8: Eau, électrolytes, équilibre acidobasique

Chapitre 8 Eau, électrolytes, équilibre acidobasique



Besoins en eau et en électrolytes


Normalement, le volume et la composition biochimique des compartiments liquidiens extracellulaires et intracellulaires restent remarquablement constants. Le maintien de la quantité totale dépend de l’équilibre entre l’apport et la perte. L’eau et les électrolytes proviennent de la nourriture et de la boisson, et sont perdus dans l’urine, la sueur et les selles. De plus, environ 500 ml d’eau sont perdus quotidiennement dans l’air expiré (tableau 8.1). Chez l’adulte, les besoins normaux quotidiens sont de 50 à 100 mmol de sodium, 40 à 80 mmol de potassium et 1,5 à 2,5 l d’eau, (25 à 35 ml/kg/24 heures). Au cours de certaines maladies, l’apport et la perte d’eau et d’électrolytes sont altérés, et l’on doit en tenir compte lors du remplacement des fluides. Par exemple, un patient qui perd des sécrétions gastriques par une sonde nasogastrique perdra, chaque jour, des quantités supplémentaires de sodium (25 à 80 mmol/l), de potassium (5 à 20 mmol/l), de chlorure (100 à 150 mmol/l) et d’ions hydrogène (40 à 60 mmol/l), qui devront être remplacés en sus des besoins quotidiens normaux.




Compartiments des fluides corporels


Chez un homme adulte normal, 50 à 60 % du poids est de l’eau ; les femmes ont proportionnellement plus de graisse et leur teneur en eau est d’environ 45 à 50 %. Un homme de 70 kg et en bonne santé contient donc près de 42 l d’eau, répartis dans trois compartiments principaux :



Les fluides intracellulaires et interstitiels sont séparés par la membrane cellulaire ; le liquide interstitiel et le plasma sont séparés par la paroi des capillaires.


La pression osmotique est le principal déterminant de la répartition de l’eau dans les trois compartiments principaux. L’osmolalité est déterminée par la concentration des particules osmotiquement actives. Ainsi, une mole de chlorure de sodium dissoute dans 1 kg d’eau a une osmolalité de 2 mmol/kg, puisque le chlorure de sodium se dissocie en deux particules libres, l’ion sodium Na+ et l’ion chlorure Cl. Une mole d’urée (qui ne se dissocie pas) dans 1 kg d’eau a une osmolalité de 1 mmol/kg. L’osmolarité est le nombre d’osmoles de soluté par litre de solution (mmol/l) et, pour les solutions aqueuses diluées, est essentiellement équivalente à l’osmolalité.


Le liquide intracellulaire contient surtout du potassium (K+) (la plupart du Mg2 + cellulaire est lié et osmotiquement inactif). Dans le compartiment extracellulaire, les sels de sodium prédominent dans le liquide interstitiel, et les protéines dans le plasma. Les réserves corporelles de Na+ sont le principal déterminant du volume de liquide extracellulaire, alors que le volume plasmatique est déterminé par la pression oncotique liée à la concentration protéique (voir plus loin). Le tableau 8.2 montre la composition des fluides intracellulaires et extracellulaires. La membrane cellulaire sépare les compartiments de liquide intracellulaire et extracellulaire et maintient, par des mécanismes de transport actif et passif, les compositions électrolytiques différentes dans chaque compartiment. Un changement de l’osmolalité dans un compartiment déclenche un mouvement de l’eau à travers la membrane cellulaire pour rétablir l’équilibre osmotique.




Distribution des liquides extracellulaires


La paroi capillaire séparant les espaces intravasculaire (plasma) et interstitiel sont perméables aux ions Na+, K+ et au glucose, et ces solutés ne contribuent donc pas à la distribution des fluides entre ces espaces. Toutefois, les protéines du plasma, par exemple l’albumine, quittent difficilement le réseau capillaire, et retiennent l’eau dans l’espace vasculaire. La distribution de l’eau extracellulaire entre les espaces vasculaires et extravasculaires (interstitiels) est déterminée par l’équilibre entre la pression hydrostatique (pression sanguine intracapillaire), qui tend à pousser le liquide hors des capillaires, et la pression oncotique (la pression osmotique exercée par les protéines plasmatiques), qui retient le liquide dans les vaisseaux. Le flux net de liquide vers l’extérieur est équilibré par son « aspiration » dans les vaisseaux lymphatiques, qui le ramène dans la circulation sanguine (fig. 8.1).



L’œdème est défini comme une augmentation du liquide interstitiel et résulte :



L’inspection et la palpation sont généralement suffisantes pour identifier l’œdème. La compression de la peau avec le bout du doigt, pendant 10 secondes, dans la zone concernée laisse une empreinte qui persiste quelques instants après le retrait du doigt. C’est le signe du godet. L’œdème limité à un endroit est plus susceptible de résulter d’une cause locale, par exemple une obstruction veineuse. L’œdème généralisé, par exemple à la suite d’une insuffisance cardiaque, est souvent plus important dans les jambes et les pieds chez les patients ambulants, et dans la région sacrée chez ceux qui sont confinés au lit.



