8: Approche cognitivo-comportementale

Chapitre 8 Approche cognitivo-comportementale



Depuis les années 1980, le jeu pathologique fait partie des troubles du contrôle des impulsions. Néanmoins, dans la nouvelle version du DSM, le jeu pathologique fera partie des conduites addictives.


Nous n’aborderons pas dans ce chapitre la motivation au changement, qui utilise le modèle trans-théorique de Prochaska et DiClemente et les entretiens motivationnels développés par Miles et Rollnick. Cette approche de motivation au changement est extrêmement importante dans la prise en charge des comportements addictifs, et donc du problème de jeu compulsif, car celle-ci permet de s’adapter au stade du patient : la prise de conscience du problème, l’évaluation du problème et surtout l’ambivalence, le désir de changement et l’action de changer, ainsi que le maintien de l’abstinence (ou d’un comportement contrôlé). Historiquement, à partir de la fin des années 1960, les comportementalistes ont émis diverses hypothèses pour expliquer le jeu excessif comme un trouble du comportement. Ainsi, les problèmes de jeu ont été identifiés comme étant le résultat, entre autres facteurs, d’une forme d’apprentissage tant sur le plan du conditionnement classique que du conditionnement opérant (contingences). Le renforcement positif du jeu serait le gain d’argent, ceci dans des programmes de renforcement intermittent où on ne peut pas prévoir l’apparition de la réponse au gain, et donc qui amène les personnes à continuer à jouer pour obtenir leur gain. Cela serait associé, dans le cadre d’un conditionnement classique, au contexte du jeu (par exemple les bruits des machines à sous, les couleurs, etc.).


Initialement, le gain financier était considéré comme un renforcement positif important. Outre le gain, dans les années 80, d’autres renforcement positifs ont été ultérieurement invoqués dans l’établissement et la persistance des habitudes de jeu. On retient ainsi l’état d’activation physiologique (« arousal » dans la littérature anglo-saxonne) ressenti par les sujets comme de l’excitation et de la stimulation (Brown et al., 2004; Brown, 1986). Ceci est contre-balancé par le renforcement négatif, car le jeu peut aussi être utilisé pour s’apaiser ou pour échapper aux émotions négatives comme l’anxiété ou la dépression.


L’acquisition et le développement des habitudes de jeu peuvent également être attribués à l’observation de modèles (parents, fratrie…) ou également des medias (comme dans le cas du poker), selon le modèle de l’apprentissage vicariant décrit par Bandura (1977).


Dès les années 60, des méthodes dites aversives étaient couramment utilisées. Ces thérapies avaient pour but de réduire la fréquence d’apparition d’un comportement indésirable en l’associant à une condition ou à un stimulus indésirable (Seager, 1970) afin d’éradiquer le désir de jouer. Cependant, ces méthodes ont été abandonnées.


Parmi les techniques comportementales utilisées fréquemment se trouve le contrôle du stimulus, en évitant par exemple les trajets à risque ou les routes qui mènent vers les établissements de jeu, ou en évitant aussi la gestion de l’argent « virtuel » avec des cartes de crédits et des chéquiers, car le joueur n’est pas conscient de la quantité réellement perdue. Dans tous les cas, et selon le modèle de prévention de la rechute (Marlatt et Gordon, 1985; Marlatt et Donovan, 2008), il s’agit de détecter les situations à risque qui peuvent provoquer une rechute afin de la prévenir par des réponses adaptées.


Les approches basées sur l’exposition au jeu avec la prévention de la réponse de jeu compulsif sont également très utilisées, à l’origine par Greenberg et Rankin (1982). Lors de l’utilisation de ces techniques par exemple, le thérapeute ou une personne-ressource accompagne le joueur dans des lieux où celui-ci sera confronté au jeu, et prendra progressivement de la distance si le joueur arrive à contenir son désir de jouer (le joueur apprendra à gérer la situation sur le plan émotionnel et cognitif). L’exposition avec prévention de la réponse s’accompagne d’une reprise de contrôle progressive de ces situations pour le patient, afin d’arriver à une autonomie totale dans les activités de la vie quotidienne.


