Partie 7 Intoxications
Principes généraux de prise en charge
Intoxications par antidépresseurs
Intoxications aiguës au paracétamol
Intoxications aiguës aux salicylés
Intoxications aiguës au monoxyde de carbone (CO)
Intoxications aux digitaliques
Intoxications éthyliques aiguës
Intoxications aiguës par éthylène glycol, méthanol
Intoxications aiguës à la chloroquine
Intoxications aiguës par les suffocants
Intoxications aiguës par les neurotoxiques organophosphorés
Intoxications par les champignons
Envenimations par morsure de serpents
Intoxications aux neuroleptiques
Intoxications aux benzodiazépines
PRINCIPES GÉNÉRAUX DE PRISE EN CHARGE
DIAGNOSTIC
Le diagnostic repose sur des données anamnestiques et sur l’examen clinique du patient, beaucoup plus que sur les examens complémentaires.
• évaluation de la conscience chiffrée (score de Glasgow) ;
• évaluation respiratoire: mesure de la fréquence respiratoire, amplitude des mouvements thoraciques, coloration des téguments, existence ou non d’un encombrement ;
• évaluation circulatoire: fréquence cardiaque, pression artérielle, ECG.
Ce premier bilan rapide permet d’évaluer la nécessité de traitement urgent :
• mise en place d’un abord vasculaire ;
• perméabilité des voies aériennes ;
• oxygénation ou ventilation assistée ;
• traitement d’une arythmie ou d’un trouble de conduction ;
• examen des téguments à la recherche de traces d’injection, de traces de traumatisme, d’une cyanose ;
• examen de la sphère oropharyngée (ingestion de caustique) ;
• examen neurologique (mouvements anormaux, diamètre pupillaire) (cf. encadrés « Comas p. 670 », « Toxiques convulsivants » p. 671, tableau « Pupilles et mouvements oculaires p. 672 » et Score de Glasgow, spécialité Neurologie) ;
• température (cf. tableau « Troubles de la température » p. 672) ;
• évaluation cardiocirculatoire (cf. encadré « Atteintes cardiovasculaires toxiques p. 673 ») :
• examen abdominal : iléus, globe vésical ;
• examen des membres : lésions de compression, syndrome des loges, compression nerveuse.
CRITÈRES D’ADMISSION EN RÉANIMATION*
– Envenimation avec signes généraux (ou extension de l’œdème sur tout le membre ou le tronc).
– Hyperthermie maligne (syndrome malin des neuroleptiques).
• La recherche d’une hypoglycémie doit être systématique. Associée à un syndrome hyper-adrénergique, elle oriente vers une intoxication par la théophylline, les amphétamines ou le trichloréthylène.
• Urée et créatinine : les atteintes rénales secondaires à un effet néphrotoxique direct sont rares (métaux lourds, éthylène glycol, paraquat, certains antibiotiques). L’hypovolémie et la déshydratation sont responsables d’insuffisances rénales fonctionnelles alors que les insuffisances rénales organiques sont le plus souvent dues aux états de choc, aux hémolyses intravasculaires ou rhabdomyolyses.
COMAS
• Natrémie : risque d’hypernatrémie liée à l’administration de sels de sodium hypertoniques (intoxication par les tricycliques). Les diarrhées importantes (syndrome phalloïdien, colchicine) peuvent être responsables d’une hyponatrémie.
• Kaliémie : hyperkaliémie de l’intoxication digitalique (inhibition de l’ATPase membranaire). Hypokaliémie lors de l’intoxication par la chloroquine (corrélée avec la gravité de l’intoxication).
• Osmolalité: une hyperosmolalité non liée à l’élévation de l’urée, du glucose ou d’électrolytes indique la présence plasmatique d’une substance non dosée. Il existe alors une différence entre l’osmolalité mesurée et l’osmolalité calculée. Ce trou osmolaire fait préférentiellement évoquer une intoxication par un alcool, un glycol ou de l’acétone.
• L’ECG doit être systématique ; il permet en cas d’anomalie d’évoquer une absorption de produit toxique non avouée et/ou d’évaluer la gravité de certains produits (cf. encadré « Atteintes cardiovasculaires toxiques » p. 673).
L’étude des gaz du sang artériel permet d’évaluer les effets respiratoires centraux ou périphériques des toxiques. Une alcalose ventilatoire est évocatrice d’une intoxication salicylée ; une acidose respiratoire est un facteur de risque et justifie une surveillance en réanimation. Les alcaloses métaboliques sont le plus souvent secondaires aux vomissements ou aux perfusions de bicarbonate. Les acidoses métaboliques permettent une orientation diagnostique (cf. tableau « Acidoses métaboliques toxiques » p. 674).
CRITÈRES DE GRAVITÉ ET D’ADMISSION EN RÉANIMATION
À l’évidence, les intoxications très graves (coma profond, détresse respiratoire, état de choc, arrêt cardiorespiratoire) justifient une admission directe en réanimation. Le risque beaucoup plus fréquent est de sous-évaluer la gravité d’une intoxication et donc de ne pas proposer un transfert dans une unité où la surveillance est continue. Les indications pour un transfert en réanimation sont résumées dans l’encadré « Critères d’admission en réanimation » p. 670.
PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
Le traitement des intoxications comporte trois axes :
• Une prise en charge symptomatique : support hémodynamique, ventilatoire, correction des troubles métaboliques, prévention des complications.
