8: Implantation monofocale

CHAPITRE 8 Implantation monofocale




Monovision


Le principe de la monovision est assez simple, proposant une méthode de correction de la presbytie par la correction d’un œil pour la vision de loin et de l’autre pour la vision de près. Cette méthode peut être appliquée à la correction par lentilles de contact ou par chirurgie réfractive, cornéenne ou implantatoire.


La monovision représente une méthode couramment utilisée et bien ressentie par le sujet dans la majorité des cas, en particulier chez les patients myopes. Son succès peut cependant être limité par trois principaux facteurs : l’altération de la vision stéréosco-pique, la dominance oculaire et l’obtention d’une bonne vision intermédiaire.


Sur le plan pratique, il est communément admis que la correction optique sera adaptée pour la vision de loin sur l’œil dominant quel que soit le mode de correction, par lentilles de contact, chirurgie cornéenne photoablative ou chez le pseudophake [7, 20, 27].



DOMINANCE OCULAIRE


La notion de dominance oculaire, nécessaire dans la recherche du succès de la monovision, a fait l’objet depuis plus de cinquante ans d’expériences et de recherches diverses tant elle semble difficile à caractériser de façon uniforme. Ainsi, depuis la première expérience datant de 1949 où le sujet devait viser un objet en pointant son index pendant que l’examinateur vérifiait quel œil était prioritairement sélectionné, d’autres méthodes furent successivement appliquées [1, 5]. Walls, en 1951, estima que la dominance visée n’était en vérité pas une dominance oculaire mais le reflet de la latéralité de la dominance directionnelle dans la vision monoculaire [25]. En réalité, il n’y aurait pas une dominance oculaire simple et unique mais plusieurs composantes, notamment une composante motrice — correspondant à la dominance de visée — et une composante sensorielle (ou composante directionnelle) fondée sur la rivalité rétinienne [19]. Pour d’autres auteurs, la dominance de visée serait à la fois composante de la dominance sensorielle et la dominance motrice; ce qui pourrait se résumer de façon un peu simpliste : « La dominance de visée existe quand la dominance motrice rencontre la dominance sensorielle. » Ainsi, la dominance de visée est celle qui nécessite l’attention visuelle d’une seule fovéa, résultant non seulement de considérations motrices (saccades plus courtes ou plus rapides pour l’œil dominant) mais aussi sensorielles lorsque les deux yeux sont mis en situation de rivalité binoculaire, rompant la vision bifovéolaire.


L’œil dominant en visée est celui capable de réprimer son image physiologique diplopante, ce qui suggère bien l’existence d’une forme sensorielle de dominance oculaire. En fait, la dominance oculaire devient nécessaire dès lors que la visée ou le geste sont associés à la fonction visuelle : il s’agit de vaincre la rivalité rétinienne entre les deux yeux lors de certaines activités (tir à l’arc, par exemple).


Le résultat des différents tests utilisés pour caractériser la dominance oculaire peut varier lorsque le sujet regarde à des endroits différents de son champ visuel et même à différents moments. La dominance oculaire est un concept plastique, susceptible d’une grande adaptabilité [3]. Elle est également inégale d’un individu à l’autre et il semble, d’après des observations chez des sujets ani-sométropes soit naturellement soit induits par lentille de contact, que moins elle est marquée, meilleure est l’adaptation à la monovision.


Sur le plan pratique, aucun test de visée n’ayant pu faire la preuve de sa supériorité, ni surtout du caractère fiable et définitif de son information, le choix actuel se porte sur le test du flou préférentiel, réalisé en interposant une addition de + 1,25 D à + 1,50 D alternativement devant chacun des deux yeux et en demandant au sujet devant lequel sa vision binoculaire paraît la plus claire [15].



INDICATIONS ET INTÉRÊTS


Les indications de la monovision sont simples et peuvent être résumées de la façon suivante : une motivation du patient à ne pas porter de lunettes en postopératoire clairement exprimée, notamment en chirurgie de la cataracte, et une non-indication d’implant multifocal, soit par le patient, soit par le chirurgien.


L’analyse de la littérature retrouve peu d’études comparant les deux choix d’implantation, la randomisation étant impossible, notamment en raison du surcoût engendré par l’implant multifocal [29]. De même, la réfraction initiale du patient ne semble pas non plus déterminante, sauf la présence d’un astigmatisme associé. Ainsi, dans une étude publiée en 2002 portant sur deux groupes de patients opérés soit de cataracte soit de cristallin clair, l’équivalent sphérique préopératoire était respectivement de + 6,0 D à – 9,5 D dans le groupe « monofocal » et + 8,0 D à – 14 D dans le groupe « multifocal » sans différence significative [7].


