Chapitre 7. Évolution des capacités cognitives
les études longitudinales
Gilles Defer and Maeva Camus
L’histoire naturelle des troubles cognitifs dans la sclérose en plaques (SEP) est assez peu renseignée du fait de la faible comparabilité des études longitudinales qui sont, de plus, rarement menées dès le début de la maladie et souvent effectuées auprès de patients recevant des traitements. Ces études doivent permettre de répondre à certaines interrogations relatives à l’évolution de la SEP sur le plan cognitif. Selon les travaux, on observe une stabilité des performances cognitives ou au contraire un déclindéclin de celles-ci au cours de la maladie. Nous verrons comment peuvent s’expliquer ces différences de résultats. Le premier chapitre de cette partie (p. 59) propose une description de la nature des troubles cognitifs en fonction des formes de la maladie. Une des questions qui en découle est de savoir si ces troubles évoluent de la même façon dans les formes rémittentes (RR), les formes secondairement progressives (SP) et les formes progressives primaires (PP). Par ailleurs, l’évolution des performances cognitives est souvent mise en relation avec d’autres paramètres comme l’atteinte cognitive initiale, la sévérité du handicap physique, l’âge, la durée de la maladie ou encore les données de l’imagerie. Ces différentes variables peuvent-elles être considérées comme des facteursfacteurs prédictifsfacteursprédictifs de l’évolution des troubles cognitifs? Enfin, les études longitudinalesétudes longitudinales restent difficiles à mener d’un point de vue méthodologique. Nous détaillerons quelles sont les principales difficultés rencontrées dans ces études. Les différentes données issues des travaux rapportés dans ce chapitre seront discutées pour tenter de répondre plus spécifiquement à chacune des questions posées.
Évolution des troubles cognitifs
Études rapportant une stabilité ou une amélioration des performances
Plusieurs études ne mettent en évidence aucun déclin cognitif et montrent plutôt une stabilité des performances au cours du suivi. La plupart de ces études ont été réalisées auprès de patients atteints de SEP-RR, connus pour présenter une atteinte moindre sur le plan cognitif comparativement aux formes progressives.
Des données récentes rejoignent les conclusions de travaux plus anciens, comme ceux de Patti et al. [1] et de Mariani et al. [2], qui n’ont retrouvé aucune détérioration cognitive respectivement à 3ans et à 2ans de suivi dans un groupe de patients atteints de SEP-RR.
Bonnet et al. [3] ont réalisé un suivi sur 3ans de 57 patients atteints de SEP-RR (diagnostic ≤ 6 mois), et 43 patients ont pu être appariés à 43 sujets contrôles. À l’inclusion, les patients atteints de SEP-RR étaient significativement déficitaires par rapport aux sujets contrôles dans différents tests évaluant la mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique verbalemémoireverbale (Selective Reminding Test, ou SRTSelective Reminding Test (SRT)) et visuospatiale (Spatial Recall Test, ou SPARTSPART), l’attentionattention soutenueattentionsoutenue, la vitesse de traitement de l’informationvitesse de traitement de l’information et la mémoiremémoire de travailmémoirede travail (SDMTSDMT, PASATPASAT-2s et 3s), les capacités d’inhibitioninhibition (test de StroopStroop) et la conceptualisationconceptualisation (subtest similitudessimilitudes de la WAIS-RWAIS-R). Pour la plupart des tests, les performances des patients s’étaient améliorées à 3ans par rapport à leurs performances initiales; elles restaient néanmoins inférieures à celles des sujets contrôles pour certains tests (SDMTSDMT, PASATPASAT-2s, StroopStroop, similitudessimilitudes). Dans une autre étude (16 SEP-RR/20 sujets contrôles), Bensa et al. [4] ont également montré une amélioration significative de certaines performances (mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique, attention/vitesse de traitement de l’informationvitesse de traitement de l’information, fonctions exécutivesfonctions exécutives) entre l’évaluation à l’inclusion et celle à 1 an et à 2ans. Jonsson et al. [5] ont réalisé un suivi pendant environ 4ans de 80 patients, essentiellement des patients atteints de SEP-RR (75RR, 3PP, 2SP), ayant une maladie débutante (diagnostic inférieur à 1 an) et de 75 sujets contrôles. Lors de la dernière évaluation, seuls 64 patients ont pu être réévalués (55RR, 3PP, 6SP). Sur la base d’une analyse factorielle exploratoire, les auteurs ont regroupé en 7 grands domaines cognitifs les mesures aux différents tests neuropsychologiques. Initialement, les patients étaient significativement déficitaires dans six des sept domaines cognitifs et à la fin du suivi ils ne l’étaient plus que dans deux (dénominationdénomination et organisation visuelle), du fait de l’amélioration de leurs performances dans les autres domaines. À l’inclusion, 44 à 48 % des patients avaient des troubles cognitifs (proportion qui différait selon si on considérait le nombre de domaines cognitifs touchés ou le nombre de tests échoués) alors que 4ans plus tard seuls 33 à 34 % présentaient de tels troubles. Weinstein et al. [6] ont rapporté les résultats d’une étude ancillaire sur la cognition d’un essai de phase III évaluant l’effet thérapeutique de l’acétate de glatiramère (AG)acétate de glatiramère (AG) [7]. Les auteurs ont constaté que le groupe placebo et le groupe de patients sous AGAG (n = 248 SEP-RR) présentaient tous deux une augmentation significative de leurs performances (SRTSRT, SPARTSPART 10/36, PASAT) entre l’évaluation à l’inclusion et celle à 1 an et à 2ans. Ces auteurs ont par la suite rapporté les résultats du suivi à 10ans, qui correspond à la phase d’extension en ouvert de ce protocole [8] (voir infra).