• Une prise en charge spécifique :
• Très souvent secondaires à un acte volontaire, les intoxications traduisent un syndrome dépressif qui doit être systématiquement évalué par un psychiatre. En cas d’intoxication collective type CO, une enquête est obligatoire.
HYPOTHERMIE | HYPERTHERMIE |
---|---|
Infection : pneumopathie d’inhalation ou autre cause |
ATTEINTES CARDIOVASCULAIRES TOXIQUES
TROU ANIONIQUE NORMAL (PERTE DE BICARBONATES) | TROU ANIONIQUE AUGMENTÉ (EN L’ABSENCE DE SIGNES DE CHOC) |
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Pertes digestives Acidoses rénales (défaut d’excrétion) Acidoses tubulaires Avec hypokaliémie Amphotéricine Lithium Avec hyperkaliémie Amiloride, spironolactone, triamtérène ciclosporine Méticilline β-bloquants | Acidose lactique En l’absence d’hyperlactatémie Trou osmolaire augmenté : Éthylène glycol Méthanol Paraldéhyde Acidocétose alcoolique diabétique Disolvants (acide acétique) Insuffisance rénale sévère |
* En l’absence de perfusion de soluté salé isotonique en pré-hospitalier.
INTOXICATIONS PAR ANTIDÉPRESSEURS
INTOXICATIONS AIGUËS AU PARACÉTAMOL
FICHE MALADIE
CAUSES ET MÉCANISMES
TRAITEMENT
Prise en charge urgente : lavage gastrique dans les 2 h suivant une prise > 125 mg/kg.
Le charbon activé réduit l’absorption mais impose la voie veineuse pour l’antidote.
INDICATIONS DE TRANSFERT EN UNITÉ DE GREFFE HÉPATIQUE
Encéphalopathie + taux de prothrombine < 40 %, ou temps de thrombine supérieur à 100 s.
L’administration trop rapide de la dose de charge entraîne chez près de 15 % des patients des effets indésirables à type de réaction anaphylactoïde avec nausées, bronchospasme, bouffées vasomotrices, urticaire et prurit. En cas de survenue, la diminution de la vitesse de perfusion et un traitement à base d’antihistaminiques (POLARAMINE IV) permettent de contrôler la symptomatologie.
INTOXICATIONS AIGUËS AU SALICYLÉS
FICHE MALADIE
CAUSES ET MÉCANISMES
L’aspirine stimule les centres respiratoires et a une toxicité cellulaire directe (essentiellement mitochondriale).
L’intoxication est d’autant plus grave qu’il s’agit d’un enfant ou d’un vieillard.
DIAGNOSTIC
Le tableau clinique varie selon l’âge (enfant ou adulte).
• Troubles de la conscience : ils sont précoces et importants chez l’enfant (coma, convulsions), alors qu’ils sont plus tardifs chez l’adulte, essentiellement sous forme d’encéphalopathie.
• Troubles neuro-sensoriels : surtout marqués chez l’adulte, céphalées, bourdonnements d’oreilles, hypoacousie, vertiges.
• Épigastralgies, nausées, vomissements.
• Hyperventilation initiale, dépression respiratoire secondaire (enfants++), détresse respiratoire par œdème pulmonaire lésionnel (rares, intoxications massives).
• Troubles de la thermorégulation : hyperthermie, hypersudation, vasodilatation, tachycardie.
• Gaz du sang (alcalose respiratoire initiale, puis alcalose respiratoire associée à une acidose métabolique, plus rarement acidose mixte correspondant à l’arrêt de l’hyperventilation et à des signes de gravité majeurs).
• lonogramme sanguin (hypokaliémie, insuffisance rénale fonctionnelle).
• Dosage de la salicylémie à répéter toutes les 4 à 6 h tant que deux dosages successifs n’ont pas montré une décroissance et un taux inférieur à 400 mg/L.
TRAITEMENT
• Réhydratation, apport de glucose, de KCl : 0,5 à 1 g/h par voie veineuse pour corriger la kaliémie (4 à 6 g/L de glucosé à 5 %).
• Oxygénothérapie au masque : 8 L/min.
• Inhibiteurs de la pompe à protons : par exemple, INEXIUM 40 mg/j IV 2 fois/j (risques gastriques).
• Correction de l’hyperthermie à l’aide de glace, de draps humides.
• En cas de convulsions: adultes, VALIUM 10 mg IV ou RIVOTRIL 1 mg IV.
• Ventilation mécanique en cas d’acidose mixte traduisant l’épuisement respiratoire.
Le pronostic dépend de la dose ingérée : chez l’enfant, une absorption supérieure à 250 mg/kg est sévère et peut être mortelle pour une prise dépassant 450 mg/kg.
• Fréquence respiratoire et cardiaque, pression artérielle, température, conscience, glycémie, équilibre acido-basique par gaz du sang répétés.
• Diurèse et pH urinaire : l’alcalinisation des urines par perfusion de bicarbonate de sodium à 1,4% en IV (500 mL par 2 h + 2 g de KCl par flacon) accroît l’élimination lorsque le pH urinaire est supérieur à 6 (but à obtenir : pH entre 8 et 8,5) ; l’alcalinisation est interrompue lorsque la salicylémie est inférieure à 400 mg/L.