La désensibilisation systématique, utilisée à l’origine entre autres par McConaghy et al. (1991), consiste à exposer une personne à une scène pouvant induire un comportement problématique ou une situation à risque, et à l’associer à un état de relaxation. Cette technique a pour but de réduire les comportements compulsifs du joueur en diminuant le degré d’excitation ou de stimulation qu’il ressent à l’égard du jeu.


Néanmoins, peu d’études comparent l’efficacité différentielle de ces techniques, et le plus souvent les traitements combinent plusieurs de ces techniques.


Concernant le traitement, la thérapie basée sur l’approche cognitivo-comportementale s’appuie sur un modèle mettant en relation les émotions ressenties par le sujet avec ses comportements et ses pensées. Les émotions ressenties par une personne ne sont pas uniquement liées à la situation qu’elle vit. Tout au contraire, les émotions qu’une personne ressent sont liées à ce qu’elle perçoit et interprète de la situation, ou avec ce qu’elle en pense. Les cognitions constituent donc un pont entre les situations et les émotions. Ainsi, les cognitions interfèrent avec la façon dont un sujet réagit ou sur ce qu’il ressent face à une situation ou à un évènement. Les cognitions et la réaction émotionnelle ont une influence sur les comportements.


Sur un plan plus cognitif, on s’intéresse essentiellement à la façon dont les individus perçoivent leur réalité et leurs problèmes. Ainsi, l’objectif est de déterminer les pensées qui engendrent des difficultés et de travailler à les modifier. Dans le cas du jeu excessif, cette approche vise à identifier les perceptions du joueur à l’égard du jeu et à lui faire prendre conscience que certaines de ces pensées ou de ces interprétations sont erronées et lui portent préjudice. La thérapie cognitive a donc pour but de corriger les pensées que le joueur entretient et qui alimentent son goût de jouer. Il est important de signaler que la plupart des joueurs ne tiennent pas compte de l’espérance de gain négative liée aux jeux de hasard et d’argent (JHA), élément spécifique à tous les JHA. Cela implique qu’à long terme, il est impossible pour le joueur de réaliser des gains financiers au travers de ce type de jeux. Le joueur excessif persiste donc dans ses conduites de jeu, soit en ne tenant pas compte de l’espérance de gain négative, soit en croyant que l’issue du jeu sera positive, spécialement pour lui. Le joueur entretient donc une série de croyances erronées qui constituent la base de la persistance à jouer. Ladouceur et al. (2000) de l’école de Psychologie à l’Université Laval de Québec a beaucoup travaillé sur ce sujet. Un chapitre de leur ouvrage est exclusivement consacré aux distorsions cognitives. Il est important malgré tout de préciser que ces distorsions cognitives se retrouvent aussi bien chez les joueurs occasionnels que chez les joueurs excessifs (certes avec une fréquence et une intensité différente dans ces croyances), et ne peuvent donc expliquer qu’en partie le jeu excessif. C’est pour cette raison que la thérapie devra comporter une dimension cognitive, mais également comportementale et émotionnelle.


La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) se base sur une approche multidimensionnelle qui intègre simultanément des aspects cognitifs, affectifs et comportementaux. Elle apporte ainsi une explication plus globale de l’apparition, du développement et de la persistance des conduites de jeu excessif.


Par ailleurs, le travail sur les motivations des joueurs correspond à un aspect de maintien des problèmes de jeu de hasard et d’argent qui est abordé en TCC. Les motivations pour le jeu sont différentes selon les sexes : le gain d’argent, mais surtout l’excitation chez les hommes, échapper au stress ou faire face aux affects négatifs chez les femmes. Ces motivations sont explorées dans les études sur le jeu excessif sur internet (Lloyd et al., 2010).


