8 Notion de normalité
En médecine somatique, il a souvent été débattu du « normal » et du « pathologique », G. Canguilhem a consacré une étude à la recherche des variations de l’homogénéité et de la continuité au niveau de ces deux notions ; il a conclu dans la maladie à la réduction de la marge de tolérance au milieu ; pour lui l’homme « normal » est celui qui reste adapté à son milieu. Cette conception semble pouvoir être reprise en psychopathologie.
Les publications de S. Freud et de son école ont porté essentiellement sur le complexe d’Œdipe et les névroses et ont démontré qu’il n’existait aucun fossé fondamental entre l’individu réputé normal et le névrosé quant aux grandes lignes de la structure profonde. On a donc eu tendance par la suite à ranger d’un même côté les gens « sains » et les névrosés (c’est-à-dire les sujets chez lesquels la personnalité s’organise autour du complexe d’Œdipe et sous le primat du génital) et d’un autre côté ceux pour lesquels le complexe d’Œdipe ne se trouve pas en position d’organisateur et pour lesquels l’économie génitale n’est pas l’essentiel.
Mais les recherches contemporaines ont étendu peu à peu le champ d’application des découvertes freudiennes au domaine des psychoses et il est devenu de plus en plus évident qu’il existait tout autant de termes de passage entre psychose et une certaine forme de « normalité » qu’entre névrose et une autre forme de « normalité ».
Les psychopathologues se montrent plus prudents et plus nuancés dans leurs distinctions et tendent à définir une conception de la « normalité » indépendante de la notion de structure. Ils se rapprochent ainsi de l’opinion fort sage de l’homme de la rue qui estime que n’importe quel humain se trouve dans un « état normal », quels que soient ses problèmes profonds, quand il arrive à s’arranger avec ceux-là et s’adapter à lui-même comme aux autres, sans se paralyser intérieurement dans ses conflits obligatoires, ni se faire rejeter (hôpital, asile, prison, etc.) par les autres, malgré les inévitables divergences encourues dans les relations avec eux.
Cependant pour ne pas demeurer sur un plan trop théorique sinon idyllique, il y aurait lieu de distinguer les personnalités « normales » des personnalités « pseudo-normales ».
Les « personnalités pseudo-normales » au contraire, ne correspondent justement pas à une structure profonde stable et table et définitive, de mode névrotique ou psychotique par exemple. Elles ne sont pas tellement structurées dans un sens ou dans l’autre et sont constituées, de façon parfois durable mais toujours précaire, par des aménagements divers, pas tellement originaux, qui les contraignent, afin de ne pas se décompenser dans la dépression, « à jouer aux gens normaux » ; souvent même davantage à l’« hypernormal » qu’à l’original. C’est en quelque sorte un besoin protecteur d’hypomanie permanente. Nous en reparlerons à propos des états-limites et des névroses de caractère en particulier. Mais le bon sens détecte facilement, dans des circonstances sociologiques diverses, ces « leaders exceptionnels » (auxquels tant d’autres déçus narcissiques s’agrippent) qui luttent simplement avec fougue contre leur immaturité structurelle et leurs frustrations, voulant éviter à tout prix une dépression dont le danger n’est pas écarté pour autant à tout jamais ni à tout coup. Et combien de « petits génies » se comportent de la même façon dans leur famille, leur quartier, leur milieu de vie ou de travail.
Nous risquons d’arriver ainsi à une conception doublement ambiguë de la notion de normalité. Aussi nous paraît-il plus raisonnable de prendre un recul supplémentaire par rapport à ce concept et de nous limiter à considérer le résultat fonctionnel global pour nous référer à l’appellation de « bien portant » quelle que soit la forme de bonne adaptation à une « normalité » ou à une « pseudo-normalité », telles que nous avons cherché à les préciser et à les définir.
Bergeret J. Personnalité normale et pathologique. Paris: Dunod; 1974.
Canguilhem G. Le normal et le pathologique. Paris: PUF; 1966. 226 p
Diatkine R. Du normal et du pathologique dans l’évolution mentale de l’enfant. La Psychiatrie de l’Enfant. 1967;1:1-42.
Minkowski E. À la recherche de la norme en psychopathologie. L’Évolution Psychiatrique 1938; 1.