Chapitre 8
Mécanismes d’action de l’immunité humorale
Élimination des microbes et des toxines extracellulaires
Propriétés des anticorps déterminant leurs fonctions effectrices
Neutralisation des microbes et des toxines microbiennes
Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps
Réactions, dépendantes de l’IgE, des mastocytes et des éosinophiles
Voies d’activation du complément
Fonctions des anticorps dans des sites anatomiques particuliers
Comment des microbes échappent à l’immunité humorale
L’immunité humorale est le type de défense qui est assurée par des anticorps sécrétés. Elle est nécessaire pour la protection contre des microbes extracellulaires et leurs toxines. Les anticorps préviennent les infections en empêchant que les microbes ne se fixent aux cellules et n’y pénètrent. Les anticorps se lient également aux toxines microbiennes et les empêchent d’endommager les cellules de l’hôte. En outre, les anticorps servent à éliminer les microbes, les toxines et les cellules infectées de l’organisme. Les anticorps constituent le seul mécanisme de l’immunité acquise capable de lutter contre les microbes extracellulaires, mais ils ne peuvent pas atteindre les microbes qui vivent à l’intérieur des cellules ; l’immunité humorale est cependant essentielle pour les défenses contre les microbes qui vivent et se divisent à l’intérieur des cellules, comme les virus, puisque les anticorps peuvent prévenir l’infection en se liant à ces microbes avant qu’ils ne pénètrent dans les cellules. Les défauts de production d’anticorps sont associés à une augmentation de la sensibilité aux infections par diverses bactéries, virus et parasites. La plupart des vaccins efficaces utilisés actuellement agissent en stimulant la production d’anticorps.
Quels sont les mécanismes utilisés par les anticorps sécrétés pour combattre les différents types d’agents infectieux et leurs toxines ?
Quel est le rôle du système du complément dans les défenses contre les microbes ?
Comment les anticorps combattent-ils les microbes qui pénètrent par les tractus gastro-intestinal et respiratoire ?
Comment les anticorps protègent-ils le fœtus et le nouveau-né contre les infections ?
Propriétés des anticorps déterminant leurs fonctions effectrices
Plusieurs caractéristiques de la production et de la structure des anticorps contribuent de manière importante aux fonctions de ces molécules dans la défense immunitaire.
Les anticorps agissent dans tout l’organisme et dans les muqueuses. Les anticorps sont produits après stimulation des lymphocytes B par des antigènes dans les organes lymphoïdes périphériques (les ganglions lymphatiques, la rate et les tissus lymphoïdes associés aux muqueuses) ainsi que dans les foyers inflammatoires. Parmi les lymphocytes B stimulés par les antigènes, beaucoup se différencient en cellules sécrétrices d’anticorps (plasmocytes), dont certaines restent dans les organes lymphoïdes ou les foyers inflammatoires, alors que d’autres migrent et résident dans la moelle osseuse. Les plasmocytes synthétisent et sécrètent des anticorps de différentes classes de chaînes lourdes (isotypes). Ces anticorps gagnent la circulation sanguine, d’où ils peuvent atteindre n’importe quel site périphérique d’infection, ainsi que les sécrétions des muqueuses, où ils peuvent prévenir les infections par des microbes tentant de pénétrer à travers les épithéliums. Par conséquent, les anticorps sont capables d’exercer leurs fonctions dans tout l’organisme.
Les anticorps protecteurs sont produits au cours de la première réponse (primaire) contre un microbe et en quantité plus importante lors des réponses ultérieures (secondaires) (voir chapitre 7, fig. 7.3). La production d’anticorps commence au cours de la première semaine qui suit l’infection ou la vaccination. Les plasmocytes qui migrent dans la moelle osseuse continuent à produire des anticorps pendant plusieurs mois voire plusieurs années. Si le microbe tente à nouveau d’infecter l’hôte, les anticorps sécrétés en permanence apportent une protection immédiate. Certains des lymphocytes B stimulés par les antigènes se différencient en lymphocytes mémoire, qui ne sécrètent pas d’anticorps mais qui persistent dans l’organisme dans l’attente d’une nouvelle rencontre avec l’antigène. Lors d’une rencontre ultérieure avec le microbe, ces lymphocytes mémoire se différencient rapidement en cellules productrices d’anticorps, libérant une quantité importante de ceux-ci afin de renforcer la défense contre l’infection. L’un des objectifs de la vaccination est de stimuler le développement de plasmocytes à longue durée de vie et de lymphocytes mémoire.