Les thérapies de groupe cognitivo-comportementales intègrent en général des techniques motivationnelles, ainsi que des techniques spécifiques des TCC, parmi lesquelles nous pouvons citer : la restructuration cognitive des distorsions cognitives, l’entrainement à la résolution de problèmes, la gestion de situations à risque, l’expression des difficultés dans la gestion des émotions (avec la relaxation) et un travail sur les envies de jeu : le « craving » ou envie irrépressible, qui existe aussi pour d’autres addictions (Echeburua, 2006). Un modèle important dans la prise en charge est celui de prévention de rechute (Marlatt et Gordon, 1985). Pour ces auteurs, il est nécessaire de repérer les situations à risque, l’apprentissage des stratégies de coping (stratégies d’affrontement), la modification des distorsions cognitives, les changements dans les expectatives du comportement (comme récupérer les pertes ou se détendre…), la prise en charge des autres comorbidités comme l’anxiété, la dépression, les troubles de la personnalité ou les autres comorbidités addictives, etc. Dans ce cadre de prévention de la rechute, ces auteurs insistent sur le travail sur la « dissonance cognitive », introduite précédemment par Festinger Marlatt et Donovan, 2005. Si un joueur, abstinent depuis un certain temps, joue de façon ponctuelle, à cause par exemple d’un état émotionnel négatif ou à cause d’une envie très forte qu’il ne gère pas de façon adaptée, il peut penser qu’il n’est plus abstinent (selon le principe de la dissonance cognitive, on ne peut pas être abstinent et jouer à la fois). Afin de sortir du conflit cognitif, le joueur continue de jouer, et rentre donc dans un processus de rechute. Il est donc important d’anticiper cette situation avec les patients, afin qu’ils ne confondent pas faux pas et rechute, et d’insister sur le fait que si une prise en charge se met en place alors rapidement, ils ne rechuteront probablement pas.


Dans le cadre des thérapies comportementales et cognitives, on observe fréquemment dans les problèmes d’addiction des périodes de rémission spontanée, qu’il est important de reconnaître afin d’identifier quelles ont été les stratégies utilisées par les joueurs.


Un aspect important consiste à cibler les interventions motivationnelles et cognitivo-comportementales, selon des groupes spécifiques comme les adolescents, les femmes ou les personnes âgées, qui sont souvent plus concernés par ces problèmes et pour lesquels un travail sur la compliance thérapeutique est indispensable.


Il est également nécessaire de développer la psycho-éducation, sur le jeu en général, sur le hasard et sur la gestion de l’argent en particulier. Sur ce dernier point, on peut signaler le programme « Personal Financial Strategies for the Loved Ones Problems Gamblers », pour une reprise progressive du contrôle des finances (Marlatt et Donovan, 2005).


Les thérapies de couple cognitivo-comportementales et les thérapies de couple complémentaires à la prise en charge individuelle constituent un apport important pour les patients (Bonnaire, 2009).


Par ailleurs, le rôle des manuels d’autoaide est important dans la prise en charge des patients. Citons par exemple le manuel de Blaszczynsky (1998), qui comporte deux parties : dans la première, on trouve une liste des questions pour l’autoévaluation du problème de jeu pathologique (selon les Joueurs Anonymes), la description des problèmes associées au jeu pathologiques, comme d’autres dépendances et les possibles problèmes avec l’entourage. Dans la deuxième partie sont exposés les principes du changement (approche motivationnelle) et les phases de la prise en charge : comprendre la motivation, établir les objectifs, évaluer les niveaux et les conséquences du jeu, l’apprentissage de la relaxation, l’identification et la gestion des émotions négatives et des situations à risque, l’exposition avec prévention de la réponse, l’identification et le changement des distorsions cognitives (liées au jeu), la prévention de la rechute et le soutien familial.


Un exemple de programme cognitivo-comportemental est celui proposé par Fernandez Montalvo et Echeburua (Romo et al., 2003). Il s’agit d’un programme en cinq semaines, en plus d’un suivi, qui se présente avec un manuel d’autoaide pour les patients et un guide pour le thérapeute.


