8
Principes anesthésiques et analgésiques
Introduction
L’anesthésie est l’acte qui permet de supprimer la sensation douloureuse, la réponse neurovégétative et l’immobilisation du site intéressé afin de permettre le geste chirurgical.
Classiquement, on distingue l’anesthésie générale et l’anesthésie locorégionale. Le choix de la stratégie dépend de l’histoire clinique du patient et de ses préférences.
Anesthésie générale
L’état d’anesthésie générale est défini comme la combinaison d’une perte de conscience réversible, d’une amnésie, d’une analgésie, d’une relaxation musculaire, et d’une atténuation des réflexes sensoriels, somatiques et hormonaux.
L’anesthésie générale est dite « balancée » lorsqu’elle requiert l’administration d’un hypnotique ou d’un halogéné qui assurent le sommeil, d’un curare qui paralyse la musculature et d’un opioïde qui prévient la douleur et la réponse neurovégétative sympathique.
Durant l’intervention, le sommeil est assuré par l’administration continue d’un hypnotique par voie intraveineuse, comme le propofol (anesthésie intraveineuse) ou par l’administration continue d’un anesthésique par inhalation de type sévoflurane ou desflurane par le biais de la ventilation.
Les opioïdes sont administrés par doses itératives toutes les 10 à 30 minutes ou en perfusion continue.
L’administration des curares se fait selon les besoins de l’intervention.
Le réveil est assuré par un arrêt des différents produits.
Enfin, on parle de sédation-analgésie lorsque le patient maintient une respiration spontanée.
Anesthésie locorégionale (ALR)
L’anesthésie locorégionale comprend :
• l’anesthésie périmédullaire, qui regroupe :
– l’anesthésie rachidienne, technique dans laquelle les anesthésiques locaux sont administrés dans l’espace intrathécal, appelé aussi sous-arachnoïdien, et qui permet l’acte chirurgical sur la moitié inférieure du corps,
– l’anesthésie péridurale, technique principalement analgésique ; un cathéter est maintenu en place pendant une période de 2 à 7 jours. Cette technique est associée à une anesthésie générale ou rachidienne,
– et l’anesthésie caudale, pratiquée uniquement chez les enfants jusqu’à un âge de 6 à 8 ans et qui consiste à injecter les anesthésiques locaux dans l’espace caudal au niveau du hiatus sacral ; cet espace est la prolongation de l’espace péridural et s’oblitère au-delà de 8 ans. Tout comme l’anesthésie périmédullaire, c’est une technique analgésique qui doit être associée à une autre anesthésie ;
• l’anesthésie périphérique, qui regroupe les blocs plexiques (ex : bloc interscalénique, bloc lombaire paravertébral), les blocs tronculaires (ex : bloc du nerf fémoral, bloc du nerf ischiatique), et l’anesthésie intraveineuse totale ou bloc de Bier :
– lors d’un bloc plexique ou tronculaire, une injection peut être associée à la mise en place d’un cathéter pour assurer une analgésie sur quelques jours,
– le bloc de Bier est une technique qui consiste à injecter un anesthésique local dans une voie veineuse du membre supérieur (plus rarement inférieur), après l’avoir « exsanguiné » puis garrotté. Cette technique est indiquée pour des opérations d’une durée maximale de 60 à 90 minutes et tend à être abandonnée en raison du risque d’intoxication par des anesthésiques locaux au lâchage du garrot et par le développement de l’anesthésie locorégionale échoguidée.
L’anesthésie combinée est la combinaison d’une anesthésie générale et d’une anesthésie locorégionale.
Le tableau 8.1 résume quelques stratégies anesthésiques en fonction de l’intervention programmée.
Évaluation préopératoire
Généralités
Avant chaque intervention, tout patient doit bénéficier d’un examen préopératoire par un anesthésiste.
Pour mener à bien son évaluation et définir une stratégie, l’anesthésiste doit connaître l’indication opératoire, le type d’intervention, la durée opératoire prévue, ainsi que le nom de l’opérateur.
L’évaluation préopératoire comprend une anamnèse détaillée, un examen clinique et la prescription d’éventuels examens complémentaires.
La consultation permet également de répondre aux questions du patient, de lui expliquer les diverses procédures, avec les risques et complications potentiels, et d’obtenir un consentement éclairé.
L’ensemble des informations, dûment transcrites dans le dossier du patient, permet ensuite d’établir une stratégie anesthésique, tout en tenant compte des craintes et des souhaits du patient.
Les complications périopératoires les plus fréquentes sont les arythmies, le syndrome coronarien aigu, la décompensation cardiaque, et l’embolie pulmonaire.
Les examens complémentaires sont choisis uniquement en fonction de l’anamnèse ou de l’examen clinique ; ils ne sont recommandés que s’ils conduisent à un changement de prise en charge médicale, chirurgicale ou anesthésique.
Effectués de manière routinière chez des sujets sains de moins de 40 ans, seuls 1 % des examens de laboratoire et 4 % des radiographies de thorax présentent des anomalies.
Une symptomatologie inaugurale ou un changement de symptomatologie chez un patient ayant des antécédents cardiaques impose la prescription d’examens complémentaires appropriés, tels qu’une ergométrie, une échocardiographie ou une scintigraphie myocardique.
En cas de pathologie respiratoire importante, une gazométrie artérielle ou des explorations fonctionnelles pulmonaires (fonctions pulmonaires) peuvent s’avérer nécessaires.
Examens de laboratoire
Les examens de laboratoire suivants sont recommandés :
une concentration d’hémoglobine chez la femme de plus de 40 ans et chez l’homme de plus de 50 ans ;
une glycémie en cas de diabète ou chez des patients âgés de plus de 60 ans ;
des électrolytes et une créatinémie en cas de traitement diurétique, d’insuffisance rénale ou chez des patients âgés de plus de 60 ans ;
un groupe sanguin et une recherche d’agglutinines irrégulières en cas de risque hémorragique important ;
un temps de Quick (taux de prothrombine) et un temps de céphaline activé en cas de traitement anticoagulant, ou d’anamnèse hématologique positive.
La validité de ces examens est de 12 mois si aucun événement ne survient dans l’intervalle.
ECG (électrocardiogramme)
Un ECG 12 dérivations doit être effectué chez tout patient qui présente des facteurs de risque cardiovasculaire, une pathologie cardiaque ou une maladie systémique (ex : collagénose).
Quoi qu’il en soit cet examen est conseillé chez l’homme dès 40 ans et chez la femme dès 50 ans.
La validité d’un ECG est de 12 mois si aucun événement cardiovasculaire ne survient dans l’intervalle.
Radiographie du thorax
Une radiographie du thorax est effectuée chez le patient migrant sans contrôle sanitaire, ou lors de pathologie particulière (goitre, insuffisance cardiaque, bronchopneumonie chronique obstructive, processus néoplasique avec possibilité de métastases pulmonaires).
La validité d’une radiographie du thorax est de 12 mois si aucune affection respiratoire ne survient dans l’intervalle.
Une radiographie du thorax est inutile en l’absence de signe d’appel clinique, ou si l’anesthésiste dispose d’un scanner thoracique ou d’une imagerie par résonance magnétique nucléaire.
Revascularisation coronarienne
La revascularisation coronarienne comprend l’angioplastie simple, l’angioplastie et stent métallique simple ou stent actif, et le pontage aortocoronarien ; elle n’est pas indiquée à titre prophylactique en préopératoire.
Les indications d’une revascularisation sont les mêmes qu’en dehors du contexte chirurgical.
Une revascularisation coronarienne transforme une sténose serrée stable en zone ouverte instable jusqu’à la réendothélialisation. Tant que la réendothélialisation n’est pas achevée, le risque opératoire est beaucoup plus élevé (augmentation du risque d’un facteur 5 à 10) qu’en l’absence de revascularisation. Dans ce dernier cas, le traitement médical optimal (antiplaquettaires, bêtabloquants, statines) doit être poursuivi.