Les anticorps utilisent leurs régions de liaison à l’antigène (Fab) pour se lier aux microbes et aux toxines et ainsi bloquer leurs effets nocifs. Ils utilisent leurs régions Fc pour activer différents mécanismes effecteurs destinés à éliminer ces microbes et ces toxines (fig. 8.1). Cette ségrégation spatiale entre la reconnaissance de l’antigène et les fonctions effectrices des molécules d’anticorps a été décrite au chapitre 4. Les anticorps bloquent, de manière stérique, le pouvoir infectieux des microbes et les effets délétères des toxines microbiennes tout simplement en se liant aux microbes et aux toxines ; ils utilisent pour cela leurs régions Fab. Les autres fonctions des anticorps nécessitent la participation de différents composants des défenses, notamment les phagocytes et le système du complément. La portion Fc des molécules d’immunoglobulines (Ig), constituée des régions constantes des chaînes lourdes, contient les sites de liaison aux récepteurs de Fc des phagocytes et aux protéines du complément. Les anticorps ne se lient aux récepteurs de Fc et du complément que si plusieurs molécules d’Ig ont reconnu un microbe ou un antigène microbien et s’y sont fixées. Par conséquent, les fonctions des anticorps qui dépendent de la région Fc nécessitent également la reconnaissance de l’antigène par les régions Fab. Cette caractéristique des anticorps garantit qu’ils n’activent les mécanismes effecteurs que lorsque cela est nécessaire, c’est-à-dire lorsqu’ils ont reconnu leurs cibles antigéniques.
Fig. 8.1 Fonctions effectrices des anticorps. Les anticorps sont produits suite à l’activation des lymphocytes B par les antigènes et d’autres signaux (non représentés). Les anticorps de différentes classes de chaînes lourdes (isotypes) assurent différentes fonctions effectrices, qui sont illustrées schématiquement dans la partie A de la figure et résumées dans la partie B. Certaines des propriétés des anticorps sont présentées à la figure 4.3, au chapitre 4. Ig, immunoglobuline (classe) ; NK, natural killer.
La commutation d’isotype (classe) des chaînes lourdes et la maturation d’affinité amplifient les fonctions protectrices des anticorps. La commutation isotypique et la maturation d’affinité sont deux changements qui touchent les anticorps produits par des lymphocytes B stimulés par un antigène, en particulier lors de réponses à des antigènes protéiques (voir chapitre 7). La commutation isotypique de chaîne lourde se traduit par la production d’anticorps avec des régions Fc distinctes, capables de différentes fonctions effectrices (fig. 8.1). Ainsi, en optant pour différents isotypes d’anticorps en réponse à divers microbes, le système immunitaire humoral est capable de déclencher des mécanismes les plus efficaces dans la lutte contre ces microbes. Le processus de maturation d’affinité se déroule sous l’effet d’une stimulation prolongée ou répétée par des antigènes protéiques et il conduit à la production d’anticorps ayant des affinités pour l’antigène de plus en plus élevées. Ce changement augmente la capacité des anticorps à se lier et à neutraliser ou éliminer les microbes, surtout si les microbes sont persistants ou capables d’infections récurrentes. C’est une des raisons pour lesquelles il est recommandé d’administrer les vaccins en plusieurs fois ; on amplifie ainsi le pouvoir protecteur de l’immunité.
La commutation vers l’isotype IgG allonge la durée de vie des anticorps dans le sang et donc leur activité fonctionnelle. Le récepteur néonatal de Fc (FcRn) est exprimé par le placenta, les endothéliums, les phagocytes et quelques autres types cellulaires. Dans les endothéliums, le FcRn joue un rôle spécial dans la protection des anticorps IgG contre le catabolisme intracellulaire (fig. 8.2). Les FcRn se trouvent dans les endosomes des cellules endothéliales, où ils se lient à des IgG qui ont été captées par les cellules. Une fois liées aux FcRn, les IgG repassent dans la circulation, évitant ainsi la dégradation lysosomiale. Ce mécanisme de protection d’une protéine sanguine est la raison pour laquelle les anticorps IgG ont une demi-vie d’environ 3 semaines, beaucoup plus longue que celle d’autres isotypes d’Ig (et de la plupart des autres protéines plasmatiques). On a exploité cette propriété des régions Fc des IgG afin d’allonger la demi-vie d’autres protéines en couplant celles-ci à la région Fc d’une IgG. Parmi divers agents thérapeutiques basés sur ce principe, on trouve un antagoniste du facteur de nécrose tumorale (TNF) utilisé pour traiter diverses maladies inflammatoires ; dans ce cas, le récepteur du TNF a été fusionné à un fragment Fc. En couplant le récepteur soluble au fragment Fc d’une molécule d’IgG humaine, on espérait allonger la demi-vie de l’antagoniste du TNF. [NdT : Dans ce cas particulier, le couplage des deux fragments protéiques a modifié la conformation du fragment Fc, ce qui l’a rendu pratiquement incapable de se lier au FcRn.]
Fig. 8.2 Le FcRn contribue à la longue demi-vie de molécules d’IgG. Les molécules d’IgG circulantes sont endocytées par les cellules endothéliales et se lient au FcRn, un récepteur d’IgG présent dans le milieu acide des endosomes. Dans les cellules endothéliales, le FcRn séquestre les molécules d’IgG dans les vésicules des endosomes (pH ~ 4,5). Les complexes FcRn-IgG sont recyclés vers la surface cellulaire, où ils sont exposés à nouveau au pH neutre (pH ~ 7) du sang, ce qui permet la libération des anticorps dans la circulation.
Neutralisation des microbes et des toxines microbiennes
Les anticorps, en se liant aux microbes, bloquent ou neutralisent leur pouvoir infectieux ainsi que les interactions de leurs toxines avec les cellules de l’hôte (fig. 8.3). La plupart des germes utilisent les molécules de leur enveloppe ou de leur paroi cellulaire pour se lier aux cellules et pénétrer à l’intérieur de celles-ci. Les anticorps peuvent se fixer aux molécules de la surface microbienne et empêcher les microbes d’infecter et de coloniser l’hôte. La neutralisation est un mécanisme de défense très utile dans la mesure où elle bloque le développement de l’infection. Les vaccins actuellement les plus efficaces agissent en stimulant la production d’anticorps neutralisants, qui se lient aux microbes et les empêchent d’infecter des cellules. Les microbes qui infectent les cellules peuvent les endommager, ils sont alors libérés et peuvent infecter d’autres cellules adjacentes. Les anticorps décèlent les microbes au cours de leur passage d’une cellule à une autre et limitent ainsi leur propagation. Si un germe infectieux parvient à s’implanter, il peut exercer ses effets nocifs par ses endotoxines ou exotoxines, qui se lient à des récepteurs spécifiques sur les cellules de l’hôte. Les anticorps dirigés contre les toxines empêchent la liaison des toxines aux cellules et bloquent ainsi leurs effets délétères. La démonstration par Emil von Behring de ce type de protection par l’administration d’anticorps contre la toxine diphtérique a été la première démonstration de l’immunité thérapeutique contre un microbe ou sa toxine (sérothérapie), ce qui lui a valu le premier prix Nobel de physiologie et médecine en 1901.
Fig. 8.3 Neutralisation des microbes et des toxines par les anticorps. A. Les anticorps présents sur les surfaces épithéliales, comme dans les tractus digestif et respiratoire, bloquent l’entrée des microbes ingérés ou inhalés. B. Les anticorps empêchent la liaison des microbes aux cellules, qui sont ainsi protégées de l’infection. C. Les anticorps inhibent la dissémination des microbes d’une cellule infectée à une cellule adjacente non infectée. D. Les anticorps bloquent la liaison des toxines aux cellules, inhibant ainsi les effets pathogènes des toxines.
