Chapitre 8. Cas particulier de l’épisode psychotique aigu et du premier épisode
M.-J. Guedj-Bourdiau
C’est une entité autonome dans la psychiatrie classique : bouffée délirante aiguë de Magnan, psychose délirante aiguë de Ey, paranoïa aiguë des auteurs allemands (Westphal), psychose réactionnelle brève, psychose psychogénique réactionnelle et compréhensible, psychose cycloïde qui n’est ni bipolaire ni schizophrénique mais rechute à l’identique [16]. Le DSM-IV distingue deux pathologies psychotiques aiguës : le trouble psychotique bref et le trouble schizophréniforme, mais il prétend qu’ « aux États-Unis et dans les autres pays développés on rencontre rarement des cas de trouble psychotique bref en clinique ».
L’épisode psychotique aigu correspond à diverses étiologies : pathologie organique
, prise de toxiques
, bouffée délirante aiguë, psychose puerpérale
, trouble de l’humeur avec caractéristiques psychotiques, épisode délirant bref au cours d’un trouble de personnalité
ou après un stress
, premier ou nième épisode d’une schizophrénie
.






L’appellation de « premier épisode » est de plus en plus utilisée, y compris par les familles et les correspondants, dans une perspective affirmée d’optimisme évolutif, mais n’est pas tout à fait superposable : des symptômes d’allure schizophrénique donnent lieu à un premier contact avec les soins psychiatriques, et pourraient être sans lendemain à condition d’appliquer le meilleur programme thérapeutique.
La prise en charge aux urgences se caractérise par :
– l’évaluation et le traitement des signes aigus, angoisse
, agitation
, exaltation ou dépression thymique ;


– la recherche d’une organicité
;

– l’obtention de l’adhésion aux soins et l’analyse des diverses éventualités pronostiques.
Reste le problème des consultations en urgence pour idées délirantes
ou bizarreries, accompagnées d’angoisse
, qui constituent un tableau incomplet d’épisode psychotique. La prise en charge est différente car le patient demande des soins sans trouble du comportement, il est perplexe et cherche à comprendre, la vie sociale habituelle se maintient.


MOTIFS DE CONSULTATION
Inventaire
La toile de fond est celle du changement plus ou moins brutal dans les sentiments, les comportements, la perception du monde vécu, assorti d’ angoisse
. La dépersonnalisation
ou perte fluctuante des repères identificatoires en impose parfois pour une confusion
. L’ insomnie
est rarement absente : différente de l’insomnie dépressive, elle ne constitue pas une plainte du patient, mais l’entourage rapporte un comportement d’errance
nocturne. Les motifs de consultation se répartissent en quatre catégories et sont diversement associés.





Les idées délirantes
, très florides et envahissant tout le tableau clinique, ou confiées par bribes au milieu d’un tableau de perplexité et de stupeur
, ne manquent jamais. Elles sont définies comme des idées erronées, choquant l’évidence, inaccessibles à la critique, provenant d’hallucinations
, d’intuitions ou d’interprétations, au contenu généralement persécuteur, égocentrique, mystique, ou autoaccusateur, et entraînent l’adhésion du sujet.



Les troubles du comportement sont toujours présents :
– agitation
;

– agressivité
;

– gestes auto infligés ou conduites suicidaires
;

– errances et fugues
.

Le trouble de la conscience et de la perception de soi et du monde entraîne :
– perplexité ;
– stupeur
;

– mutisme
parfois.

Les signes de dessaisissement des modes habituels de pensée sont :
– langage flou ou incohérent, avec de grandes variations dans l’organisation syntaxique, l’authenticité des propos alternant avec l’usage d’expressions toutes faites ;
– mais un vol de la pensée et une description de pensées imposées déjà du registre schizophrénique
.

Il s’y ajoute des troubles de l’humeur presque toujours.
Durée, mode d’évolution
L’évaluation de la durée dépend davantage de l’interrogatoire de l’entourage que de celui du patient qui n’est pas en mesure de donner des éléments objectifs.
Le début est brutal, annoncé seulement par quelques modifications très récentes de fonctionnement, repérées après-coup par l’entourage.
Ou bien on identifie des symptômes précoces dans les jours qui précèdent :
– difficulté à travailler ou à étudier ;
– difficulté à avoir les idées claires ;
– sentiment de suspicion ;
– besoin de solitude ;
– perception de changements dans les choses ;
– perception de choses que les autres ne remarquent pas ;
– difficulté à comprendre ce que les gens disent ;
– sentiment de confusion quant à sa propre identité ;
– sentiment de fatigue
, de léthargie ;

– sentiment de dépression, d’anxiété
.

Ces symptômes sont souvent confondus ou intriqués avec l’originalité juvénile
, une évolution thymique
, ou un abus de substances
[12].



Selon les classifications, la durée varie :
– moins de 2 mois pour la bouffée délirante aiguë ;
– moins d’un mois pour le trouble psychotique bref sans symptômes schizophréniques ;
– moins de 3 mois pour le même avec symptômes schizophréniques ;
– moins de 6 mois pour le trouble schizophréniforme.
Contexte environnemental
La recherche d’événements de vie dans les 6 mois ou de facteurs déclenchants est souvent positive [23], mais on ne peut les distinguer aisément de signes de vulnérabilité ou des premiers signes de décompensation de l’épisode psychotique lui-même :
– difficultés scolaires ou professionnelles ;
– stress ou surmenage ;
– conflit avec l’entourage
;

– conflit ou rupture sentimentale
;