Liquides intraveineux en pratique clinique


Les perfusions intraveineuses sont fréquemment utilisées dans les hôpitaux afin de maintenir l’équilibre hydrique chez les patients qui ne peuvent boire et afin de corriger des pertes importantes antérieures ou continues. Les cristalloïdes, par exemple le chlorure de sodium à 0,9 %, contiennent des sels de faible poids moléculaire ou des sucres qui se dissolvent complètement dans l’eau et passent librement entre les compartiments intravasculaire et interstitiel (tableau 8.3). Une solution de glucose à 5 % se comporte comme de l’eau libre ; après administration intraveineuse, elle se distribue uniformément dans l’ensemble des trois compartiments liquidiens ; très peu reste dans l’espace intravasculaire. Le chlorure de sodium à 0,9 % reste dans l’espace extracellulaire et donc environ un tiers du volume perfusé restera dans l’espace intravasculaire. Les colloïdes (par exemple dextran 70, gélatine) contiennent des substances de plus grand poids moléculaire et restent plus longtemps dans l’espace intravasculaire que les solutions cristalloïdes. Les colloïdes sont utilisés pour augmenter le volume circulant en cas d’hémorragie (jusqu’à ce que le sang soit disponible), de brûlure et parfois de septicémie. Bien qu’ils restent dans l’espace intravasculaire plus longtemps que les cristalloïdes, selon des études comparatives, ils ne seraient pas plus utiles que les cristalloïdes chez les patients hypovolémiques. Les effets secondaires des colloïdes sont des réactions d’hypersensibilité, notamment des réactions de type anaphylactique et une augmentation transitoire du temps de saignement. À noter aussi qu’ils ont une plus grande concentration de sodium que le plasma.



L’évaluation et le suivi de l’équilibre liquidien sont fondés sur les antécédents (par exemple vomissements, diarrhée), des fiches d’équilibre des fluides (souvent inexactes), les pesées quotidiennes, le débit urinaire et l’examen clinique (turgescence cutanée, remplissage capillaire, pression veineuse jugulaire, pouls, pression artérielle en position couchée et debout). Un monitorage cardiaque invasif est également utilisé chez des patients très dépendants. La mesure de la pression veineuse centrale avant et après un test de perfusion intraveineuse convient pour l’évaluation du volume circulatoire (voir chap. 12).Après une opération, le patient a en général une courte période d’oligurie comme réaction physiologique à la chirurgie. Le volume d’urine seul ne devrait donc pas être pris en compte dans l’évaluation de l’équilibre des fluides chez ces patients. De plus, en postopératoire, la capacité des reins de diluer l’urine est altérée et il y a donc un risque d’hyponatrémie de dilution.


Avant de perfuser des fluides intraveineux, il faut pouvoir répondre aux questions suivantes.



Le tableau 8.3 suggère différents types de fluide et leurs indications.



Régulation de l’homéostasie des fluides corporels


Le maintien d’un volume circulant efficace est essentiel pour une perfusion tissulaire adéquate et est principalement lié à la régulation de l’équilibre sodique. En revanche, le maintien de l’osmolalité empêche les changements de volume des cellules et dépend largement de la régulation de l’équilibre hydrique.



Régulation du volume extracellulaire


La régulation du volume extracellulaire est déterminée par un contrôle étroit de l’équilibre du sodium, qui est excrété par les reins normaux. Bien que la circulation artérielle ne représente qu’une faible proportion du liquide extracellulaire total, c’est la réplétion du compartiment vasculaire artériel, ou volume sanguin artériel efficace (VSAE), qui est le principal déterminant de l’excrétion rénale du sodium et de l’eau. La réplétion du compartiment artériel dépend d’un rapport normal entre le débit cardiaque et la résistance artérielle périphérique. Ainsi, une chute du débit cardiaque ou de la résistance artérielle périphérique (augmentation de volume de l’arbre vasculaire artériel) réduira le VSAE. En revanche, lorsque celui-ci s’amplifie, l’excrétion urinaire du sodium augmente, et vice versa.


Deux types de récepteurs volumétriques sont sensibles aux variations du VSAE :



Une diminution du volume circulant efficace conduit à l’activation de ces récepteurs, ce qui conduit à une augmentation de la réabsorption rénale de sodium (et donc de l’eau) et à l’expansion du volume extracellulaire par la stimulation du système nerveux sympathique et l’activation du système rénine–angiotensine (voir chap. 14). En revanche, le peptide natriurétique auriculaire (PNA), produit par les oreillettes du cœur en réponse à une augmentation du volume sanguin, augmente l’excrétion de sodium.



Anomalies de volume extracellulaire



Augmentation du volume extracellulaire


L’expansion du volume extracellulaire est le résultat d’une réabsorption accrue du sodium (et donc de l’eau) ou d’une excrétion rénale altérée.