Le programme de Ladouceur et al. depuis 1993 et en 2000, propose également l’autoévaluation du problème de jeu à travers le questionnaire SOGS et les techniques à appliquer comme la gestion des situations à risque, la résolution des problèmes, l’exposition avec prévention de réponse, les habilités sociales et les aspects familiaux et sociaux. Il contient également un travail sur l’établissement d’un budget hebdomadaire et le remboursement des dettes, la prise en charge des autres addictions et l’établissement des activités de loisir. Sur le plan cognitif, il apporte une information sur le jeu, la restructuration cognitive des croyances dysfonctionnelles sur le jeu, et l’établissement d’un plan d’urgence en cas de rechute.


Par ailleurs, de nouveaux développements sont en cours à l’intérieur de la troisième vague des TCC comme la thérapie de la pleine conscience (« mindfulness ») appliquée aux troubles addictifs (Bowen et al., 2011), car des travaux récents ont montré l’intérêt de cette dimension de « mindfulness » dans la sévérité des problèmes de jeu pathologique (Lakey et al., 2007)


Des thérapeutiques combinées, surtout médicamenteuses, motivationnelles et TCC ont été souvent utilisées, avec des bons résultats (Hodgins et al., 2011; Shaffer et Korn, 2002) évoquent la nécessité d’utiliser des programmes intégratifs avec des psychothérapies, des traitements médicamenteux, de la psychoéducation, des groupes d’autoaide et un travail familial, ce qui permet de mieux perdre en charge des aspects multidimensionnels du trouble.



Références



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Blaszczynsky A.P. Overcoming compulsive gambling. A self help guide using cognitive behavioral techniques. London: Robinson, 1998.


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Bowen S., Chawla N., Marlatt G.A. Mindfulness-Based Relapse Prevention for Addictive Behaviors. A Clinician’s guide. New York: The Guildford Press, 2011.


Brown R.I. Arousal and sensation-seeking components in the general explanation of gambling and gambling addictions. International Journal of Addictions. 1986;21:1001–1016.


Brown S.L., Rodda S., Phillips J.G. Differences between problem and nonproblem gamblers in subjective arousal and affective valence amongst electronic gaming machine players. Addict. Behav.. 2004;29:1863–1867.


Echeburua E. Nuevas fronteras en el estudio del juego patológico. Madrid: Fundación Ramón Areces, 2006.


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Hodgins D.C., Stea J.N., Grant J.E. Glambing disorders. Lancet. 2011;378:1874–1884.


Ladouceur R., Sylvain C., Boutin C., Doucet C. Le jeu excessif. Comprendre et vaincre le gambling. Montréal: Les éditions de l’Homme; 2000.


Lakey C.E., Campbelle W.K., Brown K.W., Goodie A.S. Dispositional mindfulness as a predictor of the severity of gambling outcome. Personality and Individual Differences. 2007;43:1698–1710.


Lloyd J., Doll H., Hawton K., Dutton W.H., Geddes J.R., Goodwin G.M., et al. How biological symptoms relate to different motivations for gambling : an online study of internet gamblers. Biol Psychiatry. 2010;68:733–740.


Marlatt G.A., Donovan D.M. Relapse Prevention. In Second Édition: Maintenance Strategies in the Treatment of addictive Behaviers. New York: Guilford press; 2005.


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McConaghy N., Blaszczynski A., Frankota A. Comparaison of imaginal desensitisation with other behavioral of pathological gambling. A two to nine year follow-up. Br. J. Psychiatry. 1991;159:390–393.


Romo L., Fricot E., Aubry C., Lejoyeux M., Adès J. Prise en charge du jeu pathologique : présentation d’un programme cognitivo-comportemental. Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive. 2003;13:147–155.


Seager C.P. Treatment of compulsive gamblers by electrical aversion. Br. J. of Psychiatry. 1970;117:545–553.


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May 23, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 8: Approche cognitivo-comportementale

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