Des résultats similaires ont également pu être constatés dans une population de patients atteints de SEP-PP. Camp et al. [9] ont réalisé une étude auprès de 147 patients atteints de SEP-PP, dont 99 ont pu être suivis sur 2ans, dans laquelle les fonctions cognitives ont principalement été évaluées avec la BRB-N (Brief Repeatable Battery of Neuropsychological Tests [10]). Aucune différence significative n’a été retrouvée entre les performances à l’inclusion et celles à 1 an et à 2ans ainsi qu’entre les évaluations à 1 an et à 2ans. Néanmoins, après analyse des profils individuels, environ 1/3 des patients présentaient un déclindéclin cognitif.
Dans une étude déjà ancienne mais originale, Feinstein et al. [11] avaient réalisé un suivi cognitif de plus de 4ans chez 48 patients présentant une manifestation clinique isolée initiale (SCI : syndrome cliniquement isolé). À la fin du suivi, 35 patients avaient pu être réévalués (19 avaient développé une SEP cliniquement définie; 16 présentaient toujours un SCI). Sur l’ensemble du groupe de patients, une stabilité globale des performances avait été observée à la fin du suivi, exceptée pour une épreuve de reconnaissance des visages (Recognition Memory Test [12]). Une récente publication de Kappos et al. [13] présente les résultats d’un suivi de 3ans en ouvert, après une phase en double aveugle de 2ans, d’un essai thérapeutique évaluant l’effet de l’interféron β-1b en sous-cutané (étude BENEFIT) sur le passage en SEP cliniquement définie dans les SCI. En plus des résultats cliniques favorables, l’étude a montré un effet positif du traitement précoce sur les performances au PASAT à 5ans, comparativement au traitement instauré plus tardivement (groupe placebo). Il s’agissait d’une amélioration plus importante (due à un effet de pratiqueeffet de pratique) dans le groupe traité tôt comparativement au groupe traité secondairement à la fin de la phase en double aveugle. Les mécanismes de cette amélioration sont discutés dans le chapitre 18 de la partie V (p. 181). À noter que seul ce critère cognitif du score composite du MSFC était significativement différent entre les groupes à la fin de l’étude.
L’étude de Sperling et al. [14] a quant à elle été réalisée auprès d’une population hétérogène de 28 patients atteints de SEP (15RR, 13 formes progressives) et de 28 sujets contrôles. Les auteurs n’ont constaté aucune évolution significative des performances aux tests neuropsychologiques à 1 an. À 4ans de suivi, le déclin ne concernait que le rappel différé du SRT.
Plusieurs explications peuvent être proposées pour interpréter ces résultats.
La stabilité des performances chez les patients lors du suivi est interprétée par certains auteurs (notamment Huijbregts et al. [15]) comme le signe d’un déclin si, en parallèle, les sujets du groupe contrôle améliorent leurs performances suite à un effet de pratiqueeffet de pratique.