Le choix de la monovision par rapport à l’implantation multifocale est également fonction des activités et besoins du patient (conduite nocturne), de sa crainte éventuelle des phénomènes de halos, notamment avec les optiques diffractives bifocales, de son besoin en vision intermédiaire et bien sûr du choix économique, l’implantation monofocale en monovision étant neutre de ce point de vue. Il faut également ajouter la capacité du sujet à comprendre les explications concernant la monovision.



RÉSULTATS


Le pourcentage de succès de la monovision en termes de satisfaction des patients est voisin de 80 % sur les différentes séries publiées [4, 5, 29].


En termes d’acuité visuelle binoculaire, les résultats publiés retrouvent des acuités de loin sans correction supérieures à 7/10 dans 70 % à 80 % des cas, avec 10 % à 30 % des patients ayant 10/10 [7, 27]. Il faut noter dans ces séries une anisométropie moyenne entre les deux yeux voisine de 2 D, avec une tendance à la diminution : de – 2,75 D il y a une dizaine d’années à – 1,50 D dans les séries plus récentes, voire 1 D [4]. En vision de près, les acuités retrouvées sont de P2 dans 80 % des cas avec, parfois, P3 dans 10 % restants. Dans son étude comparative entre deux séries implantées en multifocale (AcrySof® ReSTOR® SN60D3, Alcon, Fort Worth, États-Unis) et en monofocale/monovision (AcrySof® SN60WF, Alcon), Zhang et al. retrouvent d’ailleurs des résultats similaires, comparables dans les deux groupes [29].


En termes d’indépendance vis-à-vis des lunettes, une amélioration très significative est retrouvée dans les deux groupes pour lire un journal, jouer aux cartes, utiliser un ordinateur et conduire.


En ce qui concerne la dominance oculaire, si, dans la majorité des études, les auteurs privilégient la vision de loin sur l’œil dominant — testé le plus souvent par la méthode de visée —, Finkelman et al. rapportent un très bon score de satisfaction (9,54 de moyenne sur une échelle de 10 avec des écarts de 8 à 10) sans test préalable de la dominance mais en visant une myopisation « faible » de l’œil prévu en vision de près (moins de 1,50 D) [4].


En fait, il semble que le pourcentage de succès de la monovision repose sur l’existence d’une dominance modérée et possiblement alternante d’un œil à l’autre ainsi que sur la capacité entre les deux yeux à supprimer l’image floue. À l’inverse, une forte dominance de visée est difficile à maintenir en monovision et peut donc être considérée comme un facteur de risque d’échec. Il semble utile de maintenir un test de visée en préopératoire moins pour déterminer le côté dominant avec certitude que pour évaluer la capacité du sujet à tolérer le flou de façon alternative [10].


De façon plus surprenante, plusieurs études retrouvent également une réduction de la vision stéréoscopique, mais le plus souvent modérée et de façon non significative [4, 27].


Enfin, lorsqu’elle est étudiée, la monovision ne semble pas atteindre la sensibilité aux contrastes [4], contrairement à l’implantation multifocale.



LIMITES


Les limites de la monovision découlent directement de son principe et, comme précédemment vu, de la sélection du patient et du choix réfractif final postopératoire.


Sur le plan de la performance visuelle, une bonne vision intermédiaire, devenue précieuse dans la vie actuelle, sera difficile à obtenir sans compromettre soit une bonne vision de loin soit une bonne vision de près, même si l’utilisation d’une « addition » faible (inférieure à + 2,00 D) sur l’œil destiné à la vision de près permet d’obtenir un résultat convenable.


La perte de vision stéréoscopique est également classique dans les limites de la monovision; elle doit cependant être nuancée et est souvent proportionnelle à l’addition désirée et à la baisse d’acuité (de loin) qui en découle. Ceci a été mis en évidence aussi bien en adaptation en lentilles de contact [9] qu’en implantation pseudophake [4].


Enfin, la dominance oculaire, souvent soupçonnée dans les cas d’échec, doit être comprise et recherchée moins comme un facteur de détermination absolue — et donc de choix obligatoire d’œil dominant de loin et non dominant de près — que comme un facteur de risque d’échec si cette dominance apparaît trop marquée et non plastique. Un test de dominance de visée semble donc toujours utile en préopératoire afin de renseigner cette notion, examen idéalement confirmé par un test en lentilles de contact permettant de vérifier la tolérance potentielle de la monovision.