Étiologie


La plupart des causes de l’expansion du volume extracellulaire sont associées à une rétention rénale de chlorure de sodium.



Insuffisance cardiaque. Elle réduit le débit cardiaque et donc la perfusion (hypovolémie fonctionnelle) des récepteurs de volume. Leur stimulation amplifie l’activité sympathique, ce qui entraîne la libération d’hormone antidiurétique (ADH), même si l’osmolalité plasmatique (voir plus loin) reste inchangée.


Cirrhose. Le mécanisme est complexe ; un facteur en cause est la vasodilatation qui réduit la perfusion des récepteurs de volume. Par ailleurs, l’hypoalbuminémie peut également contribuer.


Syndrome néphrotique. La rétention de sodium est principalement due à la réabsorption accrue de sodium dans les tubes collecteurs rénaux directement induite par la maladie rénale. De plus, chez certains patients, la pression oncotique plasmatique faible due à l’hypoalbuminémie entraîne une déplétion du volume plasmatique et un remplissage artériel insuffisant comme dans la décompensation cardiaque et la cirrhose.


Rétention sodique. L’insuffisance rénale peut en être responsable par réduction de la capacité d’excréter le sodium. La rétention peut aussi être due à des médicaments tels que les minéralocorticoïdes (action de type aldostérone), les thiazolidinediones (par surexpression du canal épithélial transporteur du sodium) et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Ces derniers inhibent la synthèse des prostaglandines vasodilatatrices dans le rein, ce qui élève la résistance vasculaire rénale et augmente la réabsorption du sodium et de l’eau.




Diminution du volume extracellulaire


Des pertes de sodium et d’eau, de plasma ou de sang peuvent être en cause.






Soins


L’objectif du traitement est de remplacer ce qui a été perdu.



Une hémorragie entraînant une perte de sang total, il faut administrer un concentré de globules rouges, mais entre-temps l’urgence requiert la perfusion d’un cristalloïde ou d’un colloïde.


Une perte de plasma, à la suite de brûlures ou d’une péritonite aiguë, devrait être traitée avec du plasma humain ou un colloïde (voir plus haut).


Une perte de sodium et d’eau, comme en cas de vomissements, de diarrhée ou de pertes rénales excessives, doit être compensée par apport d’eau et d’électrolytes. Dans des affections chroniques associées à une déplétion sodique légère/modérée, par exemple une perte de sel intestinale ou rénale, des suppléments oraux de chlorure de sodium ou de bicarbonate de sodium (en fonction de l’équilibre acidobasique) peuvent suffire. Des solutions de glucose et d’électrolytes sont souvent utilisées pour restaurer l’équilibre des fluides chez les patients atteints de maladies diarrhéiques. En effet, la présence de glucose stimule l’absorption intestinale de sel et d’eau.


En cas d’urgence, si les pertes de sodium et d’eau ont été importantes, les patients sont généralement traités par perfusion intraveineuse de chlorure de sodium à 0,9 % (tableau 8.3), le remplacement étant évalué par examen clinique et dosage des électrolytes sériques. Une perfusion rapide (1000 ml/h) de chlorure de sodium à 0,9 % ou d’un colloïde est administrée si le patient est hypotendu.


Une perte limitée à l’eau, par exemple en cas de diabète insipide, ne provoque une déplétion du volume extracellulaire que dans les cas graves, car la perte est répartie uniformément sur tous les compartiments aqueux. Le traitement correct est de réhydrater. Si le traitement par voie intraveineuse est nécessaire, l’eau est donnée sous forme de solution de glucose à 5 % (de l’eau pure ne peut être administrée, car elle provoquerait une lyse osmotique des cellules sanguines).



Osmolalité plasmatique et troubles de la régulation du sodium


L’eau se déplace librement entre les compartiments et la distribution est déterminée par l’équilibre osmotique entre ceux-ci. L’osmolalité plasmatique peut être calculée à partir des concentrations plasmatiques de sodium, d’urée et du glucose comme suit :



image



Le facteur 2 appliqué à la concentration de sodium tient compte des anions associés (chlorure et bicarbonate). Les autres solutés extracellulaires, par exemple le calcium, le potassium et le magnésium, ainsi que les anions associés, sont présents en très faibles concentrations et contribuent si peu à l’osmolalité qu’ils peuvent être ignorés lors du calcul de l’osmolalité. L’osmolalité plasmatique normale est de 285 à 300 mosmol/kg.


L’osmolalité calculée est la même que l’osmolalité mesurée par le laboratoire, sauf si des substances osmotiquement actives, non dosées, sont présentes. Par exemple, la concentration d’alcool ou d’éthylène glycol dans le plasma (substances responsables d’intoxication) peut être estimée en soustrayant la quantité calculée de l’osmolalité mesurée.



Aug 1, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 8: Eau, électrolytes, équilibre acidobasique

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