Par ailleurs, la stabilité observée dans plusieurs études pourrait également être la conséquence des effets de la variabilité interindividuelle. Les conclusions de ces études longitudinalesétudes longitudinales reposent sur des données de groupe. Ainsi, la stabilité ou l’amélioration des performances de certains patients lors du suivi pourraient masquer l’aggravation des performances d’autres patients dans l’analyse de groupe. Cette variabilité dans l’évolution des performances cognitives a été soulignée par plusieurs auteurs [9, [16][17] and [18]], qui ont constaté que selon les patients les scores restent stables, s’améliorent ou se détériorent au cours du suivi. Pour exemple, dans l’étude de Amato et al. [17] réalisée auprès de 28 patients atteints de SEP-RR (41 avaient été initialement inclus), il a été montré qu’après 2,5ans, 43 % des patients se détérioraient, 39 % restaient stables et 18 % s’amélioraient. Dans la pratique clinique, il ne faut donc pas négliger l’analyse des profils individuels puisque chaque patient est susceptible d’évoluer différemment sur le plan cognitif.
Certains auteurs [9, 19] ont souligné que les sujets qui sortaient prématurément de leurs études étaient ceux qui étaient le plus détériorés sur le plan cognitif, ce qui pourrait avoir pour conséquence de minimiser le déclindéclin observé au fil du temps. Lors du suivi, cela réduirait la différence entre les performances des patients et celles des sujets contrôles. Ce biais d’attrition implique une mauvaise estimation de l’évolution des capacités cognitives et limite la portée des conclusions pouvant être tirées des résultats de ces études.
Études rapportant une aggravation des performances
Dans d’autres études, un déclin cognitif a pu être mis en évidence dans toutes les formes de SEP étudiées isolément. Toutefois, certaines d’entre elles ont été réalisées sur des groupes hétérogènes, constitués de patients atteints des différentes formes évolutives de SEP.
Amato et al. [20, 21] ont réalisé un suivi sur 10ans de 50 patients atteints de SEP (44RR, 6 PP) et de 70 sujets contrôles. À la fin du suivi, 45 patients (26RR, 5PP, 14SP) et 65 sujets contrôles ont été réévalués. Les patients ont été inclus tôt dans l’évolution de la maladie (durée moyenne de la maladie : 1,58 ± 1,62ans). Après 4ans de suivi, les auteurs ont montré que les déficits cognitifs initiaux concernant la mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique verbalemémoireverbale et les capacités de raisonnement abstraitraisonnement abstrait [20] étaient toujours présents et que de nouveaux déficits concernant la compréhension orale (Token test) et une épreuve de fluence verbalefluence verbale catégorielle (Set Test d’Isaacs) étaient observés. À 10ans, les patients se distinguaient des contrôles pour les mêmes tests que lors du suivi à 4ans mais présentaient également une réduction des capacités en mémoire à court termemémoireà court terme verbale et visuospatiale [21]. Plus récemment, Bergendal et al. [22] ont réalisé une étude auprès de 31 patients atteints de SEP (10RR, 17SP, 4PP; à la fin du suivi, 5RR étaient passés en forme SP) et ont mis en évidence une altération significative de certaines capacités entre l’inclusion et une évaluation réalisée à 8ans. Celle-ci concernait les capacités visuoconstructives (copie de la figure de Rey), la mémoire à court terme visuospatiale (blocs de Corsiblocs de Corsi), la vitesse de traitement de l’informationvitesse de traitement de l’information (temps de réactiontemps de réaction visuel) et la vitesse motrice de la main droite.
D’autres travaux ont été menés auprès de groupes homogènes de patients, présentant tous la même forme évolutive de la maladie. Certains ont été réalisés auprès de patients présentant une forme RR de SEP. Une étude effectuée auprès de 12 patients atteints de SEP-RR (échantillon initial de 32 patients) a montré qu’après 8,5ans, il existait une aggravation significative concernant le coefficient de détérioration calculé à partir des notes obtenues à la WAISWAIS et les performances en mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique verbalemémoireverbale [23]. L’étude de Schwid et al. [8] a également été réalisée chez des patients atteints de SEP-RR. Cette étude ancillaire sur la cognition correspond à la phase d’extension en ouvert d’un essai de phase III évaluant initialement l’effet thérapeutique de l’AGAcétate de Glatiramere (AG). Elle a porté sur 153 des 248 patients ayant initialement été inclus, et 106 d’entre eux étaient toujours traités par l’AG et 47 par divers autres traitements suite à leur sortie de l’étude pivot. À 10ans, il a été observé un déclindéclin significatif des performances aux tests d’attention, de vitesse de traitement de l’information et de mémoiremémoire de travailmémoirede travail (SDMTSDMT, PASATPASAT-2s/3s), qui n’était pas présent à 2ans de suivi [6].
