Chapitre 8. Découverte et annonce d’une maladie grave
Pour les patients, il s’agit d’un séisme, d’un bouleversement majeur : le passage du monde du bien portant dans celui des individus menacés ou condamnés. Pour les médecins, dont l’objectif vise à rassurer, à soulager, il s’agit d’un moment redouté car l’annonce d’une mauvaise nouvelle fait surgir des émotions violentes ou sidère le patient sans que l’on sache si ultérieurement le débordement émotionnel ne va pas se traduire par un geste désespéré. Ce moment est redouté par les deux protagonistes de la relation. On ne peut l’éluder ; le Code de déontologie, dans son article 35, pose la nécessité d’une information loyale, claire et appropriée. Il nuance cette information selon la personnalité du patient. La possibilité d’un patient d’avoir accès à l’ensemble des informations de son dossier permet la délivrance à tout un chacun de son diagnostic.
Une autre dimension de l’annonce d’un diagnosticannonce d’un diagnostic de gravité vise à maintenir vivant un espoir et à permettre au patient d’adhérer à un processus de soins dont certaines étapes s’avèrent particulièrement pénibles, douloureuses ou invalidantes. La sensibilité du médecin fait que ces moments d’annonce représentent une charge émotionnelle majeure pour lui. L’émotion peut l’envahir, elle fait obligatoirement écho aux représentations personnelles du médecin, à l’existence de maladies similaires chez ses proches ou dans sa famille, aux propres antécédents médicaux de ce médecin qui a pu avoir à combattre pour lui-même une affection comparable.
S’il faut insister sur le cadre, le contexte de l’annonce, ce contexte doit être soigneusement posé. Dire que le contenu de l’annonce doit être adapté à chaque patient, revient à préciser nos connaissances sur la personnalité de notre interlocuteur. Préciser enfin les conséquences d’une annonce revient à réfléchir à l’impact et au devenir d’une nouvelle susceptible d’avoir le caractère soudain, imprévu, menaçant d’un traumatisme.
Cadre et contexte de l’annonce
La gravité n’a pas le même sens pour les deux protagonistes
Pour les patients, la gravité d’une maladie provient du risque mortel qui lui est lié, des souvenirs de proches ou d’amis atteints de maladies incurables ou des propos entendus durant leur enfance, dans leur famille, concernant telle ou telle maladie.
Derrière la maladie cancéreuse se profile la notion d’une mort imminente accompagnée de douleurs et d’une profonde atteinte de l’état général, faite de fatigue et d’amaigrissement. Il y a la condensation de deux représentations : la mort, la mort maintenant. En effet, le patient voit le terme ultime de sa vie directement face à lui, sans avoir éprouvé les étapes de l’avance en âge et du vieillissement. L’issue mortelle semble instantanée ou bien à quelques jours, sans que la réflexion ait pu poser les différentes étapes et les périodes d’amélioration. De plus, l’assimilation entre toutes les maladies cancéreuses est effectuée sous le terme du cancercancer.
Vont se présenter à l’esprit différents souvenirs de parents ou de proches, de souffrance, de moments d’agonie dont on aura été témoin.
Pour des maladies infectieuses d’évolution chronique, le patient peut les considérer comme honteuses, il peut se reprocher des prises de risque, des insuffisances de protection. Il peut les considérer comme dégradantes ou humiliantes.
Pour des maladies dégénératives ou d’évolution chronique, on retrouve également l’anticipation brutale des formes terminales de la maladie, court-circuitant les possibilités de ralentir ou d’en freiner l’évolution.
La gravité d’une maladie n’est pas la même pour le médecin
Celui-ci sait bien que de nombreux cancers du sein, de la prostate, du rectum, des cancers cutanés, sont parfaitement curables. Il sait également que d’autres plus silencieux, moins bruyants, vont avoir une évolution foudroyante. Le médecin perçoit la possibilité des différents traitements, la combinaison des options thérapeutiques : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie. Mais la capacité de rassurer et d’étayer son patient peut être amoindrie lorsque le médecin a été dans sa famille, ou lui-même, touché par une maladie similaire. On ne peut vraiment consoler et rassurer que si l’on perçoit que son discours porte, convainc, ne tombe pas à côté des aspirations et des pensées du patient.
Profonde ambivalence des patients
Cette donnée est essentielle. Elle représente une dimension constitutive de la personnalité de beaucoup d’êtres humains. Comme l’évoque Montaigne, si tout être humain sait que « le but de notre carrière c’est la mort », « le remède du vulgaire c’est de n’y penser pas ». À côté du désir affiché de recevoir une information claire et loyale, beaucoup redoutent la vérité au moins dans ce qu’elle a de brutal et de dramatique. Cette ambivalenceambivalence ne connaît pas toujours la même intensité. Importante au début, elle peut se réduire après quelques jours. L’ambivalence peut également être familiale ; certains membres de la famille expriment le souhait que l’on n’annonce pas un diagnostic à leur proche tout en indiquant qu’eux-mêmes désireraient le connaître s’ils étaient atteints de cette maladie. Dans les pays occidentaux, on considère que l’information doit être délivrée de façon privilégiée et en première intention au malade. Ce peut être différent en Asie ou dans des pays orientaux. Cette ambivalence peut s’exprimer dans le fait d’apprécier d’être informé mais également rassuré sur certaines des modalités thérapeutiques de la maladie. Elle trouve une réponse dans l’attitude médicale consistant à fournir juste après l’annonce des pistes ou des possibilités de traitement.
Le contexte spécifique de l’annonce doit se faire lors d’une consultation en face à face. Les annonces par courrier, par téléphone peuvent être assimilées à des fautes techniques. Une patiente racontait la révélation brutale de son diagnostic en écoutant une conversation téléphonique devant elle de son médecin vis-à-vis de son chirurgien. Une annonce nécessite du temps, elle ne saurait être expédiée en quelques minutes comme l’on se débarrasse d’un fardeau.