La bithérapie antiagrégante d’acide acétylsalicylique (AAS, Aspirine) et de clopidogrel (Plavix) inhibe de manière irréversible l’activité plaquettaire et réduit le risque de thrombose ; elle est maintenue jusqu’à ce que le processus de réendothélialisation soit complet. Tant que ce processus n’est pas complet, l’arrêt seul du clopidogrel est particulièrement dangereux en cas de stent actif et entraîne un risque accru de thrombose.
Le délai de réendothélialisation, la durée d’administration d’une bithérapie antiagrégante et le délai pour une chirurgie non cardiaque après revascularisation coronarienne dépendent de la nature de la revascularisation, soit 4–6 semaines pour une angioplastie simple, 6–12 semaines pour un stent nu ou un pontage aortocoronarien et 12 mois pour un stent actif.
Le choix du mode de revascularisation (angioplastie sans stent, angioplastie avec stent nu ou actif, pontage aortocoronarien) doit être guidé non seulement par le bilan coronarien, mais aussi par le degré d’urgence de l’intervention chirurgicale non cardiaque.
Ainsi, après revascularisation par stent actif, toute intervention élective est contre-indiquée pendant 12 mois. Après la bithérapie, seule l’AAS est maintenu à vie. Son arrêt peut entraîner la thrombose du stent actif, même à long terme.
Les données actuelles démontrent qu’il y a moins de risque à maintenir le traitement antiplaquettaire pendant la période opératoire, au risque de devoir transfuser le malade, qu’à l’interrompre : en cas d’interruption l’incidence de la thrombose coronarienne est de 30 %, la mortalité de 20 à 40 %.
En cas d’intervention semi-élective (chirurgie oncologique), la cardioprotection médicale (bêtabloquants, antiplaquettaires, statines), maintenue durant toute la période périopératoire, présente moins de risque qu’une revascularisation suivie d’une opération au cours des 3 mois suivants.
Cas particulier des antiplaquettaires
L’AAS prescrit en prévention primaire peut être arrêté sans risque.
Lorsqu’il est prescrit en prévention secondaire (antécédents d’infarctus, cardiopathie ischémique, antécédents de stents ou de pontage aortocoronariens, antécédents d’accident vasculaire cérébral, artériopathie périphérique), l’AAS ne doit jamais être interrompu dans la phase préopératoire.
La seule exception où le maintien de l’AAS peut être discuté est la chirurgie en espace clos, telle que la chirurgie du canal médullaire, la chirurgie à haut risque hémorragique, et les coagulopathies ; il en est de même avec le clopidogrel prescrit en prévention secondaire, en cas d’allergie à l’AAS.
Les anesthésies locorégionales périmédullaires, plexiques et tronculaires sont possibles avec de l’AAS jusqu’à 300 mg/j ; elles sont proscrites en cas de traitement par clopidogrel dans les 7 jours qui précèdent l’intervention.
Cas particulier de la personne âgée
Plus le patient est âgé, plus il est à risque de souffrir de comorbidités importantes et nombreuses.
Ainsi, l’anesthésiste doit revoir l’ensemble des systèmes afin de dépister les éventuelles pathologies suivantes :
• au niveau cardiovasculaire : hypertension artérielle, artériopathie, coronaropathie, insuffisance cardiaque, sténose aortique, insuffisance mitrale, arythmies (fibrillo-flutter auriculaire, bloc atrioventriculaire) ;
• au niveau respiratoire : syndrome d’apnée du sommeil, asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive, emphysème ;
• au niveau du système nerveux central : maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson) et démences vasculaires ;
• au niveau rénal : néphropathie, hypertrophie bénigne de la prostate ;
• au niveau endocrinien et métabolique : diabète, hypothyroïdie, obésité, hypercholestérolémie, cachexie et dénutrition, rhabdomyolyse en cas de décubitus prolongé après une chute ;
• au niveau ostéoarticulaire : ostéoporose, arthrose, cyphoscoliose.
Jeûne préopératoire
Le jeûne préopératoire a pour objectif d’assurer la vidange gastrique complète et de diminuer le risque d’inhalation bronchique lors des opérations électives.
La période de jeûne est de 6 heures pour les solides et le lait maternel, et 2 heures pour les liquides clairs (eau, thé, café, jus de pomme, jus d’orange sans pulpe).
Équipement du patient
une voie veineuse périphérique, par laquelle les médicaments sont administrés ;
un ECG à 3 ou 5 dérivations. Le tracé ECG représente la somme des vecteurs électriques produits par la dépolarisation puis la repolarisation des cellules myocardiques au cours du cycle cardiaque. Une onde positive représente un courant de dépolarisation qui se dirige vers l’électrode alors qu’une onde négative représente un courant de dépolarisation qui s’éloigne de l’électrode. L’ECG renseigne sur l’apparition de troubles du rythme, d’anomalies électrolytiques ou d’ischémie myocardique. Pour des questions de simplification, un monitorage classique à 12 dérivations n’est pas utilisé en pratique anesthésique courante. Selon le réglage effectué, un ECG à 5 dérivations permet de surveiller les épisodes ischémiques des parois inférieure, antérieure et latérale du ventricule gauche ;
un brassard à pression. La mesure de la pression artérielle représente un moyen simple et peu onéreux d’obtenir une évaluation de la perfusion tissulaire et donc de l’oxygénation. Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’une pression artérielle apparemment normale ne garantit ni une perfusion ni une oxygénation adéquates. La mesure de la pression artérielle repose sur le principe de l’oscillométrie. Cette méthode utilise une manchette qui se gonfle et dégonfle automatiquement et qui mesure les oscillations de pression lors du cycle cardiaque ; l’aiguille oscille quand la pression systolique est atteinte ; l’amplitude devient maximale avec la pression artérielle moyenne, puis diminue ; un algorithme permet de calculer les pressions artérielles systolique, diastolique et moyenne en fonction des oscillations ;
un oxymètre de pouls ou saturomètre, qui permet de mesure le degré de saturation en oxygène de l’hémoglobine.
un cathéter artériel pour une mesure continue de la pression artérielle, qui permet d’obtenir une valeur à chaque pulsation. Ceci répond à des besoins de surveillance étroite sur le plan hémodynamique ou sur le plan des échanges gazeux ;
une voie veineuse centrale. Les principes de l’accès veineux central sont détaillés ci-après ;
un moniteur du débit cardiaque de type cathéter de Swan-Ganz ou Doppler œsophagien.
un capnogramme, qui mesure le CO2 expiré et inspiré. Cet équipement permet d’assurer une ventilation en adéquation avec les besoins du patient, d’appréhender la profondeur de l’anesthésie en respiration spontanée, de détecter certaines complications (bronchospasme, variations brutales du débit cardiaque), ainsi que la majeure partie des incidents d’anesthésie (obstruction ou compression des voies aériennes supérieures, fuites, déconnexions) ;
un thermomètre, en raison du risque d’hypothermie secondaire à une vasodilatation et une diminution du métabolisme basal induit par les anesthésiques ;
un neurostimulateur, qui permet d’évaluer le degré de bloc neuromusculaire induit par l’administration des curares. Son monitorage est essentiel en raison de la grande variation interindividuelle de la sensibilité aux curares. En outre, les effets secondaires d’une curarisation résiduelle ne sont pas négligeables (syndrome d’inhalation bronchique, insuffisance respiratoire, dysphagie). Le neurostimulateur permet un monitorage de la fonction neuromusculaire par le biais de la stimulation électrique d’un nerf moteur périphérique. La réponse motrice observée ou mesurée est fonction du degré du bloc neuromusculaire ;
éventuellement un moniteur de la profondeur d’anesthésie (ex : BIS = index bispectral).
Voie veineuse centrale
Techniques de ponction
Une échographie peut aider le praticien à localiser la veine à ponctionner.
Seules les techniques de ponction sans échographie de la voie jugulaire et de la voie fémorale sont décrites ci-après.
L’asepsie doit être chirurgicale (gants, masque, bonnet, blouse, désinfection large et champ chirurgical) et toute faute de stérilité condamnée.
La ponction de la veine jugulaire interne est préférée à droite, car l’apex pulmonaire est plus bas, le canal thoracique n’est présent qu’à gauche, et le trajet est rectiligne vers la veine cave supérieure.