– déménagement.
On y associe les deuils difficiles soit récents, soit réactivés par un événement, même minime. Plus spécifiquement attaché aux troubles psychotiques brefs avec facteurs déclenchants se trouve le stress aigu.
Mode de début :
– avec ou sans facteur déclenchant ;
– avec ou sans facteur de stress.
Cause organique.
Rechercher principalement :
– signes : idées délirantes
, hallucinations
, angoisse
, dépersonnalisation
, insomnie
;





– comportement : agitation
, agressivité, gestes auto-infligés, errances
, fugues, perplexité, stupeur
, mutisme
, prostration ;




– pensée : langage flou, pensée confuse, attention dispersée ;
– humeur : excitée, triste, fluctuante.
Pour le soutenir dans l’accompagnement aux soins.
Pour préciser l’historique des troubles :
– intoxication
;

– stress et événements de vie à explorer prudemment, l’entourage leur attribue un caractère étiologique par excès ;
– signes précurseurs : insomnie
, changements de comportement, gestes suicidaires
, idées délirantes
, repli
, etc. ;




– autres antécédents médicaux
ou psychiatriques.

La recherche de perturbations des interactions précoces n’a rien de pathognomonique, même si l’entourage cherche à se remémorer une époque où « on voyait déjà qu’il ne serait pas comme les autres ».
Certains antécédents dans la famille peuvent avoir des conséquences pronostiques :
– troubles bipolaires
;

– épisodes psychotiques aigus isolés ;
– troubles délirants
;

– antécédents suicidaires
;

– abus de substances
.

La famille en détresse recherche désespérément une cause, l’estimation qu’elle fait de l’impact de la maladie devient capitale et dépend du stade :
– premiers signes ou début de l’explosion délirante : la famille
se rend difficilement compte de l’importance du problème, les symptômes sont attribués à d’autres causes, l’angoisse est majeure et conduit au refus de soins ;

– puis la famille est choquée et tente de s’adapter en effectuant de nombreuses tentatives pour comprendre, et balance entre des émotions intenses et contradictoires ;
– un peu plus tard, la réalité de la maladie s’impose, et il est important de ne pas avoir coupé les liens après le refus de soins initial [14].
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
Diagnostic positif
Ces états délirants de grande intensité envahissent rapidement le psychisme dans un bouleversement où se mêlent l’angoisse et l’illumination, sans atteindre les capacités opératoires [30].
Le changement est total :
– changement de soi : dépersonnalisation, basculement des repères, « concernement » du sujet au centre du monde [14] ;
– changement du monde : chaos, coexistence de la réalité désinvestie et du délire ;
– altération du temps et de la causalité ;
– altération de l’espace et des perceptions ;
– modifications de comportement avec mutisme
ou logorrhée, bizarreries, réactions médicolégales (tentatives de suicide
ou d’agression
) ;



– symptômes physiques (fièvre, déshydratation, anorexie, constipation) dus à une étiologie organique
, ou secondaires au rejet de la réalité et aux idées délirantes
(empoisonnement) ;


– troubles de la vigilance
et de l’orientation ainsi que signes cognitifs (attention, mémoire
, jugement) à rechercher d’emblée pour explorer la note confusionnelle
et prévenir les troubles du comportement ;



La mise en évidence des idées délirantes
(registre fréquent d’agression du monde ou d’exaltation triomphale) constitue le cœur de la tentative de rencontre avec le patient ; cependant leur approfondissement exhaustif à la recherche des thèmes et des mécanismes est malvenu, menaçant pour le patient et de peu de conséquences diagnostiques et thérapeutiques.

Diagnostic différentiel
CONFUSION
MENTALE
C’est un tableau d’hallucinations
visuelles ou olfactives, avec désorientation temporelle et spatiale, obnubilation de la conscience, fluctuations de l’attention et troubles de la vigilance
, troubles mnésiques
et altération du comportement psychomoteur. Il s’y associe une hyperthermie, des troubles métaboliques, et des signes liés à l’étiologie. L’état physique risque de s’aggraver du fait de la déshydratation et des mesures coercitives nécessitées par les troubles du comportement.



Il est parfois difficile de distinguer la note confusionnelle de l’épisode psychotique aigu liée au bouleversement délirant, d’une confusion mentale organique. L’installation brutale du tableau, les signes physiques, l’existence d’un terrain (maladies physiques chroniques) orientent vers l’urgence médicale
.

ÉPISODE MANIAQUE 
La distinction n’est pas facile en urgence et ce diagnostic serait sous-évalué. L’exaltation et les idées délirantes
grandioses font partie des deux tableaux. Hormis le cas où un trouble bipolaire est connu et traité, cette distinction n’aura guère d’incidences thérapeutiques en urgence.

SCHIZOPHRÉNIE 
La distinction entre épisode psychotique aigu et épisode délirant émaillant l’évolution d’une schizophrénie tient plus à la recherche de l’anamnèse (adaptation prémorbide, antécédents familiaux) qu’à la mise en évidence des signes d’une « bonne » (épisode transitoire) ou d’une « mauvaise » (maladie chronique) évolution : pour Lanteri-Laura « une schizophrénie ne constitue pas plus une bouffée délirante qui n’en finirait pas, qu’une bouffée délirante n’est une schizophrénie très écourtée ».
Pertinence de la recherche étiologique en urgence
Elle a pour but de diagnostiquer une cause organique
au syndrome psychotique aigu.

L’hypokaliémie comporte le danger d’allongement de QT à l’électrocardiogramme et le risque de mort subite en cas de traitement neuroleptique
ou antipsychotique
sans précautions, elle serait fréquemment associée à l’épisode psychotique aigu [17]. La iatrogénie médicamenteuse est un facteur important et Drapier [10] cite les molécules utilisées en réanimation qui entraînent une hypoperfusion encéphalique sévère avec passage de dopamine. Au moindre doute, la pharmacovigilance sera consultée sur la poursuite du traitement.



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