Asphéricité


L’avènement des techniques d’investigation des aberrations optiques a redéfini l’« erreur réfractive » en pratique clinique. Ainsi, les aberromètres à usage clinique, après avoir accompagné l’essor de la chirurgie réfractive cornéenne, facilitent l’accès de l’ophtalmologiste à l’évaluation des aberrations d’ordre supérieur, c’est-à-dire celles qui existent dans un système optique au-delà des anomalies axiles et de l’astigmatisme régulier, tous deux qualifiés d’aberrations d’ordre inférieur.


Les aberrations d’un système optique correspondent à des déformations imprimées à un front d’onde plan qui traverse ce système.


La compréhension de ces aberrations et leur diagnostic trouvent également une application en chirurgie cristallinienne avec la notion d’optique asphérique, de qualité de vision et d’adéquation entre la cornée d’une part et le cristallin ou l’implant intraoculaire d’autre part.



PRINCIPE



NOTION D’ABERRATION SPHÉRIQUE


Les aberrations optiques d’ordre supérieur sont relativement faibles et sont dominées par les aberrations de troisième ordre (coma verticale et horizontale, trefoil oblique et horizontal) et par l’aberration sphérique (Z40). C’est cette dernière qui retiendra notre attention dans la mesure où elle est corrélée à la qualité de vision en particulier nocturne et, par chance, reste actuellement la seule à pouvoir être corrigée ou tout au moins modifiée par l’utilisation d’une lentille intraoculaire, en étant susceptible d’influer sur la distance de vision ainsi que sur la vision fonctionnelle.



Définition


L’aberration sphérique est une aberration de quatrième ordre engendrée par une surface optique à travers laquelle tous les rayons lumineux ne convergent pas en un seul et même point focal. Ainsi, à travers une lentille sphérique, les rayons périphériques convergent de façon plus importante que les rayons centraux ou para-axiaux (fig. 8-1). Cette focalisation en avant des rayons périphériques correspond à l’aberration sphérique. Il s’agit d’un déphasage du front d’onde, mesuré en micromètres. On comprend bien sûr le rôle capital joué par la pupille dans le système optique de l’œil humain.



Il ne faut pas confondre l’« asphéricité », qui est une variable géométrique, et l’« aberration sphérique », variable optique.


La valeur de l’aberration sphérique totale de l’œil peut être simplifiée comme étant la résultante de celle de la cornée d’une part et de l’optique interne d’autre part. Ainsi, même s’il ne s’agit pas d’une formule arithmétique parfaite, les polynômes de Zernike étant des transformés de Fourier, il est clairement démontré un mécanisme de compensation des aberrations entre cornée et cristallin pour l’astigmatisme, la coma horizontale et l’aberration sphérique [13].


La cornée humaine normale, naturellement prolate, c’est-à-dire plus bombée au centre qu’en périphérie, présente une valeur d’asphéricité dénommée facteur Q (pour quotient d’asphéricité) négative, en moyenne autour de – 0,26. Le tableau 8-I donne les valeurs du facteur Q de différents types de cornée d’après Holladay [11]. Il faut noter que la traduction de la variable géométrique (facteur Q) en aberration sphérique (coefficient de Zernike) est à l’origine de la confusion fréquente faite entre les deux (cf. chapitre 7) : si le facteur Q d’une cornée normale est Q = – 0,26, la valeur de l’aberration sphérique (AS) générée sera AS = + 0,27 µm.



Ainsi, chez un sujet jeune d’une vingtaine d’années par exemple, la valeur de l’aberration sphérique de l’œil entier est voisine de zéro, synonyme de qualité de vision optimale, en raison d’une compensation quasi totale de la valeur positive cor-néenne par la valeur négative d’environ – 0,27 µm du cristallin. Cette compensation n’est cependant pas immuable au cours de la vie : la valeur de l’aberration sphérique du cristallin augmente avec le vieillissement; c’est ce que les Anglo-Saxons dénomment le presbyopic shift [6, 8]. Ainsi, de – 0,27 µm à dix-neuf ans, l’aberration sphérique cristallinienne devient nulle vers quarante ans et positive à environ + 0,13 µm à soixante ans. La valeur de la cornée restant, elle, stable tout au long de la vie, l’aberration sphérique totale du globe oculaire s’accroît avec l’âge avec, en corollaire, une diminution de la qualité de vision. Des phénomènes de halos et de flou visuel peuvent alors apparaître ou s’accentuer, en particulier en ambiance mésopique, lorsque la pupille s’ouvre davantage.

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Jun 6, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 8: Implantation monofocale

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