Opsonisation et phagocytose
Les anticorps recouvrent les microbes et favorisent leur ingestion par les phagocytes (fig. 8.4). Le processus consistant à recouvrir des particules afin de favoriser une phagocytose ultérieure s’appelle opsonisation, et les molécules qui recouvrent les microbes et favorisent leur phagocytose portent le nom d’opsonines. Lorsque plusieurs molécules d’anticorps se lient à un microbe, une rangée de régions Fc, se projetant à distance de la surface microbienne, se forme à la surface du microbe. Si les anticorps appartiennent à certains isotypes (IgG1 et IgG3 chez l’homme), leurs régions Fc se lient à un récepteur de haute affinité pour les régions Fc des chaînes γ, dénommé FcγRI (CD64), qui est exprimé à la surface des neutrophiles et des macrophages. Il en résulte que le phagocyte déploie sa membrane plasmique autour du microbe opsonisé et l’ingère dans une vacuole portant le nom de phagosome, qui fusionne avec les lysosomes. La liaison de l’extrémité de la région Fc des anticorps aux récepteurs FcγRI active également les phagocytes, car le récepteur FcγRI contient une chaîne de signalisation qui déclenche de nombreuses voies biochimiques dans les phagocytes. Le neutrophile ou le macrophage activé produit dans ses lysosomes de grandes quantités de dérivés réactifs de l’oxygène, de monoxyde d’azote et d’enzymes protéolytiques, qui s’associent tous pour détruire le microbe ingéré. La phagocytose assurée par les anticorps est le principal mécanisme de défense contre les bactéries encapsulées, tels que les pneumocoques. Les capsules riches en polysaccharides de ces bactéries les protègent de la phagocytose en l’absence d’anticorps, mais l’opsonisation par les anticorps favorise la phagocytose et la destruction de ces bactéries. La rate contient un grand nombre de phagocytes et constitue un site important d’élimination par phagocytose des bactéries opsonisées. C’est la raison pour laquelle les patients ayant subi une splénectomie, par exemple pour une rupture traumatique de l’organe, sont sensibles à des infections généralisées par des bactéries encapsulées.
Fig. 8.4 Opsonisation et phagocytose des microbes dépendant des anticorps. A. Les anticorps de certaines sous-classes d’IgG se lient aux microbes et sont ensuite reconnus par les récepteurs de Fc sur les phagocytes. Les signaux provenant des récepteurs de Fc favorisent la phagocytose des microbes opsonisés et activent les phagocytes afin qu’ils détruisent les microbes. B. Liste des différents types de récepteurs de Fc chez l’homme, ainsi que leur distribution cellulaire et leurs fonctions principales. Ig, immunoglobuline ; NK, natural killer.
L’un des récepteurs Fc, FcRγIIB, est important non pas pour la fonction d’anticorps mais pour arrêter la production d’anticorps et atténuer l’inflammation. Le rôle du FcRγIIB dans la rétro-inhibition de l’activation des lymphocytes B a été discuté dans le chapitre 7 (voir fig. 7.15). Le FcRγIIB inhibe également l’activation des macrophages et des cellules dendritiques et peut ainsi exercer une fonction anti-inflammatoire. Des préparations d’IgG, obtenues de donneurs sains, sont administrées par voie intraveineuse à des patients atteints de diverses maladies inflammatoires. Les effets bénéfiques des immunoglobulines intraveineuses (IgIV) dans ces maladies peuvent être en partie liés à leur liaison au FcRγIIB de diverses cellules.
Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps
Les cellules natural killer (NK) et d’autres leucocytes peuvent se lier à des cellules recouvertes d’anticorps et les tuer (fig. 8.5). Les cellules NK expriment un récepteur de Fc, dénommé FcγRIII (CD16), qui fait partie des divers types de récepteurs activateurs des cellules NK (voir chapitre 2). Le FcγRIII se lie aux rangées d’anticorps IgG couvrant une cellule. À la suite des signaux émis par le récepteur FcγRIII, les cellules NK sont activées et déchargent leurs granules, qui contiennent des protéines capables de tuer les cibles opsonisées. Ce processus est appelé cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC, antibody-dependent cellular cytotoxicity). Les cellules infectées par des virus enveloppés expriment généralement des glycoprotéines virales à leur surface ; celles-ci peuvent être reconnues par des anticorps spécifiques et permettre ainsi la destruction des cellules infectées par ADCC. Ce processus est aussi un des mécanismes par lesquels des anticorps thérapeutiques utilisés pour traiter un cancer éliminent les cellules tumorales.
Fig. 8.5 Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC). Les anticorps de certaines sous-classes d’IgG se lient aux cellules (par exemple, des cellules infectées) et les régions Fc des anticorps liés sont reconnues par un récepteur de Fcγ situé sur les cellules NK. Les cellules NK sont activées et tuent les cellules recouvertes d’anticorps.