Enfin, quelques études ont été réalisées auprès de patients présentant une forme progressive de SEP. Dans une étude de 1998, Patti et al. [1] ont constaté une réduction des capacités en mémoiremémoire à court termemémoireà court terme verbale chez les patients atteints de SEP-SP (n = 34) à 3ans. Plus récemment, Huijbregts et al. [15] ont réalisé un suivi sur 2ans de 55 patients présentant une forme progressive (30SP, 25PP) et de 33 sujets contrôles. Le profil d’évolution des performances sur cette période distinguait de façon significative les patients atteints de SEP-PP des sujets contrôles pour le SDMT et le PASATPASAT-2s et 3s, tandis que les patients atteints de SEP-SP ne se distinguaient des contrôles que pour le SDMTSDMT. Ces différences étaient attribuables au fait que contrairement aux patients les performances des sujets contrôles s’étaient améliorées à 2ans, laissant suggérer l’existence d’un déclindéclin cognitif chez les premiers. Denney et al. [19] ont comparé 24 patients atteints de SEP-PP à 25 sujets contrôles lors d’un suivi sur 3ans (au début de l’étude, 33 patients et 31 sujets contrôles avaient été inclus). Après réalisation d’une analyse factorielle, ils ont retrouvé un déclin cognitif significatif chez les patients atteints de SEP par rapport aux sujets contrôles pour le facteur vitesse de traitement de l’informationvitesse de traitement de l’information.
Tous ces travaux ont été réalisés auprès de patients assez jeunes, en ambulatoire. Il y a peu de données sur les personnes vivant en institution. À notre connaissance, seules deux études récentes se sont attachées à étudier la cognition de personnes atteintes de SEP plus âgées, résidant en maison de retraite [24, 25]. Buchanan et al. [24] ont réalisé leur étude auprès de 1 309 résidents atteints de SEP (âge = 57 ± 13,5ans) et ont retrouvé une détérioration des performances cognitives significative 1 an après leur entrée en institution. Dans une autre étude, Demakis et al. [25] ont étudié 924 patients (âge = 57,5 ± 13,5ans) répartis en quatre sous-groupes : SEP isolée (SEP, n = 121), SEP avec au moins une autre pathologie neurologique (SEP-neuro, n = 169), SEP avec au moins un trouble psychiatrique (SEP-psy, n = 269), SEP accompagnée à la fois d’au moins un trouble neurologique et d’au moins un trouble psychiatrique (SEP-psy-neuro, n = 365). Les patients ont été évalués lors de l’entrée en institution puis de façon annuelle pendant 3ans, avec la MDS-Cognition Scale [26], qui permet de définir différents degrés d’atteinte cognitive. Toutes évaluations confondues, les SEP-neuro et les SEP-psy-neuro avaient de façon significative un score plus élevé à la MDS-Cognition Scale que les SEP et les SEP-psy, témoignant d’une atteinte cognitive plus sévère. Cela indique, sans surprise, que la comorbidité neurologique augmenterait la sévérité des troubles tandis que la seule comorbidité psychiatrique n’aurait pas cet effet. Par ailleurs, un déclin cognitif au cours du suivi a été observé chez les SEP-psy et chez les SEP-psy-neuro.
En résumé, alors que certains travaux rendent compte d’une stabilité des performances, d’autres rapportent un déclin de celles-ci. Ces résultats peuvent être expliqués par des différences dans les populations respectivement étudiées ainsi que dans la durée du suivi. Les études les plus à même de rendre compte de l’évolution réelle des performances cognitives sont celles qui sont réalisées sur une longue période et qui permettent un suivi des patients dès le début de leur maladie. On remarque que globalement les travaux ayant montré une stabilité ou une amélioration des performances n’ont réalisé un suivi que de quelques années; un suivi plus long aurait probablement permis de mettre en évidence un déclin. De plus, certains de ces travaux ont été réalisés auprès de patients récemment diagnostiqués [3, 5], ce qui rend sans doute encore plus difficile la mise en évidence d’un déclin significatif.
Globalement, les résultats de ces études suggèrent que le déclin de certaines performances est plus facilement mis en évidence lors de suivis assez longs (8–10ans). Au vu des résultats de la littérature, le déclin serait principalement caractérisé dans toutes les formes de SEP (RR, SP, PP) par une altération des capacités d’attentionattention soutenueattentionsoutenue, de la vitesse de traitement de l’information et par une réduction des capacités en mémoiremémoire à court termemémoireà court terme verbale et visuospatiale. Les données actuelles sont toutefois insuffisantes pour caractériser précisément la pente du déclindéclin en fonction des différentes formes de la maladie.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree


