bien sûr le fœtus) naît immature et entièrement dépendant de son environnement. Il ne peut se construire psychiquement, se différencier et se séparer sans être d’abord « habité », pensé par un autre, support de ses identifications primaires. Chacun d’entre nous porte en lui la trace de ces premiers liens intersubjectifs fondateurs entre l’enfant et les parents et la trace des modalités de réponses de l’objet (« autre sujet » dit Roussillon, 2007).
C’est une clinique qui confronte chacun, patient et professionnel, à la conflictualité de la vie et de la mort, d’Éros et de Thanatos, de l’amour et de la haine, de l’étrange, de l’inconnu, de l’imprévisible, de la surprise, de la force et de la fragilité de l’être, dans toute sa puissance et son impuissance, au mieux dans un mouvement d’ambivalence suffisamment tempérée.
Le champ psychopathologique va être l’expression de l’ensemble des troubles dont certains sont adaptatifs, d’autres pathologiques. Ils peuvent émerger tout au long de ce processus, tant chez la mère, chez le père, que chez l’enfant, dès le temps prénatal, premier chapitre pour le bébé du dedans, puis dans le post-partum dans la rencontre avec le bébé du dehors. Certains troubles ne se déploient que dans ce processus de la naissance et dans la rencontre intersubjective avec le bébé. La dépression maternelle anté- ou postnatale en est le paradigme. C’est pourquoi certaines patientes, sans aucun antécédent psychiatrique, peuvent se sentir troublées de manière plus ou moins intense dans ce processus qui réactive le bébé que la femme a elle-même été et/ ou qu’elle se représente avoir été (comment pense- t-elle avoir été désirée, enveloppée, portée…) et qui réactive aussi la trace des liens d’attachement à ses figures parentales et la représentation de ces liens qui l’ont fondée dans un couple parental et une histoire familiale inter- et transgénérationnelle.
La psychopathologie périnatale est abordée ici à travers le regard clinique d’un pédopsychiatre de liaison en maternité. La psychopathologie maternelle est donc au premier plan dans une temporalité qui va du suivi de la grossesse aux premières semaines du post-partum. Mais la clinique périnatale ne se réduit pas à la psychopathologie maternelle. Elle ouvre à une dimension nouvelle pour le clinicien, celle de la psychopathologie de la relation intersubjective et du lien à l’autre. Cette perspective psychopathologique est riche de promesses et certains professionnels s’y sont déjà aventurés en étudiant les scénarios narcissiques de la parentalité (Manzano et al., 1987) ou les liens parents–bébé lors des consultations thérapeutiques périnatales (Lebovici, 1986 ; Palacio-Espasa, Manzano, 1982 ; Cramer, Palacio-Espasa 1993 ; Lemaitre, 2008).
Devenir parent, le processus de « parentalité »
« La parentalité, c’est une fleur de cœur et moi j’aime ça », David, 4 ans.
Ce processus dynamique ne démarre pas quand un couple décide d’avoir un enfant. Il se réactive. En effet, il traverse la vie psychique de chacun d’entre nous, garçon et fille, dès nos premières constructions psychiques au sein de l’espace intersubjectif parents–enfant. Dès les premiers liens, le bébé s’imprègne d’un style relationnel maternel et paternel, berceau de sa propre histoire infantile. Enfants, garçon et fille, jouent à la poupée, au docteur, s’explorent mutuellement. Ils découvrent la différence des sexes, observent les relations entre les parents, curieux du désir qui les animent, et ils se fabriquent des théories explicatives sur les grandes énigmes de la vie (Freud, 1905). Le terme de parentalité fait référence à cette dynamique psychique et se définit comme « l’ensemble organisé des représentations mentales, des affects, des souvenirs et des comportements se rapportant à l’enfant, que celui-ci soit à l’état de projet, attendu pendant la grossesse, ou déjà né » (Stoléru et al., 1985).
Le terme de parentalité est dérivé de celui de maternalité, défini par P.C. Racamier (1984) dans deux de ses célèbres écrits, La maternalité psychotique et À propos des psychoses de la maternalité, comme « l’ensemble des processus psycho-affectifs qui se déroulent chez la femme au moment d’accéder à la fonction maternelle ». C’est donc à partir de la clinique des désorganisations psychiatriques, survenant au décours d’une naissance, que se sont révélés toute la complexité de ce processus psychique universel et tous les risques psychiques qui lui sont inhérents.
La pratique du pédopsychiatre de liaison : du normal au pathologique
Des troubles d’adaptation aux troubles psychiatriques, cette clinique révèle une grande variabilité d’expressions cliniques, « dans les variations du normal au pathologique », que la femme soit primipare ou multipare et pour chaque grossesse spécifiquement (cf. p. 2–3). Un repérage diagnostique et psychopathologique est un préalable à toute approche thérapeutique : la femme est-elle anxieuse, triste dans le cadre d’un blues du post-partum ou est-elle déjà déprimée ? Est-ce une pathologie réactionnelle ? Une pathologie aiguë ou chronique ? S’agit-il d’un début de décompensation aiguë du post-partum ? Y a-t-il un trouble de la personnalité ?
La grossesse : du registre narcissique au registre objectal
La grossesse va mobiliser la femme dans un double registre narcissique et objectal : « je suis enceinte » souligne le sentiment de complétude narcissique et « j’attends un enfant » (Beetschen, Charvet, 1978), le début du processus d’objectalisation du fœtus qui habituellement s’installe progressivement au fil des mois de la grossesse jusqu’à la naissance. Ce processus est toutefois indépendant du terme de la grossesse. Certaines femmes « objectalisent » leur fœtus dès les premières semaines de la grossesse, parlent de leur bébé, le nomme, d’autres femmes mettent plus de temps, ont besoin de le voir à l’échographie, ou de le sentir bouger ou même de le voir après la naissance pour le faire exister. D’autres, dans des situations pathologiques, n’y arriveront pas en ne le différenciant pas d’elle-même. Ce repérage clinique est central pour tout professionnel en périnatalité. « Où en est la femme/l’homme dans son investissement objectal du bébé ? »
Être à l’écoute des nœuds du passé
Si on leur en donne la possibilité lors du suivi de la grossesse, les femmes expriment le besoin de parler d’elle. C’est, fréquemment, la première fois qu’elles en ont ainsi l’occasion. Une écoute attentive et bienveillante, non intrusive permet d’entendre les événements ou les antécédents qui pourront avoir un impact tant médical que psychologique sur le déroulement de la grossesse (cf. p. 175–179). La femme, avec son accord, pourra alors être orientée vers un suivi psychologique dont les entretiens révèlent combien la grossesse ouvre à un monde psychique inconscient, habituellement inaccessible. Cet accès à l’inconscient ou « transparence psychique » (Bydlowski, 1991, 1997) serait lié à un abaissement des résistances habituelles de la femme face au refoulé inconscient pendant la grossesse et lui permettrait, notamment, de revisiter sa propre histoire d’ex-fœtus/ex-bébé, dans les liens d’identification primordiaux à ses objets parentaux. Ce dont la femme enceinte parle, c’est avant tout d’elle-même, celle qu’elle a été bébé et surtout celle qu’elle se représente avoir été dans un centrage narcissique, qui fait habituellement peu de place dans le discours au bébé in utero. M. Bydlowski évoque la grossesse comme l’expérience d’« une rencontre intime avec soi-même ».
De la prévention à la protection de l’enfance
Les notions de prévention et de protection de l’enfance sont centrales dans la mission du pédopsychiatre de maternité comme pour tous les acteurs des champs médico-sociaux et éducatifs engagés en périnatalité. La loi du 5 mars 2007, publiée au Journal officiel du 6 mars 2007, réforme la protection de l’enfance et donne une base légale aux actions de prévention « primaire » et à la prévention précoce autour de la grossesse et de la naissance.65
« N’importe quel soin prodigué en période périnatale est aussi et simultanément un acte de prévention. » (Dayan, 2008.)
La prévention
La motivation consciente principale des pédopsychiatres qui interviennent dans les services d’obstétrique, en néonatalogie ou en réanimation néonatale, est avant tout de prévenir, de repérer et de traiter les dysharmonies relationnelles périnatales (parents–fœtus/bébé) ainsi que leurs conséquences possibles chez le fœtus/bébé. Si les troubles maternels ont un impact sur la qualité des interactions mère–bébé, les risques de survenue de troubles chez le bébé dépendent de multiples facteurs qui doivent proscrire toute idée de causalité linéaire et de prédictibilité entre des troubles maternels et la survenue de troubles chez le bébé. Chaque bébé est particulier (rôle des facteurs endogènes de ressources et de vulnérabilités) et s’engage de manière spécifique dans la relation. Toutefois, il est entièrement dépendant des soins qu’il reçoit et, en premier lieu, de ceux de sa mère (ou du substitut maternel). Il est ainsi essentiel de s’occuper des mères, premier pas fondamental dans la prévention des troubles précoces du lien mère–bébé, et de souligner l’importance de l’environnement parental, familial, mais aussi social, culturel et professionnel autour de chaque femme. En paraphrasant D.W. Winnicott, notre devise devrait être « Une mère seule, ça ne devrait pas exister ! »
L’engagement d’équipes pluridisciplinaires en périnatalité trouve toute sa place dans la prévention des troubles précoces de l’enfant. C’est une des missions des intersecteurs de psychiatrie infanto-juvénile dont fait partie la psychiatrie de liaison. Certains services de pédopsychiatrie ou de psychiatrie adulte ont pu créer des unités de parentalité qui en lien avec les équipes de PMI mettent en œuvre des stratégies d’accompagnement des mères–pères–bébé après la sortie de maternité. Peu disposent d’une unité d’hospitalisation psychiatrique mère–bébé. Les dispositifs d’accompagnement en périnatalité sont très différents d’un service à un autre, et d’une région à une autre en France en fonction de la culture locale et des moyens.
Pourquoi intervenir en maternité ?
Cet engagement en maternité plaide pour :
• donner toute sa place au prénatal, premier chapitre de la biographie humaine (Missonnier, 2009e) ;
• faire reconnaître les potentialités thérapeutiques fécondes de ce moment de la vie qui prépare la place de l’enfant à venir ;
• militer pour une « bonne » anticipation de la naissance à venir, dans une dynamique de réflexion laissant toute sa place aux possibles, à l’imprévu et aux effets de rencontre, dans un refus de toute prédictibilité ;
• permettre, autoriser, faciliter une mobilisation psychique qui remet au travail les processus de pensée réflexive lorsqu’un symptôme (angoisses diverses, craintes, fluctuations émotionnelles intenses, manifestations somatiques, agressivité, etc.) apparaît.
Madame O. accouche un vendredi matin. Elle est dans sa chambre l’après-midi et la sage-femme des suites de couches repère qu’il est inscrit sur son dossier un antécédent de dépression du post-partum traité par rispéridone (Risperdal®) et arrêté en début de grossesse. La sortie de cette patiente étant prévue le lundi matin, elle me propose de la voir car il n’y a pas de « psy » le week-end et la nuit. S’il est peu souhaitable de rencontrer une patiente le jour même de l’accouchement, la sortie prévue le 3e jour pour un accouchement eutocique, me pousse à tenter la rencontre avec cette jeune femme. Madame O. est presque figée lorsque je me présente, non préparée à ma venue, dans une attitude que je comprendrais ensuite, comme une tentative de mettre à distance ses antécédents psychiatriques dont elle a honte. Ce premier contact est complètement raté. Elle et moi ne sommes pas au même rythme. Elle accepte cependant que je reste un moment avec elle, et c’est autour du bébé que nous trouvons un apaisement. Le deuxième entretien a lieu le lundi après-midi suivant, alors qu’elle a accepté de rester un jour de plus dans le service pour que nous nous rencontrions à nouveau. Madame O. me parle alors de ses antécédents, des épisodes psychotiques aigus (et non pas dépressifs) qu’elle attribue à des moments de surmenages et qui, toujours en urgence, ont été traités par la prise de psychotropes. Elle accepte de revoir le psychiatre d’adulte qui l’avait antérieurement reçue et que je puisse l’accompagner dans les semaines à venir dans le lien mère–bébé. Je n’ai pas rencontré son mari, mais Madame O. lui a fait part de notre échange et il a soutenu ma démarche auprès de sa femme, l’a rassurée et s’est montré un allié pour l’installation du suivi.
La protection de l’enfance
Régulièrement, nous pouvons, dès le temps de la maternité, être confronté à une situation d’un bébé potentiellement en danger, voire déjà en danger. Dans ces cas, la décision d’écrire une information préoccupante ou un signalement se discute, au mieux en équipe, lors d’un staff de parentalité, et la sortie du bébé peut être reportée. Les parents sont informés de cet écrit qui est adressé à la cellule de signalement de leur département de résidence. Dans les situations d’urgence, le signalement est envoyé de façon concomitante au procureur de la République chargé des mineurs.
Dans les situations d’un fœtus en danger (lors d’une alcoolisation maternelle par exemple, ou dans un contexte de grande violence connu, etc., il peut être décidé, lors d’un staff prénatal, d’écrire un signalement pour accompagner le projet de soins. Cependant, comme il n’y a pas de signalement pour un fœtus puisqu’il n’a pas encore d’existence juridique légale, l’écrit est adressé au procureur et à la cellule de signalement après la naissance de l’enfant.
En fonction des éléments de gravité et/ou d’urgence, les professionnels de terrain adressent à la cellule un écrit qui relève soit d’une information préoccupante, soit d’un signalement. Mais les membres de la cellule (cellule départementale de signalement ; à Paris, la CRIP75 : cellule de recueil des informations préoccupantes) ont le pouvoir de décider l’orientation à donner à l’écrit transmis par l’équipe de la maternité. Ils peuvent, au vu du contenu de l’écrit, décider de le transmettre au procureur de la République.
Dans le cadre d’une information préoccupante : les éléments de l’information préoccupante sont transmis au responsable enfance de l’EDS (Espace départemental des solidarités ou maison départementale des solidarités, anciennement nommé circonscription d’action sanitaire et sociale) afin de poursuivre l’évaluation faite à la maternité. L’équipe de l’EDS doit transmettre, dans un délai de 2 mois, les conclusions de leur évaluation avec des préconisations de suivi si nécessaire. Dans ce cadre, le suivi se met en place, avec l’adhésion des parents (accompagnement éducatif à domicile : AED ; proposition d’intervention d’une TISF, etc.).
Le procureur de la République est le seul professionnel à pouvoir, au vu des éléments qui lui sont adressés, se saisir en urgence et prendre une mesure de protection immédiate : une ordonnance de placement provisoire (OPP), valable initialement 8 jours, le temps de la saisine du juge pour enfants. Cela signifie que le procureur a 8 jours pour transmettre le dossier au juge pour enfants. L’OPP est maintenue jusqu’à la rencontre avec le juge pour enfants.
Le procureur peut demander un complément d’information et d’évaluation aux professionnels de l’ASE ou diligenter une enquête par la brigade territoriale pour la protection de la famille (anciennement brigade des mineurs).
Les parents sont reçus par le juge pour enfants dans un délai d’environ 8 à 15 jours. Le juge aura donc connaissance des derniers éléments de l’évaluation pour cette rencontre. Il peut alors décider de maintenir la mesure de protection – maintien de l’OPP (éléments jugés inquiétants) – ou de lever l’OPP (éléments jugés plus rassurants). Dans tous les cas, il mandate une équipe chargée d’une mesure d’évaluation et d’accompagnement dans un cadre judiciaire : investigation et orientation éducative (IOE)66, puis aide éducative en milieu ouvert (AEMO).
Le magistrat (juge pour enfants) peut mandater différents services pour assurer l’accompagnement comme l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou le Service social de l’enfance (SSE).
Divers types d’accueil sont proposés selon les possibilités locales (la pouponnière le plus souvent, une famille d’accueil, un placement familial thérapeutique…). Des modalités de rencontre parents–enfant sont organisées par l’ASE, médiatisées ou non après le placement en fonction de l’ordonnance du juge. La séparation physique parents–bébé ne suffit pas à prévenir la survenue de troubles chez l’enfant et ne protège l’enfant que physiquement. Un accompagnement thérapeutique des parents, du lien parents–bébé, et une observation attentive du bébé sont indispensables par des professionnels spécialisés en périnatalité. Ces suivis sont longs, souvent difficiles mais essentiels pour éviter chez les parents, des grossesses à répétition, chacune ayant comme objectif de combler, réparer, et guérir les blessures de la séparation précédente vécue de manière traumatique, et pour donner, chez l’enfant, un sens aux liens avec ses parents et à son histoire.
À la maternité, l’envoi d’un signalement est expliqué aux parents. Il est le résultat d’une réflexion d’équipe et non pas l’écrit d’un seul professionnel. Dans ces situations difficiles, il nous semble préférable d’être au moins deux professionnels à accompagner et soutenir les parents afin de mieux gérer les mouvements émotionnels inévitablement induits par cette annonce. Il peut arriver en effet que cela déclenche un mouvement de violence chez des parents dans le déni de leurs troubles, persécutés par la décision incompréhensible pour eux de ne pas pouvoir sortir avec leur enfant avant la rencontre avec le juge. Ce sont des situations rares mais particulièrement éprouvantes. Le plus souvent, notre présence attentive et bienveillante permet aux parents d’entendre l’importance d’accompagner, de manière cadrée et soutenue, leur parentalité, sans les disqualifier, et en soutenant leur place de parents pour leur bébé, celle de parents capables de repérer leurs difficultés même si, généralement, ils n’acceptent pas le signalement. Il peut aussi arriver que des parents soient apaisés par la demande d’une mesure de protection.
La pédopsychiatrie en maternité : un cadre spécifique
Habituellement, l’intervention du pédopsychiatre de liaison en maternité s’étend de la grossesse (possiblement en antéconceptionnel) aux premières semaines du post-partum. Un travail d’articulation et de relais s’organise, si cela s’avère nécessaire, conjointement ou à la suite, avec les professionnels engagés en périnatalité sur le terrain extra-hospitalier : la PMI dont le rôle est essentiel pour le suivi de la grossesse puis du petit enfant de 0 à 6 ans, les partenaires des intersecteurs de pédopsychiatrie et du secteur de psychiatrie adulte, les médecins généralistes, les sages-femmes libérales, les assistantes sociales de la maternité ou du secteur, etc. Chacun doit définir son cadre de travail, et se situer par rapport aux autres professionnels qui interviendront tout au long de ce processus de la naissance, et aussi définir la temporalité de son intervention.
C’est ainsi que j’interviens en étant praticien hospitalier de l’intersecteur de pédopsychiatrie en liaison67a dans le service de gynécologie-obstétrique, de manière régulière, quatre demi-journées par semaine, une autre psychiatre67b intervient deux demi-journées par semaine dans le même cadre en équipe avec trois psychologues à mi-temps embauchées par la maternité. Ce nombre nous permet d’assurer une présence quotidienne pendant la semaine pour répondre aux nombreuses demandes de la gynécologie et de l’obstétrique durant les hospitalisations ou pour proposer des suivis de consultations en ambulatoire, animer un groupe de paroles pour les patientes endeuillées par une grossesse interrompue, participer aux échanges interprofessionnels dans certains staffs, ou encore soutenir les équipes soignantes confrontées à des situations douloureuses. Une demi-journée par semaine, et lors du staff de parentalité, l’équipe des « psy » est au complet pour un temps de réflexion partagé.
Les différents professionnels du périnatal, chacun dans sa fonction, s’articulent selon les règles d’une interdisciplinarité dans le respect des règles de transmission et de partage des informations (Carel, 1992, 2003). Les échanges avec les obstétriciens, les sages-femmes, et les autres professionnels assurent la continuité et la cohérence du suivi.
Il ne s’agit pas de « tout psychiatriser » et beaucoup de patientes nous ont souvent montré leur extraordinaire capacité à se réorganiser et à s’ajuster à leur bébé malgré leurs angoisses ou leurs difficultés personnelles. Il s’agit de dire que toute naissance s’accompagne tant chez la femme que chez l’homme d’un remaniement psychologique profond qui sera accueilli au même titre que l’examen médical et somatique. Chaque couple doit pouvoir trouver un espace et un temps pour parler à un professionnel de la périnatalité (pas nécessairement un psychologue) d’eux-mêmes, de leur projet de naissance et de leurs préoccupations s’ils le souhaitent ou s’ils le peuvent. Il y a aussi des femmes ou des couples qui montrent des signes inquiétants de désorganisation psychique et de souffrance psychique mais qui refusent tout contact avec les professionnels.
