Chapitre 7. La non-demande et son évolution
Ce thème semble constituer un paradoxe, tout début de psychothérapie s’inscrivant en principe dans une demande de soins. Or, ce paradoxe s’avère fréquent. Beaucoup de patients ne demandent rien ; beaucoup également refusent d’entrer dans un soin psychique, au motif qu’« ils ne sont pas fous… ». Ce paradoxe peut se lever ; dans plusieurs situations, des patients qui refusaient énergiquement un soin psychique arrivent quelques mois, parfois quelques années, plus tard, à s’inscrire dans une dimension de soins. Pour qu’une maturation s’effectue depuis une situation de non-demande vers une situation de demande, deux préliminaires restent indispensables.
• Montrer l’intérêt d’un tiers.
Beaucoup de patients disent d’emblée : « Je me connais bien, j’ai beaucoup réfléchi à mon problème, j’ai déjà tenté de trouver des solutions… ». L’explication de l’intérêt du tiers que représente le thérapeute reste simple : aussi perspicace que l’on soit, on ne se voit qu’avec ses propres yeux. Les patients peuvent admettre, sauf en cas de défense de caractère majeur, qu’un autre regard va les faire progresser et leur permettre de mieux comprendre certaines de leurs difficultés.
• Toxicité des répétitions.
Lorsque l’on propose une approche psychothérapeutique, on explique au sujet l’absolue nécessité de se dégager de certaines attitudes ou de certains systèmes de pensée l’amenant à souffrir. Pendant de longues périodes, en luttant, le sujet tentera de gérer son problème tout seul. Mais la répétition, les rechutes, les reprises de certaines conduites, vont progressivement le conduire à une sorte de reddition. Il va enfin admettre qu’une aide extérieure peut être utile.
Les situations de non-demande restent fréquentes en médecine
La méconnaissance d’une maladie reçoit le non d’anosognosie ou de déni. L’anosognosie relève d’un mécanisme neuropsychologique ; l’incapacité à reconnaître une maladie a été décrite chez les sujets hémiplégiques qui ne reconnaissent pas qu’une moitié de leur corps ne fonctionne plus ou reste paralysée. Le dénidéni définit l’attitude psychique de celui qui ne veut pas voir ou qui déforme la réalité. Ces attitudes se retrouvent chez des patients du monde paramédical ou médical. On peut citer beaucoup de médecins ayant laissé évoluer un diabète, un tabagisme, un alcoolisme, un cancer ou des saignements… Ces médecins, parfois spécialistes ou leaders dans leur domaine, avaient une attitude de non-demande vis-à-vis de leurs symptômes. Certaines de ces non-demandes sont par contre bien perçues par les proches ; ils vont effectuer la demande à la place du patient, celui-ci se sentira obligé d’aller consulter pour faire plaisir, par obéissance ou simplement en ne sachant pas dire non.
Différents types de non-demande
Non-demande absolue
La non-demande absolue définit toutes les situations ou les patients refusent absolument d’entrer dans un processus de soins. À l’extrême, ils n’accepteront de voir ni une infirmière, ni un médecin. Lorsqu’il s’agit de sujets victimes d’idées délirantes ou d’hallucinations, la non-demande peut s’expliquer par deux phénomènes. Certains patients perçoivent leurs symptômes psychotiques comme des réalités absolues. On leur veut du mal, on les écoute, le monde s’est modifié. Dès lors, il n’existe aucune anomalie à soigner puisque ce qu’ils éprouvent est la réalité du monde. Une variante de cet état d’esprit s’inscrit lorsque le soin prend une valeur persécutoire.
Christine est une technicienne agricole. Dans son travail, ses collègues, dit-elle, lui font des grimaces ; on fausse ses analyses quand elle prépare des mesures, on efface des données sur son ordinateur. On l’écoute à son domicile. Chaque fois qu’un médecin a essayé de convaincre Christine que son interprétation du monde était faussée, elle en a conclu que le médecin était lui aussi manipulé ou qu’il cherchait à lui nuire ou à l’empoisonner. Christine n’adhère à aucun suivi, ayant l’impression qu’on essaie de trafiquer son esprit.
C’est lors d’un épisode de dépression où Christine se sentait menacée de toute part, traquée par des ennemis, insultée jusque dans son sommeil, qu’elle va admettre des entretiens et un traitement pour diminuer sa souffrance. Le premier objet du soin évitera soigneusement de discuter des aspects du délire, mais focalisera comme objectif de réduire la souffrance et la peine qu’elle éprouve. Il ne sert à rien d’affronter de face les éléments délirants. Ce n’est qu’après l’instauration d’une relation que le travail psychothérapeutique pourra s’efforcer de faire prendre de la distance au sujet, parfois au bout de plusieurs années.
Lors d’alcoolisme, ou de toxicomanie, la non-demande est souvent la règle. Alors que les sujets montrent des signes de souffrance hépatique ou neurologique majeurs, ils affirment toujours ne pas boire ou ne pas être dépendants. En leur montrant leurs perturbations biologiques ou les résultats d’une biopsie hépatique ou d’un scanner cérébral, on a le sentiment que ceux-ci les laissent indifférents. Ou bien, ils justifient les mauvaises analyses par un écart de conduite ponctuel et récent. Parfois, l’hospitalisation sur contrainte semble le seul moyen d’obtenir un arrêt de la prise du toxique d’où une conscience plus claire et la possibilité de discuter de la dépendance en dehors du produit. Si un dialogue arrive à se nouer, cela survient au bout de quelques semaines ou de quelques mois. Ceci a longtemps représenté l’impasse de la prise en charge des toxicomanes. Le seul traitement qui leur était proposé était le sevrage ; en cas de rechute, on considérait qu’ils étaient non-demandeurs. Lorsque les traitements de substitution sont menés dans une perspective psychothérapeutique, ils permettent de nouer une relation amenant à une compréhension des facettes de la dépendance.
Non-demande des dépressions sévères ou des mélancolies
Dans ces situations, le patient se juge perdu, indigne de tout soin, hostile à toute prise en charge qu’il estime inutile. Dans la plupart des cas, il ne vient même pas consulter. Ces patients peuvent s’isoler, rester de longues semaines à leur domicile dans une situation de détresse et d’incurie ou se donner la mort.