Madame R. est très angoissée. À la suite d’un malaise vagal, l’obstétricien me demande de rencontrer cette patiente. Madame R. me fait part de troubles psychiques anciens qui l’ont handicapée dans sa vie sociale et qui ont retardé son projet d’avoir un enfant. Cela lui faisait très peur. Elle m’explique qu’ayant atteint l’âge de 40 ans, elle devait le faire maintenant. La grossesse est à environ 26 SA. Le suivi obstétrical est très irrégulier. Madame R. exprime très clairement que le bébé in utero la terrifie et qu’elle préfère éviter d’y penser. C’est pourquoi, elle ne vient pas voir l’obstétricien. Elle dit que tout ira mieux après la naissance. Des rendez-vous psychiatriques lui sont proposés mais si elle les accepte, elle ne vient à aucun d’eux. Après une absence, elle reprend rendez-vous mais ne vient pas. Un suivi par la sage-femme de secteur est tenté car elle met en avant l’impossibilité de sortir de chez elle souffrant nous dit-elle d’agoraphobie. Mais Madame R. n’ouvre pas la porte et se montre inaccessible à toute rencontre. La situation est préoccupante parce qu’elle prend aussi, depuis des années, un traitement psychotrope, dont l’un des produits est contre-indiqué pendant la grossesse. Elle refuse d’arrêter ce médicament malgré les informations données par le médecin, ainsi que la proposition de modifier son traitement de manière à être compatible avec la grossesse. Madame R. transmet son angoisse majeure de décompenser, refuse de changer son traitement, accrochée depuis des années à la même prescription qu’elle réussit à faire renouveler malgré les contre-indications.
8.2 Les antécédents psychiatriques individuels, conjugaux et générationnels
Généralités
Il est bien évident que l’approche uniquement individuelle de la femme est une approche réductrice mais elle est nécessaire.
La femme est libre de dire à la sage-femme ou à l’obstétricien, que ce soit en PMI, en libéral, ou à la maternité, ses antécédents psychiatriques, qui seront inscrits sur son dossier médical. Certaines en parlent aisément, d’autres les taisent ou ne les révèlent qu’incidemment lors d’une consultation obstétricale, d’un prélèvement ou même après la naissance. Les noter ne suffit évidemment pas. Comment recueillir ces informations et pour quel objectif, que noter et que transmettre ensuite et à quel professionnel, nécessite toujours une réflexion active. L’entretien prénatal précoce (EPP) a institutionnalisé ce temps d’écoute des signes d’appel psychiques dans le suivi obstétrical (cf. chapitre 11).
Cette connaissance nous permet dès le temps prénatal de :
• préparer l’accueil de la patiente en suites de couches (durée de séjour plus longue, chambre seule, note de transmission préparée avec la patiente destinée à la sage-femme de la salle de travail le jour de l’accouchement…) ;
• discuter de manière anticipée de la question de l’allaitement, en lien avec le pédiatre du service et avec les informations de la pharmacovigilance, si la femme a besoin de poursuivre ou de prendre un traitement psychotrope ;
• construire un projet d’accompagnement plus soutenu, en installant avec les professionnels de l’anténatal et du postnatal (PMI, EDS, professionnels des unités d’aide à la parentalité…) un réseau de soutien, des appuis de sécurité autour de la patiente, dans une anticipation souple et bienveillante, réajustée en fonction des imprévus. Un tel projet nécessite une alliance thérapeutique avec la patiente et le couple et un certain niveau de confiance ce qui n’est pas toujours le cas. Pour les professionnels, cette dynamique fait place aux doutes, aux incertitudes, aux questions, à des angoisses dans l’accompagnement de certaines familles. Il faut accepter de ne pas pouvoir tout maîtriser pour s’ajuster à ce que peuvent accepter les parents, là où ils en sont de leur parcours respectif. Toute démarche intrusive et prédictive est persécutrice, et pathogène, soit iatrogène. Certaines situations de retour à la maison restent périlleuses pour le bébé.
Mademoiselle N. accouche de son troisième enfant. La grossesse n’avait pas été souhaitée. Lorsqu’ elle découvre sa grossesse, elle demande une IVG mais le délai légal est dépassé. La grossesse est ensuite peu suivie. Le bébé naît hypotrophe à terme. Lors du séjour à la maternité, la jeune femme confie régulièrement le bébé aux auxiliaires de puériculture et s’absente du service. Quand elle revient, elle va chercher sa fille et la ramène dans sa chambre sans rien demander. Elle sait faire les soins du bébé « comme un robot » dit l’auxiliaire, sans échanges relationnels et sans affects avec l’enfant. Cette jeune femme au profil carentiel, au corps déformé, peu soignée explique qu’il ne faut pas prendre les bébés dans les bras parce que sinon ils s’attachent. Il semble difficile pour elle de donner ce que manifestement elle n’a pas reçu, de porter ce bébé alors qu’elle-même n’a pas été portée et ne l’est toujours pas dans sa vie. Elle a traversé de nombreuses « galères » comme elle dit, avec sa famille et les hommes qui la laissent régulièrement tomber. Ses deux premiers enfants sont placés. Cette fois, elle ira chez sa mère en quittant la maternité. Elle refuse une proposition de suivi dans une unité de parentalité mais elle accepte le suivi du bébé à la PMI et une HAD pédiatrique. Nous transmettons une note d’information au juge pour enfants qui suit la situation des deux premiers enfants sur l’évaluation faite à la maternité. Nous apprenons que deux mois plus tard, à la suite d’un nouveau signalement fait par la PMI pour négligences, le juge pour enfants a décidé le placement de l’enfant.
À la maternité, les femmes sont reçues parce qu’elles attendent un enfant. Parmi ces femmes enceintes, un certain nombre ont des antécédents de pathologie mentale survenue lors d’une grossesse précédente (antécédent de décompensation du post-partum…), d’autres souffrent d’une maladie psychiatrique avérée (troubles du spectre de la schizophrénie, troubles bipolaires, troubles obsessionnels compulsifs, troubles du comportement alimentaire, addictions diverses…), certaines traversent une période difficile dans leur vie s’accompagnant d’une vulnérabilité psychique et d’un risque dépressif.
Dans tous les cas, il s’agit avant tout, pour le psychologue et/ou le psychiatre, d’accompagner la parentalité de ces femmes, de se préoccuper de la manière dont elles vont s’organiser psychiquement dans leur maternité. Une femme ne se résume pas à un diagnostic de schizophrénie, de dépression, de bipolarité, etc. La manière de devenir mère quand une patiente souffre de schizophrénie, par exemple, peut être très différente d’une patiente à l’autre et même d’une grossesse à l’autre. Il est cependant essentiel de connaître la nosographie psychiatrique, de savoir reconnaître les signes de souffrance psychique et les signes cliniques des décompensations du pré- et du post-partum, de savoir repérer le mode de fonctionnement psychique d’une patiente, son niveau d’angoisse et la manière dont elle y fait face et d’évaluer les ressources et les vulnérabilités de son environnement proche. Tous ces éléments permettent de préparer un projet d’accompagnement de la grossesse, des suites de couches puis du post-partum.
• attendre la naissance et l’évaluation de la relation mère–bébé pour construire un projet de suivi : « on verra bien » ;
• décider que « de toute façon, avec cette mère, il faut placer ce bébé » ;
• décider qu’il faut « donner une chance à cette mère » avec le fantasme d’une réparation de celle-ci par la maternité.
La recherche des antécédents et la connaissance des points de vulnérabilité parentale sont donc nécessaires dans cette optique de prévention, d’attention aux parents et d’organisation des soins périnataux en luttant contre toute stigmatisation et tout jugement « a priori ». Aucun professionnel même « psy » n’est à l’abri de tels mouvements internes de jugement, et de tentative d’évacuation de l’angoisse provoquée par ces situations, en particulier lorsqu’il n’a pas la possibilité de partager dans un récit adressé à un autre professionnel, ce qui se vit émotionnellement et psychiquement avec ces familles en si grandes difficultés.
Les antécédents et les troubles psychiatriques individuels (non exhaustif)
• un trouble bipolaire, à très haut risque de décompensation aiguë dans le post-partum ;
• un antécédent de psychose aiguë du post-partum ;
• une maladie du spectre de la schizophrénie ;
• des antécédents de dépression, dont une dépression du post-partum lors des grossesses précédentes ;
• un trouble de la personnalité (une façon d’être au monde, de gérer ses angoisses, de se défendre lors des conflits psychiques…) ;
• des antécédents traumatiques (dont les antécédents d’abus sexuels seulement si la femme en parle spontanément), les antécédents obstétricaux lors des grossesses précédentes ou chez des proches, les antécédents traumatiques familiaux, etc. ;
• une pathologie addictive : alcool, cannabis ou autres, médicamenteuses aux anxiolytiques ou hypnotiques, par exemple… ;
• un trouble du comportement alimentaire non résolu ;
• un parcours fait de discontinuités, de ruptures, de carences affectives et/ou éducatives, de placements et/ou de maltraitance (physique et/ou psychique) dans l’enfance, de deuils, d’isolement dans un contexte de migration ;
• un traitement médicamenteux qui nécessite un avis de pharmacovigilance et celui d’un pédiatre en anténatal du fait des risques malformatifs, tératogènes, mais aussi des risques d’imprégnation fœtale, puis de sevrage à la naissance. Une information précise sera transmise à la femme et au couple dès la grossesse.